La Légende d’un peuple/La Forêt
Chênes au front pensif, grands pins mystérieux,
Vieux troncs penchés au bord des torrents furieux,
Dans votre rêverie éternelle et hautaine,
Songez-vous quelquefois à l’époque lointaine
Où le sauvage écho des déserts canadiens
Ne connaissait encor que la voix des Indiens,
Qui, groupés sous l’abri de vos branches compactes,
Mêlaient leur chant de guerre au bruit des cataractes ?
Sous le ciel étoilé, quand les vents assidus
Balancent dans la nuit vos longs bras éperdus,
Songez-vous à ces temps glorieux où nos pères
Domptaient la barbarie au fond de vos repaires ?
Quand, épris d’un seul but, le cœur plein d’un seul vœu,
Ils passaient sous votre ombre en criant : — Dieu le veut !
Défrichaient la forêt, créaient des métropoles ;
Et, le soir, réunis sous vos vertes coupoles,
Toujours préoccupés de mille ardents travaux,
Soufflaient dans leurs clairons l’esprit des jours nouveaux ?
Oui, sans doute ; témoins vivaces d’un autre âge,
Vous avez survécu tout seuls au grand naufrage
Où les hommes se sont l’un sur l’autre engloutis ;
Et, sans souci du temps qui brise les petits,
Votre ramure, aux coups des siècles échappée,
À tous les vents du ciel chante notre épopée !