Aller au contenu

La Légende d’un peuple/Vive la France !

La bibliothèque libre.
La Légende d’un peupleLibrairie BeaucheminPoésies choisies, 1 (p. 297-303).

 
C’était après les jours sombres de Gravelotte :
La France agonisait.

                         Bazaine Iscariote,
Foulant aux pieds honneur et patrie et serments,
Venait de livrer Metz aux reîtres allemands.
Comme un troupeau de loups sorti des steppes russes,
Une armée, ou plutôt des hordes de Borusses,
Féroces, l’œil en feu, sabre aux dents, vingt contre un,
Après une razzia de Strasbourg à Verdun,
Incendiant les bourgs, détruisant les villages,
Ivres de vin, de sang, de haine et de pillages,


Et ne laissant partout que carnage et débris,
Nouveau fléau de Dieu, s’avançaient sur Paris.

Vols, attentats sans nom, horribles hécatombes,
Rien ne rassasiait ces noirs semeurs de tombes.
La province, à demi morte et saignée à blanc,
Se tordait et râlait sous leur talon sanglant.

Seule, et voulant donner un exemple à l’histoire,
Paris, ce boulevard de dix siècles de gloire,
Orgueil et désespoir des rois et des césars,
Foyer de la science et temple des beaux-arts,
Folle comme Babel, sainte comme Solime,
En un jour transformée en guerrière sublime,
Le front haut, l’arme au bras, narguant la trahison,
Par-dessus ses vieux forts regardait l’horizon !

Au loin le monde ému frissonnait dans l’attente ;
Qu’ allait-il arriver ?

                             L’Europe haletante

Jetait, soir et matin, sur nos bords atterrés,
Ses bulletins de plus en plus désespérés
On bombardait Paris !

                             Or, tandis que la France,
Jouant sur un seul dé sa dernière espérance,
Se roidissait ainsi contre le sort méchant,
Un poème naïf, douloureux et touchant
S’écrivait en son nom sur un autre hémisphère.
Tandis que d’un œil sec d’autres regardaient faire, ―
D’autres pour qui la France, ange compatissant,
Avait donné cent fois le meilleur de son sang, ―
Par delà l’Atlantique, aux champs du nouveau monde
Que le bleu Saint-Laurent arrose de son onde,
Des fils de l’Armorique et du vieux sol normand,
Des Français, qu’un roi vil avait vendus gaîment,
Une humble nation qu’encore à peine née,
Sa mère avait un jour, hélas ! abandonnée,
Vers celle que chacun reniait à son tour
Tendit les bras avec un indicible amour !


La voix du sang, parla ; la sainte idolâtrie,
Que dans tout noble cœur Dieu mit pour la patrie,
Se réveilla chez tous ; dans chacun des logis,
Un flot de pleurs brûlants coula des yeux rougis ;
Et, parmi les sanglots d’une douleur immense,
Un million de voix cria :

                                   ― Vive la France !

Sous les murs de Québec, la ville aux vieilles tours,
Dans le creux du vallon que baignent les détours
Du sinueux Saint-Charle aux rives historiques,
À l’ombre du clocher se groupent vingt fabriques.
C’est le faubourg Saint-Roch, où vit en travaillant
Une race d’élite au cœur fort et vaillant.

Là surtout, ébranlant ces poitrines robustes
Où trouvent tant d’échos toutes les causes justes,
Retentit douloureux ce cri de désespoir :
― La France va mourir !

                             Ce fut navrant.

                                                   Un soir,
Un de ces soirs brumeux et sombres de l’automne


Où la bise aux créneaux chante plus monotone,
De ses donjons, à l’heure où les sons familiers
De la cloche partout ferment les ateliers,
La haute citadelle, avec sa garde anglaise,
Entendit tout à coup tonner la Marseillaise,
Mêlée au bruit strident du fifre et du tambour...
Les voix montaient au loin ; c’était le vieux faubourg
Qui, grondant comme un flot que l’ouragan refoule,
Gagnait la haute ville, et se ruait en foule
Autour du consulat, où de la France en pleurs,
Drapeau toujours sacré, flottaient les trois couleurs.

Celui qui conduisait la marche, un gars au torse
D’Hercule antique, avait, sous sa rustique écorce,
― Comme un lion captif grandi sous les barreaux, ―
Je ne sais quel aspect farouche de héros.
C’était un forgeron à la rude encolure,
Un fort ; et rien qu’à voir sa calme et fière allure,
Et son mâle regard et son grand front serein,
On sentait battre là du cœur sous cet airain.


Il s’avança tout seul vers le fonctionnaire ;
Et, d’une voix tranquille où grondait le tonnerre,
Dit :

          ― Monsieur le consul, on nous apprend là-bas
Que la France trahie a besoin de soldats.
On ne sait pas chez nous ce que c’est que la guerre ;
Mais nous sommes d’un sang qu’on n’intimide guère,
Et je me suis laissé dire que nos anciens
Ont su ce que c’était que les canons prussiens.
Au reste, pas besoin d’être instruit, que je sache,
Pour se faire tuer ou brandir une hache ;
Et c’est la hache en main que nous partirons tous ;
Car la France, monsieur... la France, voyez-vous...
Il se tut ; un sanglot l’étreignait à la gorge.
Puis, de son poing bruni par le feu de la forge
Se frappant la poitrine, où, son col entr’ouvert,
D’un scapulaire neuf montrait le cordon vert :

― Oui, monsieur le consul, reprit-il, nous ne sommes
Que cinq cents aujourd’hui ; mais, tonnerre ! des hommes,
Nous en aurons, allez !... Prenez toujours cinq cents,
Et dix mille demain vous répondront : ― Prés

ents !
La France, nous voulons épouser sa querelle ;
Et, fier d’aller combattre et de mourir pour elle,
J’en jure par le Dieu que j’adore à genoux,
On ne trouvera pas de traîtres parmi nous !...

Le reste se perdit, car la foule en démence
Trois fois aux quatre vents cria :

                                        ― Vive la France !

Hélas ! pauvres grands cœurs ! leur instinct filial
Ignorait que le code international,
Qui pour l’âpre négoce a prévu tant de choses,
Pour les saints dévoûments ne contient pas de clauses.

Et le consul, qui m’a conté cela souvent,
En leur disant merci, pleurait comme un enfant.