La Légende des sexes, poëmes hystériques/Impuissance

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IMPUISSANCE



N on, tu ne m’auras pas, malgré mon désir fou !
Tes baisers affamés peuvent pomper mes lèvres,
Et, courant par troupeaux de mes reins à mon cou,
Sur mon torse fiévreux brouter comme des chèvres,

En vain tes doigts de fée en rut, tes doigts nerveux
Dansent sur le sommeil de mes chairs résignées,
Et pour me rajeunir glissent sur mes cheveux,
Peuple souple et taquin de roses araignées.

À l’apparition de ton corps éclatant,
Un calme maladif s’est assis sur ma bête ;
Et pour avoir touché ce dont je rêvais tant,
Tout le sang de mon cœur est monté dans ma tête.


Oh rage ! T’avoir là, béante, devant moi,
Sans frotter à tes nerfs mes nerfs que je renie,
Moi qui voudrais t’emplir jusqu’à mourir de toi,
Et râler sur tes dents mon sanglot d’agonie !

Sentir ton ventre chaud houler comme une mer
Qui dans un golfe blond meurt sous sa mousse blonde,
Sans rouler ma fureur dans le varech amer
Qui s’imprégna des sels et des vapeurs de l’onde !

Voir ta lascivité qui m’ouvre le chemin,
Et, voyageur perdu sous les bois qu’il traverse,
Ne pas pousser ma route, un bâton à la main,
Dans les ravins glissants détrempés par l’averse !

Ah, que je vais t’aimer, quand je ne t’aurai plus !
Seul, raidissant ma force impérieuse et dure,
Je noierai mon lit veuf de regrets superflus,
Pour me punir encor des douleurs que j’endure.

Ton souvenir vengeur harcèlera mes sens ;
Mes bras t’appelleront sous ma luxure avide !
— Telle une cassolette où, trop tard, les encens
Dans un temple désert brûlent sur l’autel vide.