La Légende des sexes, poëmes hystériques/Le Coït des Atomes
LE COÏT DES ATOMES
ien n’était. Le Néant s’étalait dans la nuit.
Nul frisson n’annonçait un monde qui commence.
Sans forme, sans couleur, sans mouvement, sans bruit,
Les germes confondus flottaient dans l’ombre immense.
Le froid stérilisait les espaces sans fin :
L’essence de la vie et la source des causes
Sommeillaient lourdement dans le chaos divin.
L’âme de Pan nageait dans la vapeur des choses.
L’originelle Mort, d’où l’univers est né,
Engourdissait dans l’œuf l’innomable matière ;
Et sans force, impuissant, le Verbe consterné
Pesait dans l’infini son œuvre tout entière.
Soudain, sous l’œil de Dieu qui regardait, sans but,
Frémit une lueur vague de crépuscule.
L’atome vit l’atome : il bougea. L’amour fut ;
Et du premier Coït naquit la molécule.
Or l’Esprit, stupéfait de ces accouplements
Qui grouillaient dans l’abîme insondé du désordre,
Vit, dans la profondeur des nouveaux firmaments,
D’infimes embryons se chercher et se tordre.
Pleins de lenteur pénible et d’efforts caressants,
L’amour inespéré subtilisait leurs sens ;
La lumière naissait des frottements de l’ombre.
Et les astres germaient. Ô splendeur ! Ô matins !
Chaudes affinités des êtres et des formes !
Les soleils s’envolaient sur les orbes lointains,
Entraînant par troupeaux les planètes énormes.
Des feux tourbillonnants fendaient l’immensité,
Et les sphères en rut roulaient leurs masses rondes ;
Leurs flancs brûlés d’amour et de fécondité
Puis les éléments lourds s’ordonnaient, divisés :
Les terres s’habillaient de roches et de plantes ;
L’air tiède enveloppait les globes de baisers,
C’est alors, qu’au milieu du monde épais et brut,
Debout, fier, et criant l’éternelle victoire,
Chef-d’œuvre de l’amour, l’Être Vivant parut !
— Et Dieu sentit l’horreur d’être seul dans sa gloire.