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La Légende des siècles/Bivar

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La Légende des sièclesHetzel1 (p. 109-112).

IV

BIVAR



Bivar était, au fond d’un bois sombre, un manoir
Carré, flanqué de tours, fort vieux, et d’aspect noir.
La cour était petite et la porte était laide
Quand le scheik Jabias, depuis roi de Tolède,
Vint visiter le Cid au retour de Cintra.
Dans l’étroit patio le prince maure entra ;
Un homme, qui tenait à la main une étrille,
Pansait une jument attachée à la grille ;

Cet homme, dont le scheik ne voyait que le dos,
Venait de déposer à terre des fardeaux,
Un sac d’avoine, une auge, un harnais, une selle ;
La bannière arborée au donjon était celle
De don Diègue, ce père étant encor vivant ;
L’homme, sans voir le scheik, frottant, brossant, lavant,
Travaillait, tête nue et bras nus, et sa veste
Était d’un cuir farouche et d’une mode agreste ;
Le scheik, sans ébaucher même un buenos dias,
Dit : « Manant, je viens voir le seigneur Ruy Diaz,
Le grand campéador des Castilles. » Et l’homme,
Se retournant, lui dit : « C’est moi.

Se retournant, lui dit : « C’est— Quoi ! vous qu’on nomme
Le héros, le vaillant, le seigneur des pavois,
S’écria Jabias, c’est vous qu’ainsi je vois !
Quoi ! c’est vous qui n’avez qu’à vous mettre en campagne
Et qu’à dire : « Partons ! » pour donner à l’Espagne,
D’Avis à Gibraltar, d’Algarve à Cadafal,
Ô grand Cid, le frisson du clairon triomphal,
Et pour faire accourir au-dessus de vos tentes,
Ailes au vent, l’essaim des victoires chantantes !
Lorsque je vous ai vu, seigneur, moi prisonnier,
Vous vainqueur, au palais du roi, l’été dernier,
Vous aviez l’air royal du conquérant de l’Èbre ;
Vous teniez à la main la Tizona célèbre ;
Votre magnificence emplissait cette cour,
Comme il sied quand on est celui d’où vient le jour ;

Cid, vous étiez vraiment un Bivar très-superbe ;
On eût dans un brasier cueilli des touffes d’herbe,
Seigneur, plus aisément, certes, qu’on n’eût trouvé
Quelqu’un qui devant vous prît le haut du pavé ;
Plus d’un richomme avait pour orgueil d’être membre
De votre servidumbre et de votre antichambre ;
Le Cid dans sa grandeur allait, venait, parlait,
La faisant boire à tous, comme aux enfants le lait ;
D’altiers ducs, tout enflés de faste et de tempête,
Qui, depuis qu’ils avaient le chapeau sur la tête,
D’aucun homme vivant ne s’étaient souciés,
Se levaient, sans savoir pourquoi, quand vous passiez ;
Vous vous faisiez servir par tous les gentilshommes ;
Le Cid comme une altesse avait ses majordomes ;
Lerme était votre archer ; Gusman, votre frondeur ;
Vos habits étaient faits avec de la splendeur ;
Vous si bon, vous aviez la pompe de l’armure ;
Votre miel semblait or comme l’orange mûre.
Sans cesse autour de vous vingt coureurs étaient prêts.
Nul n’était au-dessus du Cid, et nul auprès.
Personne, eût-il été de la royale estrade,
Prince, infant, n’eût osé vous dire : Camarade !
Vous éclatiez, avec des rayons jusqu’aux cieux,
Dans une préséance éblouissante aux yeux ;
Vous marchiez entouré d’un ordre de bataille ;
Aucun sommet n’était trop haut pour votre taille,
Et vous étiez un fils d’une telle fierté
Que les aigles volaient tous de votre côté.

Vous regardiez ainsi que néants et fumées
Tout ce qui n’était pas commandement d’armées,
Et vous ne consentiez qu’au nom de général ;
Cid était le baron suprême et magistral ;
Vous dominiez tout, grand, sans chef, sans joug, sans digue,
Absolu, lance au poing, panache au front. »

Absolu, lance au poing, panache au front. » Rodrigue
Répondit : « Je n’étais alors que chez le roi. »

Et le scheik s’écria : « Mais, Cid, aujourd’hui, quoi,
Que s’est-il donc passé ? quel est cet équipage ?
J’arrive, et je vous trouve en veste, comme un page,
Dehors, bras nus, nu-tête, et si petit garçon
Que vous avez en main l’auge et le caveçon !
Et faisant ce qu’il sied aux écuyers de faire !

— Scheik, dit le Cid, je suis maintenant chez mon père. »