La Légende dorée/Saint Brice

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La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 627-629).
CLXIV


SAINT BRICE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR
(13 novembre)


Brice était diacre de saint Martin, et, suivant l’exemple de maints autres, il ne se faisait pas faute de railler son vénérable évêque. Un pauvre lui ayant un jour demandé où était Martin, Brice lui répondit : « Si c’est ce fou que tu cherches, regarde, car le voici qui, comme un insensé, considère le ciel ! » Le pauvre alla donc trouver Martin, et obtint de lui ce qu’il demandait. Après quoi le saint, appelant Brice, lui dit : « Ainsi, Brice, je te fais l’effet d’être un fou ? » Et comme le diacre, honteux, voulait nier, Martin lui dit : « Ne voyais-tu pas que mon oreille était tout près de ta bouche, tout à l’heure, quand tu parlais de moi ? Eh bien, écoute ce que je vais te dire ! J’ai obtenu du Seigneur de t’avoir pour successeur dans l’épiscopat ; mais je dois t’avertir que tu auras à traverser bien des épreuves ! » Et Brice continuait de railler, disant : « Me trompais-je en affirmant que ce vieillard était fou ? »

Or, à la mort de saint Martin, Brice fut élu évêque de Tours. Et, dès ce moment, bien qu’il gardât encore son ancien orgueil, il s’adonna tout entier à la prière. Quant à sa chasteté, jamais il ne l’avait entamée, ni ne devait l’entamer. Cependant, la trentième année de son épiscopat, une religieuse qui lui lavait ses vêtements, fut séduite et enfanta un fils. Sur quoi le peuple s’amassa avec des pierres devant la porte de l’évêque, disant : « Trop longtemps, par piété pour saint Martin, nous avons fermé les yeux sur ta luxure ; mais dorénavant nous renonçons à baiser tes mains, souillées de vices ! » Alors l’évêque, indigné : « Qu’on m’amène ici l’enfant de cette femme ! » Ainsi fut fait ; et à cet enfant, qui était âgé de trente jours, Brice dit : « Au nom du Fils de Dieu, je te somme de dire si c’est moi qui t’ai engendré ! » Et l’enfant : « Non, ce n’est pas toi ! » Mais le peuple ne voulut voir dans tout cela qu’un artifice magique. Alors Brice, au vu de tous, prit dans son manteau des charbons ardents, et les porta jusqu’au tombeau de saint Martin ; puis il rouvrit son manteau, et l’on vit que les charbons l’avaient laissé intact. Et Brice dit : « De même que mon manteau est resté intact sous les charbons ardents, de même mon corps est pur du commerce de la femme ! »

Mais le peuple continuait à ne pas le croire. Accablé d’outrages et d’injures, chassé de son siège épiscopal, Brice se rendit auprès du pape et y resta sept ans, faisant pénitence de ses péchés à l’égard de saint Martin. Le peuple de Tours envoya à Rome Justinien, afin qu’il se défendît, en présence de Brice, d’avoir accepté de se substituer à lui dans l’épiscopat. Mais ce Justinien mourut en arrivant à Verceil ; et le peuple de Tours élut à sa place un certain Germain. Cependant Brice, après sept années d’exil, reprit le chemin de Tours, avec l’autorisation du pape ; et comme il était arrivé déjà à un mille de Tours, il apprit d’en haut que Germain venait de mourir. Ce qu’apprenant, Brice dit à ses compagnons : « Levez-vous, car nous avons à ensevelir l’évêque de Tours ! » Et, en effet, pendant que Brice entrait par l’une des portes de la ville, d’une autre porte sortaient les restes mortels de Germain. Et saint Brice, après l’avoir enseveli, reprit possession de son siège, où, pendant sept années encore, il donna l’exemple de toutes les vertus. Il mourut en paix dans la quarante-huitième année de son épiscopat.