La Légende dorée/Saint Pasteur

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La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 682-684).

CLXXIII[1]


SAINT PASTEUR, ABBÉ


Saint Pasteur demeura de longues années au désert, avec ses frères, et se distingua par sa sainteté. Sa mère désirait beaucoup revoir ses fils ; et comme ils s’y refusaient, elle se rendit un jour au devant d’eux pendant qu’ils allaient à la ruche. Mais aussitôt ils s’enfuirent dans leurs cellules, dont ils barricadèrent les portes. Et elle, debout devant la porte de la cellule de Pasteur, pleurait et gémissait. Pasteur, à travers la porte, lui dit : « Vieille femme, qu’as-tu à crier ainsi ? » Mais elle, entendant sa voix redoublait ses cris, disant : « Je veux vous voir, mes chers fils ! Est-ce donc mal, que je vous revoie ? Ne suis-je pas votre mère, qui vous ai allaités ? » Et son fils : « Veux-tu nous voir dans ce monde-ci ou dans l’autre ? » Et elle : « Si je ne peux pas dans celui-ci, que du moins je le puisse dans l’autre, mes enfants ! » Et Pasteur : « Si tu te résignes chrétiennement à ne pas nous voir dans ce monde-ci, tu nous verras certainement dans l’autre ! » Sur quoi la vieille s’en alla toute réconfortée.

Le juge de la province voulait, lui aussi, voir Pasteur, qui refusait de se laisser voir. Ce jugé fit alors jeter en prison le neveu de l’ermite, en disant : « Si Pasteur vient intercéder pour lui, je le relâcherai ! » La mère de l’enfant vint pleurer devant la porte de Pasteur. Et comme celui-ci ne lui répondait pas, elle lui dit : « Si même tu as des entrailles de fer, insensibles à toute compassion, qu’au moins la voix du sang te parle en faveur de mon fils ! » Mais son frère se borna à lui faire répondre : « Pasteur n’a jamais eu de fils ! » La mère du prisonnier revint toute en larmes auprès du juge, qui lui dit : « Qu’au moins ton frère dise un mot pour ton fils et je le remettrai en liberté ! » Mais Pasteur se borna à lui répondre : « Examine la cause suivant ta loi ; et, s’il est digne de mort, mets-le à mort ; s’il est innocent, fais-en ce qui te plaira ! » Pasteur disait à ses frères : « Pour être libre de ce monde, le moine n’a qu’à détester deux choses. » Et comme un de ses frères lui demandait ce que c’était, il répondit : « La jouissance charnelle et la vaine gloire. Si tu veux trouver le repos dans ce monde et dans l’autre, dis-toi toujours : qui suis-je ? Et ne juge personne ! » Un frère d’un couvent ayant commis une faute, l’abbé, sur le conseil d’un ermite, le chassa. Or, comme ce frère s’enfuyait, désespéré, Pasteur l’appela, le consola, et lui demanda d’aller chercher l’ermite qui l’avait dénoncé. Et à cet ermite il dit : « Il y avait deux hommes, dont chacun venait de perdre son fils. Et voici que l’un des deux abandonna son propre mort pour aller pleurer le mort de l’autre ! » L’ermite comprit la parabole, et se repentit. Une autre fois, un frère dit à Pasteur qu’il voulait s’en aller, parce qu’on lui avait rapporté, d’un de ses frères, des choses qui l’avaient scandalisé. Pasteur, lui répondit de ne pas croire ces choses, qui n’étaient pas vraies. Et le frère. : « Pardon, elles sont vraies, car c’est le frère Fidèle qui me les a rapportées ! » Et Pasteur : « Celui qui te les a rapportées ne saurait être Fidèle ; car, s’il était fidèle, il ne songerait pas à dénoncer ses frères ! » Et le frère : « Mais je l’ai vu aussi de mes propres yeux ! » Et Pasteur : « Sais-tu ce que c’est qu’une paille et qu’une poutre ? Eh bien, mets-toi dans l’esprit que tes péchés à toi sont comme une poutre, et ceux de ton frère comme un fétu de paille ! »

Un frère qui avait commis un grand péché voulut faire pénitence pendant trois ans. Mais d’abord il demanda à Pasteur si c’était beaucoup. Et Pasteur : « C’est beaucoup ! » Le frère demanda si un an de pénitence serait suffisant. Et Pasteur : « C’est beaucoup ! » On en vint à proposer quarante jours ; mais Pasteur dit encore : « C’est beaucoup ! » Et il ajouta : « J’estime que si un homme se repent de tout son cœur, et se promet de ne pas recommencer son péché, Dieu se contente parfaitement d’une pénitence même de trois jours. »

Un frère lui demanda ce qu’il devait faire d’un héritage qui venait de lui échoir. Pasteur lui dit de revenir trois jours après. Et, trois jours après, il lui dit : « Si tu donnes ton argent à l’Église, on le dépensera en repas ; si tu le donnes à tes parents, tu n’en auras point de récompense ; si tu le donnes aux pauvres, tu seras certain de l’avoir bien placé. Mais au reste fais ce que tu voudras, car je ne me sens pas le droit de rien décider ! » Voilà ce que nous apprend sur saint Pasteur la Vie des Pères du Désert.



  1. Les cinq chapitres qui suivent forment, en appendice à la Légende des Saints, une sorte de manuel de la vie monastique.