La Légende dorée/Sainte Marine

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La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 299-300).
LXXXIV


SAINTE MARINE, VIERGE
(18 juin)


Marine était fille unique. Son père, devenu veuf, entra dans un monastère ; et, ayant fit prendre à sa fille un costume masculin, il demanda à l’abbé et aux autres moines de recevoir dans le monastère son unique fils : ce qui lui fut accordé, de telle sorte que la jeune fille fut reçue parmi les moines, et porta le nom de frère Marin. Elle vivait très pieusement, et dans une obéissance parfaite. Quand elle eut vingt-sept ans, son père, sentant la mort approcher, l’appela à son chevet et lui dit de ne jamais révéler à personne qu’elle était une femme.

Or la jeune fille allait souvent aux champs avec la charrue et les bœufs, ou bien était chargée de rapporter du bois au monastère ; et souvent elle recevait l’hospitalité dans la maison d’un homme dont la fille, séduite par un soldat, était devenue grosse. Cette fille, interrogée, s’avisa d’affirmer qu’elle avait été violée par le frère Marin. Et celui-ci, interrogé à son tour, se reconnut coupable : en conséquence de quoi il fut aussitôt chassé du monastère. Pendant trois ans, il se tint devant la porte du monastère, ne se nourrissant que de miettes de pain. Quand l’enfant dont on le croyait père fut sevré, on le remit à l’abbé, qui le remit au frère Marin ; et pendant deux ans encore celui-ci en prit soin, supportant tout avec une extrème patience, sans cesser de rendre grâces à Dieu.

Enfin les frères, touchés de son humilité et de sa patience, le reprirent au monastère, où ils lui confièrent des besognes trop viles pour eux ; et lui, il acceptait tout gaîment, et faisait tout patiemment et pieusement. Après une longue vie de bonnes œuvres, il rendit son âme au Seigneur. Et pendant que ses frères lavaient son corps, qu’ils s’apprêtaient à ensevelir misérablement, comme le corps d’un grand pécheur, ils s’aperçurent que le frère Marin était une femme. Étonnés et effrayés, ils confessèrent avoir été durs et cruels envers la servante de Dieu ; et tous, se jetant à genoux, devant son cadavre, implorèrent le pardon de leur conduite. Son corps fut enseveli avec honneur dans la chapelle du monastère. Et quant à la fille qui l’avait accusée, elle fut possédée du démon, et avoua son crime ; mais, conduite au tombeau de la vierge, elle fut aussitôt guérie. À ce tombeau, aujourd’hui encore, le peuple vient de toutes parts ; et de nombreux miracles s’y accomplissent tous les jours.