La Lanterne (Buies)/La Lanterne N° 22

La bibliothèque libre.
(p. 299-308).


LA LANTERNE


No 22




Vous qui m’écoutez, jeunes gens de Montréal, sachez être les maîtres de vos destinées. Enlevez la place d’assaut, dûssiez-vous pour cela vous rendre jusqu’à New-York, comme cela vient d’arriver, et vous aurez étouffé dans sa boue l’intrigue acharnée à vous perdre.

Il ne faut plus que ce soient les commères qui dirigent notre monde, il faut que ce soient vous.

Arrivez, et changez la face d’un peuple trop longtemps abruti.

Devant vous s’effacent deux générations, la plus vieille dans son ineptie dévotieuse qui a fait le blocus des idées, l’autre dans son impuissance.

Elles s’effacent lentement, il est vrai, mais leurs traditions s’effacent plus vite. Dans une société jeune, les idées coulent comme un flot dès qu’elles ont pu trouver leur lit.

Je vois l’avenir plein de riantes promesses, sortons une fois de l’ornière, et nous aurons bientôt gravi les pentes.

Le tout est d’oser. C’est difficile, je le sais : vous arrivez sur une scène où vous ne trouvez que des exemples de faiblesse et qu’une tradition politique, la plus funeste de toutes, la génératrice de tous les avortements, celle du juste milieu, du compromis.

Ménager la chèvre et le chou, tel est l’axiôme que vous laisse une école de politiqueurs expirant sous les coups d’une autre école qui, elle, ne ménageait rien, qui a tué la chèvre, et pris le chou.

D’ailleurs, pour être sûr de parvenir au but, il faut chercher à le dépasser. Quand on ne veut que l’atteindre, il est rare qu’on ne reste pas en deçà.

Il faut vouloir le plus pour avoir le moins.

Jeunes gens, soyez extrêmes. Ne redoutez pas ce mot. C’est dans l’extrême seul qu’on touche le vrai ; la vérité n’est jamais à mi-chemin.

Nous vivons dans un pays où nous n’avons pas le choix des moyens, parce que le mal est trop avancé pour qu’on fasse l’essai de différents remèdes ; nous n’en avons pas le temps ; arrachons la dent qui pourrit ; lui mettre un calmant, c’est vouloir en souffrir encore bien plus le lendemain.

Si nous avions affaire à une population qui eût quelque teinte des choses publiques, si des arguments pouvaient arriver jusqu’à elle, s’il y avait conflit de vues et d’opinions sur la manière d’atteindre le but, on pourrait varier les expériences ; mais en présence d’un peuple qui se tient devant une idée comme une bête à cornes devant un chemin de fer, il n’y a qu’un moyen, c’est de le prendre par le chignon du cou, le jeter dans le char à bétail, et maintenant file.

Je serais bien curieux de savoir ce qu’ils pensent aujourd’hui, tous ces libéraux de la vieille école, la plupart libéraux mais catholiques, nuance de pain d’épice, qui, lorsque je parus avec la Lanterne, s’écrièrent tout d’une voix : « Il est donc devenu fou, Buies, à quoi songe-t-il ? En Canada, faire du radicalisme ! Attaquer le taureau par les cornes (taureau veut dire prêtres) ! Après cela, s’il veut se faire pendre, c’est son affaire ; dans tous les cas, il ne se rendra pas au cinquième numéro. »

Je ne suis pas encore pendu ; voici le No 26, et comme un dogue j’ai sauté au nez du taureau, et je m’y tiens.

Que dites-vous d’un médecin qui écoute son malade ? Voilà cependant ce qu’était le libéral de la vieille école.

Mais il écoutait encore moins les répugnances du public que ses propres craintes. Il prenait volontiers sa faiblesse pour le malheur des temps.

N’osant affronter l’ignorance publique, il la caressait. Il avait mille petits moyens détournés, et lorsque parfois le hasard le faisait réussir, il croyait à un grand pas fait par l’opinion publique — oui, il avait cette illusion, de croire à l’opinion publique et de vouloir l’attirer à lui.

Il disait par exemple « À jésuite jésuite et demi » ; mais comme il est impossible d’être jésuite et demi, que toutes ces petites manœuvres-là laissaient toujours voir le bout de la ficelle, et comme le libéral avait affaire à des gens beaucoup plus adroits que lui, il en résultait que cette rusée tactique nous faisait perdre du terrain tous les jours.

Aussi qu’étions nous devenus ? On ne comprenait même plus ce que signifiait le mot libéralisme et toute la polémique des journaux se réduisait à discuter le sens de cette expression, en l’obscurcissant de plus en plus.

Pourtant, c’était bien clair.

Le parti libéral boiteux, incertain, chancelant, presque anéanti par la confédération, faisait entendre ses derniers râles dans la mare où il s’éteignait.

Aujourd’hui, il commence à renaître, grâce au tableau navrant que nous offre le parlement provincial de notre complète nullité et de notre infériorité honteuse.

On leur met le nez dans leur pourriture, aux Canadiens, et ils commencent à sentir.

Jeunes gens, l’avenir est à vous ; assez des phraseurs, des discuteurs, des conciliateurs, des épargneurs, il faut maintenant des hommes d’action.

Arrivez, la baïonnette en avant, et faites une charge à fond de train.

Je vous dis que vous resterez les maîtres, que vous n’avez qu’à vous montrer, et vous pouvez m’en croire.

M. Tremblay, le député de Chicoutimi, veut à tout prix qu’il y ait un Canadien-français capable d’être commissaire du chemin de fer intercolonial.

Il nourrit de plus la douce illusion que le parlement de Québec puisse s’occuper de ce qui concerne directement notre province, et il a voulu faire des observations sur le choix arbitraire de M. Brydges qui nous est imposé par l’omnipotence fédérale, sans qu’on nous croie dignes d’être consultés.

M. Chauveau, qui est un grand ministre de province, l’a vite rappelé au sentiment de notre situation, en lui faisant comprendre que le parlement de Québec est comme les anciens parlements de France, sans aucune attribution politique, avec cette seule différence que les parlements français ne faisaient qu’enregistrer les édits du roi, et que celui de Québec enregistre les édits d’Ottawa et des évêques.

Lorsque cette question vint sur le tapis l’automne dernier, la Minerve avait trouvé justement la réponse qu’il faut. Je ne puis m’empêcher de la reproduire :

« Quand il n’y a plus en jeu qu’une question d’argent, ce n’est pas la nationalité qu’il faut invoquer, c’est la capacité. On dit que c’est M. Brydges qui va être le commissaire pour le Bas-Canada. Trouvez un homme plus expérimenté que lui dans les questions de chemin de fer ; tâchez surtout que ce soit un canadien-français, et si on ne le nomme pas, alors vous pourrez crier et nous crierons avec vous qu’on a commis une injustice.

« Dans une entreprise de la nature du chemin de fer intercolonial, où, une fois le tracé choisi, il ne reste plus que des intérêts matériels à régler, ce n’est pas de telle ou telle nationalité qu’il doit s’agir, c’est de savoir où est le plus capable et le plus habile de chaque province.

Quel est le canadien qui s’est fait une réputation dans les chemins de fer et dont les connaissances spéciales pourraient être utiles au pays pour le chemin de fer intercolonial ? En affaires comme en affaires. Pas de distinction de races où il n’en faut pas. »

Voilà. Ceci est tout bonnement irréfutable.

Mais si c’était moi qui l’eût dit, on m’aurait trouvé impie et surtout immoral. Le Nouveau-Monde, qui a appris à écrire dans le syllabus, eût même ajouté ignoble.

Que voulez-vous ? Rien n’est immoral, impie et ignoble, comme ce qu’on ne peut pas réfuter.

Je lis dans un journal étranger qu’une pétition demandant l’expulsion des Jésuites a été présentée à l’empereur de France.

J’y remarque les paroles suivantes :

« En vous demandant d’expulser les Jésuites de France, nous ne faisons que réclamer contre eux l’exécution d’une loi qui n’a jamais été révoquée. Le scandale honteux qu’ils viennent de donner à Bordeaux, et qui a attiré sur eux un châtiment bien mérité, démontre qu’ils ne reconnaissent d’autre autorité que la leur, et que le ministre de l’instruction publique reste désarmé devant leur puissance.

« Si de tels faits avaient eu lieu sous Napoléon I, leurs collèges eussent été fermés dans les vingt-quatre heures par le grand-maître de l’Université.

« Les Pères n’obéissent qu’à une autorité, celle de leur général qui, comme le pape, commande urbi et orbi, et devant qui le souverain qui les accueille ne devient qu’un instrument… & … »

Cette pétition est accompagnée des citations suivantes :

« Les Jésuites sont les ennemis de Dieu (L’abbé Cabrol). Les Jésuites laissent toujours après eux une trace de sang et de poison (Napoléon I).

Aux Jésuites nous ne devons rien que l’expulsion. (Thiers.) »

À ce propos, il ne serait peut-être pas déplacé que je mette sous les yeux du lecteur quelques passages du discours de l’archevêque de Malines, De Pradt, dans lequel je trouve l’énumération suivante de toutes les expulsions que les Jésuites ont subies depuis trois siècles.

P 154 — Nota.
De Saragosse en 1555
De la Palestine en 1566
De Vienne en 1568
D’Avignon 1570
D’Anvers, de Ségovie, du Portugal 1578
D’Angleterre 1579, 1581, 1586
Du Japon 1587
Hongrie et Transylvanie 1588
Bordeaux 1589
De toute la France 1594
Hollande 1594
Ville de Tournon 1597
Du Béarn 1597
D’Angleterre de nouveau 1601
  Idem leterre de n" 1604
Dantzick & Thorn 1606
Dantzick & Thorn 1606
De Venise en 1606, 1612
Royaume D’Amura au Japon 1613
Bohême 1618
Moravie 1619
Naples et Pay-Bas 1622
Chine et Inde 1622
Malte 1634
Russie 1676, 1723
Savoie 1729
Portugal 1759
Espagne 1767
Royaume des 2 Siciles 1767
Duché de Parme 1768
Malte de nouveau 1768
Rome et toute la chrétienneté 1773
Expulsions partielles ou générales _37


P. 157-… Ils (les Jés :) font mourir dans la douleur le cardinal de Tournon, légat du Pape pour constater l’état de leurs missions d’Asie ; ils font craindre un sort aussi cruel à Palafor, chargé par le roi d’Espagne du même emploi en Amérique… Rois par la force et l’adresse au Paraguay, avides des gains du commerce exercé par leurs agents, disputeurs éternels, fauteurs de l’inquisition, bourreaux des infortunées victimes de Thorn ; après avoir empoisonné quelques années de la vie de Henri 4, après avoir épouvanté ce grand courage, après avoir rejeté l’effet des intentions bienveillantes de Louis 15, et lui avoir fait craindre un éclat, après avoir fait balancer pendant cinq ans entier le génie de Clément 14, ils succombèrent enfin sous la coalition de la plus grande partie des rois d’Europe… Fauteurs de tous les genres de despotismes, en tout temps, en tous lieux, ils n’ont connu pour les peuples que des fers, et autant qu’il sera en eux, ils reviennent pour leur en rapporter. Le roi d’Espagne fit enlever le même jour tous les Jésuites de son État, et les fit jeter sur les côtes des États du pape. Cet envoi inattendu embarrassa beaucoup Rome où en général on aime mieux recevoir que donner.

P. 166. Clément 13 meurt, contre l’attente de tout le monde le 3 février 1769, la veille du jour indiqué pour le consistoire où devait se traiter l’affaire des griefs des rois de France, d’Espagne et de Naples contre les Jésuites. Clément 14 aussi mourut d’une manière inattendue et par une cause inconnue, le 22 Sept. 1774, lorsqu’il se préparait à éloigner de Rome les Jésuites, et à renouveler son arrêt contre eux.

P. 201, Nota. Plus de 40 censures prononcées par les Universités et Facultés de Théologie d’Anvers, de Bourges, de Rheims, de Paris, de Poitiers, de Louvain, de Cracovie et autres, depuis 1588 jusqu’en 1761.

. Plus de 200 censures prononcées par les évêques et archevêques depuis 1554 jusqu’en 1759 ; parmi ces prélats on voit figurer tout ce que l’Église gallicane a produit de plus illustre.

. 3 censures par des assemblées provinciales du clergé en 1650 et 1660.

. 7 censures par les assemblées générales du clergé.

. Plus de 80 censures prononcées par décrets de la Cour de Rome, brefs, bulles, lettres apostoliques, depuis 1598 jusqu’en 1762.

P. 233. Pour se rétablir, le Jésuitisme a usé de divers déguisements ; tantôt il a paru sous le nom de paccauristes, tantôt sous celui du Sacré Cœur des Pères de la foi…

P. 234. Homme (le cardinal Fesch) fatal à la France, à sa famille, à lui même, exemple mémorable des dangers qu’entraîne le zèle séparé des lumières. Le cardinal Fesch a été en France le grand promoteur des Jésuites, des religieuses, des petits séminaires. Dans son zèle inconsidéré, il a tout confondu ; et, à la manière des petits esprits et des Italiens, il a placé la religion dans les observances légales et dans les choses monacales ; ces importations italiennes ont toujours été funestes à la France.

P. 236. Libre de se montrer au grand jour, le Jésuitisme a reparu dans les bagages de toutes les contre-révolutions armées rétablissant le despotisme, et cela suffit pour indiquer d’où il vient et où il va.

P. 277. Disons-le hardiment à toutes les familles : « Fermez vos portes aux Jésuites, ou renoncez à l’espoir de la paix. »

P. 390. L’auteur traite du monachisme, et dit.… : “ Le moine, monas, c’est l’homme seul, isolé, séparé du monde ; parmi les 37 ordres (que l’autour avait comptés jusqu’à l’époque où il écrit), 2 seulement ont marqué dans la famille monacale par de grands travaux littéraires, ou bien afférant d’une autre manière au bien de la société, les Bénédictins et les Jésuites. L’auteur nie que le monachisme ait été utile à la société, aux lettres.

P. 392. « Auparavant, dit-il, que les bénédictins se missent à l’ouvrage, les universités étaient établies partout.

P. 394. Le monachisme, ajoute-t-il, a fait pour la religion comme pour l’espèce humaine ; d’un côté il l’a servie, mais combien ne lui a-t-il pas nui de l’autre ? D’où sont venues presque toutes les hérésies et la réformation ? Qui a abîmé l’empire grec et livré l’Asie et l’Afrique aux Mahométans ? Qui a introduit dans le culte le petit esprit, les pratiques minutieuses ou ridicules ? Qui a propagé, en matière de religion, les doctrines et les procédés sanguinaires ? Qui a allumé les bûchers de l’inquisition, exterminé les Albigeois et froidement égorgé l’Amérique ? Qui a dénaturé la religion en Espagne, en Italie ? Qui a dégradé celle-ci en changeant la charité en mendicité, en appelant une population entière aux vices de l’oisiveté, par l’appât d’une substance sale, mais gratuite ? Le monachisme…

P. 402. Le pape Sixte Quint, qui avait ordonné une visite apostolique de la société des Jésuites, mourut et d’une mort précipitée, dit le Pape Clément 16 dans sa bulle de suppression.

On m’adresse les questions suivantes :

« Est-il vrai que tout dernièrement, à l’église de Bonsecours, il a été célébré une messe (grande) à la demande de certains actionnaires dans une entreprise de mine de fer ou autre minerai, entreprise plus ou moins malade, qu’on voulait réhabiliter en la mettant sous le patronage tout spécial et l’invocation du grand St. Joseph ? Est-il vrai que les actionnaires assistaient en corps à cette solennité, leur président en tête, qu’on a dû être surpris de voir dans cette galère ? »

Je ne sais pas si cela est vrai ou non. Je ne puis pas assister à toutes les messes qui ont lieu, grandes et petites. Il y en a tant !

Mais je puis répondre toutefois que si l’entreprise en question est bien malade, elle n’en a pas pour trois mois à vivre, pour peu qu’elle continue de s’adresser à saint Joseph.

Ce saint-là n’aime pas à se mêler des affaires des autres. C’est prouvé.

CORRESPONDANCE


Lowell, 28 Février 1869.
Monsieur,

Étant un ami de la lumière, permettez que je dépose ma quote-part d’huile dans votre aimable Lanterne.

La lecture de votre enfant bien-aimé, comme vous l’appelez à bon droit, me fait voir comment en Canada il faut que MM. les prêtres s’y prennent pour extorquer les dollars des pauvres gens de ce pays. Là les saints cirés et les bénédictions papales font un effet admirable. Ici, la classe canadienne étant en contact avec un peuple qui rit de tout cela, les saints en cire et les oraisons du Saint-Père feraient un mauvais effet ; alors il leur faut recourir à d’autres expédients. Mais la sagacité d’un bon père oblat, tel que le révérendissime Garant, a trouvé un magnifique moyen pour arriver à ce but. Le voici : « Mes chers frères, leur dit-il un jour au prône, il faut que nous fassions quelque chose au bénéfice de notre église naissante de Lowell. J’ai donc résolu que nous aurions un festin dans ce but, et aujourd’hui, après vêpres, les dames et demoiselles se réuniront ici et choisiront un certain nombre d’entre elles pour préparer les tables et quêter pour l’achat des comestibles. »

Ce qui fut dit fut fait : les quêteuses furent élues parmi les bonnes brebis : « Voici, dit M. le révérendissime, comment se feront les choses. Nous chargerons vingt-cinq centins pour l’entrée et ensuite tel prix pour un morceau de pâté, tel autre pour une dragée, tel autre pour une orange, etc. » Voilà comment ce bon pasteur tondait trois fois ses moutons dans le même printemps : d’abord par une quête, ensuite par le prix d’admission et, enfin, par le prix de chaque bouchée qu’il leur était agréable de prendre.

Mais quoique tondus trois fois pour la même chose, le pasteur s’aperçut qu’il leur restait encore un peu de laine ; il résolut de tout avoir, et voici ce qu’il imagina pour leur enlever leurs derniers dix centins. C’était une pêche à la ligne.

« Mais, me direz-vous, comment peut-on pêcher à la ligne dans une salle ou il n’y a ni eau ni poisson ? » Non il n’y avait pas d’eau, mais il y avait du cidre et de la bière, quoique M. Garant prêche la tempérance. Voici en quoi consistait cette pêche.

Différentes bagatelles se trouvaient dans une boite placée de manière que le pêcheur ne pût en apercevoir le contenu. On promenait alors l’hameçon dans cette boîte et on le retirait le plus souvent nu, et, accrochait-il quelque chose, l’objet était encore bien au-dessous du prix du coup de ligne. Cependant le bon curé ne se montrait pas trop exigeant et ne demandait que dix centins du coup.

C’est ainsi que l’on cultive ici la bourse des bons canadiens. Pour terminer la soirée on donnait pour dessert des exercices tels qu’on en voit dans les cirques ; culbutes et autres… C’est la deuxième représentation de ce genre depuis l’installation à Lowell du rév. Garant ; nous attendons la troisième prochainement, car il paraît qu’il fait son affaire admirablement de cette façon-là. C’est toujours au profit de son église, comprenez-le bien.

Cependant l’apparition des nouveaux achats n’a pas eu lieu encore et je commence à en désespérer. Il est bon que vous sachiez que tout cela se fait dans le soubassement de l’église. La profanation du lieu saint n’est qu’un petit péché bien véniel dès lors qu’il porte bénéfice aux marchands de bénédictions. Cependant je crois que si le Christ revenait une seconde fois sur la terre, il lui faudrait de nouveau s’armer de son fouet pour chasser ceux qui changent ainsi son temple en cirque et en restaurant.

Je suis sincèrement
Votre tout dévoué,
Un Ami de la Lumière.

CARÊME


Le carême n’est pas particulier aux chrétiens. Les Indous, adorateurs de Brahma, ont, depuis la plus haute antiquité, des pratiques analogues. Le magisme, religion des Perses, prescrit des jeûnes et des abstinences. Le bouddhisme, qui est établi depuis plus de mille ans avant notre ère et qui régit 200 millions d’habitants dans la Mongolie, le Thibet, la Corée, la Chine, le Japon, offre non seulement en ce point, mais encore en beaucoup d’autres, une grande similitude avec la discipline chrétienne. On s’accorde généralement à reconnaître que le carême répond à une coutume universelle, introduite par les législateurs religieux, soit pour habituer l’homme à exercer l’empire sur lui même, soit dans l’intérêt de sa santé, soit aussi pour la conservation de certains animaux à l’époque de leurs amours.

Au concile de Nicée, le carême est, pour la première fois, l’objet d’une disposition légale de la part de l’Église. Ce n’est pas qu’on l’ait institué alors ; au contraire, l’assemblée des évêques le reconnaît comme établi généralement et depuis longtemps. De l’avis de plusieurs Pères, le carême est d’institution apostolique, c’est-à-dire rapporté aux apôtres à cause de son ancienneté et de l’incertitude où l’on était de son origine. On le considère aussi comme une imitation, du jeûne de Jésus-Christ dans le désert. Primitivement, dans l’Église latine, le carême paraît n’avoir été que de trente-six jours, bien qu’il soit désigné sous le nom de tessarakostê (quarantaine) par le concile de Nicée. Ce ne fut que vers le IXe siècle que le jeûne de quarante jours fut observé d’une manière générale et précise. En Orient, le carême commençait sept semaines avant Pâques, mais il n’était obligatoire que cinq jours chaque semaine, et dans certaines contrées il se réduisit de beaucoup. L’Église grecque a toujours prescrit une abstinence plus rigoureuse que l’Église latine. Elle défendit l’usage des œufs, du poisson, du laitage et de l’huile. La propension des Orientaux à se montrer plus austères dans l’observance du carême est très remarquable. Soit disposition religieuse, soit influence de tempérament et de climat, ils furent de tout temps plus contemplatifs que les Occidentaux, et, chez eux, l’abstinence et la méditation semblent inséparables. Outre le carême de Pâques, il leur arriva d’en observer quatre autres de sept jours chacun : celui des Apôtres, celui de l’Assomption, celui de Noël et celui de la Transfiguration. Leurs moines en ajoutaient un cinquième et un sixième.

Cependant il faut rappeler aussi que les premiers moines latins eurent jusqu’à trois carêmes de quarante jours, à différentes époques de l’année. Les prescriptions de l’Église ne se bornaient pas seulement à l’abstinence de la chair et du vin, et à un unique repas après vêpres vers cinq ou six heures du soir, elles s’étendaient à tout ce qui pouvait être l’objet d’une satisfaction physique, à toutes les commodités de la vie. Il fallait se priver de sommeil, de récréations, de promenades, de visites, de conversations, s’abstenir d’un acte quelconque qui, procurant une douceur, un soulagement, eût été contraire à l’esprit de mortification et de pénitence. Le bain, si nécessaire dans un temps où l’usage du linge n’existait pas, était interdit avec tout le reste. La continence était recommandée d’une manière expresse aux personnes mariées, et c’est de là que vient la défense, qui subsiste encore aujourd’hui, de célébrer des mariages pendant le carême.

Il est impossible de ne pas être frappé du caractère de cette sévère discipline. Hostile à la chair, impitoyable pour les instincts végétatifs de l’homme, elle cherchait à donner à l’esprit sur le corps la domination la plus absolue. Le monde païen avait péché par l’excès contraire. Pour la formation d’une société nouvelle et de mœurs meilleures, il était sans doute nécessaire qu’une rude épreuve de ce genre vengeât l’esprit de la matière et élevât une partie du genre humain bien au-dessus du niveau moral des sociétés polythéistes de l’antiquité. Le carême devint peu à peu moins rigide. Il fallait qu’il fût tièdement observé à l’époque de Charlemagne, pour que ce prince trouvât nécessaire d’introduire alors la peine capitale contre la violation, par mépris, de cette partie de la discipline religieuse. Au XIIe siècle, l’usage était déjà de ne pas attendre jusqu’au soir pour manger ; le repas fut insensiblement avancé jusqu’à midi. La collation, ou petit souper, fut empruntée aux religieux, qui, après avoir assisté le soir à la lecture des conférences des Pères, appelées collationes, buvaient, les jours de jeûne seulement, un peu d’eau ou de vin. Sous ce nom modeste on finit par faire un second repas complet. Depuis longtemps les évêques accordent la permission de faire gras certains jours de la semaine à tous les habitants de leurs diocèses et des dispenses particulières de jeûne et d’abstinence aux malades et aux infirmes. Aujourd’hui le régime sec, la xérophagie, comme on disait anciennement dans l’Église, serait souvent un véritable suicide pour tant de gens qui ont besoin de toutes leurs forces pour travailler, et à qui les privations les plus dures s’imposent assez d’elles mêmes.

Buchet Cublize