La Lanterne magique/11

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 22-23).
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Première douzaine

XI. — L’EAU

Nue comme une comédie de l’École du Bon Sens, mais sans nulle comparaison possible infiniment plus belle, Hyacinthe Marguerit, ses fauves cheveux dénoués, est couchée dans sa vaste baignoire de porphyre rouge aux bords évasés, qui appartenait, dit-on, à la malheureuse Poppée, et que son ami le comte René de Leufroi lui a rapporté de Capri, où il l’a trouvée chez des vignerons. La jeune femme se joue dans une Eau transparente et limpide, — car à Paris, avec beaucoup d’argent, on trouve tout, même à la rigueur, de l’eau pure ! — elle en savoure délicieusement la fraîcheur tiède, qui pénètre par tous les pores de sa peau, et elle admire cette onde émue qui la berce, et qui l’enveloppe comme d’un léger voile.

Mais ce n’est qu’un prêté pour un rendu ; car l’Eau admire plus encore le jeune corps sans tache qui s’est livré à elle, et c’est avec amour qu’elle caresse le cou flexible, la blanche poitrine, les bras héroïques, les jeunes seins aux boutons roses, le ventre poli droit comme celui d’une vierge, le torse hardi, les cuisses, les jambes de chasseresse, les pieds aux ongles transparents. Et quand la blonde Hyacinthe se lève à demi et veut appeler Mariette pour la sortir du bain, l’Eau frémit comme si on y avait plongé un fer rouge, et dans un bouillonnement d’ennui et de regret, murmure indistinctement, d’une faible voix :

— « Pas encore ! »