La Lanterne magique/21

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 36-37).
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Deuxième douzaine

XXI. — L’APRÈS-MIDI

L’écuyère Maria paraît enfin, montée sur son cheval noir Sélini, dans l’allée printanière aux vertes pelouses, où fleurissent les marronniers et les arbres de Judée. Aussitôt, parmi les voitures et les cavalcades, c’est un grand mouvement de curiosité, car nul n’ignore qu’hier même Maria a été quittée avec éclat par le comte de Castres, et que ce jeune gentilhomme doit épouser prochainement mademoiselle Diane de Sansac. Malheur à l’écuyère si elle était triste ou défaite, ou incertaine ; si elle avait les yeux rouges, ou si la gaieté de son regard pouvait la faire accuser d’effronterie. Mais non, formant avec son cheval fin et svelte aux muscles d’acier un groupe irréprochable, bien bottée, serrée dans son amazone qui tombe droit avec des plis de sculpture, ni triste ni gaie, mais sérieuse, sans pâleur sur son visage bistré encadré par de courts bandeaux noirs et lisses, les yeux clairs et pleins de bravoure, la belle jeune femme s’envole, emportée par Sélim, qui obéit à sa pensée mieux encore qu’au mouvement de ses doigts délicats. Au même instant passe la calèche de madame de Sansac, et pourtant si jolie, pendant la minute qu’elle croise sa rivale, la blonde Diane s’efface, pour ainsi dire, et il semble que son teint rosé se fane et se décompose.

— « C’est égal, dit le vicomte Ogier de Roye en montrant cette scène à Louis de Tende, je crois que monsieur de Castres a laissé la proie pour l’ombre !

— Hé ! fait monsieur de Tende, réconcilier la physiologie avec le vieil armorial, c’était le rêve de Napoléon. Mais nous autres, pour l’honneur du nom, nous devons avaler tout, même les blondes fades : car nous ne sommes pas là pour nous amuser ! »