La Lanterne magique/96

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 146-148).
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Huitième douzaine

XCVI. — LE FESTIN

À une table immense dont on ne voit pas les bouts, le festin est servi sur une nappe blanche comme la neige, où éclatent les cristaux, les argenteries, les surtouts d’or représentant des chasses, des fêtes dansantes et des guerres de Dieux dans les Olympes. Assis entre des femmes aux gorges nues, les convives mangent et dévorent. Devant eux s’élèvent les pyramides de fleurs et de fruits, et voici, pour assouvir leur faim, les cerfs, les porcs dans des plats d’or, les paons rôtis, les poissons monstrueux, les sauces vertes et roses, et les pâtés semblables à de hautes citadelles, avec leurs tours, leurs canons et leurs ponts-levis. Les gibiers fument dans les plats, et cependant on entend au dehors les cris, les cors, les hallalis de chasseurs qui tuent, pour mettre à la place de ceux-là, d’autres gibiers encore.

De belles filles nues, autour desquelles voltige une légère draperie de soie écarlate, tiennent les flambeaux ; des maîtres-queux découpent les viandes sur des tables d’or ; mille valets s’empressent, et le service est fait par les pages aux longues chevelures. Des chants, des musiques, des danses entrevues au lointain égayent le repas, et parfois un poète se lève, prend son luth, et dit quelque glorieux poème, qu’on écoute avec des transports de joie. Parfois aussi, sur un plat serti de diamants et de saphirs, une femme nue est servie sur un lit de fleurs, et tout de suite emportée, dès que les yeux se sont rassasiés de sa beauté irréprochable. Et toujours le festin continue, et les minces verres irisés se vident et s’emplissent.

De moment en moment, devant une des portes qui est noire, apparaît une femme pâle, couronnée d’une bleuâtre verdure. Silencieusement elle fait un signe, et plusieurs convives, habituellement des vieillards aux chevelures blanches, mais aussi des femmes et des hommes des âges les plus divers, se lèvent et la suivent. Ils ne reviennent jamais, et on ne les revoit plus ; seulement, à leurs places viennent s’asseoir de petits enfants aux regards avides, aux cheveux dans les yeux, qui fourrent leurs mains dans les plats, mordent le sein de leur voisine et se barbouillent de crème !