La Leçon du Canada

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La Leçon du Canada
Revue des Deux Mondes6e période, tome 13 (p. 792-815).
LA LEÇON DU CANADA

Jamais les Français n’étudieront assez l’histoire du Canada : au moment où la France vient de fonder un nouvel empire colonial, elle doit se remémorer sans cesse les erreurs et les fautes qui ont amené la perte de ses colonies au XVIIIe siècle : c’est le meilleur moyen d’apprendre comment elle saura garder celles qu’elle a fondées au XIXe et au XXe.

Le Comité France-Amérique a inscrit, en première ligne, sur la liste des ouvrages devant former la bibliothèque qu’il présente au public, l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau, complétée et mise au point, dans cette cinquième édition, par son petit-fils Hector Garneau. Je n’ai pas à faire l’éloge du livre : publié pour la première fois en 1843, il a placé son auteur à un rang très distingué parmi les historiens français. La nouvelle édition forme une véritable encyclopédie de l’histoire du Canada. Après les beaux travaux de M. Salone sur la Colonisation de la Nouvelle-France, de M. de La Roncière sur l’Histoire de la Marine (3e et 4e volumes), de M. André Siegfried, Le Canada, de M. Louis Arnould, Nos amis les Canadiens, les annales de la colonisation sur les bords du Saint-Laurent n’ont plus de mystères. On revit, pour ainsi dire jour par jour, les heures de l’espoir et celles du découragement, l’apogée et le déclin. Les causes et les effets apparaissent dans leur belle ou triste réalité. Aussi est-il possible de dégager, maintenant, à l’aide de cette « littérature » nouvelle et des faits exposés en pleine lumière, l’enseignement que nous laisse l’histoire de notre colonie perdue, — ce que j’appellerai « la leçon du Canada. »

Le sentiment général des fondateurs de la colonie fut qu’il s’agissait réellement d’une « nouvelle France. » On tenait au mot et à la chose : « Le nom de « Nouvelle-France, » dit, justement, l’historien de Henri IV, était une déclaration de l’importance que le gouvernement attachait aux nouvelles possessions. Le nom populaire de « Canada » n’aurait compris ni la côte du golfe du Saint-Laurent, ni la contrée maritime (et on pourrait ajouter fluviale) des Etats-Unis. La préférence donnée au mot de Canada par les historiens modernes doit être attribuée à l’inadvertance ou à l’ignorance de la moitié du pays dont se composait l’établissement colonial commencé et résolu sous Henri IV[1]. »

Quant au caractère même de la colonie, il était défini avec une exactitude parfaite par Champlain et ses disciples immédiats. « Les demandes ordinaires que l’on nous fait sont : Y a-t-il des trésors ? Y a-t-il des mines d’or et d’argent ?... Quant aux mines, il y en a vraiment, mais il les faut fouiller avec industrie, labeur et patience. La plus belle mine que je sache, c’est du blé ou du vin, avec la nourriture du bétail. Qui a de ceci, il a de l’argent. Et, de même, nous n’en vivons point quant à leur substance[2]. » Poutrincourt, au dire de Lescarbot, présenta à Henri IV cinq outardes ainsi que des échantillons de blé, froment, seigle, orge et avoine, qu’il avait semés à Port-Royal, « comme estant la chose plus précieuse que l’on puisse récolter en quelque pays que ce soit[3]. »

Ainsi, il s’agit bien d’une colonie de peuplement au delà de l’Océan ; il s’agit bien d’une « autre France. »

La situation géographique, le climat rude, mais sain, l’espace grand ouvert devant l’explorateur, le chasseur et le laboureur, les avantages immédiats de la pêche et de la traite des fourrures, la conformité des plantes et des fruits de la terre avec ceux de la mère patrie observée dès le premier voyage de Champlain, tout promettait le succès. Pourtant, le succès s’est fait attendre longtemps, et, une fois obtenu, la colonie a été séparée brusquement de la mère patrie.

La perte du Canada et des Indes, au XVIIIe siècle, a accrédité le dicton que « le Français n’est pas colonisateur. » Il serait, pourtant, cruellement injuste de l’appliquer, dans toute sa sévérité, à l’œuvre de nos pères au Canada. Peu s’en est fallu qu’ils n’aient pleinement « réussi » l’entreprise fondée par Henri IV, Richelieu et Champlain.

Quels sont, en effet, les principaux élémens du succès dans un essai de colonisation ?

La découverte et l’exploration des lieux ;

L’autorité prise, soit par la force, soit mieux par la douceur, sur les populations indigènes ;

Le peuplement par les colons originaires de la mère patrie ;

Une exploitation économique fructueuse ;

Une bonne organisation de la défense contre les ennemis et les envahisseurs ;

La sympathie efficace de la mère patrie s’affirmant par les sacrifices indispensables et l’esprit de suite dans les relations avec la colonie.

Voyons ce qui s’est fait, au Canada, à ces différens points de vue. Nous aurons, ainsi, une connaissance exacte de l’effort produit et des résultats obtenus.


La découverte et l’exploration des territoires fut l’œuvre des meilleurs parmi les pionniers des origines. C’est ici que les Français excellent. Se jeter à l’aventure dans la brousse ou dans la forêt, allonger indéfiniment le ruban des itinéraires, inscrire de nouveaux noms sur les portulans et sur les cartes, s’exposer et se sacrifier au besoin dans des entreprises téméraires, voilà ce qui excite et fouette le sang de la race. Un double idéal attirait, vers l’inconnu nord-américain, les explorateurs et les missionnaires : les uns cherchaient cette fameuse voie vers l’Asie par les mers ou les terres septentrionales, qui ne fut découverte que de nos jours par Roald Amundsen, les autres se donnaient pour tâche de gagner des fidèles à la religion du Christ. Aussi, l’exploration des rivages et des territoires fut conduite, comme celle des âmes, avec une maestria incomparable.

Les noms de Verazzano, de Jacques Cartier, de Roberval, de Gourgues, de Dupont-Gravé, de Poutrincourt, sans parler de Champlain, sont joints à l’histoire de la découverte de la côte, depuis Terre-Neuve et l’Acadie jusqu’aux Lacs. C’est la première étape. La deuxième est marquée par les noms de Cavelier de La Salle, le Père Marquette, Jolliet, inséparables de l’exploration des grands fleuves, l’Illinois, le Wisconsin et surtout le Mississipi, aux embouchures duquel Cavelier de La Salle, venu par l’intérieur, fonda, en 1682, la colonie de la Louisiane. Puis, ce furent les belles explorations du XVIIIe siècle, notamment celle de La Varenne de la Vérandrye, inscrivant sur la carte le lac Winnipeg, le haut Missouri, les Montagnes Rocheuses (1731) et esquissant ainsi le futur tracé du Canadian Pacific.

Et il ne peut être question de rappeler, même par une simple énumération de noms, les pointes hardies des baleiniers basques, bretons, normands, qui fouillèrent toutes les anfractuosités de la côte peut-être avant Christophe Colomb, les randonnées des coureurs de bois et des coureurs de prairie se jetant à corps perdu dans la vie sauvage et s’enfonçant vers l’inconnu par les sentiers de chasse et les sentiers de guerre, les aventures pérégrines des missionnaires, des chasseurs de fourrures, des prisonniers échappés au supplice, des évadés de la civilisation, dont la légende dispute les rares souvenirs subsistans à l’histoire.

L’Amérique du Nord, de la baie d’Hudson au Mexique, fut une découverte française. La prise de possession de ces immenses contrées, au nom de la civilisation, est bien l’œuvre de « nos gens, » comme disent si heureusement les Canadiens. Avoir relié les mers boréales au Golfe du Mexique par une immense domination intérieure, c’est un titre de gloire dont la grandeur commence seulement à se découvrir et qui est tout à l’honneur de la « Nouvelle-France. »


La conquête accompagna la découverte : mais ce qu’elle eut de remarquable, c’est que, au Canada du moins, elle se fit du consentement des populations locales : la lutte ne fut sanglante qu’avec les ennemis de nos propres « sauvages. » Inutile de rappeler l’union indissoluble qui exista, de tous temps, entre les Français et les indigènes voisins de leurs établissemens : cette union remonte à la première expédition de Champlain. Tout ce qui dépendait de la France fut rapidement « français. » Les « sauvages alliés » combattirent partout près des soldats et des colons. Ils reconnaissaient, comme leur maître, le grand Ononthio d’outre-mer[4] ; ils se mirent à l’école des missionnaires, jusqu’à payer leur fidélité de leur ruine ! On objecte les longues luttes avec les Iroquois, qui mirent, plus d’une fois, la colonie à deux doigts de sa perte ; on reproche à Champlain d’avoir pris parti dans les querelles de ces peuples et d’avoir tiré le premier coup de fusil qui alluma des hostilités inexpiables avec les peuplades de l’intérieur. Mais l’état de guerre était endémique bien antérieurement entre les tribus elles-mêmes. Les indigènes qui s’acharnèrent contre les établissemens français y furent poussés par les colonies européennes voisines et rivales : c’est l’Europe qui transporta ses querelles sur le nouveau continent. La colonisation française sut ménager les habitans du Canada et se glisser en quelque sorte, sans coup férir, au milieu d’eux. Ce don n’est plus guère contesté à notre race ; il était affirmé, il y a quelques mois à peine, par un ministre anglais, à propos des colonies françaises contemporaines en Afrique ; on dirait qu’il s’agit de nos colonies d’Amérique au XVIIIe siècle. « Je puis vous assurer que c’est l’avis général des auteurs britanniques, — et ils sont nombreux et bien renseignés, — au sujet de la colonisation française dans le Nord et l’Ouest de l’Afrique, que, rarement et peut-être jamais dans l’histoire humaine, une nation civilisée n’a eu un succès plus général dans le gouvernement des peuplades arriérées, n’a été plus sympathique dans son traitement des aborigènes ou n’a mieux réussi dans leur développement économique que la nation française[5]. »

Les établissemens français dans l’Amérique du Nord furent, de l’aveu de tous, parfaitement conçus et solidement fondés. Pour les emplacemens des futures villes et métropoles, les décisions sont, du premier coup, définitives et géniales. Le Saint-Laurent et le Mississipi sont les plus belles artères du continent septentrional. Québec, Montréal, Ottawa, Saint-Louis, Saint-Paul, la Nouvelle-Orléans sont des lieux prédestinés. Un auteur trouve même, dans cette divination des points historiques, un des traits déterminans de l’aptitude colonisatrice des Français. Champlain est, à ce point de vue, un type national bien caractérisé. Il a ce qui s’appelle chez nous le coup d’œil, c’est-à-dire le jugement, l’autorité et la vue de l’avenir : ces qualités ne vont pas sans un haut désintéressement.

On peut louer également la vigoureuse emprise que le Français exerce sur le sol pour la mise en valeur économique des territoires qui lui sont échus. La Nouvelle-France n’a pas l’attrait des mines, des métaux précieux, des substances rares et chères, des produits à cueillette facile et à rendement énorme. Tout, ici, demande l’effort. Même les entreprises les plus fructueuses, celles qui excitent, particulièrement, la cupidité des compagnies, des capitalistes, des monopolistes, — attirés d’ordinaire par les proies réputées faciles, — en particulier la pêche et la traite des fourrures, ces entreprises ne peuvent être poursuivies sur les lieux qu’au prix d’une lutte constante et douloureuse contre le climat, la distance, la mer, la terre, les animaux et les hommes. Le gain ne s’obtient que par un labeur patient et quotidien et de petits triomphes successifs ; or, cela convient encore au Français. Il s’adonne à la corvée ingénieuse de chaque détail avec une sorte d’enthousiasme intime, et c’est un délassement du corps et de l’âme, pour lui, que ces luttes sans répit contre toutes les forces de la nature.

Et, pourtant, ce n’est pas là le véritable succès économique de la colonisation française : le Français est, avant tout, — il y a trois siècles comme aujourd’hui, — un défricheur, un cultivateur. Quand il s’agit de se mesurer avec la terre, même et surtout avec une terre neuve, farouche et résistante, il ne se sent pas de joie : bûcheron, vigneron, laboureur, herbager, sur quelque sol que ce soit et de quelque outil qu’il faille se servir, il y marquera son empreinte. Le colon des « nouvelles Frances » est, en cela, un vrai fils du paysan français. « Labourage et pâturage, » la devise de Sully, il la transporte, en dépit de Sully lui-même (si peu colonisateur), partout où il met le pied.

Au Canada, la condition essentielle de tout établissement, c’est l’accès à la mer ou au fleuve ; aussi, la colonie, agglomérée d’abord autour des centres, Québec, les Trois-Rivières, Montréal, par la nécessité de se grouper contre les Iroquois, s’aligne toujours le long du fleuve en bandes étroites s’enfonçant dans la profondeur du pays. Le bûcheron va droit devant lui, cherchant, toujours plus loin, un sol neuf, mais gardant le contact avec le « chemin qui marche » d’où il reçoit les marchandises européennes et par où il exporte au loin ses produits. A la fin du XVIIe siècle, après l’intendance de Talon, le sol canadien est une étoffe sillonnée de raies verticales appuyées sur le Saint-Laurent. Dès 1668, le Père Lemercier écrit : « Il fait beau voir à présent presque tous les rivages de notre fleuve, habités de nouvelles colonies, qui vont s’étendant sur plus de quatre-vingts lieues de pays le long des bords de cette grande rivière où l’on voit naître, d’espace en espace, de nouvelles bourgades qui facilitent la navigation, la rendant plus agréable par la vue de quantité de maisons et plus commode par de fréquens lieux de repos. »

Ce qui ressort de tous les documens mis en lumière et même de statistiques précises, c’est que le Canada, vers le milieu du XVIIIe siècle, entrait dans l’aisance, sinon dans la prospérité[6]. Le luxe, le gaspillage, le jeu, sont dépeints par Montcalm en traits vifs et poignans à la veille de la catastrophe. Il y avait des années où rien que la traite des pelleteries jetait, d’un coup, sur la colonie plus de trois millions. Les campagnes surtout étaient florissantes ; les maisons de bois des bûcherons, garnies de provisions, de bons mobiliers, de fanfreluches venues à grands frais de la mère patrie, se multipliaient dans la sylve et les récits des contemporains nous montrent le colon canadien d’alors, pareil au colon tunisien d’aujourd’hui : « Ces fistons des paroisses qui portent une bourse aux cheveux, un chapeau brodé, une chemise à manchettes, des mitasses aux jambes et qui, dès qu’ils sont en âge d’être mariés, ont chacun un cheval[7]. »

Le Canadien français est resté un défricheur incomparable : maintenant encore, il est, partout, à l’avant-garde dans l’Ouest qui s’ouvre devant lui ; c’est là qu’il faut le voir, entouré de sa nombreuse famille, fidèle à la religion, à la langue, au souvenir de la mère patrie, c’est là que « l’habitant » vit dans sa maison de bois, « faisant chantier » et continuant contre la forêt la lutte dont ses pères lui ont légué la tradition. Il ne craint pas sa peine.

Ainsi cette robuste race s’est enracinée et s’enracine chaque jour sur le sol, d’où rien ne l’arrachera plus ; elle y a vieilli à son tour, préparant les semences d’un avenir incomparable : là vit cette « âme canadienne » qui est une conserve de l’âme française, attendant, — on ne sait quel retour impossible, comme la sentinelle du « Vieux Soldat » d’Octave Crémazie :


Dis-moi, mon fils, ne paraissent-ils pas ?


Ce colon a travaillé et il a peuplé. Il a obéi à la loi qui domine le plus naturellement la destinée humaine ; où il y a de la terre, les hommes naissent ; car la terre veut l’homme et l’homme veut la terre. Quand la terre arable se raréfie ou se divise trop, les familles meurent. La race française fut donc, au Canada, la race prolifique, s’il en fut jamais.

L’histoire du peuplement de la Nouvelle-France est, aujourd’hui, parfaitement connue : grâce aux recherches des Garneau, des Sculte, des Casgrain, des Salone, on a dressé, nom par nom, la liste des familles françaises au Canada, et on a pu suivre leur destinée. Depuis le jour de l’année 1617 où le sieur Etienne Jonquest, natif de Normandie, épousa la fille aînée du sieur Hébert, la multiplication des familles commença, et la fille du sieur Hébert, qui épousa, en 1621, le sieur Couillard, si elle « revenait » aujourd’hui, trouverait les Couillard, ses enfans, répandus par centaines sur une terre où son ménage fut, un moment, le premier et le seul[8].

Ne pas croire, cependant, que les résultats constatés aujourd’hui aient été sans sacrifices énormes dans le passé. Les listes de colonisation sont, au début, de véritables martyrologes ; naufrages, guerres, disettes, épidémies, tous les maux s’abattent sur cette triste semence qui veut naître. De 1617 à 1623 et même plus tard, la population française au Canada n’a pas dépassé cinquante ou soixante âmes. En 1633, après cinquante ans d’établissement, il n’y avait à Québec que cinq ou six maisons. « Tout étoit si pauvre que cela faisoit pitié[9]. » A cette même date, la colonie tout entière ne comptait que six cent soixante-quinze âmes. Or, si on additionnait l’apport des hommes et des femmes que le gouvernement et les compagnies privilégiées débarquèrent pendant cette même période, le chiffre total atteindrait plusieurs milliers. La mortalité fut donc énorme. L’élan ne s’affirma qu’à partir de l’intendance de l’excellent administrateur, Talon : la Nouvelle-France comptait 8 415 habitans en 1676, et 12 263 en 1685[10]. Dès lors, la loi de multiplication opère d’elle-même ; la population quadruple en quarante ans ; elle comptait 55 000 Français lors de la sépai’ation[11] et le Dominion en compte plus de deux millions aujourd’hui.

Malgré de si longues incertitudes et de si cruels holocaustes au Dieu des terres nouvelles, ce n’est donc pas le peuplement qui a manqué au territoire canadien pour que la colonie fût réellement une « nouvelle France. »


Le Canada français, au cours de sa brève existence, sut trouver en lui-même un autre principe de vitalité, je veux dire une âme, une âme locale et française tout à la fois. Il faut bien reconnaître, ici encore, un don, une aptitude particulière à la race : la France s’installe et progresse sans recul au cœur des populations nouvelles. Ainsi, de ses plus vieilles provinces et de ses plus récentes : l’Alsace et la Lorraine, réunies les dernières, étaient sa chair et son sang en 1870, et elles ne peuvent s’arracher à un corps qui est leur être. Au Canada, le miracle est le même. En 1629, quand il y avait six maisons à Québec, Québec voulait être français, comme si cette demi-douzaine de foyers fondés de la veille sur la falaise du Saint-Laurent eussent été installés, depuis des siècles, sur le calcaire de l’Ile-de-France : sentiment plus fidèle encore dans les revers que dans la prospérité. La colonie est donc, à elle-même, dès le début et jusqu’à la fin, sa meilleure défense.

Jamais corps d’enfans perdus fut-il plus lointain, plus exposé, plus abandonné ? Tout est contre lui, l’éloignement de la mère patrie, l’état de guerre presque perpétuel, la proximité des colonies rivales et soutenues par des renforts incessans, l’hostilité des tribus sauvages, entreprenantes et bien armées, et, surtout, la durée des hivers qui l’isole complètement pendant huit mois de l’année, les glaces coupant toute communication de novembre à mai. Pendant ce temps, la colonie est murée. A chaque saison nouvelle, elle tourne les yeux vers la mer, en se demandant si les vaisseaux arriveront ou s’ils manqueront, comme ils ont si souvent manqué. Cette espèce de halètement, ce souffle coupé, si j’ose dire, par chaque période hivernale, a quelque chose d’angoissant, même à le suivre après des siècles dans les récits contemporains.

La Mère Marie de l’Incarnation écrivait, le 3 octobre 1648, ces lignes qui sont comme l’antienne de la vie canadienne : « On dépend si absolument de la France que, sans son secours, on ne saurait rien faire. Ajoutez à cela que, quelque pressées et importantes que soient les affaires, il faut attendre un an pour en avoir la solution ; et, si on ne les peut faire dans les temps que les vaisseaux sont en France, il en faut attendre deux... » Et encore : « Ni nous, ni tout le Canada, ne pouvons subsister encore deux ans sans secours, et, si le secours manque, il nous faut mourir ou retourner en France ! »

Un fait douloureusement précis donne l’idée de cet étrange isolement, tout à fait particulier au Canada, en raison de l’hostilité permanente des colonies anglaises, qui seules eussent permis des communications, du moins indirectes, avec la mère patrie. En 1759, à l’heure où la colonie allait succomber, un officier qui apportait, de France, des ordres à Montcalm, apprit qu’une des filles de celui-ci venait de mourir ; mais il n’eut pas le temps de faire préciser laquelle des quatre. Montcalm écrivait, en apprenant la triste et incomplète nouvelle : « Je crois que c’est la pauvre Mirette qui me ressemblait et que j’aimais fort. » Il ne devait jamais savoir si c’était cette préférée qu’il avait perdue.

Cette même année, la dernière de la colonie, le « secours » fut encore attendu avec la même impatience : « Le 10 mai 1759, après six mois d’attente, apparurent les frégates aux mâts fleurdelisés. Jamais, dit un capitaine français, joie ne fut plus générale ; elle ranima le cœur de tout un peuple[12]. »

Malgré tout, la foi demeure : la colonie se tient sur le pied de guerre, prête à se défendre et à mourir pour cette mère patrie qui a presque toujours les yeux et l’âme ailleurs.

A toutes les époques de l’histoire du Canada, on compta sur les milices locales, sur les alliés sauvages, au moins autant que sur les soldats de la métropole pour la sauvegarde du territoire, grand comme deux fois la France, contre les incursions des Iroquois, contre les attaques des colonies hollandaises et britanniques, et, finalement, contre l’offensive résolue de toutes les forces anglaises. La colonie est à elle-même son boulevard. Un seul chiffre : l’année de la défaite, « la France, pour défendre le Canada, avait envoyé 328 hommes. Pour la prendre, l’Angleterre en expédiait 9 000 avec 47 vaisseaux[13]. »

Aussi l’histoire militaire du Canada, qui n’est pas sans analogie avec celle des Boërs de notre temps, ne présente qu’une longue épopée de fidélité et d’héroïsme. La vie d’un certain Closse, notaire et greffier à Montréal, fut plus d’une fois marquée par des traits à la Léonidas ; il périt (1662) en se portant au-devant des Iroquois pour secourir d’autres colons. Le dévouement de Dollard et de seize autres Français, qui tinrent huit jours dans un retranchement de palissades improvisé, avec quelques sauvages alliés, contre 6 à 700 Agniers et qui moururent jusqu’au dernier pour sauver la colonie, est une légende pareille aux plus beaux fastes des Romains : « Un Français qui était encore debout lorsque l’ennemi pénétra dans le fort, voyant tout perdu, acheva à coups de hache, ses compagnons blessés pour les empêcher de tomber vivans entre les mains du vainqueur (21 mai 1660)[14]. » Les exploits du jeune Hertel, de Mme de La Tour sont célèbres : quant aux actes de dévouement des enfans, des femmes, des anonymes, il faudrait des pages entières pour les dénombrer : ils foisonnent derrière tous les buissons de cette histoire sanglante.

Ce n’est donc pas non plus l’énergie locale ni la fidélité de la colonie qui manquèrent. La faute est ailleurs ; et c’est ici qu’il faut s’arrêter pour dégager, dans le passé, les termes de comparaison qui doivent servir soit d’avertissement, soit de réconfort pour l’avenir.


Ce qui a manqué à la France de l’Ancien Régime pour garder ses colonies (cela apparaît aujourd’hui à la lumière des documens confirmant le jugement de l’histoire), c’est l’esprit de suite et l’esprit de sacrifice à l’égard de cette famille lointaine que l’esprit d’aventures avait essaimée de par le monde.

Richelieu, le véritable fondateur de notre empire colonial, expose très fortement les raisons qui le portaient dans cette direction. Dans son Testament politique, le morceau consacré à la puissance sur la mer — ce que nous appellerions, aujourd’hui, « la maîtrise de la mer, » — est capital. Il vise à la fois l’Angleterre et l’Espagne ; « Jamais un grand pays ne doit estre en état de recevoir une injure sans pouvoir en prendre revanche. Et partant, l’Angleterre étant située comme elle est, si la France n’estoit puissante en vaisseaux, elle pourroit entreprendre à son préjudice ce que bon luy sembleroit sans crainte du retour. Elle pourroit empêcher nos pêches, troubler notre commerce, et faire, en gardant l’embouchure de nos grandes rivières, payer tel droit que bon luy sembleroit aux marchands. Elle pourroit descendre impunément dans nos isles et mesme sur nos côtes. Enfin la situation du pays de cette nation orgueilleuse luy ostant tout lieu de craindre les plus) grandes Puissances de la terre, l’ancienne envie qu’elle a contre ce royaume luy donneroit apparemment lieu de tout oser, lorsque nostre foiblesse nous ôteroit tout moyen de rien entreprendre à son préjudice. »

Et voici pour ce qui concerne l’Espagne : « L’utilité que les Espagnols, qui font gloire d’estre nos ennemis présens, tirent des Indes (c’est-à-dire de l’Amérique), les oblige d’estre forts sur la mer Océane. La raison d’une bonne politique ne nous permet pas d’y estre foibles ; mais elle veut que nous soyons en estat de nous opposer aux desseins qu’ils pourroient avoir contre nous et de traverser leurs entreprises... Il semble que la nature ait voulu donner l’empire de la mer à la France, pour l’avantageuse situation de ses deux côtes également pourvues d’excellens ports aux deux mers Océane et Méditerranée... Or, comme la côte du Ponant de ce Royaume sépare l’Espagne de tous les États possédés en Italie par leur Roy, ainsi il semble que la Providence de Dieu, qui veut tenir les choses en balance, a voulu que la situation de la France séparât les États d’Espagne pour les affoiblir en les divisant... »

Mais il sait aussi que, pour subsister, la marine a besoin de colonies. Dans le chapitre du Testament politique, consacré au commerce de la France, il analyse, avec une précision extrême, les avantages des colonies d’Amérique et d’Afrique : nul détail ne lui parait trop minutieux. Et, dans ses Mémoires, il revient à diverses reprises sur la pensée qui le porte à l’action : « Qu’il n’y a royaume si bien situé que la France et si riche de tous les moyens nécessaires pour se rendre maitre de la mer ; que, pour y parvenir, il faut voir comme nos voisins s’y gouvernent, faire de grandes Compagnies et, pour ce que chaque petit marchand trafique à part, en de petits vaisseaux et assez mal équipés, ils sont la proie des corsaires... parce qu’ils ne sont pas assez forts pour poursuivre leur justice jusqu’au bout[15]. »

Mais il y a quelque chose de plus éloquent que les paroles, ce sont les actes. Si l’on pénétrait au fond de la politique du grand ministre, on verrait que la préoccupation de la mer l’a toujours dirigée, notamment dans ses rapports avec la Hollande, avec l’Angleterre. Les archives sont pleines, à ce sujet, de révélations qui ont, jusqu’ici, échappé à l’histoire. Jamais, même au fort des crises continentales, il ne perdit de vue la conception dominante de son esprit : une France grande par la mer et plus grande au delà des mers.

Cette conception était d’autant plus remarquable que, comprise seulement par quelques esprits vigoureux, elle se heurtait, comme elle se heurtera toujours, en France, au parti sans nombre des timorés et des routiniers. Avant Richelieu, Sully, influencé sans doute par les subsides de Hollande et par le prestige de l’Angleterre, combattait énergiquement tout projet d’établissement lointain : « Quant à la navigation du sieur de Monts pour aller faire des peuplades en Canada, du tout contraire est nostre advis, d’autant que l’on ne tire jamais de grandes richesses des lieux situés au-dessous de 40 degrés[16]. » En 1629, quand les Anglais s’emparèrent de Québec pour la première fois, il y avait, dans le Conseil du Roi, des gens qui étaient d’avis « qu’on avait perdu peu de chose en perdant ce rocher. » C’est, en somme, la première version des « arpens de neige. »

On voit quelle claire vision des choses, quelle énergie persévérante il fallut à Richelieu pour avoir su remonter le courant, pour être resté, malgré tout, un « colonial » et pour avoir mérité ce juste éloge de l’histoire : « Madagascar, le Sénégal, la Guyane, les Antilles, l’Acadie et le Canada, tel était, en définitive, l’Empire colonial dont nous étions redevables à Richelieu... Il avait trouvé au Canada deux douzaines de colons, misérables épaves de nos multiples essais de colonisation : il en laissait assez dans le Nouveau Monde pour constituer les élémens d’une « plus grande France[17]. »

En fait, les deux doctrines que j’appellerai continentale et maritime étaient, dès lors, en présence et en opposition ; elles le sont encore. Le gouvernement et l’opinion se sont toujours demandé, selon les alternatives de notre histoire, si la France peut mener de front les deux politiques et soutenir, à la fois, les deux tâches.

Cette hésitation se traduisit, au XVIIIe siècle, par la réponse de Mme de Pompadour à Bougainville, quand celui-ci vint, au nom de Montcalm, demander du secours pour la défense du Canada, tandis que la guerre de Sept Ans absorbait les forces et les ressources nationales : « Quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas des écuries. »

L’opinion de Richelieu pèse, peut-être, plus que celle de la marquise : elle est confirmée par l’avis réfléchi et fortement déduit de Talleyrand. Qui ne connaît son mémoire, lu dans la séance de l’Institut, le 15 messidor an V, sur les Avantages à retirer des colonies nouvelles ? Je rappellerai seulement quelques lignes de la conclusion : «... De ce qui vient d’être exposé, il suit que tout presse de s’occuper de nouvelles colonies : l’exemple des peuples les plus sages qui en ont fait un des grands moyens de tranquillité ; le besoin de préparer le remplacement de nos colonies actuelles pour ne pas nous trouver en arrière des événemens ; la nécessité de former avec les colonies les rapports les plus naturels, bien plus faciles sans doute dans des établissemens nouveaux que dans les anciens ; l’avantage de ne point nous laisser prévenir par une nation rivale pour qui chacun de nos oublis, chacun de nos retards en ce genre est une conquête ; l’opinion des hommes éclairés qui ont porté leur attention et leurs recherches sur cet objet ; enfin la douceur de pouvoir attacher à ces entreprises tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérance. »

Faut-il invoquer encore, après ces grands noms, celui de Jules Ferry et son fameux mot sur le « placement de père de famille ? »

Mais il s’agit d’apporter non pas tant des autorités que des raisons.

L’étendue des côtes qui forment les limites de notre France, sa situation entre deux mers, l’étroitesse des passages qui, dans la Manche et dans la Méditerranée, font dépendre son indépendance territoriale et sa sécurité commerciale des positions dominantes occupées par ses voisins, la leçon de son histoire et de toutes les histoires, prouvent qu’elle ne peut se désintéresser des choses de la mer ; j’oserai dire qu’elle ne s’en est désintéressée que trop.

Le commerce d’outre-mer est, pour une grande puissance, le plus facile et le plus avantageux de tous, parce qu’il s’assure les marchés où les valeurs d’échange abondent et où les concurrences sont rares. Les produits coloniaux sont, le plus souvent, des matières premières indispensables à la mère patrie : occuper les territoires où ils naissent est un devoir des générations qui en ont l’opportunité envers les générations qui leur succéderont. A titre d’exemple, ne peut-on pas citer les régions où se cultive le coton, devenues, pour les puissances manufacturières, le plus précieux des héritages ? Il en est de même de celles qui produisent le café, les épices, la canne à sucre, le riz (qui nourrit l’Asie entière) et tant d’autres fruits de la terre dont la consommation et le prix augmentent et augmenteront sans cesse, tandis que leur culture sera toujours restreinte à certaines zones et à certains climats. Faut-il citer encore une substance dont l’avenir est incomparable : le caoutchouc ? Ce sera une des erreurs qui seront reprochées, par l’histoire, à la France actuelle, de n’avoir pas su garder l’immense domaine « caoutchoutier » que Brazza avait su lui assurer au Congo. La vigne algérienne n’a-t-elle pas, pendant la crise du phylloxéra, sauvé le marché vinicole français ? Et ne tiendrons-nous nul compte de l’immense clientèle que la population des colonies, sans cesse accrue et répandue dans l’univers, assure à l’exportation de la mère patrie ?

Les argumens d’ordre économique se multiplieraient à l’infini : les argumens d’ordre politique et historique sont plus pressans encore. Un grand peuple ne peut se renfermer en lui-même sous peine d’étouffer et de périr. Il est dans tous les temps, selon le mot de Talleyrand, « de ces hommes fatigués sous l’impression du malheur dont il faut, en quelque sorte, rajeunir l’âme ; » il est, dans tous les temps, « des hommes qui ont besoin d’espérance ; » il est, dans tous les temps, des hommes qui ont soif de la nouveauté, de l’aventure, des larges espaces, et qui, si la place ne leur est pas faite au loin, ébranleront, de leur violence contenue, la stabilité de la mère patrie. Un pays sans guerres et sans entreprises lointaines entasse les causes de trouble en dedans de lui-même. Il faut faire au goût du risque sa part : s’il ne se répand pas au dehors, il explose à l’intérieur.

Les générations les plus rassises n’ont pas absolument étouffé en elles l’instinct migrateur et nomade naturel à l’homme comme à la plupart des animaux vivant en troupes. Dirigé, orienté vers les colonies, il essaime de nouvelles patries : sinon, il s’égare et se perd. A toutes les époques de l’histoire, la vitalité et la grandeur des peuples, leur aptitude à la survie s’est affirmée par la création de familles coloniales, souvent plus fortes et plus prospères que les familles métropolitaines qui leur avaient donné naissance.

Qu’est-ce que la Grèce, sinon une colonie de l’Asie Mineure ? et elle-même n’a-t-elle pas projeté au dehors la Grande-Grèce, et toutes ces villes méditerranéennes, métropoles et civilisations qui lui ont survécu ? La Gaule, l’Ile de Bretagne, la Germanie sont des colonies romaines. César et ses successeurs ont fondé, sur les bords du Rhône, de la Seine, de la Tamise et du Rhin, de nouvelles Romes. Renoncer à l’expansion coloniale, c’est, pour un grand peuple, rompre avec l’avenir.

L’histoire des temps modernes, depuis les Croisades, les conquêtes des Normands, les navigations de Vasco de Gama et de Christophe Colomb, est une histoire coloniale. Le Portugal, l’Espagne, la Hollande, l’Angleterre, la France ont suivi, dans leur ascension ou dans leur déclin, le graphique de leur expansion lointaine. Axiome : plus un peuple se dépense au dehors, plus il s’accroit en dedans ; plus il peuple, plus il se peuple. Les familles ont des enfans quand elles savent qu’en faire. Le problème de la population est joint si étroitement au problème de l’expatriation que les races les moins fécondes deviennent prolifiques dès qu’elles sont transplantées sur un sol nouveau. Ouvrez devant elles l’espace, elles l’occupent.

Je note l’objection dernière : les ressources que les conquêtes coloniales dépensent au loin sont nécessaires pour la défense de la mère patrie : la France n’est ni assez riche, ni assez forte pour mener de front les deux politiques. Il arrive toujours une heure où la parole de Mme de Pompadour, dans sa brutale crudité, devient le mot de la situation, c’est-à-dire de la résignation et de la nécessité. Je l’ai cru... Maintenant, je ne le crois plus.

Quand l’objection fut faite à Jules Ferry, au cours du débat qui, au sujet de l’affaire de Tunisie, ouvrait une ère nouvelle de notre histoire, il opposa à un adversaire une réponse simple et forte comme la vérité : « M. Clemenceau disait : En cas de guerre européenne, est-ce que l’échiquier militaire ne serait pas modifié ? — Je réponds : oui, il sera modifié, mais à notre profit, en fermant une porte par laquelle on peut entrer chez nous. » Il ne s’agit pas seulement de la prise de possession de territoires qui, si nous ne les occupons pas, seront occupés par d’autres et armés contre nous ; il ne s’agit pas seulement de l’utilisation possible, par la mère patrie, de contingens indigènes, — cipayes, turcos, soudanais, troupes noires, — appoints qui ne sont pas, pourtant, tout à fait négligeables ; il ne s’agit pas seulement de l’étendue considérable de territoires faciles à défendre et qui peuvent fournir des bases d’opérations précieuses pour des offensives redoutables à nos ennemis : le véritable argument est celui-ci : sans colonie, un peuple n’a pas de marine, et sans marine, un peuple qui a une grande étendue de côtes est en proie à ses rivaux. Napoléon, maître de la terre, a été battu par la mer. Le blocus continental se retourna contre lui. Trafalgar eut raison d’Austerlitz.

Pour la paix, pour la guerre, pour le dedans, pour le dehors, pour le présent, pour l’avenir, les colonies sont aux peuples ce que les enfans sont aux familles. Une puissance sans colonie est une puissance stérile : tous les éloges et toutes les gratitudes de l’histoire iront toujours aux peuples colonisateurs.

La grande erreur du XVIIIe siècle français, erreur qui coïncide avec la pénurie gouvernementale la plus lamentable qu’ait connue notre histoire, a été de ne pas comprendre la nécessité urgente de défendre à tout prix les colonies au moment où, de l’autre côté de la Manche, on faisait de leur extension à tout prix le principe d’une politique agressive et le programme de « la plus grande Angleterre ; » c’est de ne pas avoir senti que notre avenir était alors, s’il le fut jamais, sur la mer ; qu’il importait infiniment plus de lutter pour les Indes et pour le Canada que pour les petites principautés de l’Empire germanique. Nous n’avions pas à nous mêler aux querelles de l’Europe quand nous étions, selon le mot de Vergennes, « dans un état d’arrondissement suffisant, » et alors que nous avions le monde grand ouvert devant nous.

La vraie politique nationale, trois siècles d’efforts, des résultats déjà remarquables, tout cela fut abandonné sans autre réflexion : il est naturel et logique que le mot terrible et naïf adressé à Bougainville ait été prononcé par la marquise de Pompadour ; elle ne l’aurait pas dit, qu’il serait vrai dans sa bouche. Au contraire, Choiseul, un des rares hommes d’Etat français du XVIIIe siècle, avait le sens profond de « la maîtrise de la mer. » Il prépara la flotte qui assura, en Amérique, la revanche de la guerre de Sept ans et qui eût pu nous rendre le Canada. La France a eu le malheur, en ces temps, d’abord de ne pas être conduite et surtout de ne pas être comprise.


Oui, notre histoire coloniale, sous l’Ancien Régime, a manqué d’esprit de suite et d’esprit de sacrifice. Ceci dit, n’accusons pas, uniquement, la légèreté, la versatilité ou la parcimonie obérée du gouvernement : il y eut souvent des difficultés presque insurmontables : l’éloignement, le manque de ressources, l’ignorance, la difficulté des renseignemens et, par conséquent, des résolutions et des partis pris vigoureux.

Tout le long des trois siècles coloniaux de l’Ancien Régime, les appels de la colonie à la mère patrie et les défaillances de celle-ci aux heures décisives, crèvent le cœur. M. H. Garneau constate, avec Egerton, que le roi Henri IV lui-même, si sympathique qu’il fût à l’œuvre canadienne, entend la colonisation « à la façon d’Elisabeth et de Jacques Ier : sans rien tirer de ses coffres (Lescarbot), et ne lui accordant qu’un appui moral, il se contente de concéder à des compagnies de commerce des privilèges étendus[18]. » Richelieu lui-même, quoiqu’il ait eu le véritable sens de l’expansion lointaine, n’a pas su appliquer au Canada le système de tolérance à l’égard des Huguenots qu’il pratiquait en France et sa volonté, si forte, s’est laissé détourner, sur la fin, par les nécessités de sa politique européenne. Champlain s’écriait, même en ces temps favorables : « Hé ! bon Dieu ! qu’est-ce que l’on peut plus entreprendre si tout se révoque de la façon sans juger meurement des affaires ! »

Le grand cardinal disparu, on retombe dans les incertitudes et les incohérences. Colbert, qui est son disciple et son véritable successeur en matière maritime et coloniale, n’a qu’une conception, en somme, assez étroite et purement « commerciale » du système colonial. Sa formule, rigoureusement etatiste, est : « Tout pour et par la métropole. » Lui qui a choisi l’admirable administrateur et initiateur qu’est l’intendant Talon, n’ose pas le suivre quand celui-ci, reprenant les idées de Champlain, soumet au gouvernement royal le seul programme véritablement national qui ait jamais été conçu pour le Canada. Le subordonné, plus chef que les chefs, expose son plan ayant pour but de « former un grand royaume ; » il demande la déchéance des compagnies, et l’action simultanée, dans tous les pays de l’intérieur, pour la création d’une grande « nouvelle France, » allant du Saint-Laurent jusqu’à la Floride, les Nouvelles Suède, Hollande et Angleterre par delà la frontière de ces contrées jusqu’au Mexique. » (C’est une conception analogue à celle qui, à la fin du XIXe siècle, réunit tous nos établissemens d’Afrique en arrière des colonies anglaises et allemandes, par le Sénégal, le Niger, le lac Tchad et le Chari.) Il presse le gouvernement d’aborder cette tâche, de s’y consacrer sans discontinuer et de faire, quand tout est relativement facile, les sacrifices nécessaires (1665).

Mais Louis XIV est engagé dans ses guerres européennes, contre l’Angleterre, bientôt contre la Hollande : il ne comprend pas, — comme Richelieu l’avait compris, quand il s’agissait de l’Espagne, — qu’une diversion lointaine aiderait sa politique générale, au lieu de lui nuire. Colbert, en son nom, morigène Talon : avec de tels projets on dépeuplerait la France, on l’affamerait, on la dépouillerait des soldats dont elle a besoin, on gaspillerait les ressources du Trésor : « Il faut penser, avant tout, à l’établissement du commerce et ne point toucher, le moins du monde, au monopole de la Compagnie. Quant à la colonisation proprement dite, on la pratiquera avec parcimonie, « avec ménage, » dans l’espoir d’obtenir, quand même, de bons résultats par la succession d’un temps raisonnable »[19]. »

Est-il nécessaire de rappeler les abandons de la fin du règne de Louis XIV et l’amère faillite de celui de Louis XV[20] ?

Le gouvernement fut coupable ; mais l’opinion publique a aussi, comme il arrive presque toujours dans les catastrophes nationales, sa part de responsabilité. Le Roi objecte toujours à ses agens militaires et civils qu’il dépense trop au Canada, — lui qui trouvait de l’argent pour d’autres dépenses assurément moins honorables et moins urgentes. Mais, devant le pays lui-même, le Canada n’a pas une « bonne presse. » On répète à satiété la niaise formule, inventée par les politiques à courte vue : « La colonie coûte plus qu’elle ne rapporte. » Les publicistes, les journalistes, les encyclopédistes, tous ceux qui tranchent du sort de l’Univers au coin de leur feu et selon le caprice de leurs médiocres passions, ont décidé qu’il n’y avait rien à faire avec le Canada. Voltaire donne le ton : « Nous avons eu l’esprit de nous établir au Canada sur des neiges, entre les ours et les castors. » Il supplie « à genoux » Chauvelin « de nous débarrasser du Canada (1760). » Il se félicitera, dans son Précis du règne de Louis XV, d’avoir travaillé à l’abandon de cette colonie : « On a perdu en un jour quinze cents lieues de terrain. Ces quinze cents lieues étant des déserts glacés, n’étaient peut-être pas une grande perte. Le Canada coûtait beaucoup et rapportait peu[21]. » Comme Voltaire n’est pas, en principe, anti-colonial et qu’il se montre très favorable à la Louisiane, on peut se demander si cette campagne en règle contre le Canada ne fait pas corps avec la campagne générale contre l’Église et les Jésuites dont l’influence avait été si longtemps prépondérante dans la Nouvelle-France.

Passons condamnation sur Voltaire ; Montesquieu, le sage Montesquieu n’est pas beaucoup plus avisé : il blâme la colonisation des pays lointains, qui lui semble être « une des causes du dépeuplement que l’on constate en Europe depuis l’époque romaine. »

Guillaume Raynal, l’auteur de l’Histoire philosophique des Indes, autre prophète, celui-là sans génie, se répand en diatribes sur l’œuvre française au Canada ; suivant le préjugé de l’école, il trouve tout admirable sous le régime britannique et tout déplorable sous le régime français. Et, en 1781, quand, à la suite des victoires françaises dans la guerre de l’Indépendance américaine, il est question de réclamer le Canada à l’Angleterre, qui s’élève contre le retour de la colonie à la mère patrie ? Raynal, le même Raynal qui fut, en ces matières, le grand éducateur de son siècle. Il adjure ses contemporains de ne pas oublier que « tout domaine séparé d’un État par une grande distance est précaire, dispendieux, mal défendu et mal administré... ; » il affirme que « renoncer a une contrée que diverses puissances revendiquent, c’est communément s’épargner des dépenses superflues, des alarmes et des guerres, et que de la céder à l’un de ceux qui l’envient, c’est lui faire présent des mêmes calamités... » Plût aux Dieux que l’Angleterre, dans sa défaite, eût tenu le même raisonnement que la France dans sa victoire ! Ainsi, ce n’est pas sans la complicité de l’opinion, que « le gouvernement nous a, selon le mot de Chateaubriand, exclus du seul univers où le genre humain recommence[22]. »

Grâce aux publications si importantes et si intéressantes qui ont fourni le sujet de la présente étude, la « leçon du Canada » apparaît maintenant, dans sa trop claire évidence. Ni le gouvernement ni la nation n’eurent jamais, à fond et à plein, le sentiment de la grandeur de l’œuvre que quelques pionniers avaient commencée sur l’autre rivage atlantique et que des héros y avaient défendue : on lui marchanda toujours l’existence ; on n’eut jamais confiance en son avenir. Or, quand on considère le chemin parcouru, quand on réfléchit à l’étonnante multiplication des cinquante mille Français, laissés par le XVIIIe siècle sur les arpens de neige, quand on sait, de science trop certaine, ce qu’est le Canada aujourd’hui, ce que sera le Canada demain, on porte le deuil inconsolable d’une telle perte, le regret le dispute au remords.


Et la pensée se reporte sur l’Empire colonial que vient de restaurer la France : on se demande si, la conception et l’institution étant également belles et grandes, le résultat final sera aussi décevant. La France saura-t-elle garder et développer ses nouvelles colonies ?

Reconnaissons, tout d’abord, que ni les conditions ni les dispositions ne sont pareilles. La France actuelle a le sens colonial, elle a une volonté coloniale, elle a un point d’honneur colonial ; après avoir su faire les sacrifices nécessaires pour conquérir, elle saura les continuer pour organiser et pour défendre ; espérons qu’elle aura l’esprit de suite : tout est là.

II suffirait de comparer les résultats obtenus après quatre-vingts ans en Algérie, après trente ans au Tonkin et en Tunisie, après vingt ans à la Côte Occidentale, au Niger, au Congo, à Madagascar ; il suffirait d’opposer les 700 000 Français qui se sont installés, depuis 1830, dans notre Afrique du Nord, aux 55 000 qui, en deux siècles, s’étaient expatriés ou étaient nés au Canada, pour reconnaître que le progrès est infiniment plus rapide et plus « national. »

L’obstacle de la distance n’existe pas pour l’Afrique du Nord ; le climat n’a pas la rudesse des climats septentrionaux. Tout, dans notre nouveau domaine, est luisant et séduisant. Les terres orientales et méridionales exercent, sur l’homme du Nord, une attraction indicible. Même cette Indo-Chine lointaine n’est pas la moins fascinante : qui y a vécu veut y revivre.- L’Empire colonial français est un jardin d’Armide ; il appelle naturellement « ces hommes qui ont besoin d’espérance, » dont parlait Talleyrand.

Mais, le lien une fois créé, sa solidité tient à des raisons plus fortes : c’est, d’abord, la volonté de la nation de jouir de ce qu’elle a fondé ; ce sont les convictions ardentes de cette école d’hommes résolus qui ont vu, qui se sont formés eux-mêmes, qui entraînent chaque jour la jeunesse à la conviction « coloniale ; » c’est le rapide rendement économique de nos jeunes colonies ; c’est, enfin et surtout, la forte assiette que ces territoires offrent à la mère patrie pour les dominer et les défendre.

La France moderne a su faire les sacrifices nécessaires dans la période de l’occupation et la période de possession. Les expéditions d’Algérie, de Tunisie, du Tonkin, de Madagascar, du Sénégal, du Maroc, sont tout autre chose que les « secours » lamentables envoyés outre-mer par la France du xvii » et du XVIIIe siècle. Partout, dès le début, on a frappé le coup décisif nécessaire pour affirmer l’autorité.

Et les sacrifices ne s’en tiennent pas là. Les terres nouvelles, pour vivre et se développer, ont besoin d’argent et de crédit. La mère patrie le sait et son épargne, sa confiance sont largement offertes à cette jeune famille qui s’installe. Ports, routes, voies ferrées, forts, arsenaux, instruction publique, protection des indigènes, tout est largement muni, doté ; les grands projets et les grandes réalisations trouvent, d’abord, les grandes ressources ; et voilà une autre différence avec cette colonisation de « ménage » et de lésinerie qui fut celle de l’Ancien Régime.

Enfin, les systèmes politique et militaire que présente l’ensemble de notre nouvel Empire colonial, le front qu’il offre à l’ennemi est tout autrement conçu et organisé que celui de notre domaine colonial des XVIIe et XVIIIe siècles.

Même les colonies les plus exposées, la Nouvelle-Calédonie, Madagascar, l’Indo-Chine présentent des élémens de résistance, soit militaire, soit diplomatique, si fortement combinés qu’ils ne pourraient être annihilés qu’après une guerre plus onéreuse et plus périlleuse à l’attaque qu’à la défense. L’Indo-Chine elle-même a pour protection, sans compter sa propre force militaire, la coalition des puissances qui se formerait fatalement, contre tout envahisseur, que ce fût le Japon, l’Angleterre, les Etats-Unis. Tous, sans compter la Russie et la Chine, se retourneraient ensemble contre celui d’entre eux qui prétendrait nous arracher ces territoires ; l’occupation française est, pour longtemps, une des données indispensables de l’équilibre asiatique. La Nouvelle-Calédonie et Madagascar, défendues par leur situation insulaire, tiendraient longtemps, chacune dans son réduit central, avant qu’une armée expéditionnaire vint à bout d’en arracher les couleurs françaises : la guerre du Transvaal et la guerre de Mandchourie ont démontré les difficultés inouïes de ces grandes expéditions lointaines contre un adversaire bien armé et décidé à se défendre.

Quant à notre domaine africain, situé aux portes de la France, nourrissant des populations belliqueuses et habituées à prendre place dans nos cadres, il est invincible. C’est lui, au contraire, qui pèserait, le cas échéant, dans la balance du monde, d’un poids imprévu et qui assurerait à notre offensive des conquêtes précieuses, au cas où une guerre générale remettrait sur le tapis ce partage du monde accompli par les dernières années du XIXe siècle, et que tant de traités solennels ont consacré. L’Empire africain français est un empire militaire : il faut que la France le comprenne et que les puissances rivales le sachent. Non, le nouveau domaine colonial que la France a su se constituer ne lui sera pas arraché. Il dépend de la France elle-même d’y développer, en pleine paix et en toute confiance, les semences de civilisation qui doivent fructifier et se multiplier indéfiniment sur ces terres prédestinées.

Que l’opinion, seulement, ne s’endorme pas et qu’elle sache, d’elle-même, tenir en éveil son gouvernement et ses chefs ! Ceux-ci ont, trop souvent, les yeux et la pensée ailleurs : l’intérieur les absorbe. Quand, une fois, les grands efforts seront accomplis, le seul danger vraiment à craindre serait que nous retombions dans cette négligence, cette demi-somnolence où nous sommes enclins, dès que les ardeurs initiales ne nous excitent plus.

Que les Français s’avertissent sans cesse, les uns les autres, du haut intérêt que présente le salut de leur domaine colonial ; qu’ils s’y rendent ; qu’ils y envoient leurs fils ; qu’ils y emploient leurs capitaux ; surtout qu’ils exercent un contrôle vigilant sur les administrations toujours prêtes à s’enlizer dans la routine, la procrastination et le népotisme.

Si le gouvernement de la France était ce qu’il doit être, il deviendrait, au premier chef, colonial, parce que le haut avenir de la race est là. Nous ne verrions pas se prolonger l’état de choses actuel qui charge un simple chef de bureau au ministère de l’Intérieur de toute notre responsabilité islamique et qui disperse, entre trois ou quatre ministères, la haute direction de notre Empire africain...

En un mot, sous un régime d’opinion, tout dépend du pays lui-même : qu’il commande et on lui obéira ; qu’il s’instruise, qu’il réfléchisse, il exigera et on exécutera. C’est pourquoi l’opinion ne doit pas rester dans l’ignorance des enseignemens de notre histoire. Les fautes commises peuvent avoir, du moins, cette utilité de prévenir les fautes nouvelles. Remercions ces écrivains qui, en mettant sous nos yeux, dans son amère et forte réalité, « la leçon du Canada, » ont projeté la lumière à la fois sur le passé et sur l’avenir.


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Poirson. Histoire de Henri IV, III, 366. — Cité par Garneau. Histoire du Canada. Appendices, p. 28.
  2. Lescarbot, cité par Garneau. Appendice LX (p. 29).
  3. Ibid., Append. LII.
  4. On sait que ce nom d’Ononthio était la traduction du nom d’un des premiers gouverneurs, M. de Montmagny (la Grande Montagne), et qu’il fut appliqué au grand chef lointain des Français, le roi de France, dans le langage habituel des indigènes.
  5. Discours prononcé par M. Herbert Samuel, ministre des Postes britanniques, au banquet de la Chambre de Commerce britannique de Paris, le 22 octobre 1911. — Cité par Garneau. Appendice XVII, p. 10.
  6. Vers 1740, après « la grande paix, » le commerce du Canada se balançait par environ 2 millions à l’importation de la métropole contre pareille somme à l’exportation. Il faut multiplier par trois au moins, pour avoir la valeur actuelle et par dix pour avoir le total du commerce extérieur et intérieur. — Voyez Salone, p. 400.
  7. On peut débattre sur cette question de la prospérité du Canada vers le milieu du XVIIIe siècle. Voyez tout le chapitre V du livre de Salone : « Ce que coûte la Nouvelle-France. » La colonie se plaint, la métropole se plaint ; tout cela est dans le cours normal des choses. Il n’y avait pas de grosses fortunes au Canada, mais une réelle aisance, et de l’épargne et de la dépense. Cela ressort nettement de toute la correspondance de Montcalm. Hocquart écrit au ministre, en 1732, ce mot qui, je crois, résume la situation : » Tous ont des dettes ; mais ces débiteurs satisfont peu à peu. » Salone, p. 423.
  8. Abbé Couillard-Desprès, La première famille française au Canada. Montréal 1907. — Garneau, App.. p. 38.
  9. 'Ibid., p. 64.
  10. Salone, p. 229.
  11. Ibid., p. 448.
  12. Arnould, Nos amis les Canadiens, p. 17.
  13. Arnould, Nos amis les Canadiens.
  14. Garneau, t. I, p. 176.
  15. Mémoires de Richelieu. Éd. Michaud et Poujoulat, t. 1, p. 438.
  16. Il faudrait lire « au-dessus. » Mais il est possible que Sully fût assez mal renseigné sur la position du Canada et qu’il crût toutes les colonies françaises plus ou moins tropicales ou équatoriales. — V. Garneau, App., p. 27.
  17. La Roncière, Histoire de la Marine, t. IV, p. 722.
  18. Garneau, App. LIII, p. 26.
  19. Cité par Salone, p. 155.
  20. H. Garneau cite l’appréciation de Tocqueville sur l’administration de Louis XIV : « Quand je veux juger l’esprit de l’administration de Louis XIV et ses vices, c’est au Canada que je dois aller. On aperçoit alors la difformité de l’objet comme dans un microscope... Au Canada, pas l’ombre d’institutions municipales et provinciales, aucune force collective autorisée, aucune initiative individuelle permise. Un intendant ayant une position bien autrement prépondérante que celle qu’avaient ses pareils en France... une administration voulant tout faire de Paris, malgré les dix-huit cents lieues qui l’en séparent. » Appendice 196, p. 85.
  21. Sur la campagne des philosophes contre le Canada, voir les textes réunis par Salone, p. 429.
  22. Voyez la savante étude de M. E. Salone, Guillaume Raynal, historien du Canada ; 1 vol. in-8, Guilmote.