La Liberté, ou le Serment des trois Suisses

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Poésies complètesDidier et Cie (p. 16-18).

LA LIBERTÉ, OU LE SERMENT DES TROIS SUISSES[1]


… Les peintres devraient chercher dans l’histoire des sujets de tableaux qui réuniraient à la fois la majesté de la morale à la grandeur de la nature… L’histoire des Suisses en fournit un sujet sublime. Le peintre représenterait les trois grands libérateurs de l’Helvétie, vêtus de leurs simples habits de paysans, assemblés secrètement dans un lieu désert, au bord d’un lac solitaire, et délibérant de la liberté de leur patrie au milieu des montagnes, des torrens, des forêts ; le silence de la nature les environne, et ils n’ont pour témoin de leur sainte union que le Dieu qui entassa ces Alpes glacées, et déroula ce firmament sur leur tête.

CHATEAUBRIAND, Essai sur les Révolutions.




 

Ils étaient là tous trois ! À travers les nuages,
La lune révélait sur leurs mâles visages
D’un héroïque espoir les présages vainqueurs :
Sous leurs habits grossiers battaient de nobles cœurs.
Un serment généreux sort de ces bouches pures,
Et l’écho menaçant, par l’écho répété,
Redit de monts en monts, avec de sourds murmures :
Liberté ! liberté !

On l’entendra, ce nom que la Suisse réclame,
Comme un céleste accord retentir d’âme en âme ;

Et déjà, descendu de ces sommets déserts,
Puissant, mystérieux, il plane dans les airs ;
À toute heure, en secret, du peuple qu’on opprime
Un pouvoir inconnu ranimant la fierté,
Dit au cœur assez fort pour ce fardeau sublime :
Liberté ! liberté !
 
Orgueilleux Gouverneur, quelle terreur te presse ?
Pourquoi fermer sur toi la sombre forteresse ?
Ah ! de la liberté dénonçant les efforts,
Un traître l’aurait-il livrée à tes trésors ?
Non, mais à ton effroi tu sens qu’elle s’éveille ;
Tu lis partout son nom d’un œil épouvanté ;
Partout un Dieu vengeur répète à ton oreille :
Liberté ! liberté !

Elle eût dormi longtemps sans cette voix cruelle
Qui tourna vers un fils la flèche paternelle !
Mais les yeux des tyrans d’un bandeau sont couverts ;
En croyant les river, ils ont brisé vos fers,
Enfants de l’Helvétie ; achevez leur ouvrage :
Déjà, livrant Gessler à l’abîme irrité,
La vengeance de Tell crie au sein de l’orage :
Liberté ! liberté !

Liberté, c’est ton jour ; ce sol est ton empire :
Là, nulle ambition sous tes traits ne conspire ;
D’un peuple pauvre et fier toi seule armes les mains.
Sur ces pics sourcilleux, vierges de pas humains,
L’aigle au vol indompté semble te rendre hommage,
Le bleu miroir des lacs réfléchir ta beauté,
Et le bruit des torrents, dire à l’écho sauvage :
Liberté ! liberté !

Héritier de ces biens, toi qui les abandonnes,
Et soutiens à prix d’or les lointaines couronnes,

D’où vient qu’aux premiers sons d’un air mélodieux,
J’ai vu des pleurs furtifs s’échapper de tes yeux ?
Sans doute, en l’écoutant, tu rêvais ta patrie,
Et des vallons natals l’agreste majesté ;
Sans doute il murmurait à ton âme attendrie :
Liberté ! liberté !

  1. Le tableau qui a inspiré ces vers faisait partie de la galerie du duc d’Orléans, au Palais-Royal.