La Liberté du commerce et les systèmes de douanes/04

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La Liberté du commerce et les systèmes de douanes
Revue des Deux Mondes, période initialetome 17 (p. 861-889).
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LA


LIBERTE DU COMMERCE


ET LES


SYSTEMES DE DOUANES




L'INDUSTRIE METALLURGIQUE.




I.

Si la France est relativement assez pauvre en combustible minéral, surtout quand elle se réduit à ses propres ressources, elle est au contraire très riche en minerai de fer, à tel point qu’il est permis de douter s’il existe dans le monde un seul pays, nous n’exceptons pas même l’Angleterre, qui puisse lui disputer en cela la préséance. Dès les temps anciens, la Gaule jouissait à cet égard d’une haute réputation justement acquise, et le pays n’a rien perdu en changeant de nom. Non-seulement le minerai de fer abonde en France, mais il y est en général de bonne qualité ; pour mieux dire, on y trouve à peu près toutes les qualités de fer, depuis les meilleures jusqu’aux plus communes, sans en excepter l’acier naturel, dit acier de forge, que l’Angleterre ne produit pas et qu’elle demande actuellement à la Suède. En outre, le minerai de fer est presque partout en France d’un emploi singulièrement facile, puisqu’on le trouve généralement dans des minières situées à ciel ouvert[1], où on n’a qu’à le ramasser pour le lavage, tandis que dans beaucoup d’autres pays, et particulièrement en Angleterre, il faut ordinairement, pour le mettre en œuvre, l’extraire au préalable de puits plus ou moins profonds. Ne semble-t-il pas que, dans une situation semblable, la France, au lieu de gémir sans cesse sur la prétendue infériorité de sa situation, de redouter comme un fléau la concurrence étrangère, et de resserrer la triple ceinture de ses douanes de peur d’une invasion, devrait provoquer hardiment la lutte, lancer elle-même ses fers sur le marché européen et aspirer hautement à y tenir le premier rang ? Ne nous hâtons pourtant pas de conclure. En faisant le tableau, assez brillant d’ailleurs, de notre situation réelle, n’oublions pas les traits qui le déparent.

On objecte, et ce n’est pas tout-à-fait sans raison, que ces avantages incontestables sont amoindris, sinon entièrement annulés, par l’insuffisance du combustible. Deux sortes de combustibles sont maintenant employés, selon les circonstances et les pays, au traitement du fer : le charbon de bois et la houille, ou, mieux encore que la houille, le coke qui en provient. Pour le traitement du fer par le charbon de bois, la France, dit-on, n’est pas aussi bien partagée que la Suède et l’Autriche, qui produisent ce combustible en bien plus grande abondance et à plus bas prix. Pour le traitement par la houille, elle est loin de pouvoir soutenir la comparaison avec l’Angleterre et la Belgique. Ce qui rend, ajoute-t-on, sa situation particulièrement désavantageuse quant à l’emploi du combustible minéral, ce n’est pas encore tant que la houille lui manque, c’est que malheureusement les houillères n’y sont pas, comme en Angleterre et en Belgique, contiguës avec les gîtes de minerai ; qu’elles en sont, au contraire, généralement séparées par de grandes distances, et qu’en raison de cette circonstance fâcheuse, nos maîtres de forges ne peuvent obtenir le combustible minéral qu’à des prix très élevés. Il y a certainement quelque chose de vrai dans ces allégations ; mais on les exagère outre mesure, et surtout on généralise beaucoup trop ce qui ne s’applique rigoureusement qu’à certains cas particuliers. Si nos désavantages quant à l’emploi du combustible étaient aussi grands, aussi irrémédiables qu’on affecte de le dire, il n’y aurait, selon nous, qu’une seule conclusion raisonnable à tirer de tout cela : c’est que la France ferait très sagement de renoncer à fabriquer le fer ; car prétendre qu’elle doive se vouer éternellement à un travail ingrat, condamner éternellement toutes ses industries à une infériorité désolante en renchérissant leurs instrumens, et cela pour le seul plaisir de se dire qu’elle produit elle-même le fer qu’elle consomme, ce serait une bien étrange folie. Quant aux ouvriers, au nombre de quarante-neuf mille, et non pas quatre cent mille, comme on l’a dit quelquefois, que l’industrie du fer occupe, outre qu’ils pourraient trouver de l’ouvrage dans toutes les branches de l’industrie que le bas prix du fer aurait régénérées, la France ferait un excellent calcul si elle les entretenait à ne rien faire plutôt que de les occuper à ce prix. Répétons-le d’ailleurs, le tableau qu’on nous présente est singulièrement forcé, et il sera facile de s’en convaincre.

C’est sur la rareté et l’insuffisance de la houille que l’on insiste le plus, et la raison en est que, l’Angleterre et la Belgique, où le fer se travaille exclusivement à la houille, étant précisément les deux pays de l’Europe qui le produisent à plus bas, prix, on suppose, à tort ou à raison, que ce combustible, employé dans ses conditions normales, est de beaucoup le plus économique. Cette conclusion un peu précipitée n’est peut-être pas tout-à-fait inattaquable, et il y aurait lieu d’examiner si le charbon de bois, employé aussi dans ses conditions normales, donnerait des résultats si différens de ceux qu’on obtient avec la houille. Acceptons-la pourtant, et voyons d’abord si, dans cette hypothèse, la France est réellement, et partout, aussi mal partagée qu’on le prétend.

Quand nous jetons les yeux sur la carte métallurgique de la France, où les forges sont divisées en douze groupes, assez irrégulièrement tracés, mais distincts, nous apercevons d’abord, à l’extrémité nord, le groupe des houillères du nord, ainsi nommé parce qu’il a son centre et son siège principal au beau milieu du bassin houiller de Valenciennes. Le combustible y est, comme on l’a déjà vu, très abondant et à bas prix. Il est même moins cher pour les producteurs français que pour leurs concurrens belges, qui se trouvent en contact moins direct avec les mines. Ainsi, dans les forges d’Anzin, l’hectolitre de houille ne coûte actuellement que 1 franc 25 cent., et ce prix venant encore à baisser de 15 centimes, plus le décime, si l’importation des charbons de Mons était franche de droits, il se réduirait effectivement à 1 franc 8 centimes[2], tandis que le même charbon revient en moyenne à 1 fr. 30 c. dans les forges de Charleroi et du Hainaut. Il est vrai que ce n’est pas dans le groupe des houillères du nord que le minerai de fer abonde le plus : il s’en faut qu’on l’y trouve en aussi grande quantité que dans la Champagne, par exemple ; il y est même en général d’une qualité plus médiocre. Aussi emploie-t-on dans cette contrée une grande quantité de fontes belges, depuis qu’en 1836 le droit d’importation sur ces fontes a été abaissé de 9 francs les cent kilog. à 4 fr.[3] ; mais enfin, en telle quantité que le minerai s’y trouve, on l’y travaille aux mêmes conditions qu’ailleurs, et même à des conditions souvent plus favorables. Quant aux fontes belges que les producteurs français mettent en œuvre, s’ils les obtenaient entièrement franches de droits, elles ne leur reviendraient qu’à 75 ou 80 cent. les cent kilogrammes de plus qu’à leurs rivaux de la Belgique, car les frais de transport ne s’élèvent pas au-delà, et cette faible différence serait facilement compensée par la différence que nous venons de signaler sur le prix du charbon. On voit donc que les maîtres de forges du nord sont parfaitement en mesure, dès à présent, de soutenir la concurrence, même sans protection aucune, tout au moins avec les Belges. Si quelque chose les empêche de le faire, ce n’est pas, comme on paraît le croire, le désavantage de leur situation ; c’est le monopole, qui, en les dispensant de perfectionner leurs procédés et leurs méthodes, les induit seul, ainsi que nous le verrons bientôt, à travailler plus chèrement.

Remarquons ici en passant que ces forges du nord ont presque toutes surgi depuis 1835 ; elles sont filles de la réforme partielle effectuée à cette époque et dont nous avons eu déjà occasion d’indiquer les principales dispositions[4]. Tout ce groupe, qui était, en 1835, presque le dernier en importance, et qui n’avait produit, dans le cours de cette année, que 21,900 quintaux métriques de fonte et 52,881 quintaux métriques de fer forgé, a produit, en 1844, 218,974 quintaux métriques de fonte et 358,401 de fer forgé, c’est-à-dire que la production en a été à peu près décuplée dans une période de dix ans. Cependant, en même temps qu’on réduisait, en 1834-36, de 15 centimes par quintal métrique le droit sur les houilles étrangères, et de 3 francs, en moyenne, le droit sur les fontes, on ramenait aussi de 25 fr. les 100 kilogr. à 18 fr. 75, cent.[5] l’ancien droit sur les fers, tant il est vrai que des réductions opérées sur les matières premières font plus que compenser des réductions équivalentes sur le produit final. En somme, l’existence même de ce groupe est une protestation éclatante contre les anciennes rigueurs de nos tarifs. Cela n’empêche pas que les maîtres de forges de cette contrée ne se joignent aux autres pour vanter les douceurs du régime restrictif et réclamer hautement contre toute mesure libérale qu’on voudrait introduire dans nos codes. Fils de la liberté, ils renient leur mère, c’est tout simple. Il est probable aussi qu’à l’exemple des autres, ils invoquent, à l’appui de leurs réclamations, l’expérience, qui leur a pourtant donné par avance et sur les lieux mêmes le plus violent démenti.

En passant du nord au midi, nous trouvons encore sur la carte métallurgique de la France le groupe des houillères du sud, dont le siége est dans la partie de la France la plus féconde en combustible minéral, au milieu du bassin de la Loire et en quelque sorte sur les mines de Saint-Étienne et de Rive-de-Gier. Grace à la concurrence des exploitations, qui se pressent et se touchent dans cette région, la houille y est encore moins chère qu’elle ne l’est dans le bassin de Valenciennes, et même qu’elle ne le serait, si l’importation des houilles belges était exempte de droits. Nous voyons, en effet, dans le dernier Compte-rendu de l’administration des mines, que le quintal de houille, qui est estimé, pour le bassin de Valenciennes, à 1 fr. 3 cent. pris sur la fosse, n’est porté qu’à 70 cent. dans le bassin de la Loire. À ce point de vue, non-seulement les usines qui appartiennent à ce groupe possèdent tous les avantages dont on jouit ailleurs, mais encore elles sont placées dans des conditions exceptionnellement favorables ; tellement que, dans le cas où la libre concurrence serait admise pour toute l’Europe, les protectionistes conséquens devraient se demander si ce n’est pas aux producteurs étrangers que cette concurrence serait fatale. Outre son siége principal, situé au milieu du bassin de la Loire, ce groupe a des ramifications qui se prolongent, d’une part, vers le département du Gard, où il rencontre les abondantes houillères d’Alais, de l’autre, vers le département de l’Aveyron, où il se met en contact avec les mines non moins fécondes d’Aubin, ayant ainsi à son service plusieurs des plus riches bassins houillers de la France. Les gîtes de minerai n’y sont pas, il est vrai, partout en contact direct avec les mines de houille : il n’en est ainsi que dans les départemens du Gard et de l’Aveyron. Quant aux usines de la Loire, elles ne trouvent le minerai qu’à une certaine distance, dans la Haute-Saône, l’Ain et l’Ardèche ; mais deux beaux fleuves, la Saône et le Rhône, en rendent le transport facile, et, à cela près, toutes les conditions d’exploitation y sont aussi favorables qu’on peut le désirer. On se tromperait d’ailleurs étrangement si l’on supposait que les producteurs des autres pays rencontrent généralement tout à souhait, et qu’ils trouvent constamment les deux matières premières, le minerai et le combustible, réunies sous la main. A tout prendre, il n’y a guère ailleurs de producteurs plus favorisés que les maîtres de forges qui composent ce groupe, et s’ils redoutent la concurrence étrangère, c’est qu’ils ne veulent pas se donner la peine de la braver.

La réduction opérée, en 1836, sur le droit qui frappe les fers étrangers a été, pour les usines de cette contrée, sans aucune compensation, puisque la houille qu’elles consomment ne subit pas l’influence de la concurrence étrangère, et que les fontes qu’elles emploient sont toutes de provenance française. Ne semble-t-il pas dès-lors, à raisonner dans le sens des prohibitionnistes, que cette réduction aurait dû leur être funeste ? Au lieu de cela, nous voyons que la production totale de ce groupe s’est élevée, de 1835 à 1844, pour la fonte, de 276,883 quintaux métriques à 687,167, et, pour le fer forgé, de 312,288 à 685,948.

Sur les douze groupes de forges qui constituent l’ensemble des usines métallurgiques de la France, en voilà donc déjà deux qui, étant placés dans des conditions exactement semblables, non pas à celles de fous les pays étrangers, car on ne trouve pas partout, à beaucoup près, de tels avantages, mais à celles des pays les plus favorisés, peuvent, sans le moindre effort et sans aucune espèce de protection, braver la concurrence étrangère. C’en est assez déjà, à supposer même, ce que nous sommes loin d’admettre, que la guerre puisse jamais rompre entièrement nos relations avec le dehors, pour nous rassurer contre les éventualités que l’on redoute. N’y eût-il que ces deux groupes en France, il ne serait pas à craindre que le fer nous manquât jamais pour les besoins les plus urgens : ils ne sont pas, en effet, les derniers en importance, puisque le groupe des houillères du sud occupe même aujourd’hui le premier rang. Au reste, si ces deux foyers de production sont les seuls où l’emploi de la houille et du coke soit général, où la fonte et le fer se fabriquent exclusivement à l’aide de ce combustible, ils ne sont pas, à beaucoup près, les seuls où l’on s’en serve, et surtout où l’on puisse s’en servir avec avantage, si la nécessité le commandait.

Voici d’abord le groupe du centre, dont le siège principal est dans le département de la Nièvre, et qui s’étend de là sur les départemens de Saône-et-Loire, du Cher et de l’Allier. Outre qu’il renferme dans son propre sein plusieurs mines de houille qui ne sont pas des moins riches, celles du Creuzot, de Blanzy, Decize, Commentry, Doyet et Bezenet, etc., il est traversé en divers sens par de fort belles voies navigables, l’Allier, la Loire, les canaux du Centre, du Nivernais et du Berry, qui y font circuler à bas prix les houilles amenées des bassins de la Loire et de Brassac. Malgré ces avantages, l’usage du combustible minéral n’y est pas très étendu. A part les importantes usines du Creuzot et de Fourchambault et quelques autres moins considérables, la plupart des forges de cette contrée persistent à employer pour le traitement de la fonte et du ferle charbon de bois. Pourquoi cela ? il serait difficile de le dire. Le bois y est, à la vérité, assez abondant et moins cher qu’en Champagne ; les forêts y sont, en outre, généralement situées dans le voisinage des usines. Avec cela, le charbon de bois n’en revient pas moins à plus haut prix que la houille. Pourquoi donc persiste-t-on à s’en servir ? N’est-ce pas uniquement parce que la substitution de la houille au charbon de bois forcerait les maîtres de forges à apporter dans leurs procédés et dans leurs appareils des changemens qu’il leur répugne de faire ? Grace au privilège dont ils jouissent sur le marché français, ils se trouvent bien de l’état présent des choses ; à quoi bon s’enquérir du mieux ? Avec leurs procédés vieillis, ils ne laissent pas de réaliser de fort beaux bénéfices ; pourquoi se donneraient-ils la peine de les changer ? L’industriel ne s’ingénie d’ordinaire, il ne se met en frais de changemens et d’améliorations que lorsque l’aiguillon de la concurrence le presse, et ici cet aiguillon n’existe pas. Il y a même dans le monde industriel une sorte de sagesse proverbiale qui dit que, lorsqu’on est satisfait de son état présent, on doit se garder de le changer, fût-ce pour aspirer au mieux. Cette sagesse, les maîtres de forges du centre la pratiquent, autant peut-être par paresse que par raison. Ils dorment, ces heureux producteurs, sur l’oreiller de la protection, et la France paie les frais de leur sommeil. Quel que soit, au reste, le motif qui les détermine à s’en tenir à l’usage du charbon de bois, constatons seulement qu’il ne tient qu’à eux d’employer la houille, à des conditions généralement aussi favorables que partout ailleurs.

A d’autres égards, tout ce groupe n’est pas moins bien partagé que le précédent. Les gîtes de minerai y sont d’une grande richesse, situés à proximité des usines, et consistent en minières où l’extraction est très facile. Qu’on s’y serve de la houille ou du charbon de bois, ou bien. comme on le fait dans plusieurs usines, d’un mélange des deux combustibles, on y serait peu embarrassé, pour peu qu’on voulût perfectionner ses appareils et sa méthode de travail, de lutter à armes égales avec les producteurs étrangers.

Il en est à peu près de même dans le groupe de l’est, qui s’étend sur les départemens de la Côte-d’Or, du Jura, du Doubs, de la Haute-Saône, en se prolongeant sur les départemens des Vosges et du Haut-Rhin. Les houilles de la Loire, de Blanzy et d’Épinac y sont transportées sans peine et à des prix modérés, au moins dans une notable partie du groupe, par la Saône, le canal de Bourgogne et le canal du Rhône au Rhin. On ne s’y sert pourtant guère de ce combustible, si ce n’est pour les machines à vapeur. Pourquoi donc ne l’applique-t-on pas à la fabrication du fer, au moins dans les forges les plus rapprochées des mines ? Il paraît qu’on l’avait essayé, il y a quelques années, dans plusieurs usines ; mais on n’a pas persisté dans ces essais, peut-être incomplets. On trouvait que le fer du pays, qui jouit d’une belle réputation, d’ailleurs bien méritée, y perdait quelques-unes de ses qualités les plus précieuses, et on est promptement revenu au charbon de bois, de peur d’altérer le mérite de ce produit. A la bonne heure, s’il y a des avantages réels à employer de préférence le charbon de bois, soit parce qu’il n’en coûte pas davantage, soit parce que la qualité du fer en compense suffisamment dans ce cas le haut prix, on fera bien de persister dans cette pratique. Qu’il soit reconnu seulement que c’est là pour les maîtres de forges de cette contrée l’effet d’un choix délibéré, et nullement la conséquence d’une nécessité fâcheuse. Dès-lors, dans ce groupe, non plus que dans les précédens, on n’est autorisé à se prévaloir des prétendus inconvéniens de sa position pour réclamer l’appui du monopole.

Quoique les houilles, au moins celles qui sont de provenance française, soient plus rares dans les autres groupes métallurgiques, ou y circulent avec plus de peine, il en est peu qui en soient entièrement dépourvus, et nous pourrions citer encore ailleurs un certain nombre d’usines qui s’en servent. Sans nous arrêter toutefois à ces détails, voyons maintenant quelles ressources nous offre à cet égard l’importation étrangère, et ce que nous pourrions en attendre sous un régime plus libéral.

Dans le groupe du nord-est, qui s’étend, le long de notre frontière, sur les départemens des Ardennes, de la Meuse, de la Moselle et du Bas-Rhin, quoique l’usage du charbon de bois, assez abondant d’ailleurs dans la contrée, soit encore répandu dans un grand nombre d’usines, l’emploi de la houille y est aussi très fréquent, et il tend, depuis 1835, époque du remaniement de notre tarif sur ce produit, à se propager de plus en plus. Ce groupe, est-il dit dans le dernier Compte-rendu des ingénieurs des mines, « dispose pour ses approvisionnemens d’un ensemble remarquable de voies navigables. Il s’appuie par ses deux extrémités, d’une part à la Sambre canalisée, de l’autre au Rhin et aux canaux de l’Alsace. L’intervalle compris entre ces points extrêmes est coupé en trois portions à peu près égales par trois autres voies navigables : la Meuse, la Moselle, la Sarre, et son prolongement, le canal des salines de la Meurthe. Ces voies navigables communiquent elles-mêmes avec de riches bassins houillers situés à peu de distance des usines dans les régions contiguës au territoire français ; tels sont, surtout en Belgique, les bassins de Charleroi, de Namur et de Liège, ceux de Sarrebruck et de Saint-Imbert, dans les provinces du Rhin annexées à la Prusse et à la Bavière. Les usines appartenant au groupe du nord-est se trouvent donc placées dans des conditions très favorables pour employer les méthodes de travail fondées sur l’emploi du combustible minéral. » Nous aurions mauvaise grace à rien ajouter à ce tableau. Que si, malgré tant de conditions favorables, il est encore dans ce groupe un grand nombre d’usines, d’ailleurs bien situées, qui ne font pas usage du combustible minéral, répétons-le, il faut s’en prendre au monopole qui les dispense de suivre le progrès. Ajoutons pourtant que ces conditions pourraient s’améliorer encore, si le droit d’importation sur les houilles étrangères, qui, sur cette ligne de frontières, est de 10 ou 15 centimes selon les points d’importation, et du double pour le coke, était entièrement supprimé.

Que dirons-nous du groupe du nord-ouest, qui s’étend, assez près de nos côtes maritimes, sur une grande partie des anciennes provinces de Bretagne et de Normandie, depuis la Loire jusqu’à l’embouchure de la Seine ? C’est là que la funeste influence des droits établis sur les houilles étrangères se manifeste avec éclat. Malgré son immense étendue, ce groupe n’a qu’une importance médiocre. Il n’occupe que le septième rang pour le nombre des usines et pour la production du fer, le sixième pour la production de la fonte et le dixième seulement pour la production de l’acier. Outre que le minerai de fer y est moins abondant que dans plusieurs autres provinces de la France, il y est aussi en général d’assez médiocre qualité ; mais ce qui a nui surtout au développement des usines de cette contrée, c’est l’exagération des droits sur les houilles étrangères, qui, avant la réforme de 1834-36, étaient, dans cette région, de 1 franc, plus le décime, par quintal métrique, et qui sont encore aujourd’hui de 50 cent. en principal. Néanmoins la réduction de moitié opérée sur les anciens droits a produit de ce côté de très heureux fruits, qui peuvent faire juger de tous les avantages qu’on obtiendrait d’une suppression totale. Écoutons à ce sujet les auteurs du Compte-rendu de l’administration des mines. « Depuis 1835, disent-ils, le caractère de la fabrication s’est profondément modifié dans le groupe du nord-ouest ce sont surtout les houilles de la Grande-Bretagne qui y ont déterminé l’adoption des méthodes de fabrication fondées sur l’emploi exclusif ou partiel du combustible minéral… Les houilles provenant principalement des bassins houillers du sud du pays de Galles et de Newcastle sont maintenant usuellement employées pour la fabrication du fer dans les forges de Graville (Seine-Inférieure), de Pont-Audemer, de Vaugouins, de Dampierre et de Bérou (Eure et Eure-et-Loir), de Vaublanc (Côtes-du-Nord), de Paimpont (Ille-et-Vilaine), de la basse-Indre ; et de Moisdon (Loire-Inférieure) ; elles pénètrent même, par la Basse-Loire, jusqu’aux forges d’Aron, au centre du département de la Mayenne. » La consommation de la houille étrangère, qui n’était en 1835, dans toute l’étendue de ce groupe, que de 15,912 quintaux métriques, s’est élevée, en 1844, à 140,388 quintaux Croit-on, pour cela, que la consommation du charbon de bois ait décru ? Elle s’est élevée, au contraire, de 440,700 quintaux métriques en 1835, à 511,588 en 1844. C’est que la possibilité de mêler avec avantage les deux combustibles, ou de les alterner, a augmenté simultanément l’emploi de l’un et de l’autre. Le résultat de ce concours a été un accroissement notable de la production, qui s’est élevée, dans le même espace de temps, pour la fonte, de 208,037 quint. métriques à 291,061, et, pour le fer forgé, de 83,967 à 137,768.

C’est surtout aux usines qui emploient la houille pour l’affinage qu’est dû l’accroissement très notable de la production du fer forgé. On doit se rappeler pourtant que le dégrèvement opéré sur les houilles, en 1836, a coïncidé avec un dégrèvement pareil sur les fers, ce qui prouve de nouveau que l’abaissement du prix des matières premières fait plus que compenser pour l’industrie la diminution de la protection dont elle jouit. On comprend toutefois que le droit actuel, qui est encore très élevé, continue à peser sur cette production et la déprime. « Ce mouvement progressif des forges du nord-ouest, disent encore les auteurs du Compte-rendu, a été retardé par les droits de 0 fr. 55 cent[6], imposés, sur cette région du littoral, aux houilles importées de la Grande-Bretagne. » Que ce droit sur les houilles étrangères disparaisse, et les usines du nord-ouest recevront une impulsion nouvelle, plus sensible encore que la première, parce qu’avec la taxe disparaîtront les embarras des exercices et les difficultés de la perception. En outre, à mesure que la consommation s’étendra, le fret baissera dans la même proportion, comme il baisse toujours lorsque les arrivages sont plus fréquens. Ce qui contribuerait, au reste, encore plus que tout cela, à donner aux usines du nord-ouest une vie nouvelle, ce serait la suppression pareille du droit sur le coke. Nul doute, en effet, que l’importation de cette matière, presque nulle aujourd’hui, se régulariserait bientôt, et, comme elle pèse moins que la houille, on obtiendrait encore des économies notables, tant sur le transport par mer que sur le transport par terre, depuis le rivage, jusqu’aux usines. Sous l’influence de ces mesures, si bienfaisantes et si justes, qui pourraient être utilement secondées par quelques chemins de fer ou quelques voies navigables de très peu d’étendue, il ne faudrait pas désespérer de voir ce groupe du nord-ouest, si chétif avant 1835 et encore aujourd’hui si médiocre, prendre une importance proportionnée à sa grandeur. Par ce qu’on vient de voir, on peut juger que l’abaissement du droit sur les fers étrangers ne serait pas un obstacle à cet accroissement.

Encore un mot pour épuiser cette série. Le groupe du sud-ouest, situé dans les départemens des Landes et des Basses-Pyrénées, serait dans une position semblable à celle du précédent, puisqu’il longe aussi, à peu de distance, le rivage de la mer, s’il n’était si éloigné de l’Angleterre, d’où la houille provient, et s’il avait d’autres points de débarquement que le port de Bayonne ; mais, quoique le droit d’importation ne soit, sur cette partie du littoral, que de 30 cent. au lieu de 50 le quintal métrique, l’accroissement des frais de transport fait plus que compenser la différence. Aussi l’emploi de la houille, essayé en 1835, a-t-il été abandonné dans cette région, où d’ailleurs le bois abonde. Ce qu’il faudrait au groupe du sud-ouest, c’est que les riches houillères qui dorment encore inexploitées sur la côte des Asturies fussent mises sérieusement en valeur. Nul doute que la France ne puisse hâter et favoriser l’exploitation de ces mines, en donnant un accès plus facile à leurs produits.

Qui ne voit maintenant que ces plaintes éternelles sur l’insuffisance ou la cherté du combustible minéral réclamé par nos forges sont tout au moins exagérées ? Ici ce combustible abonde sur place, ou il circule de toutes parts à l’aide de belles voies navigables, et on l’emploie généralement aux mêmes conditions que dans les pays les plus favorisés. Là, l’étranger nous l’offre à des conditions douces et faciles, et s’il est cher, ou s’il nous manque, c’est que nous nous obstinons, par une inexplicable inconséquence, à le repousser par la rigueur de nos tarifs. Ailleurs enfin, nous ne le payons à très haut prix que parce que nous n’avons rien fait jusqu’à présent pour en, favoriser le transport dans le pays. Au reste, cette observation s’applique surtout au groupe de la Champagne, qu’on, nous permettra de réserver pour le dernier. Quand le pays n’aurait pas d’autres ressources que celles dont nous venons de dérouler le tableau, il ne faudrait pas dire que l’industrie du fer soit exposée à périr, ni même à déchoir en France. Nous avons là des sources précieuses, assurées, inattaquables, et que la concurrence étrangère ne tarira jamais. Loin de là, elles ne feraient que s’ouvrir avec plus d’abondance sous un régime plus libéral, ainsi que l’expérience l’a bien prouvé, car enfin la réduction déjà notable qui fut opérée en 1836 n’est-elle pas un retour, au moins partiel, vers un régime de liberté ? Et si ce retour, comme les chiffres mêmes l’attestent, n’a fait que donner à l’ensemble de notre industrie métallurgique une impulsion plus vigoureuse, n’est-il pas naturel de croire qu’un nouveau progrès dans la même voie produirait les mêmes effets ? L’expérience ! l’expérience ! répètent sans cesse les partisans du monopole. Oh ! s’ils voulaient réellement écouter et suivre les conseils de l’expérience, la question qui nous occupe serait bientôt résolue ; mais ils s’en gardent bien. Ce qu’ils écoutent, ce sont leurs préjugés aveugles et les suggestions, trop souvent trompeuses, de leur intérêt privé. Quant à l’expérience, ils trouvent bien plus commode de l’invoquer que de la consulter.


II.

Quoique l’on rencontre encore çà et là, dans quelques autres groupes de forges, des usines qui font usage de la houille, ou seule, ou mélangée de charbon de bois, ce combustible n’y est plus guère employé que par exception et généralement à des prix fort élevés, tant parce qu’il manque dans le pays que parce que les arrivages du dehors sont difficiles. Il y a même quelques groupes où il faut presque désespérer de voir jamais ce combustible employé d’une manière avantageuse et générale. Est-ce à dire que les usines de ces contrées doivent périr ? Tout le travail au, bois est-il destiné à disparaître ? Ces anciennes exploitations, qui ont si long-temps fleuri, seront-elles condamnées sans retour ? Quelques hommes très éclairés le pensent. Ainsi, M. Ch. Collignon, dans l’ouvrage que nous avons déjà cité[7], déclare hautement que, si les houilles de Sarrebruck ne leur viennent bientôt en aide, c’en est fait de toutes les forges de l’est. Quelque juste considération que nous ayons pour l’opinion de cet homme distingué, si versé d’ailleurs dans la connaissance des choses dont il parle, nous sommes loin d’accepter d’une manière générale un jugement si sévère, qui nous paraît du moins sujet à bien des restrictions.

Qu’on ne pense pas que nous voulions ici faire de l’optimisme à tout prix, uniquement afin de prouver que le retour à la liberté des échanges ne causerait dans le pays aucun trouble, aucune perturbation fâcheuse. S’il nous apparaissait, après un examen sérieux, que l’application du principe de liberté dût être fatale à un certain nombre de nos forges, à toutes celles même qui sont réduites à travailler le fer au charbon de bois, nous le dirions sans détour, parce qu’une telle vérité, si importune qu’elle pût être, n’altérerait en rien nos conclusions. Il ne serait assurément ni raisonnable, ni juste de prétendre que, pour assurer l’existence de quelques établissemens particuliers, placés dans de mauvaises conditions de production, et par là relativement stériles, la France dût sacrifier tant d’industries vitales, dont le fer est l’aliment ou le soutien. Nous dirions : C’est un malheur, mais qu’y faire ? Que ces établissemens périssent, puisque les conditions de vie leur échappent ainsi le veut non-seulement l’intérêt général, mais encore, ce qui est plus grave à nos yeux, le droit général, qui ne saurait être éternellement immolé au profit de quelques intérêts privés. Et pourquoi reculerions-nous devant cette conclusion par rapport à un certain nombre de nos usines à fer, lorsque des hommes qui ont voué leur vie entière à la défense du système protecteur n’ont pas hésité à l’admettre dans un avenir plus ou moins éloigné, et pour certaines éventualités possibles, par rapport à l’industrie du fer en général ? Écoutez ce qu’écrivait à cet égard, en 1829, un homme dont l’autorité est respectable même pour nous qui n’adoptons pas ses doctrines, à plus forte raison pour les partisans du système restrictif. « S’il était prouvé, disait M. Ferrier, que jamais la France ne produira de bon fer, ou que par la rareté du minerai, que par l’absence de houillères assez riches, ou convenablement situées, il fallût se résoudre à conserver cent ans un droit prohibitif qui, en définitive, n’aurait que faiblement agi sur les prix, ce n’est pas moi qui conseillerais de le maintenir[8]. » La question de temps, on le conçoit, ne fait rien à l’affaire, et s’il nous était prouvé, à nous, qu’un certain nombre de nos forges fussent dans une condition d’infériorité irrémédiable, nous serions autorisé, par ces paroles mêmes, à les condamner dès aujourd’hui. Après tout, si les fers traités à la houille devaient inévitablement chasser du marché les fers traités au bois, ce malheur, si c’en est un, se réaliserait toujours tôt ou tard par le seul effet de la concurrence intérieure, et la concurrence étrangère ne ferait en cela que hâter le moment fatal. Si nous n’adoptons pas cette hypothèse, ce n’est donc pas, comme on pourrait le croire, pour écarter une épine qui nous blesse, c’est parce que tout nous démontre qu’elle n’a pas de fondement dans la réalité.

Deux circonstances surtout ont contribué à propager cette erreur. La première, c’est que les deux pays de l’Europe qui se distinguent par le bon marché de leurs fers, l’Angleterre et la Belgique, sont aussi les seuls où ce métal se fabrique exclusivement à la houille, d’où l’on a conclu que l’emploi de la houille était en cela, et partout, la condition nécessaire du bon marché. On n’a pas assez remarqué que ces deux pays sont aussi les seuls où l’importation étrangère soit libre, où l’on soit affranchi par conséquent du monopole des producteurs[9]. Sans nier la grande utilité du combustible minéral dans la fabrication de la fonte et du fer, et l’heureuse influence qu’il peut exercer sur les prix, nous croyons plus encore, s’il faut le dire, à l’influence du monopole d’une part, de la liberté de l’autre ; et ce qui prouve la réalité de cette influence, c’est que, parmi les producteurs français, ceux qui traitent le fer à la houille aux mêmes conditions qu’on le fait à l’étranger, et ils sont, comme on vient de le voir, en grand nombre, n’ont pas une supériorité bien décidée sur ceux qui le travaillent au bois. La seconde circonstance sur laquelle cette erreur se fonde, c’est que, lorsqu’on parle de l’industrie du fer en France, c’est presque toujours la Champagne seule qu’on a en vue. On ne prend pas garde que les usines de cette contrée sont vraiment placées dans des conditions exceptionnelles, en ce que le nombre même de ces usines et l’extrême abondance du minerai de fer dans toute l’étendue du groupe y rendent plus particulièrement qu’ailleurs la production du bois insuffisante pour les besoins.

Entrons au cœur de la question, et considérons franchement, sans prévention comme sans détour, la vérité des faits.

Le charbon de bois est aujourd’hui, surtout en France où le prix s’en est considérablement élevé depuis trente ans, beaucoup plus cher que la houille à poids égal ; mais d’abord le prix actuel est-il le prix normal, et ne serait-il pas susceptible de baisser sous un régime de liberté ? Il baisserait sans aucun doute, et d’une manière sensible. Hâtons-nous de dire toutefois que ce résultat ne serait pas obtenu par le seul effet de la réduction des droits sur le fer. On a trop dit et répété que le renchérissement des bois en France était une conséquence certaine, bien qu’éloignée, du monopole des maîtres de forges. Quoique cette assertion, ordinairement émise par ceux qui défendent nos principes, soit en somme très favorable à notre cause, nous ne l’acceptons pas, parce qu’elle ne nous parait pas juste et que nous ne croyons pas devoir défendre une bonne cause par de mauvaises raisons. Il était, du reste, facile de s’y tromper, car les deux faits coïncident par leur date, puisque c’est en effet depuis que le monopole du fer existe que le prix du bois s’est élevé. Il n’en est pas moins vrai qu’il faut chercher ailleurs la cause de ce renchérissement. Les bois ont suivi en France, depuis trente ans, le mouvement de hausse qui a affecté d’une manière générale tous les produits du sol, ni plus ni moins, excepté en Champagne, où ils sont arrivés souvent, par suite de la concurrence trop ardente des maîtres de forges, à des prix exceptionnels. Ce qui le prouve, c’est que le produit des plantations, dans les localités où le bois est employé à la fabrication du fer, n’excède pas celui des autres cultures, et que les propriétaires n’y ont aucun avantage à posséder des plantations plutôt que des terres à labour. Ces prix ne sont pas naturels ; ils sont exagérés, forcés ; mais ce n’est pas le monopole de l’industrie du fer qui en est cause : c’est un autre monopole, celui qu’on a créé, vers le même temps, au profit des propriétaires du sol. On voit qu’ici le sujet se complique. Les deux questions, celle de l’agriculture et celle des mines, se touchent ; aussi, pour arriver à une solution satisfaisante et complète de l’une et de l’autre, faudrait-il les aborder en même temps. Ainsi se justifie de nouveau ce que nous avons dit en commençant, que tout se tient en industrie, et que, pour réformer sans effort et sans trouble notre régime présent, il ne faut pas procéder à cette réforme par actes successifs, mais la pousser à la fois, bien que graduellement, sur plusieurs lignes parallèles.

En supposant même que le prix du bois eût baissé, ensuite de la réduction des droits sur les produits agricoles, il ne descendrait jamais, nous le savons, au niveau du prix de la houille, au moins dans les lieux où ce combustible abonde ; mais il faut dire aussi que, dans la fabrication du fer, l’efficacité du charbon de bois est plus grande, qu’il en faut une moindre quantité en poids pour obtenir un effet égal. Si nous prenions à cet égard pour points de comparaison le travail au bois des forges de la Champagne et le travail à la houille des forges du nord, nous trouverions des différences surprenantes. Ainsi, dans un grand nombre de ces dernières, et notamment à Anzin, on a souvent consommé 330[10] kilogrammes de combustible pour produire 100 kilogrammes de fer, tandis que, dans les forges de la Champagne, on n’en consomme en général que 124 kilogrammes pour obtenir un résultat égal. Il s’en faut de beaucoup, il est vrai, que cette extrême inégalité dans les consommations dérive uniquement de la différence des combustibles employés ; il faut faire une large part d’abord à l’imperfection du travail dans les forges du nord, puis à la qualité inférieure des fontes qu’elles emploient ; il est incontestable pourtant que dans la fabrication du fer, toutes choses égales d’ailleurs, 100 kilogrammes de charbon de bois produiront plus d’effet utile que 100 kilogrammes de houille.

C’est surtout dans la production de la fonte que le charbon de bois offre d’incontestables avantages. La fonte qui en provient est plus douce, plus pure, plus maniable, meilleure enfin, et, comme elle se travaille plus facilement que celle qui a été produite à l’aide du combustible minéral, elle permet d’obtenir une économie assez notable dans les travaux subséquens. On sait, du reste, qu’elle vaut ordinairement sur le marché 2 ou 3 francs de plus au quintal métrique. À ce point de vue, les forges travaillant au bois ne seraient pas aussi menacées qu’on le suppose. Elles pourraient surtout conserver une partie fort importante de leur travail actuel, la production de la fonte, en laissant aux usines mieux situées pour l’emploi de la houille le soin de convertir cette fonte en fer. A tout événement, elles conserveraient du moins quelques spécialités qui ne sont pas sans importance, par exemple, la production de l’acier naturel, pour lequel l’emploi du charbon de bois est rigoureusement nécessaire, et de certaines qualités de fers, douées de propriétés particulières, que l’emploi de la houille altérerait. Il n’est pas à craindre, par exemple, que le groupe de l’Indre, où le combustible minéral est à peu près inconnu, et où il est permis de croire qu’il sera toujours rare et cher, ne perde pour cela le précieux privilège de fournir au commerce les belles qualités de fers si avantageusement connus sous le nom de fers du Berry. Le groupe du sud-est (Isère) ne renoncera pas non plus à la production de l’acier naturel, qui constitue dès à présent une des principales branches de sa fabrication[11]. Il faut remarquer, en effet, que l’Angleterre, où l’usage de la houille est général dans les forges, ne produit point d’acier naturel et ne produit même en fers que les qualités communes, ce qui l’oblige à demander les autres aux pays étrangers. Qui empêcherait nos forges au bois de se substituer en cela, du moins en partie, à celles de la Suède et de l’Autriche, sur lesquelles elles n’auraient pas de peine à conquérir, si elles le voulaient bien, l’avantage de la supériorité du travail, de manière à compenser la différence du prix du combustible ?

Ce serait d’ailleurs une grave erreur de croire qu’il est absolument nécessaire, pour que des forges subsistent face à face et se fassent concurrence les unes aux autres, qu’elles se trouvent dans des conditions de production parfaitement égales. S’il en était ainsi, la plus grande partie de celles qui existent en France aurait déjà succombé. La supériorité des unes sur les autres constitue seulement pour elles un avantage relatif, qui leur permet de réaliser de plus amples bénéfices, sans nuire en rien à l’existence simultanée de leurs rivales, à moins que la production totale ne soit réellement supérieure aux besoins. La différence de leurs profits n’aboutit même en général qu’à augmenter la rente du fonds. Il en est de cela comme des exploitations rurales, entre lesquelles on remarque des différences si frappantes quant au degré de fertilité du sol. Voit-on par hasard qu’en agriculture les terres médiocres soient incapables de soutenir la concurrence des terres plus fertiles qui les avoisinent ? Non ; pour peu qu’elles soient susceptibles de culture, et d’ailleurs convenablement situées, toutes les terres produisent à peu près aux mêmes conditions, en ce sens du moins que les denrées qui en proviennent sont vendues aux mêmes prix dans les mêmes lieux. L’unique différence qu’on y remarque, c’est que les meilleures ou les mieux situées rapportent à leurs propriétaires une rente plus forte. Il en serait de même quant aux forges inégalement partagées par rapport à l’emploi, soit du combustible, soit du minerai ; le fonds en acquerrait une valeur plus ou moins grande, et voilà tout. Quelques-unes seulement, placées dans des conditions tout-à-fait défavorables, succomberaient, et pour celles-là, quoi qu’on résolve et quoi qu’on fasse, leur destinée est écrite, elles n’y échapperont pas.

Le grand malheur des usines qui font usage du bois, ce qui est leur tort irrémédiable, ce qui les condamne à une infériorité perpétuelle et sans aucun espoir de changement, c’est qu’elles ne sont pas susceptibles d’étendre leur fabrication à volonté. La production y est fatalement bornée par l’étendue et la richesse des forêts qui en occupent le voisinage. Or, ces forêts restent et resteront ce qu’elles sont, si même elles ne tendent pas à décroître, à mesure que l’accroissement de la population rendra la culture du sol de plus en plus nécessaire. Ordinairement aménagées pour un certain nombre d’années, par exemple vingt ans, ces forêts donnent tous les ans les mêmes coupes et livrent par conséquent aux forges des quantités invariables de bois carbonisé. Voulût-on, dans l’intérêt de l’industrie dut fer, augmenter la production du bois par de nouvelles plantations, on n’y parviendrait toujours qu’après un certain nombre d’années, et, outre le déficit qui pourrait en résulter dans la production d’autres denrées nécessaires, cette ressource ne répondrait jamais à des besoins présens. De là, pour ces forges, une impossibilité absolue, radicale, de suivre pas à pas le progrès de la consommation ou des besoins. Il n’en est pas de même pour celles qui emploient le combustible minéral. Pour peu que les mines d’où elles le tirent soient fécondes, et que le minerai de fer ne leur manque pas, rien ne les arrête dans leur essor ; elles peuvent toujours, quand elles le veulent, répondre sans trop de peine aux besoins présens et aspirer dans l’avenir à un accroissement indéfini. Aussi voyons-nous que la fabrication au charbon de bois est demeurée depuis dix ans à peu près stationnaire en France, tandis que la fabrication à la houille ou au coke a doublé pour le fer, et triplé pour la fonte dans le même espace de temps[12].

Il résulte de là, pour la fabrication au charbon de bois, deux inconvéniens bien graves, l’un particulier, l’autre général. Le premier est que les usines qui font usage de ce combustible, bornées comme elles le sont dans leur production, ne peuvent jamais s’établir sur une large échelle, ni profiter par conséquent des économies et des avantages divers qui ressortent parfois d’un travail exécuté en grand. Elles ne peuvent que rarement adopter ces méthodes de travail perfectionnées, qui tendent surtout à faire obtenir une plus grande abondance de produits dans un temps donné et avec les mêmes moyens. C’est là peut-être aujourd’hui la plus grave de leurs infirmités. L’autre inconvénient, d’un effet plus général et d’une considération plus haute, c’est que la fabrication par le combustible végétal, ne pouvant pas, comme l’autre, répondre aux besoins croissans de l’industrie, mettrait, si elle existait seule, un obstacle invincible au progrès. Forcément stationnaire, elle tiendrait l’industrie enchaînée avec elle dans les liens du présent, sans lui permettre, au moins dans certaines directions, aucun accroissement. Aussi est-il vrai que la fabrication du fer par le combustible minéral est en cela la providence du monde civilisé : c’est sur elle que repose tout l’espoir de l’industrie dans l’avenir.

Pour le dire en passant, quoique cette vérité ne soit pas assurément ignorée, on n’y a peut-être pas donné toute l’attention qu’elle mérite. Parmi les causes qui ont le plus contribué à l’extraordinaire accroissement de l’industrie moderne, on vante surtout l’invention de la vapeur, et ce n’est pas sans raison ; on cite encore les merveilleuses machines qui ont porté si haut l’industrie des tissus, et, par-dessus tout, les chemins de fer : on oublie en général cette invention modeste, mais si féconde, qui consiste dans l’application du combustible minéral à la fabrication du fer. Sans cette invention pourtant, que devenaient et les machines à vapeur, et les chemins de fer, et cette innombrable légion de machines qui peuplent nos ateliers, en ajoutant une si grande somme de puissance à la puissance productive de l’homme ? Où en serait l’Angleterre, et, que seraient devenues toutes ces conquêtes industrielles dont elle a, depuis cinquante ans, étonné et enrichi le monde, si elle était demeurée réduite, pour la fabrication du fer, à ses anciens moyens ? Il faut voir ce qu’elle était avant cette humble découverte, qui ne date guère que de la fin du dernier siècle. La production du fer ne suffisait pas même alors à ses besoins présens, bien plus bornés qu’ils ne le sont aujourd’hui. On peut lire, dans les écrits qui datent du milieu de ce siècle, les plaintes qui s’exhalaient de toutes parts sur l’insuffisance notoire de cette production et sur l’épuisement graduel des bois, qui faisait entrevoir dans l’avenir une insuffisance encore plus grande. On faisait appel aux industriels, aux savans, en les invitant à résoudre à tout prix ce grand problème, qui paraît aujourd’hui si simple. Les sociétés savantes proposaient des prix pour cet objet ; le gouvernement même était prié d’intervenir. Ce problème résolu, l’Angleterre fut sauvée elle prit le haut bout dans le mouvement industriel du monde, et chez elle la grande industrie naquit. Alors aussi vinrent les machines à vapeur, les machines à tissus, les chemins de fer et le reste.

C’est à ce point de vue surtout que la fabrication du fer au charbon de bois cède hautement le pas à la fabrication à la houille. Est-ce à dire qu’elle doit disparaître aussitôt que cette dernière vient à s’implanter sur le sol ? Cela peut être vrai en Angleterre, où les bois, devenus chaque jour plus rares, ont presque entièrement disparu ; mais cela n’est pas également vrai en France, où, Dieu merci ! il reste encore d’assez notables parties de forêts à exploiter. Outre l’extrême rareté du bois en Angleterre, qui devait nécessairement restreindre et faire abandonner peu à peu la fabrication du fer par ce moyen, il y avait là une autre cause de cet abandon : c’était l’excessive cherté de tous les produits agricoles, déterminée par les lois restrictives sur ces denrées, et à laquelle le bois participait. Si cette cherté se remarque également en France depuis trente ans, elle y est pourtant bien moins sensible qu’elle ne l’était encore récemment en Angleterre, et elle pourrait, comme nous l’avons déjà dit, s’atténuer encore beaucoup sous un régime plus libéral.

Dès-lors, nulle raison pour que, dans notre pays, la fabrication au bois disparaisse, au moins de long-temps. Seulement nous croyons qu’il est nécessaire qu’elle se transforme. Une révolution doit s’y faire, révolution que la force des choses amène et qui déjà commence à se manifester. C’est que les usines réduites à travailler exclusivement au charbon de bois, en conservant toutefois quelques-unes des spécialités dont nous parlions tout à l’heure, se contenteront en général de produire la fonte, genre de travail qui est plus particulièrement leur apanage, et qu’elles laisseront aux autres le soin de convertir cette fonte en fer. Par là elles parviendront à utiliser, bien mieux qu’elles ne le font aujourd’hui, toutes les ressources qu’elles possèdent en minerai de fer dans les localités qu’elles occupent. En renonçant à achever le travail de la fabrication, elles pourront l’étendre davantage et parviendront à mettre dans la circulation, avec une masse de combustible égale, une bien plus grande somme de produits. Elles profiteront en cela, et le pays profitera avec elles, du véritable avantage qui résulte de leur genre de travail, la qualité supérieure des fontes, avantage qu’on ne peut guère leur contester. Au reste, cette révolution que nous annonçons ici dans l’avenir n’est déjà plus tout-à-fait hypothétique ; elle est commencée dès à présent, et, quand on examine de près ce qui se passe, on yen aperçoit déjà clairement les premiers symptômes. Cette transformation si désirable ne marche toutefois aujourd’hui qu’à pas lents. Une réduction notable sur les droits qui frappent les fers étrangers pourrait donner à cet égard une impulsion salutaire, et ce ne serait pas le moindre service qu’elle nous aurait rendu.

Ce n’est pas ainsi toutefois que les choses se passeront, selon toute apparence, dans le groupe de la Champagne, dont il nous reste à dire quelques mots.

Rien n’égale la richesse minéralogique de cette contrée : elle présente le terrain le plus fertile en minerai de fer qu’on puisse rencontrer dans toute l’Europe. Les minières, qui s’y pressent en quelque sorte les unes sur les autres, sont en général très abondantes, et le minerai qu’on en retire au moyen d’un travail facile exécuté à ciel ouvert y est presque partout de très bonne qualité. Ce groupe réunit en outre dans son sein un ensemble remarquable de conditions naturelles très favorables à l’exploitation. Tout le pays est sillonné de cours d’eau qui sont pour la plupart des affluens de la Marne et qui offrent toutes les facilités désirables pour le lavage du minerai. C’est sur ces cours d’eau que les usines sont assises, et, quoiqu’elles s’y touchent en quelque sorte, elles y trouvent sans exception de belles chutes qui leur procurent des moteurs à bon marché, moteurs peu puissans, il est vrai, mais réguliers, et dont la force effective serait facilement augmentée par un meilleur système de roues hydrauliques. Enfin la castine, condiment nécessaire dans le travail de la fonte, et qui entre ordinairement pour un quart dans la charge totale des hauts-fourneaux, se trouve en abondance dans le lit même des ruisseaux qui traversent les usines, et on l’y ramasse avec si peu de peine et de frais, qu’on ne fait pas même figurer cette dépense dans le prix de revient des produits.

Ces conditions si favorables sont malheureusement gâtées, dans le département de la Haute-Marne, siège principal du groupe, par l’excessive cherté du combustible ; c’est là que s’applique avec vérité, et dans toute sa force, ce qu’on dit souvent, avec assez peu de raison, de la métallurgie française en général. Le charbon de bois y coûte, terme moyen, rendu à l’usine, de 8 à 9 francs les 100 kilogrammes. C’est à peu près le double de ce qu’il coûte dans la plupart des cantons boisés de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle, des Vosges et du Bas-Rhin[13]. Encore ce prix, qu’on peut considérer comme normal, est-il bien souvent excédé quand il arrive que, lors des adjudications annuelles des coupes, les maîtres de forges, pressés par les demandes du commerce, se font une concurrence plus vive. Ce n’est pas que le bois manque dans cette région, les forêts y abondent au contraire ; mais telle est la richesse minéralogique de la contrée, tel est le nombre des usines qui s’y pressent[14], que ces forêts, malgré leur abondance, ne peuvent suffire à tous les besoins. Aussi arrive-t-il presque tous les ans que plusieurs usines sont forcées de se mettre en chômage, faute d’avoir pu trouver le combustible nécessaire pour leur travail.

Cette extrême cherté du combustible végétal explique, ce qui sans cela paraîtrait inexplicable, comment le groupe de Champagne est l’un des premiers qui aient adopté, sur le continent de l’Europe, l’emploi du combustible minéral, au moins pour la conversion de la fonte en fer forgé. Cependant la houille y est relativement tout aussi chère que le charbon de bois. La plus grande partie de celle qu’on y consomme est tirée des mines de Sarrebruck, en Prusse, d’où elle est amenée jusqu’à présent par charretage à une distance de quarante lieues. Malgré le bas prix de cette houille sur le carreau des mines, et quoiqu’elle ne soit encore que de médiocre qualité, maigre et toute composée de menu, elle coûte en moyenne, rendue dans les usines, 5 fr. 50 cent. et 6 fr. les 100 kilogrammes. C’est cinq fois plus que le même combustible ne coûte dans le groupe des houillères du nord, et sept ou huit fois plus que dans le groupe des houillères du sud. Ces houilles de Sarrebruck ne servent guère pourtant que dans une des opérations des forges, le puddlage ; pour les chaufferies, on est obligé d’avoir recours aux houilles de Saint-Étienne, qui, venues par eau jusqu’à Gray, sont de là transportées également par charretage jusqu’aux usines, où elles reviennent, en moyenne, à 6 fr. 50 cent. ou 7 fr. les 100 kilogrammes.

« C’est avec de telles difficultés, dit M. Rigaud de la Ferrage dans l’important mémoire que nous avons déjà cité, que, grace au peu de frais des autres parties de la fabrication (et il faut ajouter : grace à l’économie que les maîtres de forges de cette contrée ont su apporter dans l’emploi du combustible), les fers de Champagne repoussent, par leur prix, sur les marchés, les fers laminés des pays houillers. Lorsque les nouvelles voies de communication seront terminées, et que, par leur moyen, les houilles pourront venir aisément dans ces départemens, elles s’y trouveront réduites à 25 fr. les 1,000 kilogrammes. Ce sera un changement suffisant pour que nulle forge de ce pays ne craigne plus alors qu’on lève toute prohibition et tous droits sur les fers étrangers[15]. »

Tel est le groupe de forges qu’on a presque toujours en vue quand on raisonne d’une manière générale sur notre industrie métallurgique. On voit pourtant que les usines qui le composent sont placées, quant à présent, dans des conditions tout-à-fait exceptionnelles. Il n’est pas étonnant, il est vrai, que les regards du public se soient tournés plus souvent de ce côté que de tout autre, car ce groupe a conservé pendant long-temps, en France, une importance hors ligne. Il y a tenu jusqu’à ces dernières années, à tous égards, le premier rang. S’il l’a cédé, depuis peu, quant à la production de la fonte et du fer, au groupe des houillères du sud, il le tient encore pour le nombre des usines, et il le tiendra toujours pour l’abondance du minerai. Il est même permis de croire que, lorsque les voies de communication actuellement projetées ou en cours d’exécution seront terminées, ce groupe recouvrera sans trop de peine, et sur tous les points, la primauté qu’il a perdue. Nous croyons toutefois que jamais le travail ne s’exécutera dans la Haute-Marne de la même manière que dans les pays houillers. Il est probable que l’on continuera à s’y servir du charbon de bois pour la production de la fonte, en réservant la houille pour opérer la conversion de cette fonte en fer. Par là on conservera aux fers du pays les qualités qui les distinguent, et en même temps l’économie très notable qu’on obtiendra dans l’emploi du combustible végétal permettra d’en modérer le prix.

Les voies de communication qui, dans un avenir prochain, desserviront ce groupe sont : 1° le canal de la Marne au Rhin, lequel, prolongé par le canal dit des houillères, y apportera les houilles de Sarrebruck ; 2° le chemin de fer de Paris à Strasbourg, qui rendra à peu près les mêmes services ; 3° le canal de l’Aisne à la Marne, par où seront transportées jusqu’à Vitry les houilles de Mons et de Charleroi, qui n’ont pas encore paru dans ces contrées ; 4° le chemin de fer de Saint-Dizier à Gray, qui apportera au cœur même du groupe, qu’il traversera dans toute son étendue, les houilles de Saint-Étienne. Quand ces travaux seront terminés, et quelques-uns touchent à leur terme, la houille de Sarrebruck ne reviendra, selon M. Ch. Collignon[16], rendue à Vitry, qu’à 2 fr. 30 cent. les 100 kilogrammes, et la houille belge à 2 fr. 50 cent., sur le même lieu. Quant à la houille de Saint-Étienne, elle y sera toujours un peu plus chère, et ce n’est guère que dans la partie méridionale du groupe, ou dans le centre, qu’elle pourra soutenir la concurrence des autres.

Si quelque chose doit étonner, c’est que des travaux de communication si importans, si nécessaires, qui pouvaient épargner à la France de si énormes sacrifices, ne soient pas achevés depuis long-temps ; qu’on ait tant de fois gémi sur l’infériorité plus ou moins réelle de notre industrie métallurgique, sans rien faire pour la relever de son abaissement ; qu’on ait pu surtout négliger à ce point, durant une paix si longue, ce groupe de Champagne, le plus considérable de tous, dans lequel on semblait même résumer l’industrie entière, et sur lequel on avait incessamment les yeux ouverts. D’où vient cela, sinon de ce que jusqu’à présent, pour les producteurs, la protection douanière a tenu lieu de tout ? Oh ! qu’il en eût été autrement si, après la paix, en 1814, on eût laissé les choses suivre leur cours. À cette époque, la fabrication du fer par la houille était encore dans son enfance en Angleterre ; du moins est-il vrai qu’il lui restait bien du chemin à faire pour arriver au point où nous la voyons aujourd’hui. Si la concurrence était demeurée libre d’un pays à l’autre, elle n’aurait pas agi dès l’abord avec une force irrésistible, et pourtant les producteurs français en auraient senti peu à peu l’aiguillon, comme il arriva de leurs voisins belges. C’est alors que de la Champagne et d’ailleurs se seraient élevées des voix puissantes, unanimes, qui auraient réclamé, à défaut d’une protection qu’on ne leur devait pas, ces voies de communication fécondes. Certes, ni le gouvernement, ni les chambres, n’auraient résisté long-temps à des réclamations si justes. Au lieu de cela, on aima mieux jeter tout d’un coup sur l’importation étrangère un brutal interdit. Ce n’était pas résoudre la question, ce n’était pas même la trancher ; c’était prononcer tout simplement un ajournement ruineux pour le pays. Par là nos maîtres de forges, ne se sentant plus ni aiguillonnés, ni pressés, s’oublièrent eux-mêmes, ou, s’ils s’occupèrent de solliciter le pouvoir, ce ne fut plus pour en obtenir l’exécution de ces travaux utiles, mais bien plutôt pour maintenir, contre les justes plaintes du pays, le monopole qu’on leur avait imprudemment concédé. Dès-lors aussi, le gouvernement, les chambres, le public, mal avertis par les intéressés les plus directs, s’endormirent dans une sécurité fatale. Voilà comment tant d’années ont été perdues et tant de millions sacrifiés sans fruit. Voilà comment, par rapport à la Champagne, la question n’est guère aujourd’hui plus avancée qu’au premier jour.

Quoi qu’il en soit, si les forges de cette contrée sont encore dans une situation relativement désavantageuse, il n’en est pas de même de la plupart des autres, et, si l’on avait fait ailleurs seulement la moitié des efforts qu’on a dû faire en Champagne pour économiser le combustible et perfectionner les méthodes de travail, on n’aurait dès à présent rien à craindre de la concurrence du dehors.


III.

Comment se fait-il maintenant que tant d’établissemens si bien situés, qui n’ont absolument rien à envier, quant à l’emploi du combustible et du minerai, aux forges étrangères (et on a vu que la France en compte un très grand nombre dans ce cas), persistent à vendre leurs fers à des prix incomparablement plus élevés ? Ce phénomène s’explique par un seul mot, le monopole. Les partisans des restrictions refusent en général de reconnaître la funeste influence de ce principe. Rien n’est pourtant mieux attesté par l’histoire. Partout où le monopole a existé, on a vu les prix se maintenir, en dépit de toutes les circonstances favorables, sans que le progrès même y pût rien. Tous les faits présens et passés confirment cette donnée ; il n’y a point de vérité mieux établie. Malheureusement la force de cette vérité est trop souvent affaiblie, il faut le reconnaître, par l’abus qu’en font certains amis de la liberté commerciale. En appliquant mal à propos à toutes les industries protégées ce qui n’est rigoureusement vrai que de celles qui s’attachent à la terre, ils se jettent dans le faux et fournissent ainsi à leurs adversaires une réponse toute prête. Objecte-t-on à ces derniers que les lois prohibitives, en constituant le monopole au profit des producteurs indigènes, empêchent la baisse des prix, ils signalent aussitôt la baisse extraordinaire opérée depuis trente ans, en dépit même des prohibitions les plus absolues, sur tous les articles manufacturés. La réponse est juste, et sur ce terrain ils ont raison. C’est qu’en effet, quoi qu’on en dise, il n’y a point de monopole pour les manufactures, parce que, le nombre des établissemens étant illimité, indéfini, la concurrence intérieure suffit toujours, quand les circonstances sont d’ailleurs favorables, pour modérer les prix. Aussi, dans la grande lutte actuellement engagée sur la question du libre échange, si quelques-uns de ceux qui défendent les droits protecteurs peuvent être considérés comme des calculateurs égoïstes, la plupart des industriels qui suivent la même bannière, les manufacturiers, les fabricans, les mécaniciens, les armateurs, tous ceux enfin qui sont exposés à l’intérieur à une concurrence indéfinie, sont tout simplement des dupes. Mais l’existence du monopole n’est que trop réelle par rapport aux industries qui s’attachent à la terre, c’est-à-dire pour l’agriculture et pour l’exploitation des mines, parce qu’ici le nombre des établissemens est, par la nature des choses, limité et défini. C’est donc sur les produits de l’agriculture et des mines que l’influence du monopole se fait sentir. C’est dans ces deux directions que nous voudrions voir les protectionistes nous signaler une baisse quelconque obtenue par le seul progrès du temps. Qu’ils nous montrent un seul produit agricole dont le prix ne se soit pas maintenu ou même élevé, en France, depuis l’établissement des lois restrictives. S’ils peuvent mentionner une baisse réelle, assez faible d’ailleurs, sur les prix des fers et des houilles, qui ne sait que cette baisse est due uniquement à la réduction des droits effectuée en 1836 ?

Ce que nous disons de la France ne se justifie pas moins pour la Belgique. Jusqu’en 1830, l’importation des fontes et des fers étrangers avait été libre dans ce pays, ou frappée seulement d’un droit insignifiant. Sous ce régime, la métallurgie belge prospérait, tout en livrant ses produits aux mêmes prix que l’industrie anglaise. Après 1830, une crise s’étant déclarée à la suite des événemens politiques, on crut devoir établir sur les fontes étrangères un droit d’environ 2 fr. 50 cent. les 100 kilogrammes. Qu’arriva-t-il ? Le prix des fontes s’éleva dans le pays. Dans la suite, ce droit primitif ayant été porté à 5 fr. 80 cent. les 100 kilogrammes, chiffre actuel, les prix s’élevèrent encore et à peu. près dans la même mesure, non, pas régulièrement, il est vrai, car les crises se multiplièrent sous ce régime, et les variations y furent très violentes et très brusques, mais de manière à excéder toujours sensiblement, en moyenne, les prix anglais : tant il est vrai que, sous l’empire du monopole, le consommateur n’a rien à attendre du bénéfice du temps.

Ce qu’il y a de plus extraordinaire et ce qui n’est pourtant pas moins réel, c’est que le monopole, si onéreux au pays qui le tolère, ne profite pas même à la plupart de ceux qui en jouissent. On en a vu des exemples bien remarquables, durant le cours des derniers siècles, dans toutes ces compagnies instituées par privilège, en France, en Angleterre et dans presque tous les états de l’Europe, pour exploiter le commerce de certains pays lointains compagnies des Indes orientales, du Levant, des côtes d’Afrique, de la mer du Sud, etc. Entourées par leurs gouvernemens de faveurs de toutes les sortes, armées contre les nationaux et contre les étrangers de privilèges monstrueux, on a vu ces grandes compagnies marcher invariablement à leur ruine. Quelque chose de semblable se remarque dans celles de nos industries qui sont vraiment constituées en monopole. L’agriculture, par exemple, malgré ses privilèges, est en souffrance dans toute l’étendue du pays. Les établissemens métallurgiques ne fleurissent aussi que par exception. Il y a même, par rapport à ces derniers, une observation importante à faire c’est que, depuis 1836, date de la réduction des droits sur les fers ; ils se trouvent en général dans une situation meilleure qu’auparavant ; on en trouve un plus grand nombre qui jouissent d’une prospérité réelle. En Belgique, c’est le contraire, c’est-à-dire que la même vérité s’y manifeste en sens inverse. Depuis que les droits protecteurs y sont établis, l’industrie s’y trouve dans une situation peut-être moins florissante qu’autrefois et certainement plus précaire, témoin la crise affreuse de 1839, qui a duré quatre ans et ruiné plus de la moitié des usines. Il est même permis de croire que la position incertaine et variable qu’on a faite à cette industrie se changerait en une détresse réelle et constante, si, outre le privilège dont elle jouit sur le marché belge, elle n’avait encore obtenu des faveurs toutes spéciales sur les marchés de la France et du Zollverein allemand.

Comment, d’un autre côté, n’être pas frappé de cette circonstance, qu’au sein même de la France, des usines si diversement partagées luttent à peu près à armes égales ? Entre la situation des forges de la Champagne et celle des forges qui appartiennent au groupe des houillères du nord, la différence est grande, comme on l’a vu, au moins quant à l’emploi du combustible. Si les premières ont à payer des prix exorbitans, et ne peuvent pas même, à ces conditions, augmenter à volonté leur travail, pour en diminuer d’autant les charges, les autres sont au contraire, en tout cela, particulièrement favorisées. Dans cet état de choses, ne semblerait-il pas que la concurrence des producteurs du nord devrait être mortelle pour les producteurs de la Champagne ? Au lieu de cela, elle ne leur est pas même gênante. Faut-il croire au moins que les premiers recueillent des bénéfices exceptionnels, tandis que les autres souffrent ? Non, aucune différence sensible ne se remarque dans les résultats obtenus : les bénéfices sont à peu près les mêmes des deux côtés. C’est qu’en Champagne, seule contrée de la France où la nécessité des perfectionnemens se soit fait sentir dans une certaine mesure, on en a du moins tenté quelques-uns, tandis que dans le nord, comme ailleurs, on s’est contenté de jouir des avantages naturels qu’on possédait, sans rien faire pour les étendre et pour les féconder.

On a beau s’extasier tous les ans sur les prétendus progrès de notre industrie métallurgique : elle en a fait quelques-uns : qui en doute ? Avec cela, elle n’en est pas moins encore, relativement à certaines industries étrangères, dans un état voisin de l’enfance. L’emploi du combustible, question vitale pour la France, y est presque partout, excepté en Champagne, mal organisé et mal conduit. Les laminoirs, qui sont d’un si grand secours pour abréger le travail, qui apportent dans la fabrication des économies si grandes, et dont l’usage est universel en Angleterre et en Belgique, n’y sont encore adoptés que par exception. La partie mécanique y est presque partout, sauf dans quelques établi semons qu’on cite, ou barbare, ou nulle, et là même où cette partie a plus d’importance, les moteurs et les communications de mouvemens sont en général si anal ordonnés, qu’ils feraient reculer d’effroi un contre-maître anglais. Voilà comment cette industrie ne profite pas même des faveurs coûteuses qu’on lui accorde. Voilà comment les millions de la France vont s’engloutir en pure perte dans ce gouffre toujours béant.

De tout ce qui précède, que faut-il maintenant conclure ? Si on considère l’industrie française dans ses conditions générales, elle est, sous le rapport du combustible, moins bien partagée que les industries anglaise et belge, quoique cette vérité ne soit pas aussi absolue qu’on le prétend ; mais, quelle que soit l’importance du combustible dans la fabrication de la fonte et du fer, ce n’est pas le seul objet qui soit à considérer ici. L’abondance et le bas prix du minerai sont bien aussi de quelque poids. Or, à cet égard, l’industrie française est en général plus favorisée qu’aucune autre. Le prix moyen du quintal de minerai rendu aux fonderies et préparé pour la fusion a été, en 1844, de 1 fr. 27 cent. « Si on faisait abstraction, disent les auteurs du Compte-rendu, de la redevance, charge qui est en dehors des conditions techniques, et des transports, dont les frais se réduiront encore à l’avenir, le prix du quintal de minerais propres à la fusion ne serait que de 0 fr. 57 cent. Ce chiffre est fort inférieur à celui qui serait calculé sur les mêmes bases pour la plupart des districts de forges de l’Europe et surtout de la Grande-Bretagne ; il prouve suffisamment que le sol de la France est riche en minerai d’extraction facile[17]. » Le bas prix du minerai pourrait donc compenser dans bien des cas, pour la France, la cherté relative du combustible. Ajoutez à cela que s’il arrivait, sous l’empire du commerce libre, que l’industrie anglaise fût en mesure d’introduire sur nos marchés une quantité considérable de ses produits, ce qui n’aurait d’ailleurs rien d’effrayant pour notre industrie, puisqu’alors la consommation. augmenterait, dans cette hypothèse, disons-nous, les redevances s’élèveraient en Angleterre, par suite de l’accroissement même de la production, tandis qu’elles se maintiendraient en France à leur niveau présent, ce qui achèverait d’égaliser les conditions. Cela posé, nous disons que la métallurgie française, prise dans son ensemble, est parfaitement en état de soutenir, même à armes égales, la concurrence étrangère, ou du moins qu’elle le pourra du jour où elle voudra sérieusement l’entreprendre. Seulement il est nécessaire qu’on l’y contraigne ; elle n’y arrivera jamais sans cela. Ce n’est pas à dire qu’il faille, du jour au lendemain, supprimer entièrement les droits un tel changement serait trop brusque, et le pays n’y est d’ailleurs pas préparé ; mais on peut du moins, et cela nous paraît nécessaire, réduire dès aujourd’hui ces droits de moitié. « L’habitude acquise par les maîtres de forges, dit M. Rigaud de la Ferrage, d’obtenir de beaux résultats pécuniaires sans efforts et sans nulles dépenses sera pendant long-temps encore un obstacle à tous les changemens qu’il leur serait utile d’introduire dans leur fabrication. » Sans doute ; mais ces habitudes funestes se perpétueraient sans terme, si le régime actuel n’était largement modifié. Le seul moyen de les rompre, sans violence pourtant, c’est d’opérer immédiatement sur les droits protecteurs un dégrèvement notable, avant-coureur d’une suppression totale. Le droit actuel sur les fers traités à la houille étant de 18 fr. 75 cent., plus le décime, c’est à 9 ou 10 francs qu’il pourrait être convenablement réduit, sans qu’il y eût lieu d’ailleurs de maintenir l’absurde distinction introduite entre les deux espèces de fers. Une telle réduction ne serait guère plus forte que celle qui fut admise en 1836, et dont l’expérience a montré les salutaires effets. C’est alors qu’on verrait les maîtres de forges s’occuper réellement de perfectionner leurs méthodes. Les moindres progrès réalisés dans ce sens suffiraient amplement pour couvrir la différence des prix.

Si un tel changement devait être difficilement supporté quelque part, ce serait tout au plus en Champagne, à cause des conditions particulièrement défavorables où sont actuellement placées les usines de cette contrée, et parce que la marge du progrès réalisable y semble moins forte qu’ailleurs. Toutefois la gêne qui pourrait en résulter ne serait jamais que passagère : elle cesserait aussitôt que ce pays entrerait en possession des voies de communication qu’il attend. Or, les plus importantes de ces voies, en cours d’exécution depuis plusieurs années, touchent à leur terme. Il ne faut pas croire d’ailleurs qu’une réduction de 8 ou 9 francs sur les droits actuels entraînerait immédiatement une réduction égale sur les prix ; l’effet en serait neutralisé en partie par une hausse à l’étranger. « Le jour, disait M. Ferrier, où un seul quintal de fer anglais pourra se présenter avantageusement sur notre marché, l’Angleterre nous en enverra pour quatre ans. » Avec plus de justice, nous pouvons dire : Le jour où l’Angleterre, aussi bien que la Belgique., pourront nous envoyer des quantités un peu notables de fers, les prix s’élèveront promptement sur les marchés de ces deux pays. Et ceci n’est pas une hypothèse, car l’expérience a été faite plus d’une fois, sinon par la France, au moins par d’autres pays, et elle a toujours en son infaillible effet. Lorsque l’Amérique fit à l’Angleterre des commandes un peu fortes pour l’exécution de son réseau de chemins de fer, commandes fort éloignées pourtant d’égaler la consommation annuelle de la France, les prix s’élevèrent, sur le marché anglais, à 26 et 29 francs le quintal métrique, pour retomber ensuite à 19 francs lorsque ces commandes furent remplies. Pareillement, lorsque la convention relative aux fers fut conclue entre le Zollverein allemand et la Belgique, les prix, qui n’étaient précédemment que de 18 francs à peine dans ce dernier pays, s’élevèrent promptement à 26 et même 28 francs. Un semblable effet se produirait sans aucun doute si la France se résolvait seulement à entre-bâiller ses portes. La baisse des prix sur nos marchés n’égalerait donc pas à beaucoup près la réduction opérée sur les droits. Il est probable même qu’elle n’en excéderait pas la -moitié. Or, il n’y a guère de forges en France qui ne puissent se mettre promptement en mesure de supporter une diminution pareille. Ajoutons à tout cela que les circonstances actuelles sont singulièrement favorables, puisque de toutes parts, pour la marine, pour les chemins de fer, pour l’industrie en général, la demande s’accroît d’une manière sensible, et que la production actuelle de la France est réellement insuffisante pour ses besoins.

Il va sans dire que les droits établis sur les fontes étrangères seraient abaissés dans la même proportion que les droits sur les fers, ou plutôt dans une proportion encore plus forte ; car les fontes sont la matière première des forges. Sur la frontière maritime, par exemple, le droit serait immédiatement réduit de 7 fr. à 3 par quintal métrique. Il serait désirable aussi que la distinction actuellement établie entre-la frontière de terre et la frontière de mer disparût, aussitôt que l’expiration des traités conclus avec la Belgique le permettrait. La surtaxe de 3 fr. par quintal métrique imposée sur les fontes importées par mer est contraire aux intérêts de la marine, qui n’a pas déjà trop de marchandises pesantes à transporter, et, quelque sympathie que nous ayons pour la nation belge, il ne nous paraît pas raisonnable que la France se sacrifie pour faire fleurir les monopoles qu’il a plu à la Belgique de constituer dans son sein. Sous l’influence de ces bienfaisantes mesures, qui viendraient concourir d’ailleurs avec une suppression totale des droits sur les houilles, nous avons la ferme confiance que la métallurgie française, loin de dépérir, grandirait. Le trésor y gagnerait plutôt qu’il n’y perdrait, car la réduction des droits serait plus que compensée par l’accroissement de la consommation. Quant aux avantages qui en résulteraient pour le pays, ils sont tellement évidens, qu’il est à peine utile d’en parler.


CH. COQUELIN.

  1. On compte en France 1,598 minières exploitées, et seulement 103 mines. Le nombre total des minières, exploitées ou non exploitées, est de 1,915 ; le nombre total des mines n’est que de 162. — (Voyez le Compte-rendu des ingénieurs des mines pour 1845.)
  2. Le dernier Compte-rendu de l’administration des mines ne porte le prix actuel du quintal métrique de houille, pris sur la fosse, à Valenciennes, qu’à 1 fr. 03 centimes. Les prix que nous donnons ici sont ceux indiqués dans un précieux mémoire dû à un ingénieur civil, M. Rigaud de la Ferrage, qui a dirigé les forges d’Anzin et quelques-unes de celles de la Belgique. Nous avons adopté ces derniers prix comme plus rigoureux, quoiqu’ils soient moins favorables à notre thèse.
  3. Avant 1836, et en vertu de la loi de 1822, le droit d’importation était déjà, par exception, et pour les fontes belges, réduit à 4 fr. les 100 kilog., mais seulement sur quelques points de la frontière et pour les gueuses pesant au moins 400 kilog. La loi nouvelle a étendu l’exception à une plus grande partie de la frontière, et l’a appliquée aux masses pesant seulement 15 kilog., ce qui a facilité beaucoup l’importation. En outre, à la même époque, le droit sur les fontes importées par mer a été réduit de 9 fr. à 7.
  4. Voyez la livraison du 15 janvier.
  5. Rappelons ici que nous donnons toujours les chiffres des droits tels qu’ils sont indiqués dans nos tarifs, en omettant, comme nous l’avons fait dès le principe, le décime pour franc qu’on y ajoute invariablement dans l’application.
  6. La décime est compris dans ce chiffre.
  7. Du Concours des Canaux et des Chemins de Fer, par M. Ch. Collingnon, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées.
  8. Du Système maritime et commercial de l’Angleterre au dix-neuvième siècle, et de l’Enquête française, par M. Ferrier ; Paris, 1829.
  9. L’importation n’est plus tout-à-fait libre en Belgique, mais seulement sujette à des droits beaucoup moins élevés qu’en France. Notre observation se rapporte à un temps antérieur ; on verra ci-après comment le régime belge a été modifié.
  10. C’était là, en 1844, le travail normal des forges du nord. Nous avons lieu de croire qu’il s’est un peu amélioré depuis deux ans. Remarquons, du reste, qu’il ne s’agit ici que de la conversion de la fonte en fer.
  11. Ce groupe a produit, en 1844, 16,452 quintaux métriques d’acier naturel ; la production totale de la France n’a été, pour cette même année, que de 32,121 quintaux métriques.
  12. Voici les chiffres exacts pour les deux années extrêmes de la période décennale :
    FONTE DE FER « FER FORGE «
    au charbon de bois à la houille au charbon de bois à la houille
    1835 2,464,848 q. m. 483,159 q. m. 1,081,592 q. m. 1,013,795 q. m.
    1844 2,805,861 1,465,892 1,084,912 2,065,13

    br/> L’augmentation, assez faible d’ailleurs, qu’on remarque dans la fabrication de la fonte au charbon de bois, provient en grande partie de ce qu’on a appris à mieux utiliser le combustible.

  13. Il y a même dans ces départemens plusieurs cantons où le bois coûte à peine le tiers de ce qu’il coûte dans la Haute-Marne.
  14. Cent soixante-treize pour tout le groupe, qui n’est pas très étendu.
  15. Situation des Forges de France et de Belgique, par M. H. Rigaud de la Ferrage, ancien ingénieur des établissemens de mines, hauts-fourneaux, usines et laminoirs de Marcinelle et Couillet, près de Charleroi (Belgique), directeur-gérant des forges, fonderies et laminoirs d’Anzin. — Nous citons ce mémoire avec d’autant plus de confiance, qu’après avoir été inséré dans les Annales des Mines, il en a été extrait et publié à part par ordre de M. le directeur-général des ponts-et-chaussées et des mines.
  16. Du Concours des Canaux et des Chemins de fer.
  17. Compte-rendu des ingénieurs des mines, de 1845, p. 119.