La Liberté du travail, l’association et la démocratie/13

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CHAPITRE XI

LA POPULATION ET LE SYSTÈME DE MALTHUS DEVANT LA DÉMOCRATIE. — L’ÉMIGRATION LIBRE DES TRAVAILLEURS.


I

Mais, dit-on, cette liberté de travail que l’économie politique préconise dans l’intérêt des masses, cette association revêtant tant de formes fécondes, cette instruction elle-même partout répandue, et cette capacité professionnelle accrue dans tous les rangs et pour les deux sexes, tout cela ne servira de rien, s’il est vrai, comme le prétendent les économistes, que les facilités de vivre ne sont, pour les classes ouvrières, qu’un appel à se multiplier, qu’un excitant pour la population obéissant à une tendance qui la pousse à se développer toujours plus vite que les subsistances. Quelques-uns même en sont venus à proposer des prohibitions aux mariages pour les ouvriers sans capital, ce qui paraît assez singulier pour des hommes qui condamnent partout les prohibitions. Malthus, ajoute-t-on ironiquement, est le grand-prêtre de cette religion nouvelle du célibat ou de la stérilité dans le mariage ; et de là on passe à l’injure contre Malthus et contre les économistes ennemis du peuple. On peut lire ce qu’ont écrit là dessus MM. Proudhon et Pierre Leroux.

On va voir que nous n’admettons pas ce qu’on a nommé le système de Malthus, mais nous sommes ennemi de l’exagération aussi bien contre que pour, et nous croyons que même dans un système qui pêche par l’excès, il y a d’utiles vérités à recueillir pour les classes populaires.

Disons d’abord un mot du monstre lui-même, de ce terrible Malthus dont le nom a si souvent retenti, au plus fort de nos discordes sociales, aux oreilles des classes ouvrières.

Voici comment un publiciste éminent, M. Charles Comte, s’exprime, dans sa Notice consacrée à Malthus, sur l’auteur du livre de la Population « Il était d’un caractère doux, il avait sur ses passions un si grand empire, il était si indulgent pour les autres, que les personnes qui ont vécu près de lui pendant près de cinquante années assurent qu’elles l’ont à peine vu troublé, jamais en colère, jamais exalté, jamais abattu. Aucun mot dur, aucune expression peu charitable ne s’échappait jamais de ses lèvres contre personne ; et, quoiqu’il fût plus en butte aux injustices et aux calomnies qu’aucun écrivain de son temps, et peut-être d’aucun autre, on l’entendit rarement se plaindre de ce genre d’attaques, et jamais il n’usa de représailles. Il était très-sensible à l’approbation des hommes éclairés et sages ; il mettait un grand prix à la considération publique. Mais les outrages non mérités le touchaient peu, tant il était convaincu de la vérité de ses principes et de la pureté de ses vues ; tant il était préparé aux contradictions et même à la répugnance que ses doctrines devaient inspirer dans un certain monde. Sa conversation se portait naturellement sur les sujets qui touchent au bien-être de la société, et dont il avait fait l’objet d’une étude particulière : il était alors attentif, sérieux, facile à émouvoir. Il énonçait son opinion d’une manière si claire, si intelligible, qu’on voyait aisément qu’elle était le résultat d’une réflexion profonde. Du reste, il était naturellement gai et enjoué, et aussi prêt à prendre part aux plaisirs innocents de la jeunesse qu’à l’encourager ou à la diriger dans ses études. » Tel était l’homme dont les écoles socialistes ont voulu faire une sorte d’ogre se nourrissant de victimes humaines. Ce terrible Malthus était un doux ministre anglican, plein de tolérance et de lumières, à la fois un chrétien fidèle et un homme du XVIIIe siècle. Ajoutez que ce prétendu ennemi de la population était père d’une nombreuse famille. Lorsque Malthus entrait dans quelque salon suivi de tous ses fils et de toutes ses filles, cela prêtait à l’épigramme, mais eût pu suffire au besoin pour repousser la calomnie.

L’épigramme même était-elle fondée ? Malthus contredisait-il le fameux principe de la limitation préventive de la population, en mettant au monde une postérité nombreuse  ? Il s’en serait fort défendu. Selon lui, le devoir prescrivait de ne point donner le jour à plus d’enfants qu’on n’en peut nourrir et élever, et la question de morale dépendait pour chaque famille de l’état de son budget.

De là découle un des principaux reproches adressés à la doctrine de Malthus, celui d’être une doctrine abusivement aristocratique. On lui reproche de faire du mariage et de la paternité des priviléges à l’usage des riches et des gens aisés. Malthus et ses disciples répondent à cette accusation qu’il ne s’agit pas d’interdire le mariage et la paternité aux pauvres, mais seulement soit de retarder l’âge ou l’on se marie pour ceux qui n’ont pas des moyens de vivre suffisants ou suffisamment probables, soit de limiter la fécondité du mariage, par l’exercice d’une vertu sévère que Malthus a nommée la contrainte morale. Ils ajoutent que si ces conseils semblent sévères, ce n’est ni Malthus, ni eux qui sont les auteurs de la loi de population et des effets qui en résultent. Ils soutiennent enfin que, bien loin d’être favorable à l’aristocratie du capital, leur doctrine est démocratique dans le meilleur sens du mot, c’est-à-dire essentiellement favorable aux travailleurs. En effet, plus ils se multiplient au delà du besoin qu’on a d’eux, plus ils se livrent, par la baisse des salaires qui en est la suite inévitable, à la merci des entrepreneurs d’industrie. Ainsi l’intérêt, du moins immédiat, des capitalistes est que la classe ouvrière pullule à l’excès pour obtenir le travail au rabais ; l’intérêt des travailleurs est qu’ils soient limités quant au nombre pour soutenir le débat avec plus d’égalité et s’assurer de meilleures conditions. Avec les bas salaires de plus en plus poussés vers le minimum, voici venir la misère, la dégradation physique et morale, la barbarie ; à la suite des salaires élevés comme régime habituel et normal, marche l’aisance avec les habitudes de dignité qu’elle engendre, le développement intellectuel naissant du loisir, la civilisation en un mot pénétrant de plus en plus les dernières couches de la société.

On s’est beaucoup récrié contre la fameuse proportion géométrique suivant laquelle s’accroît la population, selon Malthus. Quand Malthus osa écrire que, lorsque ce mouvement d’accroissement ne rencontre point d’obstacle, la population opère son doublement au moins en vingt-cinq ans, ce qui suffirait avec une effroyable rapidité pour qu’une seule famille donnant six enfants à chaque génération couvrît toute la terre, on traita cette assertion d’hypothèse romanesque. Cependant les faits, qui déjà lui donnaient raison, se sont accrus en nombre et en importance depuis que nous avons pu lire dans le développement de l’Amérique, comme dans un livre ouvert sous nos yeux pour l’instruction du vieux monde. Quoi ! vous niez la proportion géométrique de Malthus, et la population de l’État de New-York est devenue sept fois plus considérable de 1790 à 1840, en cinquante ans, et neuf fois plus considérable de 1790 à 1850 ; la population de l’Ohio a récemment triplé en vingt ans, et quadruplé en trente ans, de 1820 à 1850 ; en cinquante ans, la Pensylvanie a juste quadruplé. Où cela irait-il, grand Dieu ! si l’espace et l’aliment ne faisaient défaut ? Demandez ce qui arriverait si rien ne contrariait la force reproductive de chaque grain de blé et de chaque poisson ! Songez qu’une carpe pond 340,000 œufs ! N’a-t-on pas calculé qu’une jusquiame peuplerait de plantes le globe en quatre ans, et que deux harengs rempliraient la mer en dix ans, l’Océan couvrît-il toute la terre ? La fécondité de l’espèce humaine est fort modeste, comparée à celle des plantes et des poissons, il est vrai. Telle qu’elle est, elle eût bientôt tout envahi, si les causes préventives ou répressives les plus diverses ne s’y opposaient. Le détail de ces causes pour les différentes contrées du globe forme dans le volumineux ouvrage de Malthus une des plus curieuses lectures qu’on puisse faire.

Voilà donc Matthus justifié du moins quant à l’exactitude d’une de ses plus célèbres propositions. L’est-il moins dans le conseil qu’il donne de substituer l’action préventive, non pas, bien entendu, celle du vice et du libertinage, dont il a horreur, mais celle que la morale elle-même autorise et conseille, au ravage que ne manquent pas d’exercer de formidables causes répressives ou positives, comme il parle, telles que la famine, les épidémies, les maladies de tout genre qui s’attachent aux pauvres, enfin cette horrible mortalité qui, dans les populations misérables, frappe à coups redoublés sur les enfants ? L’humanité n’a pas attendu les écrits de Malthus pour se conformer en partie à ses prescriptions, et elle n’a pas besoin de les connaître pour continuer à leur donner raison. Que dit le bon sens ? que dit la logique aussi ? Que si aucune réserve n’était à observer en cette matière, les unions devraient se faire dès que l’âge permet qu’elles soient fécondes. Le père de famille qui conseille à son fils d’attendre pour se marier, qui le lui conseille au nom de la prudence et du devoir, pour lui-méme, pour l’avenir de sa femme et de ses enfants, aurait tort en réalité, comme il a tort en fait plus d’une fois devant les amours de la jeunesse. La prévoyance humaine a mis en pratique depuis trop longtemps, dans une mesure étendue, les conseils de Malthus, pour que ces conseils, produits sous une forme abstraite, puissent justement exciter l’étonnement, bien moins encore l’indignation. Il n’y a que les honteux commentaires de quelques disciples fanatiques et compromettants qui méritent ce blâme, ou, si quelque chose en est digne encore, c’est cette prédication faussement philanthropique qui pousse les malheureux à une multiplication désordonnée, féconde seulement pour la souffrance et pour la mort.

Ce ne sont point des exagérations, des erreurs mêmes, qui peuvent compromettre des vérités si palpables. S’il suffisait au jeune ouvrier, au pauvre employé, à ce petit bourgeois qui essaie en vain de cacher sa misère sous une redingote ou un habit noir, de dire « Je travaillerai, oui, je travaillerai, s’il le faut, dix ou douze heures d’un travail pénible pour subvenir aux besoins de ma famille, » la difficulté même pourrait être un aiguillon de travail ; la famille, qui fait naître des habitudes d’épargne, n’aurait que des effets moralisants. Mais l’infortuné travaille en effet ce nombre d’heures, quelquefois davantage, quand la maladie ou les autres causes de chômage ne le forcent pas d’interrompre son dur et monotone labeur ; cependant Dieu sait comment il lui arrive de s’en tirer. Encore une fois, interrogez la statistique, ici trop bien informée, demandez-lui le chiffre comparatif de la mortalité des pauvres et des gens aisés, en ce qui regarde l’âge mûr et l’enfance, voyez où en sont trop souvent vos populations de prolétaires. En vérité, il semblerait, pour ceux dont l’optimisme prêche la cause de l’imprévoyance, que la misère, que l’impossibilité de nourrir un grand nombre d’enfants et de les élever, c’est-à-dire d’en faire des hommes utiles et civilisés, sont des fables imaginées par des économistes à l’humeur noire, n’ayant point d’yeux pour voir le spectacle de la félicité universelle que présente le monde. Peu s’en faut que Malthus ne soit rendu personnellement responsable de la faim, de la peste et de tous les fléaux déchaînés sur le monde. Du moins a-t-on été plus juste à l’égard des médecins : on n’a pas encore dit d’eux qu’ils eussent inventé le choléra.

Ce qu’il faut maintenant reconnaître, c’est que l’économiste anglais a beaucoup trop assombri les couleurs du tableau, beaucoup trop diminué la part du bien, beaucoup trop rejeté sur les ouvriers la responsabilité qui appartient aux mauvaises lois, à ces lois de privilége dont, à cette époque, son pays était la victime, lois des pauvres, lois prohibitives de l’entrée des céréales étrangères, etc. Pénétré de l’énergique puissance du principe de population, proclamant lui-même que les remèdes qu’il conseille ont peu de chances de triompher d’une imprévoyance qui n’est nulle part plus difficile à vaincre que dans les classes mêmes pour lesquelles elle est un danger plus redoutable, il paraît croire que le genre humain est éternellement condamné à se presser aux dernières limites des subsistances, jusqu’à ce que des causes funestes, agissant avec une continuité déplorable et pourtant nécessaire, aient rétabli l’équilibre. Ici se présentent des objections dont je ne pense pas que les défenseurs de Malthus aient triomphé. Qu’est-ce que cette limite des subsistances d’abord ? Qui pourrait l’assigner ? Combien est petite encore la portion de terre cultivée Combien la culture est-elle encore éloignée, par l’imperfection de ses procédés, de procurer ce qu’elle peut fournir d’aliments ! Combien de moyens encore à naître et dont nous entrevoyons seulement quelques-uns (la pisciculture par exemple) peuvent en augmenter la masse ! Que de ressources offrent et le commerce et l’émigration ! — Ressources insuffisantes et momentanées, s’écrient les défenseurs absolus du système de Malthus. À peine une ressource est créée que le principe de population se développe avec une nouvelle intensité, et a bientôt dévoré l’excédant de nourriture et d’espace qui lui est laissé. – C’est là, répondrons-nous, qu’est l’hypothèse. Il faut un temps incalculable pour que tous les vides soient comblés, à voir la marche que prend la population dans notre Europe. L’expérience démontre que le principe préventif a en fait plus d’influence que Malthus n’ose l’espérer. La limitation préventive n’agit souvent même qu’avec trop d’excès dans les classes riches. Dans les classes moyennes, la fécondité se mesure en général à la somme des moyens d’existence. Il semble que quelque chose de ce qui a lieu pour les espèces vivantes ait lieu également pour les classes dont se compose la société. La puissance prolifique y devient plus grande à mesure qu’on se rapproche des degrés inférieurs[1].

Il n’est donc pas exact de dire, sous forme de proposition absolue, que la population tend à dépasser la limite des subsistances. Cela est vrai ou faux suivant les cas. Cela ne serait vrai dans tous que si l’humanité vivait sans prévoyance, comme les animaux, et n’usait point en fait de ce libre arbitre dont Malthus recommande l’usage sans y compter suffisamment ; cela ne serait vrai que si la qualité de la population, considérée dans la puissance productive que lui confère son état d’avancement intellectuel et moral, n’était pas un élément aussi essentiel du problème que la quantité dont il s’est préoccupé presque exclusivement. La question d’instruction et d’éducation, c’est a-dire la capacité productive et le bon emploi des ressources créées, paraît, dans l’état présent du monde, primer de beaucoup la question purement numérique. Il n’y a pas trop d’hommes dans le monde ; il y en a beaucoup trop d’incapables de se mesurer avec les difficultés des choses. Malthus voit dans le développement exagéré de la population la cause presque unique de tous les maux. Là est l’illusion, et elle est grande. La population en Angleterre s’est accrue depuis lui avec une rapidité qui l’eût fort effrayé. Cependant le bien-être des membres de la grande famille britannique s’est accru beaucoup plus encore. Malthus n’a signalé qu’une des causes de la misère et n’a enseigné qu’un seul de ses remèdes, et ce remède, quoi qu’il ait paru dire, ne serait pas une panacée[2].

Me prenez-vous pour un Malthus ? s’écrie, dans la comédie d’Henri Monnier, M. Joseph Prudhomme avec une grande indignation, sauf à avouer à son interlocuteur, qui lui demande ce que c’est que Malthus, qu’il ne le sait pas plus que lui. Les malthusiens, quelle est donc cette engeance ? chante je ne sais plus quel couplet. — Carnassiers de Malthus, écrit M. Proudhon avec plus de gravité apparente. — Devant de pareilles injures, on hésiterait presque à se défendre du reproche de malthusianisme. Si l’on fait des réserves sur certains côtés de la doctrine, du moins n’est-ce point parce qu’on rougit de ce philanthrope calomnié. Parmi les titres de Malthus à l’estime, peut-être pourrait-on placer son impopularité. Un homme qui ose braver le préjugé et le lieu commun, c’est si rare ! Malthus l’a fait sans forfanterie et en toute conscience. Aussi a-t-il pu mourir sans manifester aucune espèce de remords, comme l’écrit un de ses adversaires. Il a quitté le monde sans remords, ce grand coupable, et cependant voyez ses crimes il a dit aux peuples qu’ils avaient tort de s’en prendre toujours à leurs gouvernements de tous leurs maux que les pouvoirs publics ne devaient pas et ne pouvaient pas tout faire ; que ce n’était pas pour rien que la Providence avait créé des individus et donné à ces individus une liberté et les moyens de s’en servir ; il a critiqué ces encouragements factices au développement de la population, qui aussi bien s’encourage assez d’elle-même, ces primes honnêtement applicables pour ce qui regarde les chevaux et pour les boeufs, mais quelque peu honteuses quand il s’agit d’hommes et de chrétiens ; il a enseigné que le nombre des naissances est un criterium fort insuffisant et des moins infaillibles de la prospérité nationale, qu’il y faut encore la diminution dans le nombre des décès et l’augmentation de la vie probable et moyenne. Quelle abomination enfin que d’avoir montré que la taxe des pauvres, telle qu’elle existait alors en Angleterre, et divers moyens plus ingénieux les uns que les autres, imaginés par les utopistes réformateurs, ne résolvaient pas le problème de l’aisance générale !

Système faux, parce qu’il est exagéré, vérités sévères, philanthropie éclairée, voilà Malthus. On l’a outré encore. La pensée de restreindre le développement de la population par des mesures légales et préventives n’est pas moins condamnable, selon nous, que celle de le développer par des encouragements factices. Nous regrettons vivement que plusieurs économistes aient approuvé ces mesures attentatoires à la liberté individuelle. S’il est au monde un droit qui relève uniquement de l’initiative personnelle, n’est-ce pas celui de se marier bien ou mal ? Suffira-t-il qu’un individu ne puisse justifier d’un certain avoir et de moyens assurés d’existence pour que la société mette son interdit sur un acte qu’elle juge imprudent ? Est-il vrai que l’intérêt général s’accommode de cette usurpation ? La réponse peut être empruntée à l’expérience. Dans plus d’un petit État notamment en Allemagne, cette interdiction posée en règle par un célèbre économiste, John Stuart Mill, a force de loi. Qu’en est-il résulté ? Ce qui résulte de tout arbitraire. La loi y est éludée ; elle voulait prohiber le mariage ; elle ne réussit qu’à multiplier le nombre des unions illégitimes et des enfants naturels ; elle voulait protéger le bien-être de la famille, elle a détruit la famille elle-même.

II
À la question de la population se rattache l’émigration des travailleurs. Elle ne se rattache pas moins étroitement à celle de la liberté des travailleurs. La liberté du travail n’est pas, en effet, seulement la liberté de travailler comme l’on veut, mais l’on veut.

Les uns y ont vu un remède suffisamment efficace aux excès de population ; les autres semblent n’en avoir montré que les misères.

Nul sujet n’a plus de grandeur que l’émigration, nul n’a plus d’opportunité en présence de l’immense mouvement d’émigration européenne dont nous sommes témoins. Le travail, obéissant à la loi de liberté, cherche partout, comme le capital, à prendre son niveau.

Comment ne pas reconnaître avant tout que l’émigration a une grande signification historique, une portée civilisatrice  ? Il faut la constater sous peine de rapetisser tout ensemble et de fausser la question. Cette grande question de l’émigration ne s’éclaire complètement et ne peut être bien appréciée au point de vue des intérêts populaires et généraux, que si elle reçoit sa lumière d’en haut, c’est-à-dire de la philosophie de l’histoire.

Est-ce seulement aux individus que s’applique le mot Vœ soli ! Non : on peut dire aussi : Malheur aux nations qui se ferment aux rapports avec le reste du monde ! Malheur aux familles qui restreignent à l’excès le cercle de leurs alliances ! Elles trouvent dans l’abâtardissement physique et moral la confirmation, à leurs dépens, de cette loi providentielle qui fait de la fraternité humaine une vérité. En vain l’humanité, retenue au sol natal par mille attaches, voudrait se soustraire à cette nécessité inévitable du mélange des idées et des races ; il faut que des populations entières soient déracinées de leur patrie. La souffrance, qui prend souvent ici les traits de la faim, est le ministre chargé de l’exécution de cette loi, comme de toutes les grandes lois de ce monde. Mais la souffrance est tempérée par l’espoir. On quitte les lieux où l’on est mal parce que l’on compte trouver ailleurs les biens dont on est privé. Tel est le sens du vieil adage Ubi bene, ibi patria. Mot qui mêle à un sentiment de satisfaction bien de l’amertume ; car la patrie où l’on souffre n’en est pas moins la patrie, et il a fallu, pour y renoncer, de profonds découragements. À côté des bienfaits de l’émigration, il y a ses épreuves, ses misères, ses déceptions. La civilisation recueille seule le profit certain de tant de sacrifices obscurément accomplis. Elle a eu, depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, dans l’émigration un de ses agents les plus puissants et les plus efficaces. C’est l’émigration qui a pénétré tour à tour l’Occident par l’Orient, l’Orient par l’Occident, l’Europe par l’Asie, l’Asie et l’Afrique par l’Europe personnifiée dans la Grèce et dans Rome ; c’est elle qui a tiré de leurs forêts les barbares du nord, car les invasions ne sont que des émigrations à main armée. Que n’a-t-elle pas fait depuis que l’Amérique lui a été ouverte ? Combien n’a-t-elle pas, mieux que la conquête, accompli ces fusions durables d’idées, d’institutions et d’intérêts que la guerre n’ébauche quelquefois qu’en les compromettant par la violence et par la haine qui lui survit !

Qui nierait après cela que l’histoire de l’émigration se confond avec celle de la civilisation elle-même, au double point de vue ethnographique et intellectuel ? C’est par les colonies que la civilisation a mis garnison chez les barbares, et que les races civilisées sont entrées en contact permanent les unes avec les autres. Retranchez de Rome, d’Alexandrie, ces vivants foyers de lumières, retranchez-en ce qu’on peut appeler l’élément étranger, vous verrez leur éclat pâlir. Ce n’est pas qu’il faille confondre les émigrations d’idées et les émigrations d’hommes. Pour faire émigrer les idées d’un pays à un autre, il a suffi quelquefois d’un petit nombre de voyageurs, et l’écriture a plus fait ensuite pour propager ces idées que des milliers de voyageurs et de voyages. De nos jours, les hommes ne se remueraient pas, que les idées n’en changeraient pas moins de place à chaque instant. Elles se feraient porter en tous les lieux à la fois par l’imprimerie, la vapeur, l’électricité. Mais rien ne pouvait remplacer dans le passé et rien ne remplacera même à l’avenir le mélange direct des populations elles-mêmes, leur étroit rapprochement. Bien plus, le même ensemble de causes qui font voyager les idées poussent et aident aujourd’hui au déplacement des hommes. Grâce à tant de moyens de communication, l’émigrant se sent moins loin de sa patrie ; comment ne pas se décider plus aisément à partir, quand le retour paraît plus facile ? Qu’on ne s’étonne donc point si l’émigration n’est pas un fait qui s’en va, si c’est un fait qui s’accroît au contraire et qui est destiné à s’accroître avec les nouvelles facultés dont s’est dotée l’humanité.

Cette mutuelle fécondation de toutes les forces, de toutes les ressources par le rapprochement des diverses familles humaines, constitue le côté économique de la question si compliquée de l’émigration. L’économie politique l’examine sous le triple aspect des effets ressentis par les pays d’origine, par les émigrants eux-mêmes, et enfin par les pays de destination. Pour les pays d’où part l’émigration, la nature de ces effets a été très-controversée. La France particulièrement, à en croire les rapports de certains préfets, les vœux de quelques conseils généraux, voit d’assez mauvais œil le départ de ses enfants. Plusieurs gouvernements allemands ont parlé avec amertume et d’un ton presque comminatoire de ce mouvement qui pousse une notable partie de leurs sujets vers l’Amérique. La Belgique en a gémi dans plus d’un document officiel. Maint État a songé sérieusement à mettre à l’émigration une prohibition à la sortie, au risque de traiter les travailleurs sans plus de respect qu’on traitait naguère les produits du travail. Peut-être était-ce conséquent. Était-ce légitime ? Une démocratie qui interdirait l’émigration comme celle de 1793 par des raisons politiques ne cesse-t-elle pas d’être libérale pour être purement révolutionnaire ? Le droit de disposer de soi-même est un droit naturel. Un poteau, une montagne, un fleuve, doivent-ils borner ce droit imprescriptible que chacun a de quitter un lieu où il se trouve mal à l’aise ? Il n’y a que le crime, commis par un individu qui puisse autoriser la communauté à suspendre l’usage de cette liberté comme de toutes les autres. Dire à un individu « Tu es mal dans ce pays ; ta bouche affamée n’y trouve pas d’aliments ; les bras y manquent de travail ; tout ce qui te fait défaut, tu le rencontrerais ailleurs ; l’intrépide volonté d’aller le chercher te pousse en avant ; il n’importe ; tu ne toucheras pas ces plages désirées ; ma volonté est que tu souffres ici ; ma volonté est que tu meures sur place » ; dire cela, ce n’est pas satisfaire aux légitimes précautions dont la société investit la loi pour son salut, c’est faire peser sur les têtes le plus intolérable des jougs.

Que les États d’où l’essaim de l’émigration sort par masses pressées ne s’en prennent au surplus le plus souvent qu’à eux-mêmes ; tout ce qui comprime l’individu dans les lois politiques, religieuses, économiques, tend, comme le plus énergique ressort, à pousser les populations loin de leur pays. Pour cela, des mesures aussi violentes que la révocation de l’Édit de Nantes ne sont même pas nécessaires. Les Irlandais et les juifs en certains pays n’ont pas besoin qu’on leur enjoigne expressément de s’en aller, il suffit qu’on ne s’y oppose pas. Mais s’il n’est pas raisonnable d’exiger que les gouvernements se fassent à eux-mêmes de pareils aveux, et s’ils ont la naïve conviction que ceux qu’ils retiennent de force sont trop heureux de la violence qu’on leur fait, c’est une raison de plus de les éclairer sur les vrais effets que l’émigration a presque toujours sur les lieux d’où elle part.

Eh bien ! cet effet est généralement favorable pourvu que l’émigration soit libre. On a coutume de dire que l’émigration est bonne pour les pays d’où elle émane, quand ceux qui partent consomment plus qu’ils ne produisent, et qu’elle est mauvaise dans l’hypothèse contraire. Rien n’est en généra! plus fondé. Mais n’arrive-t-il pas quelquefois que dans le cas même où les individus qui émigrent produisent plus qu’ils ne consomment, le pays d’où s’échappe l’émigration gagne pourtant à leur départ ? Oui, c’est quand les envois de capitaux à leurs familles, ou quand leur retour avec une fortune laborieusement acquise deviennent des éléments de prospérité supérieurs à ceux qu’ils enlèvent en s’en allant. Ce cas n’est pas si rare qu’on serait tenté d’abord de le croire. L’émigration a d’ailleurs des avantages pour ceux qui restent. Les ouvriers y gagnent l’élévation des salaires par la diminution du nombre des bras. Les entrepreneurs y gagnent un accroissement dans les profits par la diminution de la concurrence. Ajoutons que la baisse des prix des articles de consommation résulte d’une moindre demande. Enfin, par suite de toutes ces causes, la facilité donnée aux épargnes pour se former est accrue. Il faudrait, pour compenser de tels biens, une véritable dépopulation de la contrée quittée par les émigrants, fléau san exemple dans des pays où règne même l’aisance la plus médiocre. Ainsi il est des cas où l’émigration même de ceux qui ont des ressources pour vivre rapporte plus au pays de provenance qu’elle ne lui emporte. Mais il faut reconnaître que le plus généralement la masse émigrante est poussée, comme en Irlande, par une inexorable misère. Alors l’émigration révèle plus sensiblement encore ses bienfaits. Elle supprime la charge qui accablait la masse sous la forme de secours publics à donner et la délivre de la concurrence que faisait à son travail le nombre exagéré des bras. Figurez-vous une chambre pleine où l’on se serre les uns contre les autres ; l’air manque, plusieurs déjà sont asphyxiés, d’autres vont l’être, tous souffrent horriblement ; peu à peu le nombre excessif de ceux qui se pressaient dans cet espace rétréci s’écoule, on respire enfin plus à l’aise, on recommence à vivre. Substituez ici à l’air l’aliment, aux dernières limites duquel on se presse, et vous aurez l’explication et l’image des pays d’où l’émigration s’échappe à flots abondants et par courants réguliers presque chaque année.

Mais les émigrants, quel sera leur sort ? Qui les Consolera de la patrie, de la famille absentes ? Ah ! c’est de ce côté surtout que doit se porter la sympathie éclairée de la politique et de l’économie politique. Renoncer à ses habitudes, quitter tout ce qu’on aime, dire adieu à ses vieux parents, quelquefois à ses enfants que l’on compte secourir de loin, affronter le nouveau et dur travail de la colonisation et du défrichement, et pour prix de ces épreuves ne rencontrer peut-être que déceptions, nulle destinée n’est pire que celle-là. Il ne faut pas jeter un voile sur ces misères trop fréquentes de l’émigration. Il faut, c’est un devoir lorsqu’on s’adresse aux masses, rappeler ces ravages terribles exercés par la maladie sous un climat étranger, au milieu des circonstances les plus défavorables. Les gouvernements ont voulu trop souvent à tort et à travers diriger l’émigration. Ils auront rendu un service précieux s’ils s’occupent seulement d’empêcher qu’on n’abuse par de faux récits l’imagination facile à exalter de gens qui souffrent. Nul acte n’est plus sérieux que l’émigration ; nul ne peut être plus dommageable. Trop souvent le malheureux émigrant n’a d’autre alternative que celle de la mort, loin des siens, précédée des privations les plus dures, des plus pénibles souffrances, ou d’un retour dans des circonstances pires que celles où il était au départ. Beaucoup sont ainsi retombés de l’Eldorado qu’ils avaient rêvé d’un degré plus bas au fond de leur misère. Il faut donc employer tous les moyens de publicité qui peuvent fournir aux futurs émigrants les éléments d’une suffisante information ; réclamons aussi les bonnes conditions du départ, du transport, de l’arrivée réclamons la bienveillante sollicitude des agents consulaires, patrons naturels des nationaux émigrés. En somme, l’émigration est un bien non seulement pour le pays d’où part un excédant parasite, mais pour les émigrants, et on a eu raison de dire « Les millions envoyés aux familles, les appels des parents, les villes qui se fondent, les champs qui se couvrent de fermes et de cultures, les forêts qui tombent sous la hache et dont les navires apportent les bois ; les communes, les parlements, les gouvernements qui naissent de ces multitudes, parties d’Europe pauvres et ignorantes, quels meilleurs témoignages voudrait-on de la prospérité générale des émigrants[3] ? »

Quant aux pays de destination, le bien n’est pas moins certain. Ils reçoivent des apports supplémentaires d’intelligences et de bras qui ne viennent là que parce qu’il y a des champs à féconder, des mines à fouiller, des richesses à créer par l’industrie. Le travail tend à prendre partout son niveau sur le marché du monde par une loi analogue à celle qui régit les liquides. À côté d’un trop plein qui se désobstrue, il y a un vide qui se comble. Ainsi sont prévenues, là les congestions qui naissent de la pléthore, les explosions qui résultent d’une accumulation trop forte de la vie qui cherche à tout prix un dégagement et une issue, ailleurs les langueurs ou les lacunes qui seraient l’effet d’une insuffisance de forces productives. Quelles masses de travaux les États-Unis n’ont-ils pas tirés de l’émigration ! Elle leur a apporté plus de 6 millions de travailleurs libres, 2 millions d’hommes de plus que le Sud ne compte d’esclaves. Mais aussi quels puissants appâts ! Un sol en grande partie inoccupé, la terre presque pour rien, très-féconde quoiqu’au prix d’immenses labeurs, la liberté de travail, d’association, de religion, toutes les libertés politiques, provinciales, communales, la naturalisation rendue facile, et, à son défaut, toutes les garanties que donnent à l’étranger la presse libre et des tribunaux impartiaux ! Contre de tels attraits, on peut compter pour presque rien l’hostilité égoïste et stupide de la meute aboyante des knownothing refusant d’admettre les étrangers.

Achever d’exploiter le globe, dont la plus grande partie reste à peupler et à cultiver, porter de 1 milliard à 5 ou 6 milliards sa population, quelle carrière ouverte à l’humanité ! Qui peut dire pour quelle part figurera l’émigration dans cette œuvre gigantesque ?

Pourquoi nos ouvriers, nos paysans n’y joueraient-ils pas leur rôle ? Ce n’est pas que je pense que la France ait ici les mêmes destinées que l’Angleterre, ce n’est pas que je partage les craintes qu’inspire quelquefois ce lent accroissement de notre population comparé avec l’exubérance prolifique de la Grande-Bretagne. Je n’envie pas pour nos prolétaires, si un pareil mot peut s’appliquer aux ouvriers français, le bonheur des Irlandais émigrants. Ici la réaction contre la théorie de Malthus sur la population va trop loin. Sans doute il ne faut pas abuser de la contrainte morale tant recommandée par l’économiste anglais, surtout dans les classes qui peuvent nourrir de nombreux enfants, et je crains que l’égoïsme ne se mette chez nous de plus en plus à l’abri sous le prétexte d’une sage prévoyance. Mais faudra-t-il dire aux ouvriers : « Mariez-vous à dix-huit ans et ayez chacun quinze enfants : l’émigration se chargera de placer ceux que la mort n’aura pas enlevés ? » Assurément non. L’émigration est un remède, mais indirect, incertain et insuffisant à la misère. Les économistes, trop souvent, en ont diminué l’importance, exagéré les inconvénients : est-ce une raison pour pencher aujourd’hui vers l’autre excès ? Je dirais volontiers « Rendons justice à l’émigration ; ayons-en le goût, si vous voulez, n’en ayons pas le fanatisme »

Sous ces réserves, pourquoi, je le répète, la France ne fournirait-elle pas à l’émigration un plus vaste contingent ? Est-il vrai que les Français soient si essentiellement sédentaires et casaniers qu’on l’a dit ? Si l’on invoque la race, n’ont-ils pas dans les veines le sang des Gaulois et des Francs ? Si l’on invoque l’histoire, ne sont-ils pas le peuple des croisades, le peuple des guerres de propagande de la révolution ? Est-ce l’humeur aventureuse qui leur a jamais fait défaut ? Qui s’acclimate plus facilement et plus vite ? Quel caractère est plus que le leur souple et flexible ? Quel esprit plus fertile en ressources ? Nos soldats ne l’ont-ils pas fait voir en Égypte, en Algérie, en Crimée, partout où ils portent leurs tentes ? Quels noms enfin que ceux des Labourdonnaie, des Dupleix parmi les colonisateurs ! De quel droit refuser à la nation française le titre de nation colonisatrice ? Que l’on dise plutôt, en songeant à nos vieilles colonies et à l’Algérie, que c’est de l’administration et de l’excès de l’esprit réglementaire que sont venus nos échecs. Cet esprit réglementaire, éternelle plaie, gêne l’émigration, entrave la colonisation, crée des barrières où il faudrait les abaisser toutes. Il décourage l’esprit d’entreprise au départ, il le tue sur le lieu d’arrivée. Qu’avant tout donc l’émigration soit libre ! À ce prix, elle donnera lieu à une industrie régulière, et spontanément elle ira où le besoin l’appelle. La tâche des gouvernements se réduit à une œuvre de protection, tout au plus d’aide modérée dans certaines circonstances. Éclairer l’émigration, assurer l’exécution des contrats, aider à garantir contre les fraudes du charlatanisme des esprits ignorants, n’est-ce pas déjà beaucoup faire pour la réussite ? Quant aux colonies, nul succès sans la liberté personnelle et sans la garantie de la sécurité. C’est par là que les Anglais, avec des qualités bien moindres de sympathie et d’assimilation, ont élevé si haut la prospérité de leurs colonies et agrandi par elles la puissance de la métropole. Justes contre le vieux régime colonial, les critiques des économistes manqueraient d’exactitude et de portée contre la libre colonisation. L’importation et l’exportation libres des hommes sont un corollaire de la liberté du travail, elles ne sont pas moins fécondes en grands résultats que l’échange libre des produits[4].


  1. Voir le livre de M. Joseph Garnier Du principe de population. C’est une défense complète du système de Malthus, dont l’auteur est un des partisans les plus décidés et les plus savants.
  2. Parmi les attaques les plus radicales contre le système de Malthus, parties du camp non plus des socialistes, mais des économistes, nous citerons les articles, insérés dans le Journal des Économistes, de M. de Fontenay, un des plus vigoureux ecrivains que compte aujourd’hui l’économie politique.
  3. M. Jules Duval, Histoire de l’émigration· p. 442.
  4. Le livre de M. Jules Duval, intitulé Histoire de l’émigration, est un remarquable plaidoyer en faveur de ces vérités, plaidoyer éloquent comme le chiffre qui porte une irrésistible conviction dans les esprits comme l’accent sincère d’une intelligence qui sent la grandeur du sujet qu’elle embrasse. Ce sujet, on peut dire que M. Jules Duval l’a épuisé, et qu’après avoir porté sur quatre-vingt-trois pays l’enquête la plus complète et un coup d’œil des plus sagaces, il n’a plus laissé qu’à glaner à ceux qui viendraient après lui. Honoré des suffrages de l’Académie des sciences morales et devenu l’objet, de la part de deux de ses rapporteurs. MM. H. Passy et Franck, d’éloges qui dépassent la mesure ordinaire des louanges accordées aux lauréats, son livre a reçu le même accueil chez tous les hommes compétents. Il est lu en France et hors de France. Le talent de l’écrivain et les vues élevées de l’ouvrage y sont pour beaucoup ; mais le merite des plus patientes et des plus exactes recherches pouvait seul en faire ce qu’il sera, un livre longtemps consulté.