La Mère Jeanne

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Chants et ChansonsAlexandre HoussiauxTome II (p. 1-3).


LA MÈRE JEANNE

 
Dans la vie on ne reste guères
À l’âge riant des amours,
Les ans vont comme les rivières,
Et rien n’en peut barrer le cours.
Je ne suis plus la fille fraîche
Que l’on appelait Jeanneton ;
Le soleil a rougi la pêche,
Le rosier n’est plus en bouton.

Je suis la mère Jeanne
Et j’aime tous mes nourrissons,
Mon cochon, mon taureau, mon âne,
Vaches, poulets, filles, garçons,
Dindons, et j’aime leurs chansons,
Comme étant jeune paysanne
J’aimais la voix de mes pinsons.


Quand j’étais encore jeunette,
Une autre ne posait pas mieux
Le papillon de sa cornette
Et le chignon de ses cheveux ;
Maintenant c’est une autre affaire,
Il s’agit bien de coqueter ;
Du jour qu’on est mère et fermière,
On a d’autres chiens à fouetter :

Je suis la mère Jeanne
Et j’aime tous mes nourrissons,
Mon cochon, mon taureau, mon âne,
Vaches, poulets, filles, garçons,
Dindons, et j’aime leurs chansons,
Comme étant jeune paysanne,
J’aimais la voix de mes pinsons.

C’est la moisson, c’est la vendange,
Les semailles, la fenaison :
C’est la lessive, et tout ça mange,
Tout ça boit plus que de raison.
Il faut qu’à tout je remédie,
Le bétail est ensorcelé,
Les enfants ont la maladie,
Cette nuit la vache a vêlé :

Je suis la mère Jeanne
Et j’aime tous mes nourrissons,
Mon cochon, mon taureau, mon âne,
Vaches, poulets, filles, garçons,
Dindons, et j’aime leurs chansons,
Comme étant jeune paysanne,
J’aimais la voix de mes pinsons.


Venez, poules à crête rouge,
Et mon beau coq tambour-major !
J’aime que tout ce monde bouge,
Je vois remuer mon trésor :
Ces marcassins, ce veau qui tette,
Ces cannetons qui vont nageant,
Cet agneau qui bêle à tue-tête,
C’est pour moi le bruit de l’argent :

Je suis la mère Jeanne
Et j’aime tous mes nourrissons,
Mon cochon, mon taureau, mon âne,
Vaches, poulets, filles, garçons.
Dindons, et j’aime leurs chansons,
Comme étant jeune paysanne,
J’aimais la voix de mes pinsons

C’est qu’il en faut dans un ménage
De l’argent blanc, de l’or vaillant ;
On n’en gagne pour son usage
Qu’en bien veillant et travaillant ;
Par-dessus, votre homme se grise,
Et trébuche en rentrant au nid ;
On se bat, mais après la crise,
On s’embrasse et tout est fini :

Je suis la mère Jeanne
Et j’aime tous mes nourrissons,
Mon cochon, mon taureau, mon âne
Vaches, poulets, filles, garçons,
Dindons, et j’aime leurs chansons,
Comme étant jeune paysanne,
J’aimais la voix de mes pinsons.