La Météorologie cosmique

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La Météorologie cosmique

LA MÉTÉOROLOGIE COSMIQUE

Tel est, comme nous l’avons dit dans notre article nécrologique sur Jean-Baptiste Donati, le nom de la science nouvelle que l’immortel directeur de l’Observatoire d’Arcetri a créée, quelques mois avant d’être enlevé par une terrible épidémie. Cette science naissante a été révélée par la grande aurore boréale que Donati a fait observer par tous les agents diplomatiques du royaume italien.

Devenus les bases et les fondements d’une science si importante, ces beaux et grandioses phénomènes acquièrent une importance toute nouvelle, on peut dire exceptionnelle ; aucune des circonstances qui les concernent ne doit dorénavant être négligée, quoiqu’il soit difficile de tout dire à leur endroit. Pour convaincre nos lecteurs de la richesse inépuisable de ces variétés, dont on ignore la cause, nous avons pris, en quelque sorte au hasard, deux dessins. Voisins l’un de l’autre, rapprochés par le hasard, ils montreront mieux l’un et l’autre que de merveilles à décrire, que d’explications à découvrir.

Notre première aurore, observée en France au mois de septembre 1731, a été dessinée par Mairon dans son bel ouvrage. C’est une des apparitions qui ont pu porter certains physiciens à s’imaginer que les aurores boréales étaient des queues de comète ! La seconde, est beaucoup plus moderne. Elle fut observée par des Américains dans l’ancienne Amérique russe, aujourd’hui territoire d’Alaska, le 27 décembre 1865. On dirait un ruban lumineux formé par les replis d’un rideau de cirrhus qui vient du zénith et descend jusqu’à l’horizon. Le spectacle fait involontairement songer à l’échelle mystérieuse que, suivant la légende, le patriarche aurait vue en rêve.

Il est probable que l’extrême bizarrerie de ces apparences tient à quelque circonstance, dont on trouvera l’explication simple quand on aura fait un pas plus avant, mais sur lesquelles nous devons réserver notre opinion tout entière.

Donati s’est borné, comme nous l’avons dit dans sa notice, nécrologique, à établir rigoureusement le synchronisme relatif à chaque méridien successif. En d’autres termes, si toutes les heures étaient comptées d’après un même méridien universel, on verrait que l’aurore a fait le tour du monde, en marchant juste aussi vite que le mouvement apparent du soleil. Cette belle et grande loi, aussi simple que les plus lumineuses énoncées par le grand Keppler, prouve surabondamment que la cause des aurores gît dans le soleil lui-même. Cette vue si nette vient confirmer les longs et magnifiques travaux de M. Brown, l’astronome de Trevandum, qui a exposé des lois expérimentales non moins logiques, non moins surprenantes, et cela sans connaître les travaux de Donati, qui n’étaient point alors parvenus dans l’Inde. M. Brown a remarqué que les aurores boréales ont une périodicité de 26 jours, c’est-à-dire qui semble réglée sur le mouvement de rotation du soleil autour de son axe. Rien de plus naturel, si on admet la théorie de l’incomparable Hansteen qui veut que le soleil soit le siège de puissants courants électriques, en un mot, que ce soit un immense solénoïde tels que ceux qu’Ampère et Arago nous ont appris à construire. En effet, il n’est point admissible que la surface du soleil soit homogène, d’où il résulte que l’action magnétique des divers méridiens solaires qui se déplacent sans relâche doit varier incessamment ; mais tous les 26 jours les divers méridiens solaires reprennent la même position relative à nous, d’où résulte que tous les 26 jours les mêmes méridiens ont repris leur même position, et que, par conséquent, l’action magnétisante du soleil doit offrir cette période.

En comparant les mouvements de la pression barométrique en Écosse et en Tasmanie, M. Brown a constaté que les variations sont simultanées dans ces deux stations dont la latitude magnétique est la même, et qui sont situées l’une dans l’hémisphère austral, l’autre dans l’hémisphère boréal. Cette simultanéité rappelle évidemment celle qui a été constatée dans l’apparition des aurores dans les deux hémisphères. Mais ce n’est pas tout, car ces deux variations sont périodiques et leur période est également de 26 jours. D’où résulte l’idée hardie que les variations de la pression barométrique sont dues à des variations de l’action magnétique du soleil et indépendantes de la gravitation. Cette idée renverserait de fond en comble plusieurs théories admises par certains physiciens. Non-seulement les aurores seraient un signal que le temps a changé, mais on comprend qu’elles doivent être inséparables de ce changement de temps, puisqu’elles dérivent, elles aussi, de l’électricité du soleil.

M. Brown n’a point jeté en l’air cette conception à l’état brut, sans l’étayer de nombreuses observations et de sérieux corollaires. Pendant le cours de l’année 1869, il a établi dans les montagnes du sud de l’Inde neuf stations, pour déterminer la valeur de la variation barométrique, et il a étudié une période distincte de la précédente, dont l’existence est constatée pour toute la terre, et que l’on nomme diurne ou plutôt semi-diurne.

Le tableau de ces nombreuses observations prouve que l’amplitude varie proportionnellement à la valeur absolue de la pression, c’est-à-dire plus grande dans le voisinage des plaines que sur les sommets escarpés. D’où il n’est pas difficile de déduire qu’il faut que la pression même soit produite par une force extérieure, telle que le serait une action électrique émanée du soleil.

Aurore boréale observée à Brevillepont, 26 septembre 1731.
Aurore boréale observée dans l’Alaska, le 27 décembre 1863.

Chemin faisant, M. Brown attaque, dans ses Mémoires (voir les comptes rendus 1872-1873), des préjugés mis en avant par des météorologistes qui n’ont point observé la nature et que l’on trouve énoncés dans tous les traités de physique : 1o La vapeur à l’état vésiculaire est un mythe ; car M. Brown a longuement observé au télescope de la vapeur d’eau et s’est convaincu que le globule est plein. 2o Il a observé que le phénomène de l’évaporation, même dans les plaines les plus chaudes de l’Inde, ne produit aucun mouvement latéral, malgré l’énorme quantité d’eau qui se rend ainsi dans les nuages. Il en résulte, que tout le mécanisme de la circulation atmosphérique et océanique, dont on a fait tant de bruit, paraît loin d’avoir dans la nature la même importance que dans la science contemporaine. 3o Il a observé que la direction des nuages est tout à fait indépendante des variations de la pression barométrique. Ce fait saillant résulte de très-longues et très-nombreuses observations faites en Écosse, avec un grand soin et dans lesquelles on tenait compte de la direction relative de toutes les couches.

Suivant M. Brown le moteur de tous ces mouvements atmosphériques ne peut être que l’électricité solaire. Nous reviendrons avec plus de détails sur tous ces faits que nous ne pouvons qu’indiquer d’une façon sommaire. Mais n’est-ce point une coïncidence digne d’être signalée, que de voir le témoignage de Brown confirmé par Donati mourant, et Donati donner raison, par des voies nouvelles, à l’incomparable Hansteen, ce génie si peu compris et cependant qui rayonne de si vives lumières, qui ne l’a précédé que de quelques mois dans la tombe. Dans notre dernière revue de météorologie nous avons critiqué, avec quelque violence, des opinions du Père Denza, qui nous paraissaient erronées. Mais nous serions désespérés qu’on vit dans notre polémique une attaque contre le talent de cet observateur qui nous paraît digne de continuer la tâche de Donati, car il a déjà organisé, aux frais du gouvernement italien, les observations électriques dans sept observatoires météorologiques, parmi lesquels nous citerons Moncalieri et le grand Saint-Bernard, dont la grande élévation rend les indications si précieuses. C’est le célèbre Palmieri, de l’Observatoire vésuvien, qui est l’inventeur des instruments en usage dans ces nouvelles stations. Nul doute que la météorologie cosmique, entre des mains pareilles, ne fasse des pas de géant, et qu’on ne puisse dire bientôt d’elle :

Mes pareils à deux lois ne se font pas connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.

W. de Fonvielle.