La Météorologie en 1854 et ses progrès futurs

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La Météorologie en 1854 et ses progrès futurs
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 8 (p. 170-182).
LA MÉTÉOROLOGIE


EN 1854


ET SES PROGRÈS FUTURS





DES INFLUENCES METEOROLOGIQUES SUR LA SANTE DES HOMMES ET DES ANIMAUX ET SUR LES PRODUCTIONS AGRICOLES.





Le commencement de l’année 1854 a été marqué par des circonstances météorologiques qui ont appelé l’attention du public sur les phénomènes atmosphériques ordinaires, lesquels n’excitent guère l’intérêt général quand il ne s’y joint pas un motif d’espoir ou de crainte qui mette en action un mobile plus puissant que la curiosité scientifique. Les pluies persistantes du printemps dernier, menaçant la récolte des céréales de 1854 après une année d’un très faible produit, donnaient de justes appréhensions aux esprits les moins sérieux, et l’on se demandait d’où provenait cette constitution humide si incommode actuellement et si menaçante pour l’avenir. Dire que la persistance des vents d’ouest, du reste assez faibles, qui dominaient alors, était la cause de ces pluies continuelles, c’est provoquer la question de savoir pourquoi le vent d’ouest persistait plus longtemps en 1854 que dans les années ordinaires. Dans l’ignorance où nous sommes encore des mouvemens généraux de l’atmosphère en chaque saison de l’année, en chaque mois, en chaque jour, nous ne pouvons rien dire sur la qualité et la direction de la masse d’air qui va arriver sur nos têtes. Il faut donc différer notre ambition scientifique jusqu’au moment où les progrès de la physique du globe nous permettront de suivre la marche des courans d’air d’un bout à l’autre de la terre pour savoir quelle masse d’air va bientôt nous arriver, de quelle région elle proviendra, et quel sera son degré de chaleur ou d’humidité. Jusque-là nous ne verrons que les détails, mais point du tout l’ensemble des opérations de la nature, et de là résultera l’impossibilité complète de rien prévoir de ce qui pourrait être si éminemment utile à la santé, à l’industrie agricole et à mille intérêts de nos sociétés modernes, si compliquées dans leurs besoins et dans leurs échanges.

Après avoir fait remarquer que la constitution pluvieuse qui a dominé plusieurs mois dans le nord de la France ne s’est pas fait sentir au même degré dans le midi, et notamment dans le bassin de la Gironde et de l’Aude, je dirai que le caractère remarquable de cette année 1854 a été un calme très grand. Dans aucune autre année, le vent n’a été aussi faible, et par suite la constitution atmosphérique n’a point été fortement prononcée. Cette année semble une année de transition entre un système de courans atmosphériques dirigés d’une certaine manière et un système subséquent avec des courans autrement dirigés que par le passé et d’une intensité plus grande. Les courans d’air chaud venant de l’ouest, qui d’année en année étaient remontés vers le nord, vont-ils reprendre, à travers le milieu de l’Europe, la direction qu’ils avaient il y a quelques années, et qu’en résultera-t-il pour les climats du nord dans l’ancien et le nouveau monde ? C’est ce que nous pourrions savoir si nous avions des postes météorologiques assez nombreux et assez bien pourvus d’instrumens précis distribués sur un nombre suffisant de points de notre globe, soit sur les continens, soit en pleine mer; mais nous sommes encore bien loin de posséder les données nécessaires à l’établissement de ces belles lois de la nature.

En nous restreignant donc forcément aux observations de détail en l’absence des grandes causes principales, nous rappellerons que dans notre théorie de la pluie ce sont les masses d’air humide qui, étant soulevées par une cause quelconque dans l’atmosphère, s’y dilatent, s’y refroidissent, et précipitent en pluie leur humidité primitive. Or, dans une atmosphère calme ou du moins animée par des déplacemens très lents, le moindre arrêt ou ralentissement dans le mouvement progressif des masses antérieures doit produire un excès d’épaisseur, ou si l’on veut un soulèvement partiel de ces couches, par suite un refroidissement correspondant, et ultérieurement une vraie pluie. Or c’est ce qu’on pouvait fréquemment observer dans les mois pluvieux de cette année. D’abord le calme s’établissait, ensuite commençait la pluie. Jamais le proverbe, que la pluie abat le vent, n’a été plus vérifiable. De plus, le soulèvement des masses pleuvantes et non transparentes a été rendu très sensible par la profonde obscurité qui accompagnait ces ondées si fréquentes et si abondantes en eau. Si les courans de l’air eussent été plus prononcés, il n’y aurait point eu de ces alternatives d’arrêts et de mouvemens faibles qui produisaient ces changemens d’épaisseur et par suite de hauteur des couches d’air voisines du sol. Telle est, je pense, la cause qui, jointe à la persistance d’un faible vent d’ouest, a donné naissance aux phénomènes observés.

Dans le midi de la France, le commencement de l’année a été signalé par des froids assez vifs et par une sécheresse désastreuse. M. de Gasparin, frère du membre de l’Institut, avait eu l’idée de préserver de la gelée ses oliviers en blanchissant à la chaux le tronc et les grosses branches de ces arbres. Cette expérience lui avait été suggérée par ce qui avait été dit dans cette Revue de l’influence de la couleur des surfaces sur le rayonnement. Non-seulement les oliviers ainsi blanchis ont très bien résisté à la gelée, mais ils ont été bien moins sensibles aux effets de la sécheresse et ont conservé leurs feuilles vertes, tandis que d’autres oliviers non blanchis les avaient toutes desséchées et pour ainsi dire grillées par la sécheresse prolongée.

Tout porte à croire que nous sommes rentrés dans le cours ordinaire des phénomènes de transport des masses d’air, de chaleur et d’humidité qui sont habituels à notre climat, à nos régions et aux diverses localités qu’elles comprennent. Il n’y a donc pas lieu, comme le pensaient plusieurs personnes, à changer de mode de culture et à modifier les habitudes de la vie moyenne. Ce n’est d’ailleurs qu’aux influences météorologiques sérieusement étudiées qu’il appartient de déterminer le meilleur régime à suivre sous ce double rapport.


I.

On a dit depuis longtemps que la santé était un bien dont on ne connaissait le prix que quand on ne le possédait plus; mais s’il est des circonstances occultes compromettantes pour la santé, ce sont en première ligne les influences météorologiques. Tout le monde perçoit immédiatement les impressions agréables ou pénibles de la chaleur et du froid; mais on ne se rend pas aussi bien compte de l’influence de la pression de l’air indiquée par le baromètre. Quand le temps est chaud avec le baromètre bas, on dit ordinairement qu’il fait un temps lourd. C’est le contraire qui a lieu, puisque l’abaissement du baromètre indique un moindre poids dans l’air; mais on prend un affaissement des forces physiques pour l’effet produit par une augmentation imaginaire du poids de l’air. Il est facile de voir qu’en respirant alors un air dilaté par la chaleur et par une pression moindre, on fait passer par les poumons, à chaque inspiration, une quantité d’air moindre que dans l’état normal de l’atmosphère, et qu’il doit s’ensuivre une débilitation des forces analogue à ce que l’on éprouve dans l’air embrasé des déserts sablonneux ou bien dans l’atmosphère raréfiée des hautes montagnes. Le remède se trouve facilement dans les parfums et les boissons aromatisées. On sait que dans l’ascension du Mont-Blanc par Saussure, ses guides nombreux, montagnards grossiers, cessèrent à une certaine élévation de boire et de manger pour reprendre des forces, l’eau-de-vie même ne leur convenait plus : ils demandaient de l’eau de Cologne; et dans l’excursion de Caillié à Tombouctou, lorsqu’au milieu du désert l’eau tiédie n’offrait plus aucun soulagement à la caravane, les voyageurs furent tirés d’affaire par des boites de pastilles de menthe qui se trouvèrent dans leur approvisionnement.

Mais c’est surtout l’humidité de l’air qui joue un rôle important dans l’hygiène d’une localité. Rappelons d’abord que sur onze parties de nourriture que l’on prend en alimens solides ou liquides, il y en a huit qui se dissipent par une transpiration insensible. Ainsi, sur onze demi-kilogrammes que mangerait ou boirait un homme dans un jour, il y aurait quatre kilogrammes qui seraient employés à fournir à cette transpiration. Aussi, dès que cette fonction vitale si importante est lésée, comme dans le cas de ce qu’on appelle vulgairement un refroidissement, les symptômes les plus alarmans se manifestent tout de suite. Or dans un air trop humide l’exhalation est entravée par la présence d’une trop grande quantité d’eau déjà existante dans l’air, et si l’air est au contraire trop sec, il dessèche les poumons et trouble l’économie ordinaire de l’organisation. C’est ce qu’éprouvent ceux qui s’élèvent à de grandes hauteurs sur les montagnes ou dans des aérostats, et tel est aussi l’effet du vent du désert appelé simoun, dont la sécheresse est extrême. Sous ce point de vue, le climat de la France comparé à celui de l’Angleterre est beaucoup plus salubre, car tandis qu’en Angleterre l’humidité est très grande au point que le bois ne s’y conserve que sous une couche de vernis, en France, ou du moins à Paris, l’air contient en moyenne à peu près la moitié de l’humidité qu’il pourrait contenir au maximum, étant tout juste intermédiaire entre la sécheresse absolue et l’humidité extrême.

Tout le monde sait que les personnes atteintes de maladies de poitrine ont besoin d’un air chaud et humide. La sécheresse de l’air leur est mortelle, et souvent même on place leur lit dans les étables. En général cependant on peut dire que les habitations et les climats trop humides sont malsains, et les Anglais, qui quittent leur île pour le séjour de Montpellier, de Porto ou de Madère, éprouvent un soulagement immédiat dans les cas de rhumatisme, d’humeurs froides, de cachexie sérieuse, et de toutes les maladies auxquelles l’humidité est nuisible. C’est une des parties les moins avancées de la météorologie que celle qui a pour objet l’étude des influences de l’atmosphère sur l’homme en santé et en maladie. Quelque jour, l’hygiène météorologique sera l’une des branches les plus cultivées comme les plus utiles des sciences de l’organisation vitale. Remarquons que lorsqu’une science s’appuie sur deux autres, ses progrès sont bien plus lents que pour des connaissances plus simples ; car, pour les faire avancer, il faut qu’il se trouve un homme également supérieur dans les deux sciences. Au reste, quand la simple logique n’attribuerait pas une extrême importance à l’étude des influences atmosphériques, il suffirait des soins à donner à la santé publique dans l’assainissement des maisons et des rues, dans les cliniques des hôpitaux civils et militaires, pour recommander on ne peut plus sérieusement cette branche de nos connaissances expérimentales.

Je n’ai point mentionné parmi les influences météorologiques toutes celles qui agissent sur les nerfs, ces instrumens de sensibilité qui trop souvent deviennent des instrumens de souffrance. Il est incroyable jusqu’à quel degré de perception délicate peuvent arriver ces organes, même dans les organisations vigoureuses. Que l’on compare les sensations d’une personne qui part pour la promenade par un beau temps égayé de soleil, ou par un temps triste et froid d’automne, ou encore par un de ces jours de printemps où le vent d’est rend le soleil lui-même malsain par des alternatives agaçantes de chaud et de froid également pénibles pour les, personnes nerveuses. Ici devrait se placer la mention des influences qui produisent les maladies épidémiques, et en première ligne ce terrible choléra asiatique qui depuis un quart de siècle décime les populations de l’Europe; mais ce fléau mystérieux, qui détruit si rapidement non-seulement la vie, mais encore l’organisation, a échappé jusqu’ici à toutes les investigations de la physiologie. La fièvre jaune a été étudiée dans son action sur certaines portions des organes qu’elle affecte; on a reproduit ses effets par certains réactifs et par certains poisons, tandis que, pour le choléra, rien de pareil n’a pu être obtenu, et cette affection, souvent foudroyante, a échappé jusqu’ici à tout l’art des Magendie et des Orfila. Est-ce une influence nerveuse ? Alors d’où viennent des effets de décomposition si rapide ? Est-ce autre chose ? Alors pourquoi ne retrouve-t-on pas de traces de l’agent matériel qui a produit de si énergiques effets ? Enfin quelle peut donc être la nature de l’émanation, de l’effluve exhalée de la terre qui détermine la recrudescence de ces épidémies ? — La question, loin de laisser entrevoir une solution, n’est pas même encore bien posée.

En général, la quantité de matière nécessaire pour agir sur le système nerveux et sur nos organes est extrêmement petite. On a analysé chimiquement l’air infect pris dans l’égout de Montmartre et celui qui avait été recueilli dans un espace libre et bien isolé sur les quais, près du pont de la Concorde, et chimiquement parlant, on les a trouvés identiques. Un morceau de musc qui avait fourni pendant vingt ans des émanations odorantes à l’air libre n’avait rien perdu de son poids. L’air qui donne les fièvres de marais et celui de la Zélande, qui donne constamment les fièvres d’automne, ne déposent rien d’appréciable aux réactifs les plus sensibles. Quelles influences physiques faut-il donc imaginer ou admettre ?

Si l’on stationne dans une chambre fermée où se trouvent des fleurs très odorantes, comme par exemple des tubéreuses, on cesse d’en sentir l’odeur au bout de quelque temps; pour certaines personnes, l’action cependant ne cesse pas avec la sensation. Beaucoup de dames par exemple ne résisteraient pas à cette influence occulte, et finiraient imperceptiblement par se trouver mal. Il y a donc là une puissante action qui se produit sans être manifeste à nos sens, et au moyen d’émanations tellement subtiles, qu’elles échappent à toute appréciation physique du poids. L’influence météorologique des contrées malsaines ou envahies par les maladies épidémiques est-elle de ce genre ? C’est ce que nous ignorons complètement. Au reste, ces agens mystérieux ne seraient pas plus étranges ni plus subtils que ceux que la physique reconnaît sous les noms de fluide électrique ou magnétique, de principe de la chaleur et de la lumière, ni enfin que le fluide universel lui-même, cet éther si éminemment élastique et impondérable qui sert de véhicule à la chaleur et à la lumière, comme l’air sert de véhicule au son, aux bruits divers et à toutes les vibrations non perceptibles à l’oreille. On ne doit point s’étonner que de pareils agens ne trahissent leur existence que dans des cas très exceptionnels, car si rien ne peut les contenir, les arrêter, les renfermer, les circonscrire, comment en aurons-nous la sensation ? C’est à peu près ainsi que nous concevons l’éther impondérable, intangible, non perceptible à nos sens, excepté dans le cas de vibration, où il agit sur nos sens comme chaleur et comme lumière. C’est encore ainsi que l’air dans lequel on ne fait pas des mouvemens trop brusques cède et se laisse déplacer de manière à être non perceptible à nos sens, tandis que, s’il est mis en vibration sonore, il nous apporte la sensation des instrumens de musique, de la voix, et en général de toutes les mille vibrations qui viennent l’agiter.

Quant à la santé des animaux, il ne semble pas qu’elle soit soumise aux mêmes influences que celle de l’homme. Ainsi, dans les marais pontins et dans la campagne de Rome, exposés à la mal-aria, les buffles et les autres animaux ont un air de prospérité qui ne laisse aucun doute sur leur excellent régime hygiénique. Pourtant les animaux sont sujets, comme nous, à des mortalités sans causes apparentes. Après l’époque du choléra de 1832, la même maladie dépeupla les basses-cours et sévit particulièrement sur les dindons. Les moutons sont sujets à de fréquentes épizooties. Tout le monde a lu la description de la peste des animaux dans Virgile. Enfin j’ajouterai que dans les essais d’acclimatation tentés au jardin de Batavia, après qu’on avait couvert des hectares entiers de vers à soie, une maladie épizootique les faisait périr presque tous, et les ramenait forcément à une espèce d’équilibre que la nature semble avoir établi, et dont on n’enfreint pas impunément les lois. S’il en était autrement, une race aurait depuis longtemps envahi tout le globe, elle y vivrait seule, à peu près comme les plantes sociales dans certaines contrées du globe, d’où elles excluent toute autre végétation.

Cependant on peut présumer que les animaux ne périssent pas par des influences aussi subtiles que celles qui frappent l’homme, et cela tient peut-être à ce que leur organisation nerveuse est bien inférieure au système nerveux humain. Il semble qu’on a toujours reconnu dans les épizooties quelles étaient les influences de nourriture, d’habitation, de régime, qui avaient amené ces mortalités. La conclusion de tout ceci sera que nous savons encore bien peu de choses sur les influences physiques qui déterminent les épidémies, et que nous ne savons rien du tout sur l’influence cholérique.

Si de la santé des animaux nous passons à la santé des plantes, c’est-à-dire à leur culture utile, nous sommes en plein dans le domaine de la météorologie. Plus tard, et à mesure que les circonstances en amèneront le besoin ou le désir, j’essaierai de faire connaître tout ce que l’agriculture doit à l’excellent livre de M. le comte de Gasparin; ici il ne sera question que de météorologie.

Les plantes, privées de la faculté de se transporter d’un lieu dans un autre, naissent, croissent et meurent au même lieu. Pour elles, point de migrations, point d’influences climatologiques à éviter ou à rechercher. La chaleur, l’humidité, la sécheresse, la pluie et tous les météores agissent donc sur elles immédiatement; mais c’est surtout la chaleur du soleil et l’arrosement de la pluie, ou plus poétiquement, si l’on veut, l’eau et le feu, qui déterminent leur croissance et leur fructification. La plus importante des plantes, celle que Cérès donna aux humains, ce produit hâtif de l’été qui nourrit tous les habitans des zones tempérées, nous servira d’exemple. Le blé et les autres céréales, telles que le seigle et l’orge, exigent une certaine quantité de chaleur pour arriver à maturité. Heureusement le degré de force de la chaleur n’est pas indispensable, et au moyen d’un nombre plus grand de jours d’une chaleur plus faible, chaque espèce arrive à maturité, comme avec un moindre nombre de jours de plus forte chaleur. L’orge étant de toutes les céréales celle qui exige la moindre somme de chaleur pour arriver à maturité, elle devra fructifier à des latitudes ingrates où le froment ne mûrirait pas. C’est ainsi que Forge est cultivée jusqu’à l’extrême Norvège septentrionale. On a construit des cartes qui montrent les limites des diverses cultures, comme aussi les limites qui pour les plantes sauvages bornent le domaine de chacune d’elles. Toutes ces déterminations sont dues originairement à M. de Humboldt, qui en a fourni le type déjà presque parfait d’après ses voyages et ses recherches de cabinet.

Venons maintenant aux maladies des plantes, si l’on peut appeler ainsi l’invasion d’un insecte qui vient pulluler sur la vigne et ses fruits, ou bien se développer sur les bulbes nutritifs de la pomme de terre. Il est évident que ce n’est point là une maladie proprement dite. À ce compte, l’homme, qui dévore une énorme quantité de raisins et de pommes de terre, serait pour ces deux productions une maladie pire que celles qui affligent la vigne et la plante de Parmentier. D’où vient pourtant l’invasion récente de ces insectes sur ces deux produits nutritifs ? C’est évidemment que par une culture outrée en engrais on a essayé de faire rendre à ces deux plantes une quantité de produits supérieure à celle qu’elles donnaient précédemment dans des conditions de croissance plus saines pour elles, et par suite plus durables. Maintenant l’influence appelée maladie des pommes de terre cessera lorsqu’elle aura détruit tous les plants susceptibles de contracter cette disposition morbide. Alors les plants et les espèces de pommes de terre qui subsisteront seront ceux dont la constitution ne peut être influencée par la cause qui ruine les autres espèces. C’est ainsi qu’à part les influences météorologiques, les épidémies déciment l’humanité. Nous ne sommes pas les descendans de ceux qui ont été atteints par ces fléaux successifs, mais bien de ceux dont la constitution n’était pas apte à les subir. Un grand nombre des maladies des anciens et du moyen âge ont complètement disparu, et si quelques-unes de ces épidémies reparaissent de siècle en siècle, c’est que le développement des êtres a reproduit dans la population quelques-unes des organisations détruites par les épidémies précédentes, lesquelles organisations se sont trouvées par suite attaquables par les causes morbides, contagieuses ou non, qui n’ont pas cessé d’exister. On peut concevoir que la vigne, cultivée autrefois dans un terrain sec et non fumé, devait avoir son bois et ses fruits plus secs, plus robustes, moins attaquables par les insectes parasites que dans les circonstances actuelles, tout à fait différentes. De même les bulbes féculisans de la pomme de terre, poussés par la culture à des dimensions exagérées, ont dû être accessibles à des développemens morbides que ne comportait pas le développement normal de la plante. Si le blé a échappé jusqu’ici à ces fâcheuses influences, c’est que cette plante est depuis si longtemps cultivée dans la vue d’un maximum de rendement, qu’elle a sans doute déjà subi toutes les maladies possibles que comporte son organisme. Une maladie du blé serait bien autrement fatale que la maladie actuelle de la vigne ; mais elle ne semble pas à craindre d’après ce qui vient d’être dit. Au reste, à mesure que le globe se peuplera, la culture des céréales et des plantes à fécule en des lieux fort éloignés permettra, dans les années de disette, de s’approvisionner dans des localités étrangères qui n’auront pas éprouvé les mêmes circonstances de stérilité. Plusieurs personnes ont peine à concevoir comment le blé, qui dans les latitudes moyennes de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique, donne des récoltes si abondantes et si précieuses, ne peut fructifier dans les contrées intertropicales, où le manque d’hiver semblerait devoir favoriser le développement de la plante. À cela il est facile de répondre que c’est précisément le manque d’hiver qui réduit le blé semé dans la zone torride à l’état d’herbe qui se reproduit par rejetons et non par graines. En effet pour le blé, comme pour mille autres plantes annuelles, la graine est un moyen de perpétuer l’espèce d’une année à l’autre, puisque chaque individu meurt au bout de la saison de son développement, tandis que dans les pays chauds, où la vie persiste dans la plante plusieurs années, comme chez nous dans le gazon, et où la propagation se fait par rejetons latéraux, la plante ne monte point en épis et ne donne point de récolte de grains. Sans doute plusieurs plantes herbacées des climats plus chauds que le nôtre passeraient à l’état de plantes à graine en se naturalisant chez nous et en devenant plantes annuelles. Nous touchons ici à une des parties les plus intéressantes de la météorologie. En voyant l’acclimatation du sucre, du café et du blé dans les Indes occidentales, celle du maïs et de la pomme de terre chez nous, on conçoit tout ce qu’on peut espérer de ce genre d’acquisition de richesse, tant par la naturalisation des animaux que par celle des plantes.

Le moment viendra plus tard d’explorer d’autres parties de ce vaste ensemble qui forme le domaine de la météorologie. Je ne dirai aujourd’hui qu’un mot sur l’acclimatation de l’homme lui-même dans des contrées nouvelles, et je choisirai pour exemple la population actuellement si prospère des États-Unis. Il n’y a pas encore un siècle que, pour assurer la santé des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, on les envoyait passer en Europe le temps de leur adolescence. Plusieurs villes de France avaient leurs pensionnats pleins de ce qu’on appelait alors des créoles, quoiqu’ils n’eussent dans les veines aucune goutte de sang indien. Aujourd’hui même encore, depuis que la culture a assaini le sol, et quand la population longtemps décimée s’est pliée aux exigences du climat, la vie moyenne est sensiblement plus courte aux États-Unis qu’en Europe. On sait encore que la race dominatrice des Mamelouks n’a jamais pu se reproduire en Égypte. Ce sont là de frappans exemples d’influences météorologiques sur lesquelles le monde administratif comme le monde savant devra avoir les yeux constamment ouverts, même pour une localité aussi voisine que l’Algérie. Il sera sans doute à jamais impossible pour une localité quelconque de prédire pour un jour donné l’état de l’atmosphère, et, suivant l’expression vulgaire, de pronostiquer la pluie ou le beau temps. En effet, l’étendue de terrain qui reçoit la pluie est souvent tellement circonscrite, que ce qui serait annoncé pour Paris ne serait plus vrai pour Orléans, Rouen ou Amiens. Il faut donc, au nom de la logique, borner ses exigences, et ne demander à la science que des généralités sur les saisons, les vents dominans, la sécheresse ou l’humidité, le froid ou le chaud. La plupart de ceux qui remplissent les colonnes des almanachs ordinaires ne sont guère embarrassés pour les pronostics qu’il y mettent avec la plus grande assurance : ils évitent seulement d’indiquer des gelées pour le mois d’août et des chaleurs pour le mois de janvier; les temps variables sont affectés au printemps et à l’automne, et pourvu que l’almanach de l’année ne soit pas identique avec celui de l’année précédente, tout est bien. Quoique la science moderne ne reconnaisse pas l’influence de la lune, c’est toujours à la nouvelle et à la pleine lune, ainsi qu’au premier et au dernier quartier, que les indications de changement de temps sont annexées.

Voici du reste les conseils que je donnais à un faiseur d’almanachs relativement à ces indications véridiques qui, suivant l’expression anglaise, constituent un loyal almanach. Prenez toutes les indications de temps que l’on peut raisonnablement supposer pour la lunaison dont il s’agit. Ce seront, par exemple, pour une lunaison de printemps, les mots « variable, humide, sec, froid, chaud, beau fixe, inconstant, gelée, pluie, giboulées, gelée blanche, temps couvert, temps serein, vent, calme, etc.; » inscrivez chacune de ces indications sur un bulletin particulier; après avoir mélangé ces bulletins dans une urne, tirez-en un au hasard, et donnez-le comme type de la lunaison en question : alors vous aurez fait raisonnablement tout ce que comporte l’état de la science.

On voit d’ailleurs, par le grand nombre d’indications diverses qu’admet une lunaison quelconque, combien on a peu de chance de tomber juste sur la vérité dans cette sorte de divination. On cite à ce sujet l’anecdote suivante, arrivée à un de ces éditeurs de loyaux almanachs anglais qui se vendent par millions d’exemplaires. Il voyageait à cheval, et, s’étant arrêté d’assez bonne heure à une auberge, il voulut ensuite continuer sa route par un temps qui ne semblait nullement faire craindre la pluie : — Monsieur, lui dit l’hôte, je ne vous conseille pas de partir; vous ne serez pas à deux milles d’ici, que vous serez mouillé jusqu’aux os, et vous ne trouverez guère d’abri sur la route. Croyez-moi; j’ai un almanach qui ne me trompe jamais. — Comme on le pense bien, l’homme aux pronostics météorologiques, qui en connaissait au mieux la valeur, ne tint compte de ces paroles et se mit en route ; mais à moitié chemin de la localité qu’il voulait atteindre, il fut assailli d’une telle averse, entremêlée de vent et d’orage, que la prédiction qui lui avait été faite se trouva réalisée dans la plus stricte rigueur. Étonné au suprême degré de la prescience météorologique du landlord qu’il venait de quitter, il veut avoir le mot de l’énigme, et, rebroussant chemin, il revient à l’auberge d’où il était parti, mais dans un état qui donnait complètement gain de cause à celui qui avait voulu le retenir. — Comment, dit-il à l’hôte, avez-vous pu deviner si juste le temps épouvantable que nous venons d’avoir ? — Rien de plus simple, lui dit celui- ci. Figurez-vous que j’ai l’almanach de ***, (c’était précisément le nom du voyageur); ce gaillard-là est un impudent menteur, mais en prenant le contre-pied de tout ce qu’il annonce, je ne suis jamais en défaut; tenez, voyez ! il annonce du beau temps pour ce soir : n’ai-je pas eu raison de vous conseiller de ne pas vous mettre en route ?— Le riche directeur de la fabrique d’almanachs garda le silence et l’incognito, bien qu’il aimât ensuite à raconter sa mésaventure. D’après l’incertitude des pronostics, l’hôte aurait été dans la pleine raison, s’il avait dit que le temps était toujours différent de celui qu’annonçait l’almanach; mais que ce fût précisément l’opposé, c’était une chance tout aussi peu probable que l’affirmative.

Cette question des pronostics météorologiques, futile en elle-même, puisque le hasard seul préside au choix de ceux que l’on place à chaque lunaison, se rattache à une des illusions de l’esprit humain contre laquelle les meilleurs esprits ne sont pas toujours en garde, et qui tend à donner une importance exagérée à la science de tous ceux qui se mêlent de prédire l’avenir, soit en morale, soit en politique, soit en astrologie, tant pour les sociétés que pour les individus. Cette illusion provient de ce que l’on fait beaucoup plus d’attention à une prédiction qui vient à se réaliser qu’à cent autres qui se trouvent en défaut. Pour trouver admirable la sagacité d’un devin, il faudrait tenir compte de toutes les fois où il n’a pas conjecturé juste, et on trouverait que pour une fois où trois dés jetés au hasard ont amené brelan d’as au commandement, ils ont mille autres fois amené de tout autres points. Dans l’automne de 1846, j’avais appris que les pêcheurs de baleines avaient été obligés d’aller chercher celles-ci bien plus au nord que d’habitude. J’en conclus que les courans d’eau chaude du nord de l’Atlantique, évités par les baleines, étaient remontés cette année plus haut que d’ordinaire, et que le vent d’ouest, qui est le vent dominant de l’Europe, nous arriverait plus chaud que de coutume, et nous donnerait un hiver très doux. Ma prédiction me fit honneur en se réalisant; mais ayant voulu pronostiquer sur l’hiver suivant, d’après certaine position du pôle de froid européen, la saison me donna un démenti complet. J’eus beau indiquer hautement ma méprise, la coïncidence de l’année précédente avait bien plus frappé les esprits que la discordance de l’année actuelle. Il va sans dire que depuis je supprimai toute prédiction.

D’ici à longtemps sans doute les météorologistes seront réduits au rôle obscur d’historiens au lieu du rôle brillant de prophètes. Le secret du progrès actuel des sciences, c’est précisément de ne pas croire à l’impossible et provisoirement de savoir ignorer. Une dame questionnait un secrétaire de l’Académie des sciences nommé Duhamel, et s’impatientait des réponses négatives qu’elle obtenait sur toutes ses questions. — Mais à quoi sert donc, lui dit-elle enfin. d’être savant, si vous ne pouvez répondre à aucune de mes demandes ? — Madame, cela sert à savoir dire : Je ne sais pas !

De bons esprits ont cherché dans les registres météorologiques des années antérieures s’il n’y aurait point une période fixe au bout de laquelle les saisons se reproduiraient de la même sorte pour la chaleur, la pluie, les vents, les productions de la terre. Jusqu’ici, rien de bien établi n’a entraîné l’assentiment universel. La période lunaire de dix-huit à dix-neuf ans, qui ramène les mêmes configurations de ce satellite, les mêmes éclipses, les mêmes positions par rapport au soleil, est la seule qui ait été un peu remarquée. L’année 1816 fut exceptionnelle pour l’humidité et la température, et dix-neuf ans après, l’année 1835 présenta les mêmes caractères; dix-neuf ans encore après, c’est-à-dire au commencement de la présente année 1854, on crut apercevoir un effet de cette période que les Grecs avaient nommée période du nombre d’or. On prétend que plusieurs de ceux qui veulent sérieusement prévoir le caractère d’une année commençante se reportent aux registres de l’année qui a précédé celle-ci de dix-huit ou dix-neuf ans; mais en suivant les indications résumées dans les tableaux de M. Glaisher, je n’ai point retrouvé cette période bien définie, et en cherchant la période des débâcles des glaces polaires, celle des époques de congélation ou de dégel de la Baltique, surtout celle de la navigation ouverte ou interrompue sur le fleuve Saint-Laurent, au Canada, on n’a rien encore trouvé de satisfaisant. Au reste, il n’y a rien d’absurde à supposer une reproduction périodique des mêmes constitutions atmosphériques et à chercher dans la nature physique comme dans l’état social l’histoire de l’avenir par celle du passé. Cette méthode a trop bien réussi aux astronomes, les seuls qui, suivant l’observation de Laplace, puissent se flatter justement de prédire l’avenir, pour que, même dans un ordre de phénomènes plus complexe, on ne cherche pas à saisir des analogies qui conduiraient à des présomptions assez probables. Néanmoins l’écueil de toutes ces recherches, c’est la prétention qu’ont tous les consulteurs de registres météorologiques — de vouloir identifier en tout les années qu’ils prennent pour similaires dans leurs périodes. Il suffirait qu’elles eussent des points de ressemblance dans les caractères principaux, et il est très possible que les périodes ne soient pas les mêmes pour la chaleur, l’humidité, les vents dominans, les orages électriques, etc.; alors chaque année prendrait son caractère de plusieurs influences diverses. Ajoutons que chaque saison pourrait bien avoir sa période distincte. Ainsi le retour des étés excessifs pourrait bien n’être pas réglé par la même loi que le retour des hivers rigoureux, ce qui semble du reste résulter des faits comme de la théorie. Rien que de naturel en tout ceci, car les élémens qui influent sur le printemps, par exemple, comme succédant à l’hiver, ne sont pas les mêmes que ceux qui influent sur l’été comme succédant au printemps, et, s’il était nécessaire de le prouver, on ferait concevoir assez facilement que l’été est à peu près exempt de ces fluctuations capricieuses qui, dans nos climats, rejettent les temps d’hiver dans les premiers jours du printemps, ou font anticiper les temps de printemps sur les derniers jours de l’hiver.

Parmi les phénomènes météorologiques, il faut aussi compter les marées, et à ce propos nous rappellerons les effets extraordinaires qui résultent de la configuration du lit de la Seine dans la portion qui s’étend de Quillebœuf à Caudebec. Par une fatalité incroyable, le public de Paris connaît à peine le magnifique spectacle de ces grands mouvemens de masses liquides qui sont célèbres dans la Saverne, dans l’Humber et dans la Dordogne, comme aussi à l’embouchure nord de l’Amazone et dans l’une des bouches occidentales du Gange. Le samedi 7 octobre 1854 sera un jour privilégié pour ce magnifique déploiement des forces motrices du soleil et de la lune, et pour ce soulèvement de l’océan, qui leur obéit; deux fois dans la journée du 7 octobre, la mer viendra se précipiter en nappe roulante contre les quais de granit de Quillebœuf à l’heure et à la minute inscrites depuis plusieurs années dans les éphémérides astronomiques. Les curieux arrivant le vendredi 6 par le bateau à vapeur de Rouen au Havre auront deux fois ce spectacle à Quillebœuf le samedi 7, et ceux qui reviendront le dimanche matin vers Paris par les mêmes bateaux auront encore avant leur départ une troisième exhibition de cet envahissement prévu de la terre par l’océan. Là sont ces plages que la terre et la mer revendiquent alternativement, suivant la belle expression de Lucain :

Quàque jacet littus dubium quod terra fretumque
Vindicat alternis vicibus.

Ainsi que nous l’avons dit, la météorologie est une science tout à fait moderne. Ses progrès dépendaient de ceux de tant de sciences diverses, qu’elle a dû naturellement les suivre dans l’ordre chronologique de son développement : la mécanique, la physique, l’optique, le magnétisme, la chaleur, l’électricité, la chimie, la géologie, la minéralogie et la géographie physique lui servent de base. Ajoutez-y l’art d’observer dans les voyages, que nous devons au doyen octogénaire des savans, M. de Humboldt, qui est aussi le premier des connaisseurs de la nature, et vous ne serez pas étonné que l’on soit encore si peu avancé dans cette science, qui naguère n’était rien, et qui sera un jour presque tout, comme le globe qui forme son domaine.

Donc, pour poser une question que les générations futures, en accumulant les travaux de la pensée et ceux de l’expérience, seront encore bien des siècles à résoudre, imaginons que sur un grand nombre de points du globe systématiquement choisis l’on place des observateurs qui fassent connaître pour chaque jour la marche des courans de l’air et la quantité totale de déplacement des masses atmosphériques avec toutes les circonstances de transparence ou de brouillard, de chaud ou de froid, de sécheresse et d’humidité, et avec les retours de ces mêmes courans : on saura à chaque date où en est de position cette grande mer aérienne sans rivages qui enveloppe le globe entier, on saura d’où vient chaque partie et où elle va, ce qu’elle a pris dans sa course d’influences météorologiques, et ce qu’elle va porter dans les régions qu’elle va aborder; on pourra donc prévoir d’avance l’effet qu’elle y produira, et se guider là-dessus pour les soins de la santé publique et privée, pour l’élève des bestiaux et les semis ou plantations agricoles d’hiver, d’été ou d’automne, et pour la culture des plantes qui exigent tel ou tel degré de chaleur. C’est ainsi que dans la présente année, si l’on eût pu prévoir la chaleur de l’été qui vient de finir, on eût pu cultiver le maïs dans les environs de Paris, où rarement l’été est assez chaud pour mener cette plante à parfaite maturité. Cela n’arrive guère qu’une fois sur trois ou quatre ans, de même à peu près qu’à Hambourg, dans les meilleures expositions, le raisin ne mûrit qu’une fois tous les sept ans.

C’est évidemment au moyen de la science appliquée que l’homme peut maîtriser la nature en se pliant à ses lois et en ne demandant à chaque terrain et à chaque région que ce qu’on en peut obtenir avec facilité et abondance. Quand cette vérité sera devenue populaire, les nations rivaliseront de zèle pour l’établissement de stations terrestres ou maritimes qui concourront à la connaissance du globe. Un petit nombre de quarts de siècle, ou si l’on veut de générations scientifiques, suffiront pour reconnaître les vérités les plus générales et les plus usuelles ; mais quant au détail, la complication des élémens qui entrent dans la question demandera un temps plus long, et les prévisions seront bornées à des temps antérieurs bien plus restreints.

Imaginons un observateur contemplant du haut des Pyrénées les vallées françaises ou espagnoles qui s’étendent à leur pied, ou bien encore contemplant du sommet du Puy-de-Dôme la belle et riche Limagne d’Auvergne avec ses villes, ses rivières, ses campagnes fertiles, au-dessus desquelles des brises inconstantes promènent parfois des nuages entrecoupés d’éclaircies, et qui tantôt versent des pluies mobiles, tantôt ne font que produire ce qu’on appelle un temps couvert. N’est-il pas vrai que cet observateur voyant les phénomènes d’ensemble percevra d’un coup d’œil quelles sont les localités qui vont recevoir la pluie, le temps couvert, ou les rayons directs du soleil ? Or ce que ferait l’observateur de la montagne pour une vallée placée sous ses yeux serait fait par ceux qui suivraient la marche des instrumens météorologiques, si à tout instant les dépêches de la télégraphie-électrique mettaient — sous les yeux des nationaux intéressés à savoir le temps qui se prépare — tous les documens nécessaires pour prévoir d’avance l’état de l’atmosphère d’après l’indication de la région d’où viennent les couches d’air et de l’état où elles se trouvent en marchant ainsi vers le point qui les attend. Des prédictions locales de vent et de brouillard ont déjà été opérées en Angleterre par ce procédé, qui, tout en excluant l’idée d’une possibilité de divination plusieurs années ou même plusieurs mois à l’avance, donne presque la certitude qu’au moins quelques jours avant on saura sur chaque point du globe ce qu’on peut attendre des météores de l’air, de l’eau et du feu, météores qui ont tant d’influence sur la santé comme sur la production et les opérations agricoles. La météorologie sera alors comme la pierre philosophale tant cherchée par les anciens alchimistes. Elle donnera la santé et la richesse.


BABINET, de l’Institut.