La Maison dans l’œil du chat (Crès, 1917)/Cinq heures et la campagne

La bibliothèque libre.
Georges Crès (p. 17-23).




III

CINQ HEURES ET LA CAMPAGNE


CINQ HEURES ET LA CAMPAGNE



Cinq heures vibrent sur toute la terre.

Il y a devant moi des géraniums, dont la gaîté est si puissante qu’on voudrait aimer toutes les fleurs, et comprendre tous les oiseaux.

Il y a au-dessus de moi le ciel lumineux et blanc, posé sur les arbres comme un couvercle d’argent.

Cinq heures.

L’on pense à des amis qui sont loin, à d’anciennes peines, à d’anciennes joies. Sur les routes, l’on sait comment est la poussière, l’herbe plus foncée qui pousse de chaque côté et le blé pâle dans les champs plats qui ne veulent plus finir.

Cinq heures.

Comme le bruit des charrettes est spécial sur la route. On dirait qu’elles emportent, au milieu du foin roussi par le soleil, un morceau de vie et d’éternité qui sonne comme une cloche le long des essieux lourds, dans les ornières bordées de soir d’été.

Comme le bruit des charrettes est spécial sur la route. Comme les avoines sont rousses et les haies rapprochées. Les petits toits plus bas s’agenouillent dans la lumière : on dirait des ailes d’anges au bord des chaumières, des ailes toutes seules, venues du paradis, pour voir si c’est bien calme à cinq heures sur la terre.

Et les âmes, sans qu’on le sente, se remplissent de clarté, pendant que cinq heures sonnent sous l’ardoise des clochers.