La Maison dans l’œil du chat (Crès, 1917)/Le chat

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Georges Crès (p. 151-158).




XXII

LE CHAT

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LE CHAT



Le chat vient de rentrer, avec sa queue droite comme un roseau ! Il est gentil et ses taches blanches et jaunes lui donnent l’air un peu d’une fleur paysanne.

Sa moustache rigide, ses yeux brillants comme des petites vitres de couleur, font de lui une bête très réussie et très contente d’elle-même.

Il vient de rentrer !

Toute la journée, il a dû courir les champs et jouer à se chatouiller le nez avec les herbes.

Maintenant il fait nuit ; la lune haute dans le ciel, pose un grand carré de clarté bleue sur le seuil. Il est assis sur la première marche et il se lèche. La barrière blanche du jardin brille dans la nuit comme si elle était recouverte de neige et l’ombre des maisons s’allonge sur la route, et l’ombre du chat s’allonge sur le seuil de la maison, avec sa queue blanche et jaune derrière lui.

Les enfants dînent et tout le monde dîne dans la salle à manger. On a beaucoup joué tantôt, les paupières sont lourdes, la soupe pèse dans la cuillère… mais voici le chat qui entre en ronronnant très fort.

Tous les enfants se retournent : « Ah ! bonjour Chrysanthème ! » « Ron ron ! », fait le chat satisfait de cet accueil ; « ron ron ! je vous aime tous, mais donnez-moi un peu de votre soupe, pour que j’aille sans avoir faim, passer cette douce nuit sur les toits », et le voilà qui lèche avec une langue jolie comme un pétale de rose le fond des assiettes. Ensuite il saute sur les genoux de Madeleine et, lentement, offre en ronronnant son cou blanc à caresser. De ses pattes rondes et molles, il accentue sa joie en pétrissant le tablier de Madeleine : « Ron ron ! ron ron ! la vie est bonne tout de même. »

Mais l’heure de dormir est là, les enfants quittent la salle à manger : « Adieu Chrysanthème, à demain ! va t’amuser avec les étoiles et les vers luisants. »

D’un bond, il saute par la fenêtre. La campagne est merveilleusement belle et calme et le chat regarde avec indécision les murs et les toits… de quel côté jouera-t-il cette nuit ? Mais bientôt son choix est fait, il se dirige fièrement vers une belle maison entourée d’un mur très haut. Pour y arriver il lui faut traverser un champ, l’herbe fraîche mouille le dessous de ses pattes. Enfin le voici parvenu sur le mur, puis en suivant les gouttières que la lune argenté, il monte sur le toit principal avec, autour de lui, la forêt des cheminées. Une grande cheminée coiffée d’un chapeau de zinc que surmonte une girouette, s’élève au milieu. Le chat y grimpe hardiment, puis s’asseyant sur le chapeau, juste au-dessous de la girouette, il se met à lisser son poil qu’ébouriffa l’ascension.

Tout est silencieux. Minuit sonne au clocher. Et le chat bienheureux, dans son orgueil immense, pense : « Je suis aussi haut perché que le coq de l’église, j’entends minuit sonner et je domine le monde ! que les étoiles fassent donc une ronde autour de moi ! car je suis le Chat ! pour l’éternité. »