La Maison de granit/1/Ce que je veux

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Plon-Nourrit (p. 17-23).


I

SUR LE CHEMIN



Nous demandons du pain, on nous donne des pierres,
Et l’être le plus cher un jour ne répond pas.


CE QUE JE VEUX


Vous croyez que je veux m’élancer vers les cimes
Où rien d’humain ne vit parmi les monts déserts,
Où l’on ne perçoit plus que les lointains concerts
Des voix de l’infini dominant les abîmes !

Ah ! que vous savez mal le secret de mon cœur !
Si je cherche les hauts sommets, le libre espace,
Si je fuis le chemin large où la foule passe,
C’est pour vous rencontrer, ô vous, mon seul vainqueur.


Parce que j’ai souri de trop de vains hommages,
Vous dites que, d’amour, je n’aimerai jamais ;
Vous pensez que nul trait n’atteindra désormais
Le front qui resta fier au-dessus des orages.

Ah ! laissez-moi briser cet implacable sceau
Qu’une juste pudeur a posé sur ma bouche ;
Et laissez jaillir nue, indomptable, farouche,
La vérité dont le silence est le tombeau.

Ce que j’ai repoussé dans mon orgueil de femme,
C’est de vous voir m’aimer pour l’or de mes cheveux,
La fraîcheur de mes bras, la douceur de mes yeux,
Et sans vous demander jamais : A-t-elle une âme ?

Si c’est là seulement qu’est tout votre plaisir,
Ce soir, demain, toujours, la jeunesse éternelle
Conduira près de vous une vierge si belle
Qu’oublieux du passé, vous devrez la choisir !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Je voudrais être pauvre, obscure, géniale,
Avoir souffert, mais d’un cœur ferme avoir lutté ;
Alors, si tu cherchais mon âme, ton égale,
C’est toi que j’aimerais, et pour l’éternité.

Tes bras forts deviendraient mon rempart, mon asile,
Mon abri quand la nuit tombe sur les chemins ;
Et je ne craindrais plus de sentir trop fragile
Ma main douce, nouée à tes puissantes mains.

Et je t’adorerais, non pour la courte ivresse
De ton haleine chaude effleurant mes cheveux,
Non pour la volupté de la longue caresse
Que posent sur mes yeux tes yeux brûlants d’aveux.

Ce que j’attends de toi, doux maître de mon âme,
C’est ton amour fidèle en échange du mien,
C’est ta pensée, avec tout l’éclat de sa flamme,
C’est ton être, enchaîné par un chaste lien.


Ce que je veux, c’est toi tout entier, sans partage,
Ta table, ton pain blanc pour me réconforter ;
Je veux ta foi, ton Dieu, ton ciel et l’héritage
De joie et de douleur que ton cœur doit porter.

La terre où tu vivras deviendra ma demeure ;
Comme une part de toi j’aimerai tes amis ;
Ton nom sera mon nom, et, s’il faut que je pleure
Pour que tu sois heureux, mon être t’est soumis.

Je veux vivre et mourir pour toi… Si je succombe
Sous le fardeau des jours, j’aurai recours à toi ;
Ton lit sera mon lit et ta tombe ma tombe ;
Mon front ne connaîtra que l’ombre de ton toit.

Ma vie, étroitement attachée à la tienne,
T’offrira son parfum à toute heure du jour ;
Je ne posséderai rien qui ne t’appartienne,
Car mon être est créé pour ton unique amour.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Peut-être que demain le sort inexorable
M’arrachera le cri de révolte hautain ;
Ce soir je dis : Si je m’assieds à votre table,
J’aurai vécu ma vie et rempli mon destin.