La Maison de granit/2/L'Arrivée

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Plon-Nourrit (p. 63-68).


II

DANS LA MAISON



Mais je saurai bâtir avec ce granit sombre
La tranquille maison où je viendrai m’asseoir
Lorsque le crépuscule, avec sa robe d’ombre,
Rôde, comme un voleur embusqué dans le soir.


L’ARRIVÉE



Entrons dans la maison où la paix nous accueille…
Le seuil est tout jonché des fleurs du genêt d’or ;
L’églantine, liée au souple chèvre-feuille,
S’incline sur la porte où je m’attarde encor.

La gentiane bleue et la sauge pourprée
Ont fleuri les chemins pour conjurer le sort ;
La pensée aux doux yeux, l’aubépine nacrée
Semblent me dire : Ici tu trouveras le port.


Ma demeure tranquille est un logis de reine
Où flotte le parfum des menthes de velours ;
Et je viens de goûter la volupté sereine
De voir à chaque objet de lumineux contours.

Le chaud rayon qui glisse à travers ma fenêtre
Se pose sur mon front comme un chaste baiser ;
La douceur d’être seule et triste me pénètre ;
La Sagesse aux yeux clairs est là pour m’apaiser.
 
Je ne me souviens plus de mes larmes dernières ;
Je n’ai plus de désirs, je n’ai plus de douleurs ;
Sur ma lèvre a coulé le baume des prières,
Mes mains ont dénoué le lourd collier des pleurs.

Je t’aime et te salue, ô calme solitude,
Où je vais retrouver mon frais sommeil d’enfant,
Où je verrai le temps fuir, sans inquiétude,
Car ma chère maison m’abrite et me défend.


Je garde dans mes doigts les fleurs pures du rêve ;
Et, les sublimes voix d’un invisible chœur,
Montant comme les flots que la lune soulève,
Emportent dans leurs chants les soucis de mon cœur.

Restons dans le silence et dans l’ombre que j’aime…
Les voiles bleus du soir enveloppent mes murs ;
Auprès du foyer clair, goûtons la paix suprême
D’oublier les chemins suivis, âpres et durs.

Ici je sens mon âme attendrie et meilleure.
La vie est douce, elle a compris que je l’aimais !
Je voudrais prolonger le charme de cette heure,
Et, lorsqu’il cessera, ne l’oublier jamais.

Je le retrouverai dans les plus humbles choses,
Dans les lueurs du feu qui rougissent le grès,
Dans l’odeur familière et discrète des roses,
Dans la flamme du jour qui s’éteint par degrés.


Maintenant je suis là, confiante, attentive
Au bonheur inconnu que j’écoute venir…
Est-ce la vie ? Est-ce la mort ?… Quoi qu’il arrive,
Je suis libre d’aimer et de me souvenir.