La Maison du péché (éd. 1941)/XXXI

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Perdue, elle était perdue, la bien-aimée ! Ni la tendresse d’Augustin ni son sacrifice n’avaient pu sauver cette âme : « Pourquoi, mon Dieu ? demandait-il, prosterné devant le Christ aux bras étroits. Est-elle si pervertie ou si malheureuse que vous deviez lui refuser, éternellement, votre grâce ? N’ai-je pas prié pour elle, souffert pour elle, expié pour elle ? Ses fautes ne peuvent être plus grandes que mon repentir et votre miséricorde. » La voix des Docteurs et des Pères lui répondait : « Dieu ne fait point de marché avec sa créature ; il ne vend point sa grâce, fût-ce au prix des larmes et du sang. Que parles-tu d’expiation, toi qui chéris encore ton péché dans la complice de ce péché ?… Malheureux ! Le Dieu jaloux veut être aimé pour l’amour de lui-même et non pour l’amour d’un être périssable. Qui ose pénétrer son dessein ? Qui ose lui demander le prix de l’innocence ou du repentir ! Lui as-tu donné quelque chose, le premier, pour prétendre en tirer récompense ?… Adore ses jugements incompréhensibles, sa justice qui ne ressemble point à la justice des hommes, et laisse-le conduire les âmes sans lui demander comment et pourquoi !… Car tu ne dois point te targuer du mérite illusoire de ta pénitence. Dieu, qui sonde les reins et les cœurs, découvre le principe et la racine de toutes tes actions ; il en connaît les intentions et les motifs ; il sait si ces intentions naissent d’un fonds de charité ou de cupidité, si c’est l’amour divin ou l’égoïsme qui en est l’origine. »

Augustin entendait ces voix, et les austérités, les pieux exercices, la rude discipline à laquelle il s’était soumis lui apparaissaient inutiles et dérisoires. Il avait cru s’isoler dans la pénitence, rompre les ponts avec le monde, mettre l’abîme entre lui et la Tentation… Et il avait laissé un fil suspendu sur l’abîme, par où la Tentation avait passé. Dieu brisait la suprême attache ; Dieu exigeait le sacrifice entier, et la véritable pénitence commençait dans la véritable solitude…

« Adieu, Fanny ! Adieu, fantôme adoré ! Je n’étais pas digne de te sauver… Que la volonté de Dieu soit faite, et non la mienne ! murmura-t-il en pleurant.

Les paroles de résignation étaient sur se lèvres, mais dans son cœur grondaient le doute et le désespoir…

… Et ce fut l’automne, encore : les viornes rougirent sur la Maison du Pavot, le colchique mauve étoila les prés humides parmi les cercles de champignons ; la campagne toute d’or exhala l’odeur des pommes mûres, et dans les parfums amers d’octobre, Augustin crut respirer l’arôme même de son amour.

Alors tout lui devint odieux, les êtres, les choses. Il disparut des jours entiers, partant dès l’aube, rentrant au crépuscule avec des débris de feuilles dans les cheveux. On ne le reconnaissait plus, si maigre, si hâve, hanté par l’idée fixe, toujours inquiet, ne tenant plus en place, pareil à ces ensorcelés des contes qu’un loup-garou chevauche et force à courir jusqu’à la mort. Des bûcherons l’aperçurent parfois, au cœur de la forêt, couché sous un arbre, la face enfouie entre les bras, immobile. La nuit, Mme Angélique l’entendait parler tout haut, crier des supplications et des injures où se mêlait le nom de Fanny… Il l’appelait, il l’évoquait, non plus le dérisoire fantôme, mais la femme, l’ardente amoureuse dont le souvenir brûlait son sang. Et elle venait pour décevoir son désir, pour exaspérer sa jalousie, tantôt pâle et pleurante, tantôt demi-nue, rouge des baisers de Barral… Partout il la retrouvait, dans les bois fauves, sous les charmilles du Bosquet, dans l’église, dans le cimetière… Elle épiait son réveil ; elle le suivait au jardin ; elle tournait les pages de ses livres ; elle chuchotait à son oreille pendant la prière ; elle se couchait dans son lit…

Mme Angélique pressentit ce retour offensif de la tentatrice et elle essaya de confesser Augustin. Mais la Sainte ignorait les mots qui jettent les fils aux bras des mères, et le jeune homme se déroba toujours.