La Maquerelle de Londres/07

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La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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[CHAP. VII]

De quelle maniére un homme marié fût engagé par une Maquerelle à entretenir une fille de joye, qui cauſa ſa propre ruine & celle de ſa famille.


NOus avons déja dit, de quelle façon une Maquerelle engagea une jeune Dame à proſtituer ſon lit de mariage, & vous allés voir maintenant, comment elle a attiré un homme marié à la debauche, & par conſequent à ſe ruiner lui-même, ſa femme vertueuſe & toute ſa famille.


Une impudente fille de joye, qui, en changeant ſouvent de quartiers, évita pluſieurs fois la maiſon de correction, qu’elle avoit merité encore infiniment plus qu’aucune de celles qui y ſont. Avec le ſecours d’une Maquerelle elle attira par ſes habits riches, ſon beau viſage & ſes diſcours inſinuans, un homme ſans eſprit, à l’entretenir comme une Dame de qualité, quoiqu’elle n’étoit que la fille d’un miſerable commis. L’orgueil & les plaiſirs étoient les idoles, qu’elle adoroit, & pour en jouir, elle s’embaraſſoit très peu, à quoi elle alloit expoſer le pauvre idiot, qui fût obligé de faire des largeſſes à la Maquerelle, pour la lui avoir procurée, & d’en faire autant à la donzelle pour contenter ſa convoitiſe, jusqu’à ce qu’enfin ſon orgueil & les plaiſirs le conduiſirent à la peine & à la pauvreté. En negligeant ſes propres affaires, & en entretenant la droleſſe, l’avoit engagé & enfoncé dans les dettes, tellement que les ſergens, huiſſiers &c. &c. le pourſuivirent ſi fort, qu’il fût obligé de ſe ſauver dans les Païs-Bas, aimant mieux ſe confier à ſes pieds qu’à ſes mains. La canaille fût rejouïe d’en être dégagée, car étant devenu pauvre, & par conſequent hors d’état de lui fournir de l’argent, elle en étoit entiérement degoutée, mais non pas de la maniére, avec laquelle elle vivoit : car auſſitôt qu’il fût parti, elle s’adreſſa de nouveau à une vieille Maquerelle, & lui raconta ſa ſituation, & ajouta, qu’elle en avoit epuiſé un, & qu’il lui en falloit un autre. Fort bien, dit la Maquerelle, comportés-vous d’une maniére reſervée & comme une pucelle, j’ai un jeune éveillé, qui a beaucoup de biens, & qui ſera par conſéquent en état de depenſer beaucoup avec vous ; mais il veut abſolument avoir un pucellage, & je vous crois fort capable de vous contrefaire en cela. Eſt-il marié, ou garçon ? dit la donzelle. Il eſt marié, repliqua la vieille ; mais cela ne fait rien, puisqu’il a de l’argent : il vaudroit cependant mieux, qu’il fût ſeul, alors je pourrois l’engager à vous épouſer. Car il pourroit ſervir d’une bonne couverture pour vous ; mais ne craignés pas, que n’en tirions bien du profit. La ſeule choſe, qu’il y a à faire, c’eſt de faire premiérement la timide & la difficile, c’eſt le moyen de vous l’attirer & de le rendre plus amoureux de vous. Laiſſés moi faire, dit la P--- faites ſeulement, que nous nous voyons, & je le ferai mordre à l’ameçon. Je vous aſſure, que je le ménagerai bien, ou autrement vous pourrés dire, que je ſuis la plus veritable P--- qu’il y ait au monde ; ce qu’elle pouvoit entreprendre, faire, & dire, fans ſe rendre coupable du menſonge.

Le complot étant ainſi projetté, la damnable mére s’en alla ſe promener, & trouvant le coureur après les gueuſes, qu’elle cherchoit ; elle lui dit alors, qu’elle avoit été obligée de faire beaucoup de depenſes pour trouver une chauſſure convenable à ſon point. Mais, ajouta-t-elle, elle eſt telle pour la beauté, la naiſſance, & l’education, qu’à peine pourroit-on trouver ſa pareille dans Londres. Il eſt vrai, qu’elle eſt un peu timide ; mais je vous aiderai à vaincre ſa grande modeſtie. Je puis vous aſſurer, que j’aurois pû avoir pour cette affaire dix Guinées du Chevalier R. P. ſi j’avois voulû la lui procurer. Mais j’aime à tenir ma parole, & je vous ai promis auparavant, que quand j’en pourrois trouver une, qui put vous convenir, je vous la procurerois. Mr. Gracelefs ravi d’apprendre cette agréable nouvelle, & pour en marquer ſa reconnoiſſance à la vieille Maquerelle, il lui préſenta une Guinée, avant même d’avoir vû la donzelle, & la vieille encouragée par ce préſent, ne tarda pas à les joindre enſemble. Il fût d’abord charmé de ſa beauté, & de ſa modeſtie affectée ; mais à peine voulut-elle de l’aborder, tant elle fit la difficile & la précieuſe. Sur quoi la Maquerelle lui dit, que c’étoit un digne Cavalier, meritant bien, qu’elle l’aimât. „Quel retour puis-je attendre d’un homme, qui eſt déja marié ? reprit la malicieuſe impertinente. Auſſitôt qu’il aura contenté ſes deſirs, & m’aura enlevé ce que j’ai de plus précieux, & qui eſt la ſeule choſe, dont je puis me flater, je veux dire virginité & mon honneur, ils ſeront perdus pour moi avec ſon amitié, & il ne me reſtera plus qu’un triſte repentir.“ Ces expreſſions firent une ſi grande impreſſion ſur ſon eſprit, qu’il lui fit toutes les proteſtations poſſibles, pour lui perſuader, qu’il ne changeroit jamais, ſi elle vouloit ſeulement conſentir, qu’il devint ſon Galant, & qu’à l’égard de ſa femme, il ne pouvoit pas l’aimer, & que par conſequent il ne s’en ſoucioit point, & qu’ayant vû les charmes, qui brilloient d’une maniére ſi éclatante dans celle-ci, c’en étoit plus qu’aſſés pour lui être toujours conſtamment attaché : que ſi elle vouloit lui promettre de lui être auſſi fidèle, qu’il lui ſeroit lui-même, ce ſeroit tout le bonheur qu’il deſiroit. Alors pour confirmer l’accord, la Maquerelle s’engagea pour les deux parties, qu’ils ſeroient fidèles l’un à l’autre, & après un accord fort dispendieux, ils coucherent enſemble, où, ayant été auparavant inſtruite par la Maquerelle, elle joua ſi malicieuſement ſon role, que ſon ſot amoureux la crût auſſi pucelle que la plus innocente vierge. Ils convinrent même enſemble, pour mieux réüſſir, & ſans être decouverts, qu’ils paſſeroient pour frére & ſœur. Enſuite de quoi elle l’engeola ſi bien de ſon amour prétendu, qu’elle pouvoit avoir de lui tout ce qu’elle deſiroit. Et le trouvant prodigue de ſon argent, & qu’il avoit un bien conſiderable, elle ne voulut pas être contente à moins d’avoir une maiſon de campagne, qu’il lui fit préparer à ſon gré avec de riches meubles. Lorsque ſon amant ne pouvoit pas la venir voir à cauſe de ſes affaires, elle envoyoit chercher la Maquerelle, qui lui en fourniſſoit un autre pour ſuppléer à ſon defaut qu’elle payoit de l’argent du premier pour la contenter. Quand il venoit la voir, elle lui reprochoit tendrement ſa trop longue abſence, & diſoit, qu’elle craignoit, qu’il ne l’aimeroit pas, qu’elle ſoupiroit après lui jour & nuit, faute de ſa compagnie. Mais vous avés, ajoutoit-elle, une femme, que vous aimés plus que moi ; il eſt vrai, que je vous l’avois dit d’abord, & vous m’avés repondit, que vous m’aimeriés d’avantage ; & j’ai été aſſés ſimple pour vous croire ; car ſi vous m’aviés la mieux aimé, vous n’auriés pas été ſi longtems abſent de moi. Je ſui ſûre, que ſi j’avois pû aller auprès de vous, je ne me ſerois pas abſentée ſi longtems de vous. Alors elle ſe mit à pleurer d’une maniére, qui touchâ tellement notre petit Maître amoureux, qu’il ſe mit à l’embraſſer & à la baiſer tendrement, en lui faiſant les plus belles promeſſes du monde, maudiſant ſa femme, la donnant à tous les D---, & aſſurant ſa Maîtreſſe, qu’il n’aimeroit qu’elle. L’ayant ainſi même à ſon but, elle l’embraſſa de nouveau, & dit : „He bien, mon cher cœur ! s’il eſt ſûr, que vous m’aimés, je ſerai toujours votre amie ; mais montrés moi ce que vous m’avés apporté : “ſi c’étoit un bon nombre de Guinées, alors elle étoit contente ; & ſi cela manquoit, elle étoit de mauvaiſe humeur. C’eſt bien là une marque, que vous m’aimés, de vous abſenter pour un tems ſi conſiderable, & de ne rien m’apporter. Voilà toutes les Dames des environs, qui peuvent avoir tout ce qu’il y a de plus nouveau, mais vous vous n’embaraſſés guére de ce qui pourroit me faire plaiſir.“


Pour la mettre en bonne humeur, il lui promet une nouvelle robe de ſatin ; elle a beſoin de nouveaux bijoux, & de bagues de diamants pour repondre à d’autres appareils ; & pour les procurer, il eſt obligé de s’endetter avec les merciers & les joualiers. Au moyen de quoi, en peu de tems il diſſipa tout ſon bien. Ses amis vinrent lui conſeiller d’abandonner ſa mauvaiſe conduite, ſinon qu’elle n’aboutiroit qu’à la ruine de ſon corps & à la perte de ſon ame. Ils lui repréſenterent auſſi, qu’il avoit une Epouſe belle & vertueuſe, avec laquelle il avoit eû pluſieurs Enfans aimables, qu’enfin ils étoient ſurpris de voir qu’il ſe fût laiſſer gagner ſi honteuſement par une ſi infame debauchée. Mais toutes ces remontrances ne produiſent pas l’effet deſiré, & ſa Femme voyant cette miſerable preferée à elle-même, ſans en avoir donné la moindre occaſion, elle prit une occaſion favorable pour faire connoître à ſon indigne Epoux ſon chagrin, & l’état dangereux, où il s’étoit expoſé, de la maniére ſuivante :


„Mon cher Mari !

„Vous ai-je jamais donné aucun ſujet de retirer votre affection de moi ? Vous auriés pû avoir moyen devant les hommes pour agir, comme vous le faites, quoique cela ne vous auroit pas excuſé devant le Tribunal du Tout-Puiſſant, que vous offenſés ſi indignement par votre vie infame.„


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