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La Maquerelle de Londres/Texte entier

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LA
MAQUERELLE DE LONDRES.

CHAP. I.

Son Caractere, ou ce quelle eſt une Maquerelle.



E St le rebut d’une vieille debauchée, qui ayant été brûlée elle-même, ſemblable au charbon, aide à mettre du bois plus verd ſur le feu. Elle eſt de la nature des Errata, & la veritable fille d’Eve, qui s’étant perduë elle-même, tente les autres à ſe detruire elles-mêmes. Elle a été autrefois comme un de ces Renards de Samſon, & a porté tant de feu dans ſa queuë, qu’elle a brulé tous ceux & celles qui avoient à faire avec elle : Mais la marque étant hors de ſa bouche, & ne pouvant plus rien faire, ayant cependant encore beaucoup d’inclinations pour les Mathematiques, elle s’erige en Procureuſe de nouvelles marchandiſes pour ſes vieux chalans. Elle eſt ſi ſoigneuſe de fournir de la bonne marchandiſe aux hommes, que rarement elle leur procure quelque commodité ſans avoir été auparavant miſe à l’epreuve, & ayant toujours bien réuſsi en cela, elle croit qu’elle peut les garantir d’autant mieux. Elle a grand ſoin de conſerver les pucellages ; car quoiqu’elle les expoſe à chaque nouveau venu, elle prend bien garde qu’ils ne ſoient jamais perdus ; & quoiqu’il s’en trouvent tant qui les gagnent, cependant perſonne ne les enleve, mais elle les a encore tous prés pour les premiers, qui ſe préſenteront. Elle ne croit pas à un meilleur Oracle qu’à la tête de bronze du frere Bacon, & elle eſt toujours prête à vous dire, qu’alors le Lord le plus accompli l’auroit preferée aux plus belles Dames de la cour. Mais quand elle repête le tems paſſé, elle montre un impudique viſage de bronze, & même elle pleure dans la coupe, pour adoucir la chaleur du brandevin. Elle eſt grande ennemie de l’epargne, car tout ce qu’elle a, elle le rend commun. Elle haït 41 autant qu’un vieux Cavalier, car à cet âge elle fut forcée de quitter ſa mechante vie, & de devenir Maquerelle : Toutes ſes dents ſont tombées, dont ſon nez & ſon menton ſont ſi conſternés, que leur intention eſt de ſe rencontrer dans peu de tems, & de finir ce different. Elle reſſemble parfaitement au Meſpilum, qui eſt un fruit, qui n’eſt jamais mûr que jusqu’à ce qu’il ſoit pourri. Elle n’eſt jamais ſans un bon nombre de proſtituées, qui comme des ſelles à tous chevaux, laiſſe monter quiconque veut deſſus, pourvû que lui en paye le loüage. Elle eſt le vrai Magazin de la Taciturnité ; car elle ne dit rien de tout ce qu’elle voit, ayant pour maxime conſtante, que ceux qui ne peuvent pas badiner, ne devroient rien gâter. Elle a aſſés étudié la Philoſophie pour ſavoir, que la Lune eſt un corps obſcur, ce qui fait qu’elle l’aime bien plus que le Soleil, étant beaucoup plus convenable pour ſes affaires. Outre cela elle change encore de quartiers, tantot croiſſant, tantot dans ſon declin, comme elle. Quelque fois dans ſon plein la maiſon bien garnie de chalans, dans un autre tems n’en ayant point, & condamnée à des ouvrages penibles dans une maiſon de force : Autrefois elle ſe piquoit beaucoup de ſavoir la muſique, c’eſt pourquoi elle aime tant à battre certaines meſures, qu’elle entend encore un peu, & ſurtout les Triples, & elle eſt elle même une Baſſe parfaite. Quoiqu’elle vive après la chaire, cependant tout ce qui vient dans ſon nid n’eſt que poiſſon. Car elle eſt ſi ruſée, qu’elle ne ſe ſoucie guéres de gagner ſa vie avec des hameçons : Elle en a de tout prêts pour toute ſorte de poiſſons, & rarement elle manque d’en attraper quelques uns. D’un Gentilhomme de la Campagne, elle en fait une tete de — v.. d’un riche citoyen, le fils d’un gougeon, d’un homme habillé de rouge, portant l’epée, elle le prend pour une Ecreviſſe de mer : & elle regarde un ſevere Juge à paix, comme un mor-p-on. Ses pauvres chalans ſont comme les petits poiſſons, qui ſont plus conſiderables à cauſe de leur grand nombre qu’à cauſe de leur valeur. Elle eſt fort charitable, car elle regale tous les venans, & non ſeulement elle leur procure des Lits, mais auſſi des Compagnons d’un Sexe, qui leur eſt le plus agréable, ce qui eſt une commodité pour un homme, qui pourroit aller dans vingt maiſons ſans en pouvoir trouver une ſemblable. Elle amene plus de miſerables pecheurs à la repentance, qu’un grand nombre de bons Predicateurs. Car quelques ſtupides qu’ils ſoient, elle ne laiſſera que de leur laiſſer un ſouvenir ſi cuiſant, que leurs os mêmes en ſeront ébranlés & malades, & elle les fera repentir pour toujours de ce qu’ils ont eû à faire avec elle ; & elle imprimera ſur le viſage de ces miſerables ſi connus pour tels, cette marque d’infamie, qui les expoſera au mépris & à la riſée de tout le monde, & à d’autres maladies, que la pudeur ne nous permet pas de dire.

Cependant elle a peu de conſcience, car elle regarde pour rien de vendre une ſeule & même marchandiſe à 20. differens chalans, & pour tous elle les trompe d’une maniere, qu’elle ne craint point de perdre leur pratique ; elle fait ſouvent banqueroute & elle ſe retablit bientôt après, ce qu’elle fait à peu de frais ; car pour 3. bouteilles de brandevin, 2. onces de tabac, & une couple de p-ains de la campagne, ſont capables de la retablir en tout tems : Son haleine pût comme un privé, tous ſes meubles conſiſtent en un mauvais lit, un miſerable miroir, en une chaiſe & une table de bois, & en une boëte d’emplâtre, & enfin en une petite canaille pour lui amener des pratiques. Elle loge toujours chés quelqu’un qui eſt employé dans une paroiſſe, pour ſe mettre à couvert des inconveniens, auxquels ces Infames ſont exposées. Elle a cette ſeule marque de temperance, que ſi quelqu’un envoye chercher 10. bouteilles de vin, il doit être ſûr, qu’elle le trompera de la moitié, & s’il a beſoin du tout, & le fait payer de nouveau, & le tire hors d’un pot à étuver. Elle excelle dans l’art de transformer les perſonnes, pouvant changer une campagnarde en une dame de condition ; mais il ſe trouve en cela une ſorte d’infection, qui ne manque pas d’arriver, qui eſt de leur procurer le haut mal. Le Clerc du Juge à paix eſt ſon bon ami, & ſouvent il la garantit des chatimens qu’elle merite, parceque toutes les fois qu’il lui rend viſite, elle lui procure un morceau frais & ragoutant, ſur ſa parole, l’aſſurant, qu’elle ſe gardera toujours bien de lui donner quelque choſe de mauvais. Elle ne craint rien tant que le mardi-gras, car elle apprehende plus la populace, qu’un debiteur fait d’un Sergent ou un Baillif de Juſtice ; celui qui a paſſé par ſes mains, peut dire qu’il a paſſé auſſi l’Equinoxe, & celui qui s’en eſt échapé, a auſſi échapé un Rocher, contre lequel mille autres ont fait naufrage, & ſont peris.


Ainſi j’ai fait à mes Lecteurs un petit Portrait de la Maquerelle, avec les couleurs convenables, en l’expoſant dans ſon vrai jour. C’eſt pourquoi je vais conclure par ſon Caractére.

Une Maquerelle eſt la ſource principale de tous les malheurs. Elle tente au crime, elle eſt la commiſſionaire du Diable ; ſes malicieuſes & trompeuſes artifices ont plus fait perdre d’ames, qu’il y a d’Etoiles dans le Firmament. Elle engage les familles à épuiſer leurs Treſors. Elle tire ſon profit du plaiſir des autres, & ces plaiſirs ſont accompagnés & ſuivis de tant de malheurs, qu’enfin ils conduiſent à des peines éternelles. Ses Machinations ſont ſi nombreuſes, qu’il ſeroit difficile, pour ne pas dire impoſſible, de les raconter. Ses paroles ſont douces, & ſes manieres ſubtiles ; par de faux plaiſirs elle fait perdre les plus ſolides, Elle eſt le poiſon de la vertu, & la maquerelle du vice ; c’eſt un Baſilic, & un Tiſon d’Enfer : Elle eſt ſemblable au Demon, qui cherche continuellement à tromper & à devorer les premiers, qu’il peut attraper. Enfin c’eſt un monſtre, dont on doit bien ſe garder.


Vous qui approchés de ſa demeure, prenés y bien garde, car ſa furie eſt ſi cruelle, qu’elle conduira votre corps vers la v----le, & votre ame dans l’Enfer.



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CHAP. II.

Des Maqueraux, & Maquerelles ; ce qu’ils ſont : avec un Dialogue, entre une Fille de Joye, & une vieille Maquerelle, un Maquerau, & un Prodigue, touchant la préeminence.

Dans la maiſon, où regne le peché, j’entens celles où l’impudicité domine, il s’y trouve d’autres Inſtrumens de Lubricité, outre les Maquerelles, & les filles debauchées : Car quoique la Maquerelle ſoit celle qui tient la maiſon, il y en a encore cependant d’autres qui en dépendent, qui procurent des filles de joye pour d’autres hommes. Les Seconds ſont ceux qui ſont principalement employés au dehors, pour amener des pratiques & leurs procurer celles qui veulent ſe proſtituer, & parmi ces derniers, il s’en trouve d’une eſpece aſſés denaturée & ſi inhumaine, qu’ils proſtituent leurs propres Epouſes, à d’autres hommes pour en jouir : Comme, par exemple, il eſt arrivé depuis peu, que deux hommes entrerent pour ſe rafraichir dans une maiſon, qu’ils croyoient honnête ; mais auſſitot que la bouteille fut miſe ſur la table, il ſe preſenta devant eux une creature, qui leur fit immediatement entendre ce qu’elle vouloit, leur deſignant la maiſon, dans laquelle ils étoient entrés. L’un d’eux la prit par la main, & commença à ſe rendre fort familier avec elle, & s’aperçût, qu’il en pourroit tirer quelques faveurs, ce à quoi il tendoit. Mais ſon compagnon s’apercevant, qu’il vouloit ſe l’approprier ſeul, il commença à faire tapage, à frapper, & à appeller d’une étrange maniere ; ſur quoi le maitre de la maiſon monta d’abord, ſouhaitant de ſçavoir, de quoi il étoit queſtion. Quoi impudent faquin, lui dit-il, n’avés vous qu’une fille de joye dans la maiſon, pour me laiſſer ainſi les mains vuides, comme un nigaud, tandis que mon compagnon commerce avec une autre ? Le Maquerau voyant cet homme ſi fort en colere, mon bon Monſieur, lui dit-il, tranquiliſés vous, je vais en bas, & je ferai monter ma femme pour vous contenter, ce qu’il fit immediatement, & ſuivant ſa promeſſe. Ceux que l’on appelle Panders, ſont dans un ſtrique ſens, ceux qui ſont toujours dans la maiſon, dont ils ont le menagement. Ce ſont ceux-ci qui amenent les Rodeurs avec les filles de joye, & qui les ſervent pendant qu’ils commettent leurs impudicités.


Ces freres d’iniquité, avec le reſte de la maiſon de debauche, eurent une grande querelle, touchant la Superiorité ; chacun d’eux vouloit être le chef. Je vous donnerai ci-après Un detail de leurs differens raiſonnemens, & enſuite je vous montrerai encore plus de leurs mauvais tours. La Preſidente étoit une debauchée, & ainſi elle menageoit ſa cauſe.


La Debauchée. Perſonne ne peut ſans impudence, & ſans une grande injuſtice, me conteſter le premier rang entre nous tous ; car c’eſt moi qui procure tout ce qu’il faut dans la maiſon pour vivre ; ç’eſt moi qui expoſe ma carcaſſe, qui plus eſt avanture mon ame, & tout pour gagner honnêtement mon pain. Oui, Monſieur Maquerau, malgré vos railleries, je dis honnêtement mon pain, ou ma vie : Car je ne trompe perſonne, au contraire je paye ce que je reçois, & ne fais uſage que de ce qui m’appartient, ce que perſonne ne peut me diſputer. Et je crois, qu’il vaut mieux pour moi, & que je hazarde moins en gagnant ma vie avec mon — que de voler le bien d’autrui. Outre cela je ne ſouffre pas, que qui que ce ſoit ait à faire avec moi, à moins que je ne le veuille, & ne couche avec moi à moins que je ne l’aime ; je ne fixe aucun prix, mais je prens ce qu’on me donne volontairement, c’eſt pourquoi on ne peut proprement m’appeler P--ain, car celles qu’on nomme ainſi, font leur marché avant que d’entrer en beſogne, ce que je ne fais jamais : Et par conſequent voyant, que je vous maintiens tous, vous devés me reconnoitre pour votre chef, & me donner la préeminence ; car vous vivés tous du ſang, qui coule dans mes veines ; & ſi ma beauté n’attiroit pas les hommes, vous ne pourriés pas tous tant que vous étes gagner de l’eau pour laver vos mains, & ſeriés auſſi pauvres que des Rats d’Egliſe.

A cette harangue le Maquerau repond ainſi.

Le Maquerau Vous allés trop vite Mademoiſelle Minx, & vous êtes un peu trop prevenuë en votre faveur : Car quoique ce ſoit mon devoir de ſervir, cependant c’eſt moi qui vous procure à tous du credit & de la reputation. Je me promene dans les ruës d’une maniere galante, ſi propre, ſi bien parfumé, que tous ceux que je rencontre me donne le haut du pavé, comme ſi j’étois une perſonne de qualité : Et lorsque quelqu’un entre ici, il eſt charmé de ma belle maniere de le recevoir & de mes agréables diſcours. Mon aimable preſence en attire beaucoup dans la maiſon, outre ceux de notre connoiſſance ; de ſorte que je puis aſſurer, que je ſuis le Soutien du Logis. Si je ne vous attirois pas des Cavaliers chés vous, que deviendriés vous ? Vous pourriés reſter les bras croiſés, & être obligés de vous gratter les ---les.

Ce diſcours irrita tellement Pander, qu’il y repondit avec beaucoup de chaleur de la maniere qui ſuit.


Pander. Toi petit maitre fanfaron, crois-tu, que je me croye au deſſous de toi ? Non, il faut que tu ſaches, que je ſuis plus que toi ; nous éprouveront immediatement, quel eſt celui qui eſt le plus utile de nous deux : Eſt-ce que tous ces Meſſieurs ne me confient pas leurs ſecrets ? Eſt-ce que je ne garde pas la porte ? Eſt-ce que je n’examine pas tout ? Ainſi ne dois-je pas être regardé comme le plus utile & le meilleur ? Outre cela je fournis à nos filles des Galans de leurs temperamens, & qui leurs conviennent le mieux, & dans tous les cas épineux qui arrivent, ne me demande-t-on pas mon avis, & en le donnant eſt-ce que je n’ai pas double profit. Quand je reſte au Logis, c’eſt ſeulement pour faire un Ane de toi, pendant que tu en es ſorti, car tandis que tu ne gagnes qu’un Shilling au dehors, j’en gagne 5. à la maiſon : & je ſuis ſur, que ſi je la venois à quitter, tous nos chalans l’abandonneroient bientôt. Car je ſuis le ſeul, pour lequel les gens, qui nous frequentent, ont le plus de veneration. C’eſt pourquoi je crois meriter, à juſte Titre, la préférence ſur vous tous.


La vieille dam--ble Maquerelle, ayant écouté attentivement tous ces diſcours, ſe mit enfin à éclater de rire de toutes ſes forces, & après avoir employé en cela toutes ſes foibles & riſibles facultés, leur fit cette reponſe.


La Maquerelle. Je ne puis m’empecher de rire, d’entendre tous ces ſots raiſonnemens, touchant la pretenduë préeminence. Ils voudroient être tous les maitres, cependant ils n’ignorent pas, qu’ils ſont tous mes ſerviteurs ; ils ſe vantent de ceci, & de cela, parlent de leurs grands profits, & oublient, que je ſuis le ſoutien de la maiſon, & que leurs gains & eux-mêmes dependent de moi, & de mon bon plaiſir. Dites moi, je vous prie, Meſſieurs, de qui depend cette maiſon ? J’eſpere, que vous la regardés comme étant la mienne ; & je ſuis ſûre d’en avoir achetté tous les meubles ; & toute fois vous raiſonnés comme ſi je n’avois rien à faire, ni à pretendre ici, au lieu que vous auriés été obligés de mandier votre pain, il y a déja longtems, ſi je ne vous avois pas pris à mon ſervice. Et vous Mademoiſelle Minx, parceque vous êtes un peu jolie, vous commencés à devenir orgueilleuſe, ſans conſiderer, que ſi je ne vous avois pas preferée dans la ſituation, où vous êtes, vous auriés été obligée de laver les ecuelles, & de frotter les meubles & les appartemens ailleurs. N’eſt-ce pas moi qui vous ai achetté ces beaux habits, & qui vous ai mis dans le bel equipage, où vous êtes ? Helas vous étiés qu’une pûre novice dans l’art de pecher, jusqu’à ce que je vous euſſe donné de ſi belles Leçons, qui vous ont miſe en ſi beau chemin. Vous avés oublié, combien grande étoit d’abord votre modeſtie, & les peines, que je me ſuis données pour vous engager à laiſſer un Cavalier vous prendre dans le Tu quoque ; & maintenant que je vous ai inſtruite aſſés bien pour gagner votre vie, vous commencés à vouloir me mépriſer. Et vous M. Pimp. n’étiés vous pas un pauvre miſerable avant d’entrer dans mon ſervice ? Dites-moi, s’il vous plait, qui eſt-ce qui auroit eû des égards pour vous dans les haillons, ou guenilles, où je vous ai trouvé ? Maintenant que je vous ai bien habillé, & fait un homme de vous, vous voudriés m’impoſer des loix. Oui da ! mais j’y mettrai ordre pour l’empecher ; & ſi vous ne vous connoiſſés plus vous-même, je n’ai pas oublié, qui vous êtes : Bien plus voilà votre frere Pander auſſi, qui ne vaut pas mieux que vous, & qui ne peut pas dire, quand il eſt bien, parce que je lui paye ſes gages dans ſon poſte, veut auſſi devenir mon maître, & voudroit tout gouverner ; mais je vous ferai ſçavoir, qu’il y a deux mots dans ce marché. Je crois ſçavoir mieux, que vous tous, ce qui appartient le mieux dans cette maiſon, j’y ai été élevée dans ma jeuneſſe ; & j’ai paſſé moi-même mon tems dans les plaiſirs ; mais n’en ayant plus la force à cauſe de mon âge & de mes foibleſſes, j’avois tant d’affection pour ce metier, que j’en ai entretenu d’autres pour le continuer ; & c’eſt pour cette raiſon, que je dois avoir plus d’experience en cela qu’un autre, & ſi vous ne voulés pas tous me reconnoître pour votre Supérieure & Maîtreſſe de tout, je ſçais ce que j’aurai à faire.


La vieille Maquerelle ayant fini ſon diſcours, & impoſé ſilence à tous ces arrogans, il ſe trouva préſent un petit Maître Prodigue, qui avoit diſſipé presque tout ſon bien, & qui avoit été longtems un chalant de cette maiſon, & qui enfin crût devoir profiter de cette occaſion, pour lui rapeller ſon merite, & commença à parler de la maniere ſuivante.


Le Prodigue. Je m’apperçois, que vous avés tous l’ambition d’avoir la Supériorité ; mais pour vous parler franchement, il n’y a perſonne qui la merite mieux que moi : car dires tout ce qu’il vous plaira, c’eſt caqueter en vain.


Vous ſavés le vieux Proverbe : Les diſcours ne ſont que des raiſonnemens, mais c’eſt l’argent qui fait tout. Et je ſuis ſûr, que j’ai tout dépenſé le mien pour vous maintenir tous : & pour cette raiſon, quand vous aurés dit tout ce que vous pouvés dire, qu’auriés vous fait, & que feriés vous encore, ſi je ne vous avois pas fourni de l’argent ? Si moi tel que je ſuis, j’abandonne votre maiſon, vous ſerés obligés d’aller vous faire pendre. C’eſt moi qui contente & ſatisfait la P-.-ain, & qui paye le Maquereau & ſon camarade : Quant à vous, Mademoiſelle la Maquerelle, tout ce que vous dites vous appartenir, ne vient-il pas de moi ? car vous n’avés ni maiſon, ni terres, ſur lesquelles vous pouvés compter ; & c’eſt moi qui vous maintient tous. Et puisque c’eſt moi qui fais toute cette depenſe, il eſt juſte, que vous me reconnoiſſiés tous pour votre Maître : votre propre interêt parle en ma faveur. C’eſt pourquoi il eſt inutile d’en dire d’avantage.


Le Prodigue ayant fini ſa harangue, ils convinrent tous, qu’il valoit mieux pour eux de ſe maintenir enſemble, puisque leur interêt étoit commun entr’eux : que par conſequent chacun devoit garder ſon poſte, & reconnoître la Maquerelle pour ſa Superieure, & le jeune Prodique pour leur Bienfaiteur.



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CHAP. III.

Comment une jeune Dame, avec le ſecours d’une vieille Maquerelle, a pû jouïr de ſon Amant & tromper ſon vieil Epoux.


VOus ayant déja donné le Caractére d’une Maquerelle, & montré ſes raiſons pour avoir la préeminence dans l’art de l’impudicité ; je vais préſentement, par quelles fameux perfections elle peut y parvenir : & lorsque vous aurés vû ſa malice pour l’obtenir, & ſa patience à ſouffrir, vous conviendrés d’abord, qu’elle n’epargne aucune peine pour devenir méchante au ſuprême degré.


Il n’y a pas longtems, que dans le Weſt-d’Angleterre vivoit un vieux Gentilhomme, auquel la Providence avoit été trés propice, en lui accordant un bien conſiderable, de ſorte qu’il ne lui manquoit rien au dehors pour mener une vie auſſi heureuſe qu’il pouvoit le deſirer. Ce Gentilhomme étant encore garçon, avoit plus de biens que d’eſprit, & plus d’envie d’agir, que d’habileté pour parvenir à la perfection : Car rien ne pouvoit lui convenir mieux qu’une femme, qui devoit être jeune & belle auſſi. Car quoiqu’il étoit avancé en âge, il avoit cependant encore de jeunes inclinations, & ſe croyoit encore auſſi alerte & vigoureux qu’un jeune homme de 25. ans.


Vous pouvés bien vous imaginer, qu’un homme de ſon état ne pouvoit pas demeurer longtems ſans qu’on lui fit des offres, lorsque ſes intentions furent connuës : Car les richeſſes ont tant de charmes en elles-mêmes, que ſouvant ils aveuglent les parens, & font, qu’ils ſe trompent dans leurs propres interêts en diſpoſant de leurs enfans, qui ne conſiſtent pas tant dans les efforts qu’ils font de les marier avec des hommes riches, qu’avec ceux qui leur conviennent. On offrit à ce vieux paillard la fille d’un autre vieux Gentilhomme : elle étoit très belle, ſans cependant avoir beaucoup de bien ; mais ſentant bien, qu’il ne pouvoit pas s’attendre à ſon âge, a épouſé une grande beauté avec de grandes richeſſes ; il l’accepta volontiers. La jeune Demoiſelle n’étoit à beaucoup près ſi portée à conclure ce mariage que ſes parens, qui la ſollicitoient fort à cela ; & pour l’encourager, ils lui diſoient, que ſon vieil Epoux ne pouvoit pas vivre encore longtems, & qu’après ſa mort elle poſſederoit aſſés de biens pour épouſer un autre meilleur parti ; & que quoiqu’elle n’avoit pas alors beaucoup de ſoupirans, faute d’une fortune, qui repondit à ſa naiſſance & à ſa beauté : cependant lorsque le cas ſeroit ainſi changé, on ne pourroit manquer de lui faire des offres très avantageux. Ces raiſons engagerent cette jeune Demoiſelle à accepter le vieillard pour Epoux, & on celebra leur mariage.


Mais, comme je l’ai déja dit, notre vieux Gentilhomme avoit plus de deſir de --- que d’habileté, & la jeune Dame ſe contentoit moins de ſes deſirs, que de la bienveillance & des effets, auxquels elle avoit raiſon de s’attendre de la part d’un mari. Mais n’en voyant ni ſentant pas l’execution, elle ſe repantit bientôt de ce à quoi elle ne pouvoit apporter aucun remede.


Heureuſement, il arriva, que dans ſon voiſinage demeuroit une vieille & ruſée Maquerelle, qui avoit été depuis longtems accoutumée à préter ſes charitables ſecours à des Dames, qui tombent dans des inconveniens auſſi penibles & douloureux que ceux, où ſe trouvoit notre nouvelle mariée, dont elle avoit déja apperçû les inquietudes & les langueurs, cauſées par l’impuiſſance de ſon vieil Epoux : ce qui enhardit la vieille Maquerelle à prendre un tems convenable pour lui faire une viſite, & par ſes diſcours ſubtiles elle decouvrit la veritable cauſe du mécontentement de la jeune Dame, ſur quoi la Maquerelle lui tint le langage ſuivant :


„Madame, j’espére que vous-m’excuſerés, ſi je prens la liberté de vous declarer mes ſentimens pour vous, qui ne procedent que de la compaſſion, que j’ai pour vous, en voyant & admirant une ſi agréable jeuneſſe & une ſi grande beauté en vous, livrées à un homme, qui ne ſçait ni ne peut en faire uſage : Je ſens très bien, qu’une perſonne de votre âge & de votre gayeté ne peut que s’affliger de votre triſte état, dans l’idée d’étre mariée, & étre dans ce cas privée des avantages, qu’on en doit ordinairement tirer. Ç’eſt être comme Epouſe ſans mari, que d’avoir un homme, qui ne peut rien faire. Vous ſçavés, Madame, qu’il nous eſt ordonné de croître & de multiplier. Mais quelque fertile qu’un terrain ſoit, on ne doit pas s’attendre, qu’il produite aucune choſe, qui vaille, à moins qu’on y jette de la ſemence. Voilà, Madame, ce qui me fait prendre la hardieſſe de vous dire, que vous vous manqués à vous-même, & au but de votre création, ſi vous ne trouvés quelques moyens, à ce defaut, & à cette impuiſſance, dans lesquels votre mari ſe trouve, à cauſe de ſon grand âge. Je connois un Cavalier alerte, jeune, beau, bien fait, en un mot, qui eſt la plus belle fleure de la jeuneſſe la plus enjouée ; qui, j’en ſuis ſûr, ſe ſacrifieroit lui-même, & tout ce qu’il a pour ſervir une Dame dans les circonſtances facheuſes, où vous êtes, & j’ai tellement compaſſion de vos peines, que je ferois volontiers mon poſſible, pour les adoucir, & pour vous procurer la ſatisfaction, qu’exige votre jeuneſſe & votre grande beauté, & que votre mari ne peut vous donner.„


La Maquerelle ayant fini cette harangue, la jeune Dame lui dit, qu’elle lui étoit très obligée, de le part qu’elle vouloit bien prendre à ſon état infortuné, qui étoit le même qu’elle lui avoit repréſenté ; mais elle lui dit, qu’elle n’oſoit pas ſe ſervir du remede qu’elle lui propoſoit, 1) parce qu’il étoit criminel, 2) parce qu’elle y coureroit de grands riſques ; que ſon mari ſentant ſon impuiſſance, & ſon imbecillité, étoit très jaloux, quoiqu’elle ne lui en eût jamais donné le moindre ſujet, & que par conſequent toutes les tentatives, qu’on pourroit faire en cela, deviendroient très difficiles, qu’il vaudroit infiniment mieux de n’y pas ſonger, de crainte d’y échouer.


La vieille malicieuſe Maquerelle remarquant, que quoique la jeune Dame avoit mentionné le crime de ce qu’elle lui avoit propoſé, cependant elle n’inſiſtoit pas tant ſur cela, que ſur les hazards & les difficultés d’en faire la tentative, ce qui l’encouragea tellement par l’eſperance de réuſſir, qu’elle lui dit, quant au crime, vû les circonſtances, elle ne croyoit pas, qu’il y en eût aucun, parce que ſi elle pouvoit avoir eû de ſon mari cette bienveillance qu’il lui doit, elle ne l’auroit pas penſé à la chercher ailleurs ; & ſi c’étoit en quelque façon un peché, il n’étoit que veniel, qui pouvoit aiſement étre pardonné. Mais que par raport au dernieres circonſtances, touchant les risques, qu’elle y auroit à courir, à cauſe de la jalouſie du mari, c’eſt ce qu’il y a le plus à conſiderer : Car les vieillards, qui ne peuvent abſolument rien faire, ſont toujours les plus jaloux, & craignent ſans ceſſe, que d’autres ne ſuppleyont à leur défaut. Mais nonobſtant toute cette jalouſie, laiſſés moi le ſoin & le menagement de cette affaire, & quand il auroit les yeux d’Argus, nous le tromperont.


La jeune Dame ſe laiſſa bientôt perſuader, à faire ce à quoi elle étoit déja portée auparavant, & enſuite elle s’abandonna entiérement à la conduite de la vieille Maquerelle, qui lui dit, qu’elle alloit dire au Cavalier, qui avoit une ſi grande paſſion pour elle, que lui n’étoit pas dèsagréable ; & lui diroit de paſſer devant la porte pluſieurs fois le lendemain, afin qu’elle put le voir au travers des fenêtres de ſa chambre ; qu’après l’avoir conſideré, elles conſulteroient enſemble ſur les meſures, qu’il y auroit à prendre, pour ſe joindre enſemble. Etant convenu de ceci, la vieille Maquerelle prit congé de la jeune Dame, & alla chés le Galant, avec lequelle elle s’entendoit, lui diſant la capture, qu’elle avoit faire pour lui, lui ordonna de s’equipper de la maniére la plus avantageuſe qu’il pourroit, & de paſſer & repaſſer devant les fenêtres dans le tems marqué, & où il pourroit la voir.


Ce Galant fut tout de feu en apprenant cette bonne nouvelle, & prit la reſolution de ne rien oublier de ce qui pourroit de ſa part contenter la jeune Dame ; & pour y bien réuſſir & pour cet effet il s’habilla d’une maniére, qui ſurpaſſoit celle des plus beaux Galans de la ville, & ſe promena ſur la parade au tems marqué, & auquel la Dame fut auſſi très attentive de ſon côté, s’étant placée à la fenêtre, & toutes ces ſalutations amoureuſes furent faites & renduës de part & d’autre, autant que la diſtance de l’endroit pouvoit le permettre ; deſirant l’un & l’autre avec la même ardeur, de trouver l’occaſion d’éteindre leurs flammes mutuelles.


Mais cette entrevuë ne ſe fit pas avec une précaution aſſés grande pour ne pas être apperçû du vieillard, dont jalouſie inquiete le tenoit ſans ceſſe eveillé. Il s’apperçut des fenêtres de la chambre, où il étoit, les frequentes allées & venuës de notre amoureux Galant, & des regards, qu’il jettoit à meſure qu’il paſſoit auprès de la fenêtre de ſa femme : Ce qui fit craindre à notre bon homme, qu’il n’y eût quelque choſe de plus ordinaire dans ſes allées & venuës ſi ſouvent réiterées de la part de notre jeune Galant ; ce qui cauſa une ſi grande inquietude au vieil impuiſſant, qu’il prit la reſolution d’en decouvrir la ſource. Et ſans faire le moindre ſemblant de ce qu’il avoit apperçu, il affecta de paroître plus amoureux pour ſa femme, & d’étre de meilleur humeur que jamais. Elle, qui au contraire avoit grande eſperance de pouvoir jouir d’un autre, qui contenteroit ſes deſirs amoureux avec une égale vigueur, ſe comportoit à l’égard de ſon mari avec une indifference ſi étrange, qu’elle ne fit que le confirmer dans ſa jalouſie. Il lui dit, que le lendemain il devoit aller en campagne pour terminer quelqu’affaire, qu’il y avoit, & qu’il ſeroit forcé, malgré lui, de s’abſenter d’elle pendant quelque tems, en ajoûtant, qu’elle ne devoit pas le prendre en mauvaiſe part, & qu’il hâteroit ſon retour auſſitôt que ſes affaires lui permettroient. Il ne put rien dire alors à ſa femme, qui lui fut plus agréable, & elle eût même aſſés de peine à lui cacher la joye, qu’elle en reſſentoit, & même il s’en apperçût. Quoiqu’il en fut, pour la mieux deguiſer, elle lui dit, qu’elle regarderoit chaque jour de ſon abſence comme autant d’années ; & alors elle l’embraſſa, en le baiſant, avec une paſſion ſi diſſimulée, qu’elle penſa gâter tout, & avoit presque perſuadé le bon vieillard de ne plus penſer à ſon voyage prétendu.


La jeune Dame ne manqua pas auſſitôt de faire ſavoir ces bonnes nouvelles à la Maquerelle, qui en fut très contente, & promis d’en donner avis à ſon Enamerato, qui reſſentit une joye inexprimable de ſon bonheur, qui s’approchoit : & jusque là les affaires allerent au contentement de leurs deſirs reciproques.


Le jour du départ du mari étant venu ; il ſe leva de grand matin, & avec toutes plus grandes careſſes feintées de part & d’autre il prit congé de la Dame : Mais ayant fait un ou deux milles, il entra chés un de ſes amis, où il laiſſa ſon cheval & ſes domeſtiques, & revint ſeul vers la nuit dans ſa maiſon.


La vieille Maquerelle ayant eû avis de la jeune Dame, que ſon mari étoit parti, elle en avertit auſſitôt le Galant, & lui ordonna de ſe tenir prêt le même ſoir à une heure marquée, & qu’il iroit & viendroit devant la porte du logis, jusqu’à ce qu’on l’y fit entrer ; ce qu’il promit de faire fidèlement, & en conſequence il ſe trouva à ſon poſte.


La Dame avoit fait préparer un repas pour bien traiter ſon Amant, avant d’entrer dans ſes amoureux engagemens ; & étant ſur le point de le faire entrer, ſon mari, qui s’étoit caché pendant quelque tems auprès de la maiſon, devant laquelle il voyoit le Galant ſoupçonné aller & venir, entra ſubitement dans la maiſon, & y trouvant un magnifique repas tout prêt, il ne douta pas, que ce ne fut pour lui. Il fait appeller vîte ſon Epouſe, & lui demanda, que ſignifioient ces préparatifs, & pour qui ce banquet étoit préparé ? La jeune Dame ſurpriſe & confonduë du retour ſi peu attendu de ſon mari, ne ſçavoit, que lui repondre. Mais reprenant un peu courage, elle lui dit auſſi bien qu’elle le pût, qu’elle étoit reſoluë de le ſurprendre, ayant appris qu’il avoit changé de ſentiment, & qu’il devoit revenir le même ſoir, croyant lui-même la ſurprendre à ſon tour. Son intention étoit de le bien regaler. Cette reponſe, auſſi plauſible qu’elle sembloit, lui parût entiérement fauſſe ; c’eſt pourquoi la prenant par l’epaule, avec un air colerique : Non, infidèle proſtituée, lui dit-il, une telle reponſe ne te peut excuſer ; je ne ſuis pas fait pour être trompé. J’ai vû ce paſſionné debauché ſe promener devant ma maiſon, pour lequel ce Feſtin étoit préparé ; & ſi j’avois eû ſeulement des armes, je lui auroit donné un autre regal que celui que tu lui avois deſigné. Mais puisque ta paſſion eſt ſi chaude, je m’en vais voir, ſi je ne pourrai pas la guerir. En diſant cela, il la traîna hors de la maiſon, la dépouilla toute nuë, & enſuite il la fit entrer dans un étang, qui étoit auprès de la cour, où il la lia avec des cordes à un pillier, qui étoit placé au milieu, en lui diſant, que de ce même ſoir jusqu’au lendemain matin il eſperoit, qu’elle ſeroit un peu plus rafraichie ; tandis qu’elle lui proteſtoit ſon innocence, en le priant de la relacher. Et l’ayant laiſſé dans cette triſte & froide condition, il renferma les domeſtiques dans leurs chambres, qu’il ferma avec des clefs, dont il prit poſſeſſion, après quoi il ſe renferma dans ſon apartement. Son Galant fatigué de ſe promener ſi longtems devant la porte, & ſurpris de ce qu’on ne l’avoit pas fait entrer, alla trouver la vieille Maquerelle pour en ſçavoir la raiſon, dont elle fut auſſi mortifiée que lui ; mais ayant eû une clef de la jeune Dame, au moyen de laquelle elle pouvoit entrer en tout tems par une porte de derriere, elle lui dit d’attendre, pour lui faire ſon rapport de ce qui s’étoit paſſé dans la maiſon ; ayant ouvert la porte, qui conduiſoit dans la cour, où étoit l’étang, elle vit auſſitôt la Dame, qui étoit dedans dans le même état, où ſon mari l’avoit laiſſée ; & approchant d’elle, elle lui demanda à haute voix la cauſe de ſon malheur.


Helas ! dit la Dame, vous m’avés ruinée pour jamais ; vos pernicieux & damnables conſeils m’ont précipité dans un abîme de miſéres ; vos yeux ſont témoins de la disgrace & de la calamité, où ils m’ont reduit : & qu’elle en ſera la fin, je l’ignore. Pourquoi, dit la Maquerelle, vous n’avés pas vû votre Galant, à moins que vous n’en euſſiés quelqu’autre que celui que je vous avois deſtiné. Non, non, reprit la Dame, j’avois tout préparé pour ſa reception, & dans le même moment que j’allois le faire entrer, mon mari eſt entré, & m’a ſurpris ſans m’y attendre, & voyant le banquet, que j’avois fait préparer, il s’eſt mis dans une ſi grande colére, qu’il en a agi avec moi auſſi cruellement que vous le voyés. He bien ! dit la Maquerelle, ſi c’eſt là tout, prenés courage, nous trouverons les moyens de rendre la pareille à votre mari : & ſi vous voulés ſeulement me laiſſer faire, ce jaloux radoteur ſera du nombre de la grande confrérie avant demain matin. Votre ami m’attens chés moi ; je me mettrai à votre place, vous mettrés mes habits, & vous irés le trouver. Divertiſſés-vous avec lui juſqu’à ce que vous ſoyez contente, & revenés après me trouver.


La jeune Dame, qui avoit été extremement troublée, d’avoir manqué dans ſon entrepriſe, & du cruel traitement de ſon mari, & voyant, que tout cela pouvoit ſe faire, elle ſuivit cet avis. La Maquerelle s’étant promptement déshabillée, delivra la jeune Dame, & prit ſa place dans l’étang, pendant qu’elle fût chés la Maquerelle, où elle trouva ſon Galant, qui la prit d’abord pour la Maquerelle à cauſe de ſes habits ; mais il étoit très content de cette mépriſe : & ayant appris l’état des affaires, ils employerent galamment leur tems, & ſe crurent très obligés à la vieille de cette nouvelle invention, qui leur avoit procuré cette entrevuë, tandis qu’elle faiſoit une rude pénitence, & qu’elle ſouffroit plus de peines pour leur avoir procuré du plaiſir, qu’ils ne le ſavoient alors. Car le vieillard non content de s’étre revangé ainſi de ſa femme, pour lui avoir voulû faire porter les cornes, il étoit reſolu de la punir encore d’avantage. Pour cet effet il ſort de ſon lit, va auprès de l’étang, où il l’appella mille fois Pu--ain : Ne t’ai-je pas pris, prèsque toute nuë, lui dit-il, ſans exiger la moindre dot de toi, & dans la penſée, que tu ſerois une épouſe fidèle & obligeante, & que tu te comporterois auſſi bien qu’une honnête dame ? Eſt-ce la recompenſe, que tu me rends impudente & miſerable debauchée ? Dis moi, qui t’as conſeillé de commettre un tel crime ? La Maquerelle, à qui tout cela s’adreſſoit, quoiqu’il croyoit, que ce fût ſa femme, n’oſa pas repondre un ſeul mot, & prit la reſolution d’en faire autant jusques à la fin ; ce qui le mit dans une ſi grande colére, qu’il dit : Quoi eſt-ce que je ne merite donc pas une reponſe ? Je ferai un exemple de toi pour toutes les Ga--ces, qui abuſent des bontés de leurs maris, & tirant ſon couteau de ſa poche, il s’avance auprès d’elle, & lui coupe le nez, qu’il lui jetta au viſage. Maintenant, P--ain, lui dit-il, prends cela pour la recompenſe, & fais-en un préſent à ton favori. Ayant dit cela, il retourna dans ſon lit, laiſſant la vieille dans cette miſerable condition. Mais peu de tems après, la jeune Dame, après s’être contentée avec ſon bon ami, & après avoir prit congé de lui, elle retourna auprès de l’étang, pour reprendre ſa place, & relever la pauvre Maquerelle, qui lui raconta ce qui lui étoit arrivé depuis ſon départ, de ce dont la jeune Dame fût plus troublée que la Maquerelle même, & ſongeoit déja à ſe ſauver de ſon ſanguinaire Epoux. Mais la vieille, étant une vieille ruſée, lui fit le diſcours ſuivant : „ Il eſt vrai, lui dit-elle, que cet accident eſt tombé malheureuſement ſur moi ; mais puisqu’il n’y a plus de remede, je veux m’en vanger. Mais ſi vous voulés ſuivre mon conſeil, pour votre propre bonheur, c’eſt qu’auſſitôt, que je vous aurai quittée, vous vous plaigniés avec une voix forte de la cruauté de votre mari, d’avoir abuſé & mal traité ſon Epouſe chaſte & innocente, en lui coupant ſon nez, & en détruiſant ainſi votre beauté ; & alors en priant toutes les Puiſſances celeſtes, comme Protectrices de votre chaſteté, de vouloir bien vous rendre votre nez & votre beauté d’une maniére miraculeuſe ; & immediatement après redoubler votre voix, comme pour les remercier de vous avoir accordé votre demande ; ce qui paſſera pour un miracle, & prouvera tellement votre innocence, qu’on ne la ſoupçonnera jamais plus après. Enſuite, j’eſpere, que vous me recompenſerés des peines, que j’ai endurées pour vous :” ce que la jeune Dame lui promit d’executer fidèlement. La Maquerelle retourna après chés elle pour ſe faire penſer, après avoir laiſſé la jeune Dame auſſi bien garrotée qu’auparavant.

La vieille ne fût pas plutôt partie, que la Dame pouſſa un grand ſoupir, & commença à ſe plaindre de la maniere ſuivante : „O malheureuſe femme ! malheureuſes par deſſus toutes les autres femmes ! malheureuſe d’avoir perdu ſans ſujet l’amitié de mon Epoux, dans lequel j’avois placé tout mon bonheur ! malheureuſe d’avoir perdu ma reputation par lui ! malheureuſe d’avoir été plus cruellement &, ignominieuſement traitée par lui, que ſi j’avois été une debauchée publique ! d’avoir mon nez ainſi coupé, & d’avoir ma beauté defigurée, & tout cela ſans raiſon : que peut-on trouver de plus barbare en lui, ou qui puiſſe me rendre plus infortunée ? Mais, vous Puiſſances celeſtes !” (ajouta-t-elle d’un ton plus élevé, afin que ſon mari puiſſe l’entendre, ce qui arriva auſſi,) „s’il y a quelques Puiſſances, qui protegent la chaſteté, & qui prennent la defenſe de l’innocence, jettés les yeux ſur moi, dont vous connoisſés la droiture, & entendés les priéres : Si je me ſuis écartée des regles les plus ſtrictes de la vertu & de l’honneur, & rompuë en aucune maniére les liens du mariage, dans lequel je ſuis entrée, que toute votre plus grande colére tombe ſur moi. Mais ſi j’ai conſervé ma chaſteté ſans tache, ni jamais fait du tort à mon mari, ſeulement en penſée, gueriſſés mon viſage defigurée, rendés moi ma beauté perduë par mon nez coupé ſi injuſtement, comme un temoignage inconteſtable de mon innocence.”

Ayant fini ſa priére, elle garda le ſilence pendant environ un demi quart d’heure, & comme ſi ſon nez lui avoit été miraculeuſement rendu, elle recommença à crier plus haut : „O vous Puiſſances immortelles ! qui connoiſſiés ma chaſteté immaculée, quoique ſouffrante, & qui venés de la recompenſer, acceptés en mes très humbles actions de graces ; car par ce miracle, que vous venés d’operer en moi, mon mari reconnoîtra ſûrement mon innocence, & je ſuis ravie de ce que je ſerai en état, au dépens de tant de ſang repandu, & après tant de peine, que j’ai endurées, de lui faire voir qu’il m’a injuſtement mal traitée, & quel eſt l’amour, que j’ai pour lui. Oui, vous Puiſſances d’en haut, qui avés prouvé ſi merveilleuſement mon innocence, vous êtes témoins de mon amour pour lui, nonobſtant ſa cruauté, pour laquelle je vous demande humblement pardon, parce qu’il l’a fait par un excés de rage, & qu’il l’a exercée ſur celle qu’il croyoit infidèle.” Alors élévant ſa voix beaucoup plus fort, elle appelle ſon mari, diſant : „Deſcendés, mon amour, & voyés & ſoyés convaincû d’avoir fait une ſi grande injuſtice à votre fidele Epouſe.”

Le vieillard, qui ne dormoit pas dans ſon lit, & qui avoit entendu tout ceci, ne ſçût qu’en penſer. Il étoit ſûr d’avoir coupé ſon nez, & de lui avoir jetté au viſage ; mais il n’étoit pas aſſés credule pour croire, qu’il fût remis, & s’imagina au contraire, que c’étoit quelque tour, qu’elle vouloit lui jouer pour être relâchée. Quoiqu’il en fût, puisqu’elle l’appelloit pour voir & ſe convaincre lui-même, il prit la reſolution de voir la verité du fait ; pour cet effet il deſcendit avec une chandelle, qu’il approcha d’elle, & l’apperçut, que ſon viſage étoit ſain & entier, de ce dont il fût ſi ſurpris & confondu, qu’il commença à craindre, que le Ciel, qui venoit d’operer un tel miracle, en la guériſſant, ne fit éclater ſa vengeance ſur lui, pour le punir de ſa rage & de ſa cruauté, & pour cet effet il la relacha immediatement, & conduiſit dans ſon lit. „O tu es l’innocence même !” (s’ecria le cocu transporté de joy) „Peus-tu me pardonner l’injuſtice, que je t’ai fait à ce pris.” „Oui, mon cher Epoux,” (repondit la malicieuſe P--ain) „puisque le Ciel a écouté ma priére, & prouvé mon innocence, je pardonne tout le monde, & toi principalement.” Après quoi ſon mari lui promit ſolemnellement, qu’il ne ſeroit jamais jaloux d’elle, quelque fût ſa conduite.


Delà on peut voir, comment, par les intrigues d’une vieille & maligne Maquerelle, une jeune Dame eſt devenuë criminelle, & un vieux radoteur un jeune cornard ; & auſſi de quelle maniere elle peut menager tous les évenemens pour les faire réuſſir dans ſes pernicieux deſſeins.

La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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[CHAP. IV.]

Avanture remarquable arrivée depuis peu à un Maître d’Hôtel près de Londres,


Une Maquerelle du prémier ordre, dont l’unique emploi eſt de procurer des jeunes débauchées, attendoit un Gentilhomme dans une Taverne auprès de Weſt-Smithfield, où elle devoit lui fournir un de ces morceaux que certaines gens appellent friands. Pendant cet intervalle notre Maître d’Hôtel entre dans la chambre voiſine avec un autre de ſes amis, qui devoit lui payer 50. Guinées : ce qu’il fit. Après qu’il eût delivré cette ſomme, & en avoir reçu la quittance, ils bûrent une bouteille de vin enſemble, en parlant de leurs connoiſſances à la campagne. Le Maître d’Hôtel lui demanda, comment ſe portoient tels & telles à Londres ; à quoi ſon ami lui repondit. Entre autres choſes il demanda, s’il ne connoiſſoit pas Mademoiſelle Pierpoint ? Je l’ai connu autrefois, lui repondit le Maître d’Hôtel ; mais il y a ſi longtems que je ne l’ai pas vuë, que je l’ai presqu’entiérement oubliée. Elle eſt déja âgée, lui dit ſon ami ; mais elle a une très jolie fille. Eſt-elle mariée ? demanda le Maître d’Hôtel. Non, lui repondit l’autre ; mais elle merite d’avoir un bon mari, car c’eſt une grande beauté, & outre cela elle a du bien pour vivre honnêtement. Après ce diſcours l’ami prend ſon verre. Allons, Mr. Brightwell, à la ſanté de Madame Pierpoint & de ſa fille, Mademoiſelle Betti. De tout mon cœur, repliqua Mr. Brightwell, c’étoit le nom du Maître d’Hôtel. Enſuite il but à ſon ami, & à tous ceux de Bedfordshire, & ſurtout de Hargrave. La Maquerelle, qui étoit dans la chambre voiſine, entendit diſtinctement toute la converſation, dont elle prit une exacte notice, étant réſoluë d’en faire uſage, ayant grande envie d’attraper les 50. Guinées, & medita les moyens d’y parvenir. Comme l’homme de qualité, qu’elle attendoit, lui manquoit de parole, elle ſe determina à ne pas perdre le tems inutilement ; & ayant payé le vin, qu’elle avoit demandé, elle attendit le départ de ces Mesſieurs, & les voyant prêts à ſortir, après les avoir bien examiné par un trou de la muraille, elle ſorti la premiére, & attendit dans un endroit convenable pour voir le chemin, qu’ils prendroient. Après les complimens ordinaires ils ſe ſeparerent, l’un entra dans une ruë, qu’on nomme Long-Lane, & alla vers l’hôpital de St. Barthelemi. La Maquerelle n’eût rien de plus preſsé à faire que de s’adreſſer au Maître d’Hôtel, qui avoit les 50. Guinées, qui lui tenoient fort à cœur. Elle le devancea dans la Long-Lane ; & comme elle étoit juſtement devant lui, elle s’arrêta : Je crois, Monſieur, avoir l’honneur de vous connoître, ſi je ne me trompe, vous étes de la Comté de Bedford. Il eſt vrai, Madame, mais je ne vous connois point. Non, Monſieur, je crois, que vous m’avés oublié ; mais mon nom eſt Pierpoint. Brightwell l’entendant parler ainſi, parût un peu étonné ; Comment, Madame, votre nom eſt Pierpoint ? Oui, Monſieur, lui dit-elle ; eſt-ce que vous avés oublié Pierpoint de Hargrave. J’y ai encore quelque peu de biens. Celui-ci lui dit, qu’il étoit charmé de la revoir ; il n’y a pas une heure, que j’ai bû à votre ſanté : J’eſpére, que Mademoiſelle votre fille ſe porte bien. Parfaitement bien, repondit la vieille ; & je crois, que vous me ferés le plaiſir de la venir voir. J’aurai une autre fois cet honneur, Madame, n’étant habillé pour paroître à préſent devant une jeune Demoiſelle. Vous étes parfaitement bien, repliqua-t-elle ; allons, venés avec moi : & en le prenant par la main, elle le conduiſit chés elle, où il alloit d’autant plus volontiers qu’il venoit d’entendre parler de la beauté de le prétenduë jeune Demoiſelle Pierpoint. Comme ils marchoient enſemble, elle lui fit pluſieurs queſtions touchant les perſonnes de la campagne, qu’elle avoit entendu nommer dans la Taverne, lorsque le Maître d’Hôtel y étoit avec ſon ami ; de ſorte qu’il ne douta en aucune maniére, qu’elle ne ſût celle dont elle empruntoit le nom. Entre autres choſes elle lui demanda, quel étoit celui avec lequel il venoit de boire à ſa ſanté, & lui ayant dit, que c’étoit un nommé Mr. Hanwell, immediatement elle lui en fit le portrait tel qu’elle l’avoit vû dans la Taverne avec lui. Enfin elle le conduiſit dans ſa maiſon, dont le derriere donnoit dans l’allée de St. Jean, & le fit entrer dans une ſale bien meublée, & lui dit, qu’elle alloit chercher ſa fille. Mais au lieu de cela elle alla parler à une des plus belles filles de joye, qu’elle entretenoit chés elle, à laquelle elle donna les inſtructions neceſſaires. Le Maître d’Hôtel la voyant, lui fit beaucoup de politeſſes, & lui dit, que tout ce qu’on lui avoit dit, touchant ſa beauté & ſes autres belles qualités, n’étoit rien en comparaiſon de ce qu’il remarquoit en elle, ajoutant, qu’il s’eſtimoit fort heureux d’avoir rencontré Madame ſa Mere, parce que par ce moyen il avoit eû le bonheur d’être introduit auprès d’elle.

La carogne ſavoit déja le perſonnage, qu’elle devoit jouer avec lui, ce en quoi elle réuſſit tout au mieux ; & la vieille & la jeune firent ſi bien boire notre homme, qu’elles le rendirent fort joyeux & badin ; & la Betti faiſoit toujours les avances, à meſure qu’elle remarquoit en lui certaines inclinations. Mais comme il commençoit à faire tard, Brightwell voulut s’en aller ; mais la prétenduë Dame Pierpoint ne voulut pas le laiſſer partir avant qu’il n’eût ſoupé, au moyen de quoi il fût obligé d’attendre jusqu’à ce que le ſouper fût prêt : & pour lui faire paroître le tems moins long, la vieille demanda des cartes pour lui & ſa fille prétenduë. Enfin le ſouper arrive, les domeſtiques les ſervoient à table, & ſurtout la vieille comme une perſonne de qualité : Elle buvoit de tems en tems à la ſanté de Mr. Hanwell, & à celles de tous les amis à Hargrave, ſans oublier le convié ; ce qui l’engageoit à leur faire raiſon. Quand le repas fût fini, la Maquerelle demanda à un de ſes domeſtiques l’heure qu’il étoit. On lui répondit, qu’il étoit onze heures paſfées, ſur quoi notre homme voulut ſe lever ; mais il étoit alors trop tard. Elles lui dirent, qu’elles ne pouvoient abſolument pas le laiſſer aller à une telle heure de la nuit, diſant, que leur quartier étoit très obſcur, & très dangereux, quoique le plus grand danger pour lui étoit d’être chés elles ; elles lui offrirent un fort bon lit. Notre bon Maître d’Hôtel ſe trouvant un peu yvre, & ſe croyant en lieu de ſureté, convint d’attendre jusqu’au lendemain matin ; ſur quoi on apporta une autre bouteille de vin. Il commença à devenir gaillard, & à embraſſer & baiſer la Demoiſelle Betti, qui lui témoignoit beaucoup de tendreſſe, ce qui plût tant à Mr. Brightwell, qu’il ne voulut pas aller coucher ſans l’avoir pour compagne dans ſon lit ; ce que non ſeulement elle lui promit, mais elle lui tint encore parole, l’engageant même à n’en pas parler à ſa Mere. Auſſitôt qu’il ſût dans le lit, elle vint auprès de lui, & après avoir ſatisfait leurs deſirs, la drôleſſe lui dit, qu’elle ne ſe croiroit jamais plus heureuſe que lors qu’ils ſeroient mariés : La Betti tout d’un coup dit avoir beſoin du pot de chambre, & le pria de le lui donner ; mais le cherchant à tâtons pendant quelque tems, & ne le trouvant pas, elle lui dit, qu’elle ſe reſſouvenoit, que la ſervante l’avoit laiſſé ſur la fenêtre, & le pria de l’y aller prendre ; ce que voulant faire, & marchant ſur une trappe, elle tourna auſſitôt, & notre Galant amoureux tomba dans la ruë. Cette chûte n’étoit qu’une bagatelle en comparaiſon de ce que l’on va voir : ainſi elle ne fit que l’etourdire, & étant ſeulement en chemiſe, il ſentit d’abord le froid, qui étoit alors très grand. Etant revenû de ſa ſurpriſe, il ſe releva ; & comme la nuit étoit très obſcure, il ne ſavoit ni où il étoit, ni où aller : mais tâchant de trouver une porte, il marcha jusqu’à ce qu’enfin il arriva dans un endroit, que l’on nomme Clerkenwell-Green, où voyant une lumiere au corps de garde, il s’y rendit. Un des gardes ayant vû une perſonne toute blanche, il en donna avis à ſes camarades, qui en furent tous effrayés, & commencerent à conjurer ce phantôme ſuppoſé, qui étant à demi mort de froid, leur dit, qu’il n’étoit pas phantôme, mais de chair & d’os auſſi bien qu’eux. Le principal des gardes n’en voulant rien croire, lui ordonna de s’arrêter, & envoya ; un des plus hardis de ſa troupe, pour ſavoir, ſi la choſe étoit vraië, ou non : l’ayant reconnû tel qu’il s’étoit annoncé, on le fit entrer dans le corps de garde, on le placea auprès du feu, en lui demandant, comment il avoit été reduit dans cet état. Il dit, qu’il avoit rencontré une certaine Dame Pierpoint, ſa païſe, qui l’avoit invité de venir chés elle, où cet accident lui étoit arrivé ; mais perſonne ne la connoiſſant, ils ſuppoſerent tous, que quelque Maquerelle lui avoit joué ce tour. Car en lui voyant une bague de prix au doigt, & des boutons d’or à ſa chemiſe, qui étoit très fine, étant tout ce qu’il avoit emporté, ils ſuppoſerent, que ce qu’il venoit de perdre étoit proportionné à ce qui lui reſtoit ; ce qui engagea le chef de la garde à lui prêter une robe de chambre pour couvrir ſa nudité, comme auſſi à lui prêter du ſecours pour recouvrer ſa perte : mais étant dans l’obſcurité, il ne connoiſſoit aucunement l’endroit, où il étoit tombé, de ſorte qu’il ne put leur en donner aucun indice, & que c’étoit chercher une epingle dans un chariot de foin. Quoi qu’il en fût, ils allerent chercher dans pluſieurs maiſons de plus connuës pour la debauche, ſans rien trouver, & n’ayant d’autre recompenſe que leur fatigue ; tandis que la Maquerelle avec ſa gueuſe triomphoit de leur méchanceté, & étant rejouïes d’y avoir ſi bien reuſſi.


Le matin étant venu, notre Galant derobé envoya chercher Mr. Hanwell, auquel il raconta ſon avanture. Ce dernier comprit d’abord, que ſon ami avoit été trompé, & lui prêta d’autres hardes, & de l’argent ; car on peut bien ſuppoſer, qu’il n’auroit oſé paroître devant ſa Dame dans cet équipage.


C’eſt ainſi que les vieilles Maquerelles continuent leurs anciens trains. Leurs buts ſont les mêmes, quoique les moyens, dont elles ſe ſervent pour y parvenir ſoient differens. Leurs amorces ſont de diverſe nature, elles s’en ſervent ſuivant les occaſions, pour ruiner ceux qui aiment le fruit defendu ; & par leur infame conduite nous nous appercevons enfin, qu’elles ſavent faire ſeche de tous bois & voguer à tout vent.

La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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[CHAP. V.]

Autre intrigue d’une Maquerelle.


Un certain Bourgeois de Londres avoit épouſé une jeune fille, qui, ſi elle eût été auſſi ſage que belle & ſpirituelle, elle auroit pû meriter le premier rang parmi les femmes. Mais l’incontinence avoit pris un tel aſcendant ſur ſon eſprit, que ſon mari n’étoit pas capable de contenter les deſirs ardens, qu’elle avoit pour les plaiſirs de Venus.


C’eſt pourquoi ayant communiqué ſes penſées à une vieille Maquerelle, qui tenoit une maiſon pour y entretenir en particulier des perſonnes de qualité de l’un & de l’autre ſexe ; elle lui mit une Guinée dans la main, avec deux autres pour faire faire ſon portrait, en lui demandant, ſi par ce moyen elle pourroit être admiſe dans ſon academie ? Sur quoi la vieille lui repondit : „Vous pouvés avoir la double ſatisfaction, dont vous avés beſoin, & gagner auſſi de l’argent. Les trois Guinées, que vous venés de me donner, ſont toute la premiére depenſe, que vous avés à faire, & dix Shillings pour mes domeſtiques, qui les mériteront bien par les ſervices qu’ils vous rendront.“ Enſuite elle demanda à la Maquerelle, qu’elle étoit la coûtume de ſa maiſon, & comment elle devoit ſe comporter dans cette affaire ? & qu’alors elle ſe conformeroit de ſon mieux à ſes avis.


Sur quoi la Maquerelle lui repondit : „J’ai une des plus jolis maiſons de Londres avec pluſieurs chambres bien meublées pour la commodité des Meſſieurs & des Dames. Il y a dans chaque chambre un miroir placé d’une façon ſi convenable, que ceux qui ont envie de travailler, peuvent voir ce qu’ils font : Car il y en a, qui prennent autant de plaiſir à voir, qu’à agir eux-mêmes. Ma maiſon paſſe ſous le nom de celles, où l’on trouve des chambres garnies ; & chaque Dame, qui y eſt admiſe, y a ſon portrait placé dans une grande ſale, où, lorsque les Meſſieurs entrent, ils choiſirent celle dont la figure leur plait en voyant la peinture ; & en me donnant une Guinée, je les introduis auprès d’elle, avec laquelle ils font leur accord, comme ils peuvent : au moyen de quoi nous ſommes ſûres de n’avoir que de gens de qualité, de ſorte que les Dames ſont en ſûreté.“


Mais je vois, dit la Bourgeoiſe, qu’il faut être conſtamment chés vous ; car que peut faire un Cavalier, qui choiſit la peinture de celle qui eſt abſente ? Quant à cela, repondit la Maquerelle, plus une Dame eſt chés moi, mieux les choſes vont, & plus elle gagne d’argent ; mais celles qui ne peuvent pas être toujours préſentes, elles ont certaines heures marquées, & ſi un Cavalier en a envie, lorsqu’il connoît l’heure, il s’y rend. Vous ſavés, Madame, quelle eſt la plus convenable pour vous. Je ne ſais, comment faire, lui repondit elle. Dites moi, comment vous paſſés votre tems pendant la journée, reprit la Maquerelle, & alors je vous dirai le parti, qu’il y aura à prendre. Pourquoi dit l’autre, je me leve ſouvent à 5. heures du matin, & étant habillée à 6. je vais à l’Egliſe, où je reſte jusqu’à 8. après je retourne chés moi, & à 10. heures. — Arrêtés là, dit la Maquerelle ; vous n’avés pas beſoin de m’en dire d’avantage. Il n’y a rien, qui aveugle plus un Epoux que le prétexte de la devotion ; & ſi vous pouvés ſortir à 6. heures pour reſter dans l’Egliſe jusqu’à 8. c’eſt le ſeul tems, que vous pouvés prendre, pendant lequel vous pouvés faire vos affaires & enſuite retourner chés vous. Il ne faut pas vous fatiguer pour l’habillement : une robe volante vous ſuffira, comme étant la plus commode pour nos affaires. Elle goûta fort les artifices de la Maquerelle, & en conſequence elle lui paya l’argent de ſon entrée, & les deux Guinées pour ſon portrait. Enſuite elle alla tous les matins à l’Egliſe ; ce qui faiſoit un très grand plaiſir à ſon mari : mais y allant alors plus aſſiduement qu’à l’ordinaire, cela cauſa quelque ſoupçon à ſon mari, qui ſe levant un matin, qui étoit juſtement le jour auparavant, que ſon portrait ſût fini, il l’a ſuivi ſans être vû, pour ſavoir, ſi elle alloit à la priere, ou non, elle y fût directement, & y étant reſtée pendant tout le tems, ſon mari eût une ſi grande opinion de la pieté de ſon Epouſe, qu’il commença à Ce blamer lui-même d’avoir eû des mauvaiſes penſées contre elle.


Tout étant preparé chés la Maquerelle, & ſon portrait étant fait tout au mieux, ſa beauté étoit ſi grande, qu’elle ne manquoit pas de chalans. Chaque Cavalier, qui venoit, la choiſiſſoit ordinairement pour beſogner avec elle ; au moyen de quoi elle contentoit non ſeulement ſes deſirs luxurieux, mais elle gagnoit encore de l’argent, ſans derober celui de ſon mari, quoiqu’elle lui faiſoit une plus grande injuſtice d’un autre côté ; ce que ne ſachant, ni ne croyant pas, il penſoit être auſſi heureux qu’on peut l’être en femme : tant vrai eſt le proverbe, que ce que l’œil ne voit point, le cœur ne s’en repent pas.

Mais il y avoit d’autres bourgeoiſes, qui étoient auſſi amoureuſes qu’elle, quoique moins jolies, & qui s’appercevoient, que leur commerce diminuoit tous les jours, depuis que cette belle péchereſſe étoit devenuë un membre de leur college, & ayant, par ſa beauté, attiré à elle tous les meilleurs chalans, toutes les autres la regardoient d’un œil jaloux. Elles ſe conſulterent enſemble, & reſolurent, qu’il étoit abſolument neceſſaire de s’en défaire ; mais comment s’y prendre, c’étoit la queſtion : mais l’une d’entre elles dit, qu’elle en feroit ſon affaire, & qu’elle agiroit d’une maniére effective, ſans même qu’elle put ſçavoir, d’où cela pourroit venir.


La coquéte, à qui on avoit laiſſé le ſoin de cette affaire, avoit beaucoup d’eſprit, mais elle n’étoit belle qu’autant qu’il eſt neceſſaire pour ne pas paſſer pour laide, & étoit du nombre de celles qui ſouffroient le plus par cette nouvelle interlopere, qui n’avoit déja que trop anticipé ſur ſes droits, ce qui excita ſi fort ſa malice, qu’elle auroit mieux aimé faire ſauter toute la maiſon que de ne pas parvenir à ſon but ; & pour cette effet elle ecrivit la lettre, qui ſuit, au mari de ſa rivale :


A Monſieur R--d--s--n.
„ Monſieur,

Quoique je n’aye jamais ambitionné le Titre d’Accuſatrice, cependant l’averſion, que j’ai du tort, que vous fait votre femme, qui abuſe de votre bon naturel, & qui ſous prétexte de devotion, proſtitue ſa chaſteté à quiconque veut en jouir, violant par là ſa promette de mariage, & en vous deshonorant, m’a engagé à vous informer de ſa conduite. Et quoiqu’on pourroit croire avec peine un avis de cette eſpéce, cependant ſi vous voulés ſeulement vous donner la peine de la ſuivre incognito, tous les matins, il vous ſera facile de vous contenter, & voir, ſi ce que je vous avance, eſt vrai, ou non : & pour mieux connoître ſes intrigues, lorsque vous la ſaurés entrée, où elle vient tous les matins, vous pouvés auſſi entrer, quoique ſans avoir aucune recommendation particuliére vous aurés de la peine à être admis ; c’eſt pourquoi vous demanderés après la Maîtreſſe du logis, en lui diſant, que vous avés été adreſſé à elle par Mr. Tom Stanhop, pour voir les portraits des Demoiſelles, qui ſont dans la ſale à manger, d’abord elle vous ſatisfera ; enſuite vous pourrés faire ce qu’il vous plaira ; & vous ne douterés plus de la verité, que je vous annonce, ſi vous voulés croire vos propres yeux : & ſi vous trouvés la choſe ainſi, je ſuis ſûre, que vous ferés content de ce que j’ai pris ſur moi l’office de votre bonne amie.

„L’Inconnuë. A. B.“

Elle envoya cette lettre par un meſſager particulier avec un ordre exprès de ne la remettre qu’en mains propres, ce qui fût parfaitement bien executé. Mais après l’avoir lû, il fût ſi extremement ſurpris d’une pareille intelligence, qu’il ne ſavoit qu’en penſer : quelquefois il s’imaginoit, que c’étoit quelqu’artifice de quelqu’un, qui envioit ſon bonheur en jouiſſant d’une femme ſi vertueuſe, afin de mettre la diſcorde entr’eux ; mais étant renvoyé à une épreuve ſi facile, il ne put s’empecher de croire, qu’il y avoit quelque choſe de vrai en cela. Sur quoi il reſolut de ſuſpendre ſon jugement jusqu’à ce qu’il l’eût vû de ſes propres yeux. Après cela le même après-dinée il feignit d’avoir reçû une lettre, qui l’obligeoit d’aller à la rencontre d’un Cavalier le lendemain entre 4. & 5. heures du matin à Weſtminſter, pour arranger quelqu’affaire, & il promit à ſa femme de revenir à 9. heures : en même tems il fit apporter un habit magnifique & le reſte à proportion chés un de ſes amis, où il les mit le lendemain ; ce qui le deguiſa tellement en mieux, que ſon ami même eût de la peine à le reconnoître. Environ les 6. heures il demande une bonne verre de vin chaud dans une Taverne, d’où il pouvoit voir ſortir ſa femme de ſon logis ; auſſitôt qu’elle fût paſſée, il paya l’hôte, & la ſuivit ; & la voyant entrer dans l’Egliſe de St. André, il commença à s’imaginer, qu’on lui en avoit impoſé : mais il fût bientôt convaincu du contraire, en la voyant traverſer l’Egliſe, & delà aller dans la maiſon, qu’on lui avoit indiqué. Sitôt qu’elle y fût entrée, il reſta environ une demie heure, & ſuivant ce qui étoit marqué dans la lettre, il y entra lui-même, & demanda après la Maîtreſſe du logis ; ſur quoi la vieille Maquerelle parut : Etes-vous la Maîtreſſe de la maiſon, Madame ? lui dit-il. Oui, Monſieur, lui repondit-elle, faute d’une meilleure : dites moi, je vous prie, ce que vous ſouhaités de moi. Pourquoi, Madame, j’ai grand beſoin d’une certaine ſorte de convenance charnelle, & on m’a dit, que vous pouvés m’aider en cela ; de quoi la Maquerelle parût un peu ſurpriſe : Que je peux vous aider en cela, Monſieur, lui dit-elle ; j’eſpére, que vous ne me conſiderés pas comme une Maquerelle ; & ſi vous le faites, ſûrement vous avés pris ma maiſon pour une autre, & pourrois vous faire voir, que je ſuis une toute autre perſonne. Si je vous ai offenſé, Madame, je vous en demande pardon, reprit-il ; mais le Chevalier Tom Stanhop m’a adreſſé ici, pour voir les portraits des Dames, qui ſont dans votre ſale à manger. Auſſitôt que la Maquerelle l’eût entendu parler ainſi, elle commença à le regarder avec plus de complaiſance, & le pria de monter, & le fit entrer après dans la ſale à manger, où il apperçu bientôt le portrait de ſa femme fait dans la perfection ; & en ayant fait le choix, je vous prie, Madame, lui dit-il, combien faut-il payer pour jouir de cette Dame, car elle me plait plus que toutes les autres. Certes, Monſieur, dit-elle, je reçois une Guinée pour chacune d’elles ; mais il y a un Cavalier, qui m’a promis de rendre une viſite ce matin à cette Dame, & je ſuis étonnée de ce qu’il n’eſt pas encore venu ; mais comme je l’attens à chaque inſtant, je ne puis recommander ce matin aucun autre Cavalier à cette Dame. Eſt-il maintenant avec elle ? dit-il. Non, Monſieur, lui repondit-elle ; mais je ne ſais pas, s’il ne viendra pas bientôt, ou non. Point du tout, Madame, lui repliqua-t-il, vous devés obſerver ici les mêmes regles, que chés les barbiers, où les premiers venus ſont les premiers ſervis. Allons voilà une Guinée & demie pour vous. Cela fit tant d’impreſſion ſur l’eſprit de la Maquerelle, qu’elle le conduiſit immediatement dans la chambre, où étoit ſa femme ; & en contrefaiſant ſa voix, autant qu’il pouvoit, Madame, lui dit-il, engagé par votre portrait, que j’ai admiré, je viens ici, afin d’être aſſés heureux pour jouir de l’original. A quoi elle répondit, ſans reconnoître ſon mari : Monſieur, vous étes très bien venû, pour jouir de tous les plaiſirs, que je pourrai vous procurer. Que faut-il payer, dit-il, Madame, pour une ſi grande felicité ? A quoi elle repondit d’abord : Je ne ſuis pas, Monſieur, une perſonne mercenaire, auſſi ne fais-je jamais aucun marché auparavant avec qui que ce ſoit ; mais j’accepte ce que les Meſſieurs, qui viennent ici, me donnent liberalement, & je laiſſe toujours le tout à leur generoſité : mais faites promptement ce que vous avés envie de faire, car je ſuis bornée pour une certaine heure : ce qu’entreprit d’abord notre beau déguiſé, ſans autre ceremonie. Et tandis qu’ils danſoient & jouiſſoient des plaiſirs de Venus, le cloches de l’Egliſe de St. André ſonnoient agréablement, ce qui lui fit dire, tandis qu’elle travailloit avec ſon Galant ſuppoſé : Ha, que les cloches de St. André ſonnent melodieuſement ! ce qu’elle repetoit auſſi ſouvent qu’ils renouvelloient leurs plaiſirs. Auſſitôt qu’ils eurent fini leur beſogne, ſon mari, pour paroître être le perſonnage, qu’il avoit emprunté, temoigna être très content de leur exercice, & lui fit un préſent d’une Guinée, & partit ſans ſe faire reconnoître ; & immediatement après que la priére fût finie, elle retourna ſelon ſa coûtume chés elle, comme ſi effectivement elle eût été faire ſes devotions.


Son mari s’étant defait de ſes ornemens & pris ſon habit ordinaire, il retourna à l’heure, qu’il avoit marquée, & ne donna aucun ſignal de ce qui s’étoit paſſé entr’eux : mais le ſoir étant enſemble dans leur lit, il lui prit envie d’eſſayer, s’il pourroit menager ſes affaires à la maiſon avec la même vigueur, qu’il l’avoit fait le matin au dehors ; mais s’appercevant, qu’il s’en manquoit de beaucoup de part & d’autre, il lui dit, que les cloches de St. André ne ſonnoient pas alors auſſi doucement, ni ſi agréablement, que le matin : mais quoi qu’il en ſoit, dit-il, puisqu’il n’en coute pas ſi cher ici, il faut me contenter. Sa femme fût tellement confonduë d’entendre ceci, qu’elle ne ſçût d’abord, que repondre. Elle ne pouvoit non plus comprendre, comment ſon mari avoit pû apprendre, qu’elle eût prononcé ces mêmes paroles le matin. Enfin elle prit la reſolution de le faire expliquer, & lui demanda, que ſignifioit ce qu’il venoit de dire. Et vous que penſiés vous, lui demanda-t-il, lorsque vous repetates ces mots ſi ſouvent ce matin ? Comment, repondit-elle d’un ton mépriſant, je les ai repetés ce matin ? Oui, Madame, lui dit il, un peu en colére : c’eſt vous qui les avés repetés ce matin, lorsque j’ai eû à faire avec vous dans le Bordel, déguiſé comme un Galant, dans un tel endroit, & où je vous ai donné une Guinée pour votre ouvrage du matin. Oui, Madame l’impudence, cela eſt vrai. N’en devés vous pas rougis ? „Et pour quelle raiſon ? lui repondit-elle hardiment, car ſi je rougis, vous ne pouvés pas le voir. Je ne vois pas non plus, pour quelle raiſon vous m’appellés impudence, puisque je ſuis ſûre, que je vous ai traité très poliment ; & ſi j’ai été là, vous y étiés auſſi bien que moi, & nous avons fait nos affaires enſemble ; où eſt donc la difference ? Outre cela je vois, que c’eſt votre propre faute : car ſi vous étiés auſſi vigoureux chés vous, que vous l’étes au dehors, je ſerois très contente de votre ouvrage au logis ſans en ſortir. Je m’apperçois très bien, que vous pouvés mieux travailler lorsqu’il vous plait ; & ſi vous ne vous blamés pas vous-même, & non pas moi, vous étes un cocu.“ Le mari entendant parler ſa femme ainſi, lui promit d’agir à l’avenir plus vigoureuſement, & elle lui promit auſſi de ſon côté de ne plus aller entendre le ſon melodieux des cloches de St. André, & ſe pardonnerent mutuellement l’un l’autre, & devinrent les meilleurs amis du monde.


Voilà comment font les Maquerelles avec les Bourgeoiſes, en tenant ainſi des maiſons de debauche ; c’eſt auſſi ce qui arrive, quand les maris agiſſent ſi non chalament avec leurs femmes, dont la concupiſcence eſt plus grande que le pouvoir de tels Epoux.


La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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[CHAP. VI]

Comment un Laquais Irlandois a été attiré dans un Bordel, & ce qui s’en eſt ſuivi.


IL arriva depuis peu à Londres, qu’un jeune homme beau & bien fait pour ſa vîteſſe dans la courſe, entra au ſervice d’un Cavalier Anglois, qui lui donna une belle & neuve livrée, & ſon Maître ayant beſoin d’une paire de ſouliers, qu’il avoit commandée, lui donna 5. Shillings pour les payer : ce qu’ayant vû & entendu par hazard une Maquerelle, crut, qu’elle pourroit dans l’inſtant faire une dupe. Il n’eût pas plûtôt quitté ſon Maître, qu’elle l’aborda en paſſant devant ſa porte, lui diſant, qu’il y avoit chés elle un de ſes païs, qui avoit grande envie de boire un pot de bierre avec lui. Un de mes païs ? dit-il ; je vous ſuis obligé pour cette bonne nouvelle ; quoi, un Irlandois ? ma foi ils ſont tous de bonnes gens. Enſuite il entra ; immediatement la Maquerelle le fit aſſeoir, & lui dit, qu’elle alloit appeller ſon païs : mais au lieu de cela, elle lui envoya une fille de joye, qui en ſe préſentant à lui, lui dit : Mon païs, je ſuis fort aiſe de vous voir. J’ai un pot de bierre à votre ſervice, pour l’amour de notre Patron St. Patrick. Et la vieille Maquerelle ayant apporté la bierre, la coquete prit le pot, & but à la ſanté de St. Patrick. De bon cœur, dit notre jeune homme, que la peſte m’étouffe, ſi je ne vous fais raiſon : ce qu’il fit à grands traits. Alors la fille commença à lui témoigner beaucoup de complaiſance & à le bien careſſer, ce qui lui fit tant de plaiſir, qu’il oublia ſa commiſſion, & rendit le reciproque à la donzelle, qui le pria de monter dans ſa chambre ; ce à quoi il conſentit d’abord : là elle lui laiſſa la liberté de faire d’elle, ce que bon lui ſembleroit ; & pour la recompenſer, il lui donna 6 Sols. Mais étant au bas de l’escalier, la vieille Maquerelle lui demanda, comment lui plaiſoit ſa païſe, & ſi elle l’avoit bien contentée. Parbleux ! lui repondit-il, elle eſt charmante ; auſſi lui ai-je donné un demi Shilling pour la recompenſer de la beſogne, que nous avons faite enſemble. Et enſuite il voulut paſſer la porte, mais la vieille le prenant par l’habit, arretés un peu, Monſieur, lui dit elle ; croyés-vous, que j’entretiens des filles de joye à ce prix-là. Bridget, dit-elle, qu’eſt-ce que cet homme a fait avec vous, & que vous a-t-il donné ? Il a fait ce qu’il a voulû, repondit la fille ; il a danſé une Courante deux ou trois fois, & il étoit libre de le faire d’avantage, s’il eût voulû ou pû ; mais il ne m’a donné que 6. Sols. Comment, miſerable ! dit la vieille, ſeulement 6 Sols ? Qui eſt-ce qui payera le reſte ? Je croyois, Monſieur, que vous auriés été plus genereux. Je ne vends pas les Courantes, qui ſe font chés moi, à un ſi bas prix : 5. Shillings eſt le moindre, qu’on puiſſe me donner, & il faut me les donner, avant que vous ſortiés d’ici ; ce qu’il fût obligé de faire, & ferma la porte ſur lui. Le pauvre diable ſe trouva alors très embaraſſé, & il fût cependant bien aiſe, après avoir donné ſon argent, d’étre delivré de ſes griffes : & au lieu de porter les ſouliers, il fût forcé de dire à ſon Maître, qu’il lui étoit arrivé un accident, & que quelque filou ou autre lui avoit volé les dits 5. Shillings. Mais ſon Maître n’étant pas content de ce detail, examina cette affaire de plus prêt, & enfin decouvrit la verité ; & en lui faiſant oter ſa nouvelle livrée, il le congedia, pour lui donner plus de loiſir pour aller rendre d’autres viſites à ſa chere païſe. Mais, helas ! il n’eût pas beſoin de l’aller voir d’avantage, car il avoit déja fait ſes affaires, l’ayant ſi bien poivré de la v--le, que peu de tems après il n’étoit pas capable de marcher, ni de ſe tenir ſur ſes jambes ; & n’ayant pas d’argent pour ſe faire guerir, il mourût faute de ſecours.


C’eſt ainſi que les Maquerelles continuent dans leur train criminel. Elles attrapent ſouvent de pauvres idiots ſans réflexions : leurs demarches ſont autant de piéges, qu’elle ne reſpirent que le plus dangereux poiſon. Leurs châtimens ſont les maladies honteuſes, & leur but eſt de cauſer la mort.



La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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[CHAP. VII]

De quelle maniére un homme marié fût engagé par une Maquerelle à entretenir une fille de joye, qui cauſa ſa propre ruine & celle de ſa famille.


NOus avons déja dit, de quelle façon une Maquerelle engagea une jeune Dame à proſtituer ſon lit de mariage, & vous allés voir maintenant, comment elle a attiré un homme marié à la debauche, & par conſequent à ſe ruiner lui-même, ſa femme vertueuſe & toute ſa famille.


Une impudente fille de joye, qui, en changeant ſouvent de quartiers, évita pluſieurs fois la maiſon de correction, qu’elle avoit merité encore infiniment plus qu’aucune de celles qui y ſont. Avec le ſecours d’une Maquerelle elle attira par ſes habits riches, ſon beau viſage & ſes diſcours inſinuans, un homme ſans eſprit, à l’entretenir comme une Dame de qualité, quoiqu’elle n’étoit que la fille d’un miſerable commis. L’orgueil & les plaiſirs étoient les idoles, qu’elle adoroit, & pour en jouir, elle s’embaraſſoit très peu, à quoi elle alloit expoſer le pauvre idiot, qui fût obligé de faire des largeſſes à la Maquerelle, pour la lui avoir procurée, & d’en faire autant à la donzelle pour contenter ſa convoitiſe, jusqu’à ce qu’enfin ſon orgueil & les plaiſirs le conduiſirent à la peine & à la pauvreté. En negligeant ſes propres affaires, & en entretenant la droleſſe, l’avoit engagé & enfoncé dans les dettes, tellement que les ſergens, huiſſiers &c. &c. le pourſuivirent ſi fort, qu’il fût obligé de ſe ſauver dans les Païs-Bas, aimant mieux ſe confier à ſes pieds qu’à ſes mains. La canaille fût rejouïe d’en être dégagée, car étant devenu pauvre, & par conſequent hors d’état de lui fournir de l’argent, elle en étoit entiérement degoutée, mais non pas de la maniére, avec laquelle elle vivoit : car auſſitôt qu’il fût parti, elle s’adreſſa de nouveau à une vieille Maquerelle, & lui raconta ſa ſituation, & ajouta, qu’elle en avoit epuiſé un, & qu’il lui en falloit un autre. Fort bien, dit la Maquerelle, comportés-vous d’une maniére reſervée & comme une pucelle, j’ai un jeune éveillé, qui a beaucoup de biens, & qui ſera par conſéquent en état de depenſer beaucoup avec vous ; mais il veut abſolument avoir un pucellage, & je vous crois fort capable de vous contrefaire en cela. Eſt-il marié, ou garçon ? dit la donzelle. Il eſt marié, repliqua la vieille ; mais cela ne fait rien, puisqu’il a de l’argent : il vaudroit cependant mieux, qu’il fût ſeul, alors je pourrois l’engager à vous épouſer. Car il pourroit ſervir d’une bonne couverture pour vous ; mais ne craignés pas, que n’en tirions bien du profit. La ſeule choſe, qu’il y a à faire, c’eſt de faire premiérement la timide & la difficile, c’eſt le moyen de vous l’attirer & de le rendre plus amoureux de vous. Laiſſés moi faire, dit la P--- faites ſeulement, que nous nous voyons, & je le ferai mordre à l’ameçon. Je vous aſſure, que je le ménagerai bien, ou autrement vous pourrés dire, que je ſuis la plus veritable P--- qu’il y ait au monde ; ce qu’elle pouvoit entreprendre, faire, & dire, fans ſe rendre coupable du menſonge.

Le complot étant ainſi projetté, la damnable mére s’en alla ſe promener, & trouvant le coureur après les gueuſes, qu’elle cherchoit ; elle lui dit alors, qu’elle avoit été obligée de faire beaucoup de depenſes pour trouver une chauſſure convenable à ſon point. Mais, ajouta-t-elle, elle eſt telle pour la beauté, la naiſſance, & l’education, qu’à peine pourroit-on trouver ſa pareille dans Londres. Il eſt vrai, qu’elle eſt un peu timide ; mais je vous aiderai à vaincre ſa grande modeſtie. Je puis vous aſſurer, que j’aurois pû avoir pour cette affaire dix Guinées du Chevalier R. P. ſi j’avois voulû la lui procurer. Mais j’aime à tenir ma parole, & je vous ai promis auparavant, que quand j’en pourrois trouver une, qui put vous convenir, je vous la procurerois. Mr. Gracelefs ravi d’apprendre cette agréable nouvelle, & pour en marquer ſa reconnoiſſance à la vieille Maquerelle, il lui préſenta une Guinée, avant même d’avoir vû la donzelle, & la vieille encouragée par ce préſent, ne tarda pas à les joindre enſemble. Il fût d’abord charmé de ſa beauté, & de ſa modeſtie affectée ; mais à peine voulut-elle de l’aborder, tant elle fit la difficile & la précieuſe. Sur quoi la Maquerelle lui dit, que c’étoit un digne Cavalier, meritant bien, qu’elle l’aimât. „Quel retour puis-je attendre d’un homme, qui eſt déja marié ? reprit la malicieuſe impertinente. Auſſitôt qu’il aura contenté ſes deſirs, & m’aura enlevé ce que j’ai de plus précieux, & qui eſt la ſeule choſe, dont je puis me flater, je veux dire virginité & mon honneur, ils ſeront perdus pour moi avec ſon amitié, & il ne me reſtera plus qu’un triſte repentir.“ Ces expreſſions firent une ſi grande impreſſion ſur ſon eſprit, qu’il lui fit toutes les proteſtations poſſibles, pour lui perſuader, qu’il ne changeroit jamais, ſi elle vouloit ſeulement conſentir, qu’il devint ſon Galant, & qu’à l’égard de ſa femme, il ne pouvoit pas l’aimer, & que par conſequent il ne s’en ſoucioit point, & qu’ayant vû les charmes, qui brilloient d’une maniére ſi éclatante dans celle-ci, c’en étoit plus qu’aſſés pour lui être toujours conſtamment attaché : que ſi elle vouloit lui promettre de lui être auſſi fidèle, qu’il lui ſeroit lui-même, ce ſeroit tout le bonheur qu’il deſiroit. Alors pour confirmer l’accord, la Maquerelle s’engagea pour les deux parties, qu’ils ſeroient fidèles l’un à l’autre, & après un accord fort dispendieux, ils coucherent enſemble, où, ayant été auparavant inſtruite par la Maquerelle, elle joua ſi malicieuſement ſon role, que ſon ſot amoureux la crût auſſi pucelle que la plus innocente vierge. Ils convinrent même enſemble, pour mieux réüſſir, & ſans être decouverts, qu’ils paſſeroient pour frére & ſœur. Enſuite de quoi elle l’engeola ſi bien de ſon amour prétendu, qu’elle pouvoit avoir de lui tout ce qu’elle deſiroit. Et le trouvant prodigue de ſon argent, & qu’il avoit un bien conſiderable, elle ne voulut pas être contente à moins d’avoir une maiſon de campagne, qu’il lui fit préparer à ſon gré avec de riches meubles. Lorsque ſon amant ne pouvoit pas la venir voir à cauſe de ſes affaires, elle envoyoit chercher la Maquerelle, qui lui en fourniſſoit un autre pour ſuppléer à ſon defaut qu’elle payoit de l’argent du premier pour la contenter. Quand il venoit la voir, elle lui reprochoit tendrement ſa trop longue abſence, & diſoit, qu’elle craignoit, qu’il ne l’aimeroit pas, qu’elle ſoupiroit après lui jour & nuit, faute de ſa compagnie. Mais vous avés, ajoutoit-elle, une femme, que vous aimés plus que moi ; il eſt vrai, que je vous l’avois dit d’abord, & vous m’avés repondit, que vous m’aimeriés d’avantage ; & j’ai été aſſés ſimple pour vous croire ; car ſi vous m’aviés la mieux aimé, vous n’auriés pas été ſi longtems abſent de moi. Je ſui ſûre, que ſi j’avois pû aller auprès de vous, je ne me ſerois pas abſentée ſi longtems de vous. Alors elle ſe mit à pleurer d’une maniére, qui touchâ tellement notre petit Maître amoureux, qu’il ſe mit à l’embraſſer & à la baiſer tendrement, en lui faiſant les plus belles promeſſes du monde, maudiſant ſa femme, la donnant à tous les D---, & aſſurant ſa Maîtreſſe, qu’il n’aimeroit qu’elle. L’ayant ainſi même à ſon but, elle l’embraſſa de nouveau, & dit : „He bien, mon cher cœur ! s’il eſt ſûr, que vous m’aimés, je ſerai toujours votre amie ; mais montrés moi ce que vous m’avés apporté : “ſi c’étoit un bon nombre de Guinées, alors elle étoit contente ; & ſi cela manquoit, elle étoit de mauvaiſe humeur. C’eſt bien là une marque, que vous m’aimés, de vous abſenter pour un tems ſi conſiderable, & de ne rien m’apporter. Voilà toutes les Dames des environs, qui peuvent avoir tout ce qu’il y a de plus nouveau, mais vous vous n’embaraſſés guére de ce qui pourroit me faire plaiſir.“


Pour la mettre en bonne humeur, il lui promet une nouvelle robe de ſatin ; elle a beſoin de nouveaux bijoux, & de bagues de diamants pour repondre à d’autres appareils ; & pour les procurer, il eſt obligé de s’endetter avec les merciers & les joualiers. Au moyen de quoi, en peu de tems il diſſipa tout ſon bien. Ses amis vinrent lui conſeiller d’abandonner ſa mauvaiſe conduite, ſinon qu’elle n’aboutiroit qu’à la ruine de ſon corps & à la perte de ſon ame. Ils lui repréſenterent auſſi, qu’il avoit une Epouſe belle & vertueuſe, avec laquelle il avoit eû pluſieurs Enfans aimables, qu’enfin ils étoient ſurpris de voir qu’il ſe fût laiſſer gagner ſi honteuſement par une ſi infame debauchée. Mais toutes ces remontrances ne produiſent pas l’effet deſiré, & ſa Femme voyant cette miſerable preferée à elle-même, ſans en avoir donné la moindre occaſion, elle prit une occaſion favorable pour faire connoître à ſon indigne Epoux ſon chagrin, & l’état dangereux, où il s’étoit expoſé, de la maniére ſuivante :


„Mon cher Mari !

„Vous ai-je jamais donné aucun ſujet de retirer votre affection de moi ? Vous auriés pû avoir moyen devant les hommes pour agir, comme vous le faites, quoique cela ne vous auroit pas excuſé devant le Tribunal du Tout-Puiſſant, que vous offenſés ſi indignement par votre vie infame.„


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LE DÉBAUCHÉ CONVERTI,

Par Mr. Robbé de Beauveſet.

Puissant Médiateur entre nous & la femme,
Qui du plaiſir ſecret nous ourdiſſez la trame,
Des feux de Prométhée ardent diſpenſateur,
Et de la gent humaine éternel Créateur ;
Portaſſiez-vous encore un plus ſuperbe tître
Du bonheur de mes jours vous n’êtes plus l’arbître :
Ce plaiſir violent, dont je fus enchanté,
D’un tourment de ſix mois eſt trop cher acheté.
Qu’un autre que moi coure après ce vain fantôme,
J’en connois le néant, grace à Monſieur ſaint Côme ;
Et ſes ſacrés rechaux ſont l’utile creuſet
Où l’or faux du plaiſir m’a paru tel qu’il eſt.
J’ai ruminé ces maux que ſur ſon lit endure
Un pauvre putacier tout frotté de mercure ;
Des conduits ſaliviers, quand les pores ouverts

Du virus repouſſé filtrent les globes verts ;
Quand ſa langue nageant dans le flots de ſalive,
Semble un canal impur qui coule une leſcive.
Ah ! que ſur ſon grabat ſe voyant enchaîné,
Un Ribaud voudroit bien n’avoir pas dégaîné ;
Qu’il déteſte l’inſtant où ſa pompe aſpirante
Tira le ſuc mortel de ſa cruelle amante.
L’œil cave, le front ceint du fatal chapelet,
Le teint pâle & plombé, le viſage défait,
Les membres décharnés, une jouë allongée,
Sa planette atteignant ſon plus bas périgée ;
Alors avec David il prononce ces mots :
La vérole, mon Dieu, m’a criblé juſqu’aux os.
Car par malum, David entend l’humeur impure
Qu’il prit d’Abigaïl, comme je conjecture,
D’autant que cette femme, épouſe de Nabal,
De ſon mari pouvoit avoir gagné ce mal.
Ce Nabal, en effet, eſt peint au ſaint Volume
Tel qu’un compagnon propre au poil comme à la plume ;
Et qui, quand il trouvoit fille de bonne humeur,
De ſes bubons enflés mépriſant la tumeur,
Lui faiſoit ſur le dos faire la caracole,

Eût-il été certain de gagner la vérole.
Auſſi je ſuis ſurpris que David ce grand clerc,
Au ſait d’Abigaïl, ait pû voir ſi peu clair ;
Certes beſoin n’étoit d’être ſi grand Prophéte
Ni d’avoir ſur ſon nez la divine lunette,
pour voir que de Nabal tout le ſang corrompu,
Ayant poivré le flanc qui s’en étoit repu,
C’étoit néceſſité que ſon hardi Priape
Eût la dent agacée en mordant à la grape.
Mais, quoi ! vit-on jamais raiſonner un paillard ?
Il prit, les yeux fermés, ce petit mal gaillard,
Dont quelque-tems après ſa flamberge en furie
Enticha le vagin de la femme d’Urie.
De mes ébats auſſi j’ai tiré l’uſufruit ;
Mais grace au vif argent, mon virus eſt détruit ;
Mon ſang purifié coule libre en mes veines,
Et deux globes malins ne gonflent plus mes aînes ;
Du trône du plaiſir les parois reſſerrés,
Ne laiſſent plus couler mille ſucs égarés ;
Et ce moine vélu que le prépuce en froque,
De trois rubis rongeurs voit dérougir ſa toque.

Triſte & funeſte coup ! pouvois-je le prévoir,
Qu’une fille ſi jeune eût pû me décevoir ?
Deux luſtres & demi, qu’un an à peine augmente,
Voyoient bondir les monts de ſa gorge naiſſante ;
Un cuir blanc & poli, mais élaſtique & dur,
Tapiſſoit le contour de ſon jeune fémur ;
A peine un noir duvet de ſa mouſſe légére,
Couvroit l’antre ſacré que tout mortel révére ;
Les couleurs de l’aurore éclatoient ſur ſon tein,
Elle auroit fait hennir le vieux Moufti Latin ;
Un front, dont la douceur à la fierté s’allie,
La firent à mes yeux plus vierge qu’Eulalie ;
Auſſi combien d’aſſauts fallut-il ſoûtenir,
Avant que d’en pouvoir à mon honneur venir ?
A mon honneur ! je faux, diſons mieux, à ma honte :
Après deux mois d’égards, de ſoupirs, je la monte.
Dieu ! quelle volupté, quand ſur elle étendu
Je preſſurois le jus de ce fruit défendu !

Sa gaîne aſſez profonde, en revenche peu large,
Entre elle & mon acier ne laiſſoit point de marge ;
Le piſton à la main, trois fois mon Jean choüard
Dans ſes canaux ouverts ſeringua ſon nectar,
Et trois fois la pucelle avec reconnoiſſance
Voitura dans mon ſang ſa vérolique eſſence.
Mais, quoi ! ma paſſion s’enflamme à ce récit ;
De mes tendons moteurs le tiſſu s’étrécit ;
Mes eſprits dans mes nerfs précipitent leur courſe,
Et de la volupté courent ouvrir la ſource.
Quoi donc ! irois-je en proie à de vils inteſtins
De mes os ébranlés empirer les deſtins ?
Irois-je ſur ces mers fameuſes en naufrages,
Nautonnier imprudent affronter les orages ?
Moi, qui, comme Jonas qu’un ſerpent engloutit,
Ai ſervi de pâture à l’avide Petit.
Non, de la chaſteté j’atteins enfin la cime,
Là je rirai de voir cette pâle victime,
Que la fourbe Vénus place ſur ſes autels,
Traîner les os rongés de ſes poiſons mortels.

Que le Ciel, ſi jamais je vogue ſur ce goufre,
Faſſe pleuvoir ſur moi le bitume & le ſoufre ;
Que l’infamant raſoir qui tondit Abaillard,
Me faſſe de l’Eunuque arborer l’étendart,
Si jamais enivré, fût-ce d’une pucelle,
Mon frocard étourdi ſaute dans ſa nacelle.
Tout viſage de femme à bon droit m’eſt ſuſpect ;
Quiconque a ſalivé, doit fuir à ſon aſpect.
Oui ! m’offrit-on le choix des onze mille Vierges,
Jamais leurs feux ſacrés n’allumeroient mes cierges :
Le jaloux Ottoman m’ouvrit-il ſon ſérail,
Quand j’y verrois à nud l’albâtre & le corail
Briller ſur ces beaux corps qu’embellit la nature,
Mon Priape ſeroit un Priape en peinture.
Je dis plus ; quand le Ciel exprès de mon côté
Tireroit la plus rare plus ſaine beauté,
Dieu ſait ſi la chaleur de cette nouvelle Eve
Dans mon muſcle alongé feroit monter la ſéve.
Beau ſexe, c’en eſt fait, vos ébats ſéducteurs
Ne me porteront plus vos eſprits deſtructeurs ;
Je fuirai déſormais votre eſpéce gentille,

Ainſi qu’au bord du Nil on fuit le Crocodile ;
Il eſt tems de penſer à faire mon ſalut ;
L’ame ſe porte mal quand le corps eſt en rut.
Lorſque l’affreuſe mort au ſec & froid ſquelette
M’aura devant le Juge aſſis ſur la ſélette,
Cent mille coups de cul ne me ſauveront pas
Du foudroyant arrêt de l’éternel trépas :
C’eſt vous qui le premier avez fait tomber l’homme,
Par l’attrait ſéducteur de la fatale pomme ;
Mais vos culs dans l’abîme en ont plus deſcendus
Que ne feroient jamais tous les fruits défendus.
Ç’eſt avec vos filets que Satan nous attrape,
C’eſt vous qui nous pouſſez ſur l’infernale trape ;
Vous ſéduiriez, morbleu, je crois, tous les Elüs.
Adieu, beau ſexe, adieu, vous ne me tenez plus.


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ÉTIMOLOGIE
DE L’AZE-TE-FOUTE.

CONTE.

UN jour de Foire dans Châlons,
Colas s’en alloit à la Ville,
Monté ſur le roi des ânons,
Animal ſoumis & docile
Contre l’uſage des griſons.
N’étant qu’au milieu de ſa route,
Il fit rencontre de Catin
Laſſe, ſuant à groſſe goutte,
Et faiſant à pied le chemin.
La Belle voyant ſon Voiſin,
Qui s’en alloit le vent en poupe,
Le conjura par ſaint Martin,
De la laiſſer monter en croupe.
Un cœur auſſi dur qu’un rocher
Se fût attendri pour la Belle ;
Elle étoit fraîche, encor pucelle,
Et ſa main pouvoit s’acrocher
Parfois au pommeau de la ſelle.
Mais ces menus dons des Amans,
Que nous autres, honnêtes gens,

Avons bâtiſé Petite Oie,
Sont nommés par certains manans,
Viande creuſe & fauſſe monnoie :
De ces manans étoit Colas,
Auſſi n’en faiſoit-il grand cas.
Depuis long-tems de la Donzelle
Il avoit pris ville & fauxbourgs,
Mais elle défendoit toûjours
Avec vigueur la citadelle.
Le Gars en plus de vingt aſſauts
Fut repouſſé ſur la verdure,
Non ſans force coups de fuſeaux,
Sans mainte & mainte égratignure,
Colas en avoit le cœur gros ;
Auſſi tout ſec piquant ſa bête,
Néant, dit-il, à la requête :
Catin le flate tendrement,
Le manant touſſe fiérement ;
Si l’une preſſe, l’autre chante ;
Que faire en telle extrémité ?
Catin n’avoit point d’Atalante
Les pieds, ni la légéreté :
Puis c’étoit au cœur de l’Eté,
Peut-être dans la canicule ;
Colas gardoit ſon quant-à-moi,
Néceſſité n’a point de loi.
Enfin la Belle capitule :
Arrêté fut qu’à chaque pet,
Que feroit meſſire baudet,
Maître Colas & la Bergére

Feroient un tour ſur la fougére ;
Le tout pour le ſoulagement
Et le repos de la monture ;
Que toutefois griffe, ni dent,
Façon aucune, aucun murmure
Ne ſeroient admis nullement,
Sinon à pied & promptement.
Le Traité fait, la Belle monte ;
Le drôle auſſi-tôt du talon
Frappe le flanc de ſon griſon ;
Maître baudet pete & ſans honte,
Il ſavoit par cœur ſa leçòn.
A cette eſpéce d’exercice
Jadis l’avoit dreſſé Colas,
Pour certaine Dame Thomas,
Martin ayant fait ſon office,
Colas deſcend, point de quartier ;
Elle eût beau cent fois le prier,
Il l’emporte, il ſuë, il travaille,
Et d’une ſanglante bataille
Revint tout couvert de laurier.
Tous deux remontent ; la Fillette
Rajuſte & mouchoir & cornette,
Bientôt après le Villageois
Tournant vers elle le minois,
Fut ſurpris de la voir plus belle ;
C’étoit l’effet d’un incarnat
Qu’elle avoit aquis au combat.
Tout auſſi-tôt ardeur nouvelle,

Coups dans les flancs & nouveau ſon,
Pour deſcendre moins de façon.
A la troiſiéme pétarade
Catin vous fait une gambade,
Tire Colas par ſes habits,
Lui montrant un prochain taillis.
Ce Bois lui donna l’eſtrapade,
Il en revint pàle & défait,
Et jurant contre le baudet.
Il n’étoit au but : la Fillette
Avoit découvert ſon ſecret :
Elle talonne, l’ânon pete ;
Lors, dit Catin, n’entends tu pas ?
Quoi, répond l’autre ? l’Aze… écoute :
Si l’Aze pete, dit Colas,
Palſangué que l’Aze-te-foute.


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