La Mirlitantouille (Lenotre)/4

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Librairie académique Perrin (p. 168-215).

II


En veine d’examen de conscience, Talleyrand écrivait un jour : — « On ne saura jamais jusqu’où les hommes peuvent s’égarer aux époques de décomposition sociale ; bien des chutes alors deviennent excusables ; bien des événements sont compréhensibles. » Cette maxime, qui est un aveu, devrait servir d’épigraphe à beaucoup d’épisodes de notre histoire et de précepte à ceux qui l’écrivent. Ce serait une grande erreur de juger les contemporains de la Révolution d’après nos sentiments et nos idées d’aujourd’hui et d’évaluer leurs ardeurs et leurs entraînements à la mesure de notre expérience et de notre modération. Nous sommes depuis longtemps dégrisés ; eux vivaient dans un état d’ivresse endémique. Quand Le Gris-Duval introduisit sous son toit Pierre Duviquet et présenta aux siens cet officier déserteur, aucun des hôtes de Bosseny n’estima désobligeante cette intrusion et le nouveau venu fut accueilli comme un parfait modèle de loyauté et d’honneur militaire. Les dames lui choisirent un surnom et lui décernèrent celui de Constant qui, en un temps où tout n’eût pas été à l’envers, aurait pu paraître ironique, appliqué à ce lieutenant de la République devenu chouan de son plein gré. D’ailleurs il avait bonnes façons : vingt-huit ans, une belle taille, des cheveux châtains et des yeux bleus, le nez long, la figure pleine[1]. Il plut dès le premier jour à la société de Bosseny par son ton de galanterie délicate et sa martiale désinvolture. Le Gris-Duval le nomma son major de division et Duviquet eut la politesse de considérer cette promotion comme un avancement.

La Chouannerie était en paix avec la République, il n’est pas inutile de le rappeler ; mais les chefs royalistes n’avaient point pour cela renoncé à leurs grades. Le Gris-Duval, depuis sa soumission, continuait à se considérer comme le successeur de Boishardy au commandement de la division des Côtes-du-Nord ; même il conservait une petite troupe, composée de quelques hommes employés à ses communications avec les autres chefs de la Bretagne ou à la surveillance du territoire de son commandement. Rien de belliqueux ; point de campement ni de démonstrations militaires ; un simple contact permanent avec les municipalités « bien pensantes » de la région qui le renseignaient sur l’esprit des fonctionnaires, les acquéreurs de biens nationaux et la sécurité des lignes de correspondance. Ne faut-il pas, d’ailleurs, s’entourer de quelques défenseurs au cas où les Bleus tenteraient un mauvais coup ? Et puis peut-on abandonner de braves gas, reste des bandes de Boishardy ? Ils ont pris goût à la vie libre ; si on ne les hébergeait que deviendraient-ils ? Peut-être aussi a-t-on peur d’eux et juge-t-on prudent de ne pas les congédier. Et encore il y a les errants qui viennent s’offrir : madame Le Frotter, à Pontivy, ne cesse de faire des enrôlements ; il faut accepter les hommes qu’elle recrute : en décembre 1796 elle en envoie à Le Gris-Duval quatorze bien armés[2] : pauvres hères évadés du bagne de Brest ou des prisons de Vannes ; depuis des mois ils rôdent affamés, de forêts en forêts : vrais loups qu’il vaut mieux tenir à l’attache… Et tel est le contingent de la bande que va commander Duviquet, dit Constant. Il aura pour lieutenants Carfort, Dutertre et Poilvey, trois anciens de Boishardy ; Mairesse, le flamand, restera l’agent de confiance, tantôt domestique, tantôt commissionnaire, espion à l’occasion. Une vingtaine d’hommes, plus ou moins, formera le gros de la troupe ; ils ne sont pas casernés mais répartis dans les hameaux et les métairies de Bosseny, au moulin des Loges, à la Ville-Hermel, à La Seille, à Mégrin, au Mautray, à Damehay : cette dernière ferme est au flanc d’un piton d’où l’on domine au loin le pays et qu’on nomme encore aujourd’hui la Guette en souvenir du poste d’observation qu’y avait établi Le Gris-Duval[3].

Mairesse a laissé une relation, de rédaction très confuse, mais qui ouvre un aperçu saisissant et probablement unique sur l’existence à la fois oisive et mouvementée de ces aventuriers mercenaires qu’étaient les Chouans de la décadence. Ils sont loin les pieux paysans des Cathelineau et des La Rochejaquelin, qui marchaient à l’ennemi en chantant des cantiques et disaient le chapelet, le soir, au bivouac ! Mairesse ne sait point de cantiques : il erre par la campagne, « n’aimant pas rester longtemps dans le même canton », allant de Kerigant chez Augé, à Plessala, ou chez Lahaye-Durand, ou chez Carfort, à Plémy, soutirant ici ou là de la toile « pour se faire des guêtres », — ou bien une paire de souliers, — une veste neuve, — un pourboire. Son camarade, Plus joli, l’avertit « quand M. Le Gris a besoin d’hommes » ; alors il rallie Bosseny où il est toujours bien reçu. Madame Le Gris, Duviquet, l’émigré Lamour-Lanjégu et Pierrot lui font accueil et le traitent « en vieille connaissance ». Pierrot, c’est Saint-Régent qui, depuis que la paix est faite, s’ennuie dans « sa loge » de la forêt de La Nouée et vient se dégourdir chez ses aimables voisins.

Mairesse est logé au château et partage la chambre de Duviquet. Un matin, il est dans la forêt, avec Le Gris, « occupé à faire charger des planches », quand un paysan accourt : « Les Bleus sont à Bosseny ! » Duviquet, prévenu, vient se réfugier dans les bois ; en se sauvant du château il s’est trouvé nez à nez avec l’officier qui commande le détachement républicain, un ancien camarade qui, par bonheur, ne l’a pas reconnu. On s’enfonce au plus épais du fourré ; on écoute : — « Ils ne tirent pas, dit Le Gris, ils n’auront trouvé personne. » C’est que Bosseny est bien machiné : il y a des souterrains qui mènent loin dans la campagne ; Le Gris a fait établir par un menuisier de Moncontour un escalier qui descend au jardin, et percer une porte dans le mur de clôture : en trois sauts on est dans le taillis. Tout de même, les Bleus partis, on décide, par crainte d’une alerte de nuit, qu’on ne couchera plus au château : Duviquet et Mairesse iront dormir chez une veuve habitant « une petite maison sur la chaussée de l’étang » ; c’est là aussi que logeront Saint-Régent et Lamour-Lanjégu quand ils seront à Bosseny.

Entre temps, on n’oublie pas « les affaires » ; mais, sur ce point, Mairesse est sobre de détails : — « lever de l’argent chez des receveurs », note-t-il laconiquement ; c’est-à-dire qu’on est allé piller la caisse des percepteurs de contributions. Pour ces coups de main on est en force et bien armé ; Mairesse, avisé la veille, va, de nuit, chercher son fusil, caché dans un champ. Le rassemblement a lieu à Bel-Air, point culminant du Mené ; la lande, longue de plus d’une lieue, qui s’étend de cette hauteur jusqu’à la Mirlitantouille est, de tout le pays, l’endroit le plus propice à la préparation des expéditions délicates ; les surprises y sont impossibles et les dispersions aisées : un homme couché dans les ajoncs est invisible à cinq pas. Quant au cabaret de la Mirlitantouille, rien de plus innocent que l’aspect de ces deux masures posées de chaque côté du grand chemin. La fille Plé, qui y vend à boire, n’est pas du tout suspecte de complicité avec les Chouans : elle vit avec son père qui paraît être l’homme le plus indifférent aux querelles politiques. Jamais un incident n’éveilla sur son humble auberge les méfiances administratives ; pas une patrouille de gendarmes, pas un détachement de Bleus, en marche de Loudéac à Saint-Brieuc qui ne s’arrête là pour « rafraîchir », portes toujours ouvertes, toujours accueil empressé ; rien de louche, rien de mystérieux. Il est rare cependant qu’un émigré nomade, un chouan de marque, ne soit pas réfugié là dans quelque cache, attendant la nuit pour se remettre en route ; c’est un point de transit de la correspondance royaliste entre les régions de Rennes, de Vannes, d’Uzel, de Merdrignac : les courriers y déposent leurs dépêches : qui s’étonnerait de voir entrer en cette guinguette isolée, pour souffler et casser la croûte, un bûcheron, un sabotier, un mendiant, fatigués de la traversée de la lande ? Ils sont sûrs d’y trouver, outre de bons avis sur les mouvements des troupes, des armes, des munitions, des déguisements au besoin. On croirait même que, pour ne pas attirer sur ce précieux abri les curiosités indiscrètes, les chefs de la Chouannerie en détournent leurs bandes : c’est, comme on l’a vu, à Bel-Air, ou plus loin encore, à la Butte à l’Anguille, que se forment les rassemblements. De la Mirlitantouille, nul ne s’occupe, nul ne parle ; Mairesse qui connaît bien l’endroit, puisqu’il y passe chaque fois qu’il se rend de Bosseny à Kerigant par les landes du Mené et la forêt de Lorges, Mairesse ne le cite qu’une fois dans sa prolixe relation : encore est-ce bien probablement un hasard qui l’y amena. — L’un des hommes de Duviquet, nommé Giraud, étant allé à Saint-Brieuc, « lâcha, dans un café, quelques mots contre Le Gris-Duval, Dutertre et autres ». La chose fut répétée à Dutertre qui en informa Le Gris. À quelques jours de là, Mairesse entrant au Mautray, chez Bigot, voit, « installé à boire avec des paysans », Le Gris qui l’attire au dehors et, « parlant tout bas » lui commande d’aller, avec La Douceur et Thurier, — deux gars sûrs, — à la Ville-Hermel, d’y chercher Giraud et de l’emmener « dans un endroit un peu écarté pour le fusiller ». Mairesse obéit sans se permettre la moindre observation : les quatre hommes partent pour la lande ; Giraud ne s’étonne pas d’être le seul qui n’ait point d’arme ; sans doute la conversation amicale de ses compagnons l’abuse-t-elle sur le but de la promenade : elle se prolonge ; au bout de trois heures de marche, alors qu’on approche de la Mirlitantouille, Thurier s’arrête et dit : — « Mets-toi à genoux. » Giraud comprend : ses trois camarades arment leurs fusils : il se jette sur celui de Mairesse, en arrache la pierre ; les autres le tirent à bout portant ; les deux coups ratent ; déjà le condamné se sauve à toutes jambes, vers la maison où il se réfugie[4]. Ses exécuteurs ne se hasardèrent pas à l’y reprendre ; la Mirlitantouille était lieu d’asile. Quant au cabaretier et à sa fille, ils ne s’étonnaient évidemment de rien. Giraud resta chez eux le temps de se remettre, puis disparut[5]

Lorsque Duviquet s’en mêle, le travail est mieux fait : le 7 mai de cette année 1797, il part, la nuit, de Bosseny, emmenant trois de ses hommes, Plus-joli, La Douceur et Mairesse. Point de fusils ; des pistolets sous la veste. À six heures du matin ils arrivent à Gausson ; malgré l’heure matinale le bourg est déjà animé, car c’est dimanche et bien des gens se rendent au marché de Plœuc. Duviquet demande à une femme « où reste le citoyen Duval ? » La paysanne, complaisante, conduit les quatre hommes : — « C’est là. » Duval était le pharmacien de l’endroit, réputé « patriote » ; n’avait-il que ce crime-là sur la conscience ou pour quelque autre motif déplaisait-il à Bosseny ? On ne sait. — Duviquet frappe à la porte : les deux jeunes filles du pharmacien crient qu’elles se lèvent ; elles viennent ouvrir. Duviquet entre avec Plus-joli ; ils apportent, disent-ils, des ordonnances ; Duval est encore couché ; ils montent à sa chambre ; on bavarde un instant tandis qu’il passe sa culotte. Et, tout à coup, ils l’empoignent, le font descendre d’une poussée, le jettent dehors et, dans la rue, en face de sa porte, l’abattent de deux balles. Ils s’en vont tranquillement, laissant le cadavre sur la route. Tout le village est témoin de l’exécution : elle ne soulève pas grand émoi : « Ce sont les chouans ; il n’y a rien à faire. » Ça fournira trois lignes dans le rapport décadaire des administrateurs du département[6].

Le plus souvent l’expédition a pour objet une simple « contribution » à lever sur quelque bourgeois entaché de républicanisme. « Vols à Plessala, à Laurenan, à Langart… » ce sont des mentions qui reviennent à toutes les pages des confessions de Mairesse. Rarement l’opération est lucrative : si l’on rafle 400 livres chez le citoyen Sauvage, de Plessala, c’est une aubaine ; ordinairement le profit est minime : — quelques francs, quelques sous, qu’on se partage non sans dispute ; le résultat n’est pas en rapport avec les risques : chez un meunier du Pontgamp Mairesse et ses camarades ne parviennent pas à enfoncer la porte et ils essuient des coups de fusil ; à Laurenan, chez un nommé Bon, ils récoltent 24 livres pour trois ; la femme Bon, furieuse d’être « contribuée », court chercher les gendarmes, puis, par peur des représailles, se décide à ne pas porter plainte et les voleurs s’en vont « bien tranquilles ».

La petite bande de Bosseny continue à trôler sur tous les chemins du pays, traînant sa misère, avec des intermèdes de bombance que Mairesse relate complaisamment : une nuit passée à Hénon, chez un boiteux dont la femme accouche et où on se régale d’une raie et d’une belle tanche ; des beuveries de cidre et d’eau-de-vie, accompagnées d’interminables parties de cartes ; des séjours dans la maison d’un veuf de Plaintel, père d’une jeune fille qui a été religieuse et chez qui le fricot est d’autant meilleur qu’on trouve là « l’ancien cuisinier de Dutertre » ; et surtout l’heureux séjour chez Du Lorin à Plœuc, lorsqu’un prêtre est venu bénir le mariage de mademoiselle de Kercadio avec Hervé Du Lorin et celui d’Élisabeth Du Lorin avec M. Huguet. Mairesse passa là cinq jours dans un grenier où les jeunes mariés et « plusieurs vieilles dames » lui rendirent visite ; on lui montait de la cuisine les reliefs des banquets et les fonds des bonnes bouteilles[7]. Car si la bande crie famine, les chefs ne perdent pas une occasion de festoyer. Duviquet est le coq de ces réjouissances : les hommes l’estiment ; les femmes l’adorent ; il a sa chambre à Bosseny, se cache à Kerigant : — « un trou au-dessus de la tête de bœuf à droite en entrant dans l’écurie, du côté du pressoir » ; — une autre à Moncontour, chez le jeune ménage Hervé Du Lorin, — une autre encore à Saint-Brieuc, chez Élisabeth Du Lorin, belle-sœur de Joséphine de Kercadio. Des refuges sûrs l’attendent à Plaintel, à Laurenan ; on se le dispute : son entrain, son intrépidité, sa galanterie tournent les têtes ; sa renommée efface le souvenir des Boishardy et des Tinténiac. — La chouannerie déroge.

C’est que, depuis deux ans bientôt, règne le Directoire ; sa démoralisation, legs de la Convention défunte, s’infiltre, se propage, gagne comme une gangrène tout le corps social. La lutte des partis, naguère désintéressée, se fait rapace : pour la première fois les gens discernent qu’une conviction peut être un métier, et lucratif : ceux qui occupent un emploi salarié, ceux qu’enrichissent la râfle des biens nationaux, l’agiotage, les fournitures, tiennent pour le gouvernement ; — les autres, les spoliés, que leur nom, leur passé excluent des charges et condamnent au discrédit, s’insurgent ; s’ils persévèrent dans la rébellion, ce n’est point qu’ils espèrent, isolés et sans ressources, rétablir le trône aboli : c’est seulement pour satisfaire, sous prétexte de représailles politiques, leurs rancunes personnelles, à moins qu’ils ne spéculent encore sur un revirement toujours possible qui paiera leur obstination.

Cependant la ferveur quasi mystique des premiers chouans n’est pas éteinte ; elle s’est réfugiée dans l’âme d’un homme dont le nom va grandir de jour en jour et s’imposer à l’histoire, Georges Cadoudal. Depuis qu’il a ramené l’Armée rouge des bords de la Manche aux landes du Morbihan, il se prépare, il travaille, étudie « la tactique, les principes de la théorie et des manœuvres ». Il a vingt-six ans ; il est corpulent : grosse tête, grosses cuisses, un cou de taureau, une force d’Hercule : il brise entre ses doigts un écu de six livres. Son visage pâle et gracieux est encadré de favoris, blonds comme ses cheveux bouclés ; dans ses yeux qui, parfois, s’illuminent d’éclairs, passent les reflets d’une tendre bonté. Caractère fier, puissant et fougueux ; grande nature, rude et inculte : c’est un maître. On parle beaucoup de lui en Bretagne, mais on ne le voit pas : du mystère dont il s’enveloppe naissent des légendes : on le représente « armé d’un fusil à vent, foudroyant ses ennemis sans bruit, suivi par un lévrier blanc, sale et très laid, qui porte les correspondances cachées sous son collier ; il est aussi servi et accompagné par une domestique fidèle, nommée Julienne, que tout le parti connaît sous le nom de Madame Jordonne[8] ». Il vit entouré de quelques fidèles : son quartier général est continuellement mobile : tantôt c’est une maisonnette au milieu des bois, un château abandonné, ou bien cette île quasi mythique qu’on appelle l’île Fortunée ou l’île du Bonheur ; il s’y retire dans une petite ferme qu’avoisinent des cachettes voûtées, pratiquées jadis par des contrebandiers dans l’épaisseur de longs talus couverts d’arbres et de broussailles[9]. Son plus cher ami est un jeune homme de vingt-trois ans, mince, fluet, petit, à l’air distingué, à la démarche élégante ; il s’appelle Mercier, on le surnomme La Vendée ; il est le fils d’un aubergiste du Lion d’Angers. Ses belles manières, son élocution facile, son ardente piété, sa finesse et sa bravoure tranquille lui valent un prestige presque égal à celui de Cadoudal[10]. On a dit de Mercier La Vendée, qu’il fut le Patrocle de l’Achille breton.

Dans l’été de 1797, quoique Georges eût seulement sous son commandement la région de Vannes et d’Auray, sa suprématie était déjà si manifeste qu’aucun chef royaliste ne se fût permis d’entreprendre une expédition de quelque importance sans lui en avoir soumis le projet. C’est ainsi que Le Gris-Duval et Duviquet, inquiets de la pénurie de leur bande et du mécontentement que les hommes ne dissimulaient pas, entreprirent le voyage du Morbihan afin de se présenter à Georges et d’obtenir de lui l’autorisation « d’opérer dans le département du Finistère » ; la guerre civile avait épargné cette région de la Bretagne et on pouvait espérer y réaliser quelques prises fructueuses. Ils furent mal reçus : Georges refusa : — « N’avaient-ils pas de quoi se remonter dans les Côtes-du-Nord ? » D’ailleurs il leur recommanda la modération : — « Ne pas tuer », tel est le mot d’ordre. « On ne doit point compromettre la cause par des vengeances particulières[11]. Duviquet et Le Gris revinrent assez déconfits ; ils espéraient un encouragement à la rigueur, on leur avait prêché la nécessité des concessions. Pourtant il fallait vivre : les conscrits réfractaires, les déserteurs de l’armée, les fugitifs de Quiberon ou de la Vendée, sans feu ni lieu, « pris entre la misère la plus sombre et les baïonnettes républicaines, réclament ou des secours légitimes ou la reprise des hostilités ». Si l’on tarde à les satisfaire, les chefs royalistes eux-mêmes seront menacés ; ne parle-t-on pas déjà de bandes d’hommes masqués qui, la nuit, enfoncent les portes des maisons isolées, réclament de l’argent, grillent les pieds aux récalcitrants et disparaissent, râflant tout ce qu’ils peuvent emporter de lard, de pain, de cidre et d’eau-de-vie ?

Si la politique du Directoire avait suivi son orientation momentanée vers l’apaisement, la chouannerie, désorganisée et découragée allait s’éteindre. Le coup de force du 18 Fructidor rouvrit l’ère des violences et des persécutions[12]. La nouvelle de cet événement parvint à Bosseny vers le 10 septembre. Madame Le Gris-Duval, revenant de la foire d’Uzel avec son beau-frère Kerigant, annonça, très montée, « l’arrestation de Pichegru et de bien d’autres ». — « Voilà encore un coup manqué », disait-elle. Le conseil qui se tint ce soir-là autour de la table des Le Gris fut belliqueux ; tous les habitués s’y trouvaient : Duviquet, Carfort, Mairesse, Dutertre, Lamour-Lanjégu et peut-être son cousin Pierrot-Saint-Régent. Le gouvernement rompait brutalement la trêve : il fallait en finir avec cette république de malheur ! On se grisa de projets. Kerigant parlait de soulever la garde nationale de son canton, qu’il commandait : — « il irait avec son monde au département pour avoir des nouvelles et des munitions. » Le Gris se mettrait à la tête des hommes de Saint-Gilles et de Saint-Gouëno. Sur l’avis de madame Le Gris, Mairesse courut au moulin à fouler des Loges, afin d’y prendre les paquets de cartouches cachés là, sous le toit, depuis la pacification. Il les apporta « dans un mauvais linge » ; mais les cartouches étaient humides ; pour en faire d’autres on envoya chercher du papier chez le maire de Saint-Gilles, qui livra un gros paquet d’affiches officielles ; les proclamations et les arrêtés du Directoire fournirent d’excellentes gargousses aux fusils des Chouans[13]. Les jours suivants, on connut les décrets impitoyables contre les émigrés ; la Terreur renaissait ; il fallait combattre.

Mais le coup d’État frappe à l’improviste : on n’est pas prêt ; l’émiettement des forces royalistes interdit tout mouvement d’ensemble. Le premier enthousiasme refroidi et l’heure des réflexions venue, le petit clan de Bosseny doit reconnaître que l’armée dont il dispose se réduit, au total, à rien : une vingtaine d’hommes, plus chapardeurs que soldats. Duviquet relève les courages : sa situation personnelle est nette : officier déserteur, s’il est pris, c’est la mort : il luttera donc jusqu’au dernier souffle ; l’émigré Lamour-Lanjégu, dont le cas est également désespéré, se range à cet avis ; Dutertre et Carfort sont tout aussi résolus. D’ailleurs Duviquet croit à la victoire : toutes les vieilles bandes royalistes, depuis le Maine jusqu’en Vendée, vont se reconstituer ; la République n’a pas d’armée à leur opposer : Hoche n’est plus là pour les vaincre ; il vient de mourir, à vingt-huit ans, sur le Rhin, frappé d’un mal mystérieux ; on a même célébré à Saint-Brieuc une fête funèbre « à l’honneur de ses mânes » et promené par les rues de la ville un cénotaphe, imité de l’antique, qu’entouraient les fonctionnaires « jouant la douleur d’une façon risible[14] ». Des hommes ? Sur un signe Duviquet aura toute sa compagnie qui tient garnison à Moncontour. On est sans argent ? Le gouvernement n’en manque pas : il suffit de le lui prendre, et l’on rejoindra Georges Cadoudal dont l’armée est forte déjà de 15 à 16.000 hommes et qui bientôt en comptera 40.000 !…

L’entraînante parole de Duviquet ne rencontra pas de contradicteurs ; seuls Le Gris-Duval et son beau-frère Kerigant auraient hésité à partager son optimisme ; mais l’intrépide madame Le Gris surtout et sa sœur étaient d’avance conquises à ses utopies. On s’explique difficilement l’ascendant que le lieutenant déserteur avait pris, en si peu de mois, sur ces femmes très honnêtes, mais, à la vérité, d’esprit singulièrement exalté et romanesque. Admis dans l’intimité des deux familles comme un frère tendrement aimé, Duviquet y était entouré des plus affectueuses attentions. Ainsi quand, au début de son séjour à Bosseny, il fut atteint de la gale, madame Le Gris le soigna avec un dévouement méritoire ; elle isola le malade[15], et s’occupait elle-même de ses repas de régime, — « viande, fraises, salades, artichauts et autres choses[16]… » L’amour, comme bien on pense, jouait son rôle en cette aventure, et cela contribuait à parfaire le paladin aux yeux des dames de Bosseny. Duviquet aimait, en effet, une personne de leurs relations intimes : laquelle ? La chronique hésite sur le nom. Il paraît probable que ce sentiment très tendre et très fervent, — on n’en pourra douter d’après la suite de ce récit, — avait pour objet mademoiselle Pélagie Du Lorin, la jeune belle-sœur de Joséphine de Kercadio[17]. Peut-être même un projet de mariage était-il ébauché ; mais dans la situation instable et menacée où se trouvait l’amoureux, il ne pouvait raisonnablement songer à fonder un foyer.

Les rigueurs du gouvernement n’avaient point pour effet d’améliorer cette situation. Chaque jour apporte une nouvelle désastreuse ; Le Gris-Duval, s’étant risqué jusqu’à Saint-Brieuc, revient en hâte, annonçant que l’ordre est lancé de courir sus à tous les chouans. Peu après on apprend, à Bosseny, qu’un arrêté du département, affiché à la porte de l’église de Saint-Gilles-du-Mené, met à prix les têtes de Duviquet, de Mairesse et d’autres : — 200 livres sont promises à qui fera prendre le premier : Mairesse n’est estimé que 50 francs[18]. Le placard est, du reste, arraché dans la journée par Carfort et Duviquet lui-même. Autre alerte : quatre Bleus de la garnison de Moncontour entrent un matin dans la cour de Bosseny ; leur arrivée met tout le monde en fuite ; mais bientôt ils s’en vont, laissant un ordre émané du commandant en chef des troupes de la région : il convoque Le Gris-Duval à son quartier général, avec menace, en cas de retard, d’être appréhendé et interné au château de Saumur. Même, comme au temps de Robespierre, des espions du gouvernement parcourent la province : l’aventure d’un de ces observateurs de l’esprit public fournirait un chapitre amusant : c’est un certain Legrand, venant de Paris, qui apparaît dans les Côtes-du-Nord à l’automne de 1797 ; il ne connaît rien ni personne, passe ses journées au cabaret, fréquente le rebut de la populace, dénonce à tort et à travers, réclame à chaque courrier de l’argent, vit plantureusement à la bonne auberge, critique les mouvements des troupes, note sévèrement généraux et magistrats, si bien qu’on le soupçonne d’être un ennemi du gouvernement et qu’on l’arrête… comme agent de Puisaye ! L’Administration municipale de Dinan, coupable de cette bévue, s’excuse auprès du ministre de la Police en le priant de choisir des collaborateurs moins dangereux pour le repos des bons citoyens[19]. Carfort était déjà signalé[20] ; la position n’était plus tenable ; de Pontivy, madame Le Frotter, — cette parente de madame de Kerigant qui passait pour l’une des plus actives agentes secrètes du parti royaliste, — avertissait Le Gris-Duval et ses amis qu’il était temps de se méfier : « le bruit courait qu’on allait les prendre[21] ». Duviquet se préparait à passer dans le Morbihan avec sa petite bande ; mais pour affermir la docilité de ses hommes il lui fallait de l’argent ; le plus sûr moyen de s’en procurer était de dévaliser l’un des courriers portant les fonds de la République. Il résolut donc d’attaquer une diligence de poste, sport encore assez peu pratiqué et qu’il allait porter, du premier coup, à la perfection.

On se mit en route le soir de la ci-devant Toussaint et l’on alla jusqu’au manoir de Boishardy où l’on parvint entre minuit et une heure. Duviquet frappa à la porte ; personne ne parut : la petite gentilhommière était inhabitée. On fit le tour de la maison et l’on arriva à la métairie voisine du château. On y trouva le jardinier, gardien de la propriété et l’ami Poilvey, logé là. Il alla chercher des pots de cidre et, tout en buvant, on lui exposa le projet. La journée du lendemain se passa à dormir ; au début de la nuit suivante, — la nuit des Morts, — la bande, bien armée, se mit en route, grossie de Poilvey et du jardinier de Boishardy. Duviquet, Carfort et Dutertre commandaient. Par Trégenestre, Pommeret et les Champs Ruault, on atteignit la grand’route de Paris à Brest.

C’est l’endroit où, plus de quatre ans auparavant, Boishardy, à son premier coup de main, avait arrêté la voiture de Lamballe. Le lieu est favorable, en effet : après avoir passé le hameau de Sainte-Anne et le pont sur l’Évron, la route monte une longue côte que les diligences gravissent lentement. On prit les dispositions de combat : comme la voiture de poste était souvent accompagnée de dix à douze militaires, Duviquet divisa ses hommes en deux pelotons qu’il embusqua de chaque côté de la route. Au moment où la voiture passerait, le peloton de gauche ferait feu ; les soldats d’escorte qui n’auraient pas été atteints se porteraient infailliblement à droite de la voiture pour se mettre à l’abri d’une seconde décharge : alors l’autre peloton les abattrait. Faire en sorte de ne pas blesser les chevaux que, le coup fait, on utilisera à emporter le butin. Respecter les voyageurs : ce sont peut-être des royalistes ; mais s’il se trouve parmi eux quelque républicain notoire, pas de grâce[22]. Telles étaient les consignes.

On n’attendit pas longtemps : les Chouans, tapis dans les broussailles, perçurent bientôt au loin le roulement de la voiture. Elle est au hameau de Sainte-Anne : — elle passe le pont de l’Évron ; on entend le trot des chevaux ; donc elle n’est pas escortée : défense de faire feu. Elle ralentit, s’engage dans la montée ; Duviquet se tient prêt ; il distingue maintenant la grosse masse que tirent trois chevaux, deux aux brancards et un en flèche sur lequel est le postillon. Elle approche. La voici. — « Arrête-là, au nom du Roi ! » Des cris de surprise ; des jurons ; les chevaux qui s’acculent. Tous les Chouans ont surgi de l’ombre ; le postillon met pied à terre ; le conducteur descend du siège. — « Es-tu chargé d’argent pour la République ? — Non ! » Déjà, sur l’ordre de Duviquet, ses hommes sont dans la voiture et sous la bâche ; il n’y a pas de voyageurs ; tous les colis, sacs, caisses, ballots, effets sont jetés à terre, chargés sur les trois chevaux dételés. Le postillon reçoit six livres « pour boire à la santé du Roi » ; le courrier réclame un petit sac d’écus qui est sa propriété et qu’on lui laisse, et aussi quelques caissettes de fromages de Maroilles. En remerciement il tire de son coffre une bouteille de vin qu’on débouche et qui passe à la ronde. On se sépare — « à une autre fois ! » Les Chouans tirent les chevaux chargés, s’enfoncent dans un chemin creux, laissant sur la route la voiture échouée et ses deux conducteurs déconfits.

La bande, avant le jour, retraversa Pommeret et gagna le hameau de l’Hôpital, en Quessoy, qui est une ancienne commanderie du Temple. On était là en lieu sûr. Les chevaux déchargés, Carfort et Duviquet procédèrent à l’inventaire ; chacun d’eux, muni d’un couteau, coupait les ficelles, éventrait les sacs, ouvrait les paquets et les lettres, soulevait les planchettes des caisses, fourrait dans sa poche tout ce qu’il trouvait d’assignats ou d’argent. Défense aux hommes de rien prendre. Les objets les plus divers s’entassaient, provisions de bouche ou modes de Paris, une caisse contenant des tabatières, une autre pleine de « bottines fines », une autre encore de toupets postiches et de perruques pour femmes. On jeta au feu les lettres particulières ; la correspondance officielle fut mise en sac et quand l’opération se termina Duviquet déclara qu’il partait, avec Carfort, pour le Morbihan, afin de porter tous ces papiers au général Georges. Il commanda aux hommes de se disperser ; il les paya : Mairesse reçut pour sa part « environ 100 francs ». Il passa toute la nuit suivante « à boire, chez une veuve[23] ».

Il se dirigea, les bras ballants, vers Kerigant, ayant laissé son fusil « dans un hangar rempli de foin, au-dessus d’un pressoir ». Il y a six lieues de Quessoy à Kerigant, par Plœuc et le château de Lorges. Mairesse arriva de nuit chez le beau-frère de Le Gris-Duval : on le félicita chaudement du bon succès de l’expédition qu’il conta dans les détails : il resta là huit ou dix jours. Duviquet n’avait pas reparu. Vers le 10 novembre une lettre de lui, apportée par un inconnu, annonça que les Bleus étaient à sa poursuite : il fallait découvrir, dans les environs de Kerigant, une maison sûre où il se réfugierait ; la maison fut trouvée sans peine ; mais il ne vint pas. Sans doute avait-il réussi à gagner le Morbihan. L’arrestation de la malle-poste mettait en émoi tout le pays : à Bosseny, comme à Kerigant, on affectait de vivre « au grand jour » pour détourner tout soupçon de connivence ; le vendredi 10, les Le Gris et les Kerigant ne manquèrent pas de se montrer aux marchés d’Uzel et de Quintin où se faisait un fort trafic d’étoffes, berlinge ou toile. Un jour, comme sa femme était à Quintin, Kerigant prit Mairesse à part et lui confia qu’elle avait grande envie d’une de ces perruques parisiennes « trouvées dans le déballage de la malle-poste », et qu’elle serait très heureuse s’il lui en procurait une. Mairesse promit et se mit en quête. Trois jours, cinq jours, puis une semaine passèrent sans qu’il revînt : et, tout à coup, — c’était le 17 novembre, — on sut qu’il était pris : les gendarmes l’avaient arrêté à Uzel et conduit à la prison de Saint-Brieuc.

Nouvelle inquiétude, car Mairesse vivait depuis deux ans dans l’intimité des deux familles Le Gris et Kerigant ; il connaissait toutes leurs relations et toutes leurs intrigues : s’il « parlait » pour sauver sa tête, il pouvait révéler bien des choses et compromettre bien des gens. Cela ne manqua pas. À peine sous les verrous, Mairesse fait savoir au capitaine Veingarten[24], commissaire du pouvoir exécutif près le Conseil de guerre, qu’il est disposé, en échange de sa grâce, à éclairer la justice militaire sur l’organisation des Chouans. Le marché conclu, il paie comptant : jamais délateur ne fut plus « consciencieux » et plus prolixe : il dit les noms, les signalements, décrit les costumes, indique les refuges et les caches, relate les exécutions, les vols auxquels il a pris part, le pillage de la malle-poste, et tout cela pêle-mêle, passant d’un sujet à l’autre, craignant de ne pas assez trahir ceux qu’il a servis, revenant sur d’infimes détails pour bien montrer qu’il sait tout, fatiguant les greffiers qui se relaient à consigner ses dénonciations dont une seule, la première, remplit cinquante-huit pages in-folio, — de quoi envoyer à l’échafaud ou au bagne plus de cent personnes, ouvriers, gentilshommes, paysans, émigrés, mères de famille et jeunes filles, déserteurs, cabaretiers, servantes, fonctionnaires…

Le Gris-Duval, bientôt informé, conseille à tous les siens le sang-froid : un autre aurait pris la fuite ; il préfère affronter le danger ; il joue l’insouciance. Comme l’hiver approche, il se prépare à quitter Bosseny pour venir, ainsi qu’il le fait chaque année, se fixer à Saint-Brieuc. Il se plaît, on l’a dit déjà, aux moyens de comédie : qui présumerait coupable un homme assez sûr de son innocence pour se placer sous la main de la justice ? Aussi, dès les premiers jours de décembre, il déménage avec le plus grand calme, et, précédant sa femme, il prend, conduisant lui-même une voiture chargée de malles et de meubles, le chemin de la ville. Comme, en plein jour, il traverse Moncontour, on l’arrête. Il s’étonne de ce malentendu, se laisse docilement mener sous bonne escorte à la geôle du chef-lieu[25]. Vers la fin de janvier, — il fallait le temps de dresser, d’après les indications de Mairesse, tous les mandats d’arrêt, — des commissaires spécialement désignés procédaient en une même nuit à l’arrestation de ses complices : de tous les points du département, les prévenus affluaient aux prisons de Saint-Brieuc ; gens de toutes classes, de toutes professions, et, parmi eux, la jeune madame Hervé Du Lorin, l’ancienne fiancée de Boishardy, et son enfant nouveau né[26], — son mari, son beau-père, son beau-frère Huguet, sa jeune belle-sœur Pélagie Du Lorin, celle qu’on disait aimée de Duviquet, — madame Le Gris-Duval, le ménage Kerigant, leurs domestiques, leurs servantes, leurs métayers, — Le Borgne, l’ancien serviteur de Boishardy… soixante à quatre-vingts inculpés que déjà le commissaire du Directoire, signalait comme étant des brigands « fameux par leur barbarie et leur soif du sang des hommes[27] ».

Au grand dépit des magistrats, Duviquet avait échappé aux recherches, et avec lui ses lieutenants Dutertre, Carfort et Poilvey.


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On l’a rigoureusement traqué, pourtant ; sa présence a été signalée dans la forêt de Loudéac, à Uzel, vers La Nouée, aussi[28]. On a su que son ami Lamour-Lanjégu, le ressuscité de Quiberon, désertant la région du Mené, l’a rejoint aux frontières du Morbihan et qu’ils sont actuellement chez Georges ; on a même appris que Duviquet, blessé d’une balle au talon, a juré qu’il se brûlerait la cervelle s’il se voit sur le point d’être pris[29]. On a lancé sur sa piste d’habiles espions déguisés en Chouans. Nul résultat. Car maintenant les « faux Chouans  » abondent : le gouvernement use, sans vergogne, de ce moyen de guerre ; les « brigands », en revanche, revêtent l’uniforme national, de sorte que les malheureux fonctionnaires, blousés par ces métamorphoses, font bonne mine à leurs ennemis et se garent de leurs protecteurs.

La question des « faux Chouans » et des « faux Bleus » n’est pas élucidée : les deux partis se sont renvoyé l’éclaboussure de cette perfidie. L’initiative en revient, bien probablement, au général Rey qui, dès 1794, habillait de costumes chouans un détachement de ses grenadiers pour explorer le littoral[30]. Le Comité de Salut Public, jugeant l’idée heureuse, arrêtait l’année suivante, en créant les colonnes mobiles, qu’« il serait fourni à chacun des hommes de ces compagnies, un habillement complet, tel que le portent les habitants des campagnes où la compagnie doit agir[31]. C’est l’institution officielle des « faux Chouans », Hoche ne répugna pas à en faire usage : — « Tâchez de prendre Charette, écrivait-il à son chef d’état-major Grigny, le 1er mars 1796. Faites déguiser quelques hussards et volontaires en paysans munis de cocardes blanches[32]. » Les commissaires du Directoire n’y mettaient pas, on le pense bien, plus de scrupules ; dans la poursuite de Duviquet, le même stratagème fut employé : — « Cinq hommes bien armés, déguisés en chouans, avaient la mission de pénétrer dans le repaire de ce scélérat ; ils l’ont manqué deux fois ; la première d’une heure seulement ; la seconde fois de quatre heures[33]. » Par contre, Duviquet coiffait ses hommes de tricornes ou de bonnets de police républicains et les habillait de capotes militaires[34] ; pour mieux dire, comme sa bande se composait, en majeure partie, de déserteurs, ceux-ci, en passant aux brigands, n’avaient à changer ni de costumes ni d’équipement. On imagine les tragiques quiproquos résultant de ces réciproques contre-ruses ; un exemple : — le sergent-major du cantonnement de Rostrenen part en expédition avec quatre de ses soldats, travestis comme lui en paysans. Il frappe, de nuit, à la porte d’un royaliste notoire, Dilly, du Cosquer, en Mellionec : — « Qui vive ? — Ami ! Royalistes ! » Dilly ouvre sa porte, tend la main ; il est massacré. Le sergent-major reçut du ministre une lettre de félicitation pour cette action « éclatante », et 300 francs : 100 pour lui, 50 pour chacun de ses hommes[35].

Les autorités de Saint-Brieuc sont exactement renseignées : Duviquet se trouve dans le Morbihan avec Carfort, Lamour-Lanjégu et Dutertre. Poilvey, séparé d’eux après quelques semaines de vie commune, est pris et guillotiné à Saint-Brieuc, le 15 mars « convaincu d’avoir participé à l’attaque de la malle-poste, dans la nuit du 2 au 3 novembre précédent[36] ». Ce jugement appelle une revanche : Duviquet ne la fait pas attendre : le 9 avril, la diligence de Rennes à Vannes est attaquée par vingt-deux hommes qui bondissent des taillis au moment où elle pénètre dans la forêt de Molac, non loin de Saint-Guyomard ; les brigands, « tous jeunes », vêtus « en marins, en soldats et en paysans », enlèvent de la voiture 30.000 francs en numéraire qui appartiennent à la République[37] et s’éloignent dans la direction de Malestroit[38]. Dix jours plus tard, on arrête à Plumelec un homme aux allures singulières, « tourneur de son métier », très pauvre et qui dit s’appeler Ruomal[39]. Il avoue tout de suite son véritable nom : c’est Lamour-Lanjégu. Il est cité souvent dans les dénonciations de Mairesse ; écroué au secret dans la prison de Vannes, fers aux pieds et aux mains, face à face avec la mort qu’il a déjà trompée une fois, le malheureux a peur. Il sollicite sa grâce ; il déclare tout ce qu’il sait : « Il était de la bande des vingt-deux qui ont attaqué la diligence de Vannes ; Mercier La Vendée, le fidèle acolyte de Georges, commandait ; il y avait là aussi Guillemot sans pouce, et d’autres dont il ne sait pas les noms » — ou qu’il ne veut pas désigner. Il dénonce « la mère aux Chouans », révèle les gîtes ordinaires de Mercier, ceux de Georges, « qui est pour le moment en Angleterre, avec Saint-Régent » ; il dit l’endroit où on trouvera Guillemot sans pouce… À tant parler, il ne gagne rien : le 16 mai, il est condamné à mort et fusillé au bord d’une tombe creusée d’avance[40]. Ceci encore exigeait des représailles : deux patriotes de Plumelec, les frères Even, soupçonnés d’avoir dénoncé Lanjégu, disparurent dans la nuit du 24 au 25 mai, enlevés par des inconnus. Jamais on ne devait retrouver leurs cadavres[41].

Maintenant c’est Guillemot sans pouce qui est pris ; on l’arrête, au début de mai, dans le cabaret de la femme Lavallée, au faubourg Saint-Patern, à Vannes. C’est un solide gas, condisciple et ami de Georges[42] ; une blessure reçue à Quiberon lui vaut son sobriquet. Mais les administrateurs du Morbihan ne jugent pas prudent de garder un tel homme dans la prison départementale ; sa popularité est grande et on craint que les bandes de Cadoudal se portent en force sur la ville afin de le délivrer. Guillemot fut donc expédié à Saint-Brieuc ; il devait rester, en attendant son jugement, dans cette même geôle où languissaient, depuis six mois bientôt, Le Gris-Duval et ses cinquante complices ; et, tout de suite, un projet extravagant d’audace germe dans l’esprit de Duviquet : traverser avec sa bande en armes toute la Bretagne, pénétrer par surprise dans Saint-Brieuc, s’emparer de la prison, en ouvrir les portes à tous ses amis dont le procès s’instruit et que menace l’échafaud. De leur nombre n’y a-t-il pas une femme qu’il aime et qu’il serait fier de conquérir ? Mercier La Vendée que séduit cette prouesse d’amoureux, et qui veut sauver Guillemot, sera de l’expédition avec ses compagnons les plus braves : Duviquet en gardera la direction : il connaît bien Saint-Brieuc, où il a tenu garnison, et les abords de la ville. Reste à préparer le téméraire coup de main, et, sur-le-champ, il se met au travail.

Sans doute rôde dans ses entours quelque traître, car un avis anonyme, manifestement négligé, et retrouvé plus tard dans les paperasses de l’Administration du département, permet de le suivre presque pas à pas durant ces premiers jours de juin. Dès l’arrestation de Guillemot, il revient avec Carfort dans les Côtes-du-Nord, retourne chez Mercier : « Il dispose d’une trentaine d’hommes portant tous l’uniforme républicain. » Revenu dans la région du Mené, il explore les chemins qui, de la forêt de Loudéac, conduisent vers Moncontour et vers Saint-Brieuc ; il traverse la contrée sauvage de Bosseny, Plessala, Langast, où nombre de refuges lui sont ouverts, gagne Plémy, passe à Plœuc, le pays des Du Lorin, s’avance jusqu’à Plaintel et au delà de Pledran, à moins d’une lieue de Saint-Brieuc, dans cette région voisine de la forêt de Lorges où Boishardy trouvait, naguère, ses meilleures caches ; peut-être aura-t-on besoin de les utiliser. Partout Duviquet retrouve des fidèles[43] ; puis il repasse dans le Morbihan.

Quelques jours plus tard un détachement de cinquante-trois soldats de la République, venant, croyait-on, de Saint-Caradec, était signalé aux environs de Corlay : leur chef, qui portait les galons de sergent[44], se présentait chez les percepteurs afin de toucher de l’argent pour la solde et l’entretien de ses hommes, qui faisaient partie, disait-il, « de l’armée particulière de Bonaparte destinée au maintien de l’ordre ». Il donnait contre espèces des reçus en règle. Le 13 juin, à midi, cette troupe entrait à Merléac, ne s’arrêtait pas dans le bourg et gagnait aussitôt Le Vaugaillard où elle paraissait être attendue. Le Vaugaillard est un hameau qui n’est séparé du château de Kerigant que par la rivière d’Oust. Les « soldats de Bonaparte » s’y cantonnèrent, y passèrent la nuit et la journée du lendemain 14. Ils décampèrent à six heures du soir[45]. C’étaient les Chouans de Duviquet en marche vers Saint-Brieuc.

Ils franchirent la rivière, longèrent les clôtures de Kerigant et s’enfoncèrent dans la forêt de Lorges. Avant l’aube du 15 ils traversaient le bourg de Plaintel ; arrivés à une lieue de là, à la hauteur de La Ville-Josset, ils s’installèrent à l’ombre dans un verger et y dormirent jusqu’au soir.

Quand la nuit fut tombée, la petite troupe se divisa en pelotons de huit à dix hommes. Il lui fallait, pour pénétrer dans la ville, atteindre la route de Rennes et passer le pont du Gouëdic. Après le pont, on trouvait, tout de suite à droite, la prison, isolée dans des terrains vagues[46]. Depuis une dizaine d’années, les vieux murs d’enceinte de Saint-Brieuc étaient démolis[47] ; sur leur emplacement s’étendait une promenade plantée de tilleuls[48], séparant la prison de la place de l’Égalité où avaient lieu les exécutions capitales.

Dans la nuit du 16 au 17 juin, deux gardes nationaux, le citoyen Cousin, instituteur, et le citoyen Le Beau[49], sont postés en sentinelles devant la prison. Onze heures ont déjà sonné quand, dans le silence du quartier désert, Le Beau perçoit le bruit d’une troupe en marche : le pas rythmé des militaires se rapproche et bientôt ils débouchent de la route de Rennes, se dirigeant vers la maison d’arrêt. Ce sont huit ou dix grenadiers conduits par un sergent : ils entourent un pauvre diable qui a les mains liées derrière le dos ; il est vêtu d’une houppelande et deux soldats le tiennent au collet. — « Qui Vive ? », crie Le Beau. Le chef de la patrouille s’approche : — il vient de prendre un émigré à la côte et il l’amène à la prison par ordre du chef de brigade Palasne-Champeaux, commandant le 87e arrondissement maritime et président du Conseil de guerre. Et, tout en parlant, le sergent sort de sa poche son ordre de route et tire la sonnette de la prison. La porte est percée d’un judas dont le volet intérieur glisse ; par l’étroite ouverture le concierge Peyrode demande « ce qu’il y a ? » — Un prisonnier à écrouer… — « On n’ouvre pas à cette heure-ci ; qu’on revienne au jour. » Brusquement le judas se ferme. Les soldats sont perplexes. Que faire ? Le Beau leur conseille de conduire l’émigré au poste de la Grand’Place ; on le gardera là jusqu’au matin. Le sergent et ses hommes discutent encore : — ils ont cependant reçu l’ordre de remettre le ci-devant à la prison. Cousin, l’autre sentinelle, s’est approché ; dans l’ombre il dévisage le sergent et, se penchant vers son camarade, lui glisse à l’oreille : — « C’est Duviquet. » Faut-il donner l’alarme ? Non, les Chouans doivent être en force et le reste de la bande, sûrement, n’est pas loin. D’ailleurs la garde de la prison n’a pas de cartouches[50].

Les deux gardes nationaux ne se trompent pas : le gros de la fausse patrouille se tient à petite distance « dans le creux de la Fontaine au Loup », au bout du ravin où coule le Gouëdic, guettant pour se ruer sur la prison le signal convenu annonçant que la porte est ouverte. Or, elle ne s’ouvrira pas. Au reste, à l’attitude subitement figée des deux sentinelles, Duviquet comprend qu’il est reconnu. Jouant son personnage, grommelant contre les ordres incohérents et les geôliers timorés, il commande demi-tour, emmène ses troupiers et son prisonnier dans la direction de Saint-Guillaume, comme s’il gagnait le centre de la ville. Sous les tilleuls de la promenade il oblique vers la route de Rennes, rallie sa réserve et toute la bande, repassant le pont du Gouëdic, se fond bientôt dans les chemins couverts. Dès qu’on fut en sécurité on délia les mains de « l’émigré » : c’était Carfort qui avait assumé ce rôle ingrat[51].

L’affaire était manquée. Sans la méfiance du portier le succès eût été certain ; car Duviquet avait tout prévu et même pris le soin d’éloigner par de faux avis les petites garnisons dont l’intervention aurait pu contrarier son projet : ainsi, celle de Saint-Brieuc, sur la fallacieuse annonce d’un débarquement d’émigrés, explorait, cette nuit-là, les côtes[52], et le commandant de Loudéac venait de recevoir une lettre anonyme dénonçant que, le 17 juin, un important conciliabule de chefs royalistes devait se tenir à la Mirlitantouille. S’étant assuré par ce stratagème des points où se porteraient les troupes, Duviquet avait ainsi déblayé le chemin du retour, afin d’épargner toute cause d’alarme à la femme qu’il aimait et qu’il avait espéré rendre à la liberté. Aussi va-t-il, remâchant son dépit, ulcéré de son échec et méditant déjà quelque tragique revanche. Jusqu’au petit jour il traîne sa troupe dans les sentiers raboteux semblables à des tunnels de verdure ; ses hommes, que l’insuccès déprime, réclament du repos ; lui-même est excédé. À Hénon, — cinq lieues de Saint-Brieuc, — on fait halte, dans le cimetière : il est six heures du matin[53] ; tandis que leurs faux grenadiers dorment, Duviquet, Carfort et Mercier ressassent leur déception. Vont-ils rentrer au Morbihan sans avoir abattu un Bleu ? Duviquet surtout, dont la colère s’aigrit à mesure que l’enfièvre la fatigue, ne supporte pas le ridicule de son expédition avortée : il a battu en retraite devant un portier de prison ! Soudain il se rappelle qu’on est au 17 juin ; ce jour-là il a fourvoyé vers la Mirlitantouille la garnison de Loudéac, afin d’avoir libre le chemin de Merléac par la forêt de Lorges. Hénon n’est qu’à une bonne lieue de La Mirlitantouille ; il doit y avoir des Bleus là-haut. Si le faux avis a manqué son but, on dormira aussi bien dans les ajoncs et les genêts du Mené que dans ce cimetière de village ; si la ruse a porté, il y aura bataille et ce sont là des occasions que ni Carfort ni Mercier ne repoussent jamais. En route. Le soleil est déjà haut ; la troupe de Duviquet, par Cocollain et Brangolo, atteint le bourg de Plémy en une heure de trajet ; on est là à quinze cents pas à peine de La Mirlitantouille ; Duviquet y conduit ses hommes, les fait coucher dans les champs, dans les bruyères, derrière les broussailles et les haies ; lui-même s’avance jusqu’aux abords du cabaret ; il observe : rien n’y bouge ; l’endroit est tout aussi désert, aussi calme qu’à l’ordinaire : les deux masures, de chaque côté du chemin, portes ouvertes, ont leur air accueillant d’habitude. Est-il vraisemblable que la fille Plé et son père, qui les habitent, n’aient point aperçu les Chouans : n’ont-ils rien surpris du mouvement de ces cinquante hommes rampant dans les hautes herbes à quelques pas de l’auberge ? Cet homme et cette femme savent qu’ils ne doivent rien voir, rien entendre, rien dire. Par ce jour ensoleillé ils n’auront donc rien vu, rien entendu ; et, tout à l’heure, ils ne diront rien quand les Bleus sans méfiance arriveront.

Car ils viennent. Vers neuf heures et demie du matin[54], on les voit, sur la route, débouchant de la lande du Val : ce sont d’abord quatre gendarmes à cheval, et parmi eux, Corniquet, un géant, — six pieds de haut[55], bien connu de toute la région. Puis le commandant L’Honoré[56], à côté duquel marche un pataud de Loudéac qui sert de guide à la troupe et qu’on appelle Le Roux mille-boutons. Suivent quinze hommes du cantonnement de Pontgamp[57]. Tous s’arrêtent devant le cabaret ; les cavaliers mettent pied à terre et attachent leurs montures aux anneaux ; les fantassins déposent leurs armes : il est urgent de se rafraîchir ; le détachement marche depuis quatre heures et vient de traverser l’interminable lande de Phanton où l’ombre est rare. Les gendarmes et le commandant sont entrés dans le cabaret pour y perquisitionner ; les autres, au dehors, se délassent et se désaltèrent, trinquant le cidre frais. Pourquoi se garderaient-ils ? Aussi loin que porte la vue, pas un être humain n’apparaît.

Soudainement, à vingt pas, fusils braqués, surgissent de terre les hommes de Duviquet. Une fusillade. Des cris. — « Qui Vive ? — Républicains ! 13e demi-brigade »… répondent les faux Bleus[58] ; leur décharge, en grêle, fauche les soldats désarmés, interdits, dupes encore de l’accoutrement des assaillants. — « Ne tirez pas ! Ce sont vos camarades ! » Des hommes abattus se tordent sur le sol ; une confusion, des râles, des jurons, un désarroi tel que pas un coup de feu ne riposte à l’attaque. Le commandant L’Honoré bondit hors du cabaret ; frappé d’une balle, il s’effondre ; Corniquet, le géant, essaie de barrer la porte, appelant ses compagnons à la rescousse. Il tombe. Les trois autres gendarmes surpris par la fusillade dans la visite de la maison, sont tués sans avoir pu saisir leurs armes. Tout cela en un pêle-mêle, un tohu-bohu, un tourbillon de peu d’instants. Une dizaine de Bleus, éperdus, se sont sauvés, à folles enjambées, par la lande. Au seuil de la Mirlitantouille gisent huit cadavres et un moribond, dépouillés en un tournemain par les Chouans. On charge, sur trois chevaux, armes, équipements, uniformes ; un autre portera L’Honoré, assez grièvement blessé et pansé sommairement par un des hommes de Duviquet. Ce sera un otage précieux. Duviquet, que la fièvre accable, montera le cheval du commandant. Déjà la bande est en marche, suivant la crête du Mené vers Notre-Dame de la Croix et Bel Air ; elle gagnera ainsi la Butte à l’Anguille, descendra à Bosseny et se perdra dans la forêt de Loudéac. C’est la vieille piste de correspondance. Mais Duviquet, harassé et malade, ne peut suivre : tant de nuits sans sommeil l’ont épuisé. Il laisse à Carfort, qui est du pays[59], le soin de diriger la retraite ; lui, va se reposer quelques heures ; grâce à sa monture il rejoindra facilement, à la fraîche, par des traverses qu’il connaît. Il laisse donc ses hommes poursuivre leur route, entre dans un champ de blé qui borde le chemin, s’y blottit, ayant passé à son bras la bride de sa bête et s’endort[60].

En dévalant, dans leur fuite, les pentes du Mené, les Bleus de L’Honoré, échappés au massacre, avaient semé la panique dans les métairies ; moins d’une heure après le combat, la nouvelle en parvint à Moncontour. La garnison de la petite ville se composait d’un détachement du 13e léger ; elle prit les armes, s’adjoignit quelques gardes nationaux de bonne volonté, et se mit bravement en campagne. L’effectif de cette petite troupe montait, au total, à quatre-vingts hommes, tous costumés en Chouans[61]. Il était près d’une heure de l’après-midi lorsqu’ils arrivèrent à La Mirlitantouille ; ils s’arrêtèrent à contempler les huit cadavres dévêtus[62], et le blessé agonisant auquel il ne restait qu’un souffle de vie[63]. Des quelques curieux accourus de Plémy ou du hameau de Carfort, ils apprirent que les brigands, emmenant le commandant L’Honoré, s’étaient éloignés dans la direction de Bel-Air. Ce qui surprend c’est que l’on ne songea pas à interroger le cabaretier ni sa fille, seuls témoins du drame. Peut-être, fidèles à leur opiniâtre neutralité, déclarèrent-ils n’avoir rien vu…

Cependant les faux Chouans de Moncontour ne manifestèrent aucune hâte à poursuivre les faux Bleus sur les chemins du Mené. S’étant néanmoins avancés, sans entrain, jusqu’à mi-chemin de Notre-Dame de la Croix, ils aperçurent un cheval sellé vaguant dans la lande. Un peu plus loin ils rencontrèrent un gamin d’une douzaine d’années et lui demandèrent s’il n’avait pas vu passer les Bleus. — « Il y en a un de couché dans un champ ici, à côté », dit-il[64]. Aussitôt le champ est cerné ; un fourrier du 13e léger, Saulnier, assisté d’un bourgeois de Moncontour, y pénètrent avec précaution et découvrent, en effet, profondément endormi un homme, vêtu d’un uniforme de grenadier et portant les galons de sergent. Saulnier se jette sur lui ; le dormeur s’éveille, regarde, comprend : — « Ah ! je sais ce que vous voulez, dit-il ; je suis Duviquet ; fusillez-moi[65]. » On le maintient ; on le désarme de deux pistolets et d’un poignard qui sont à sa ceinture, de son sabre et de sa carabine[66]. On lui attache les mains ; il se résigne, persuadé qu’il va mourir[67].

Duviquet est pris ! Quelle victoire ! Personne dans le pays n’ignorait l’histoire de l’officier déserteur devenu brigand ; son nom était un épouvantail. L’exploit suffisait donc aux faux Chouans de Moncontour, peu soucieux de se lancer à la poursuite de la bande[68]. Ils reprirent avec le vaincu le chemin de La Mirlitantouille, de ce jour-là légendaire, et, sur la fin de l’après-midi, redescendirent vers Moncontour. À d’autres qu’aux habitants de cette petite ville, — blasés depuis longtemps sur ces quiproquos de la guerre perfide, — le spectacle eut paru extraordinaire d’une troupe triomphante de Chouans, — qui étaient des bleus, — conduisant à la prison un bleu, — qui était un Chouan… Le malheureux, rompu de fatigue, se soutenant à peine, dut rassembler toute son énergie pour affronter les rudes heures qui lui restaient à vivre. Les autorités militaires et civiles de Saint-Brieuc, afin de gonfler ce succès inespéré, décidaient de frapper les esprits par l’imposante rapidité du châtiment. L’accusateur public Besné trépignait d’aise, encore que l’affaire, justiciable du Conseil de guerre, ne le concernât point. Mais il craignait que la concurrence de l’expéditive justice militaire ne nuisît à la réputation, pourtant bien établie, de son tribunal, à lui. Aussi écrivait-il au ministre : — « il y a, dans la prison, neuf condamnés à mort qui, pour prolonger leur trop funeste existence, se sont pourvus en cassation sans motif valable ». Sur ceux-là, il est tranquille, il aura leurs têtes. Et il en prépare d’autres : — « Je vais faire mettre en jugement vingt-quatre scélérats, parmi lesquels je distinguerai cinq forcenés qui doivent monter à l’échafaud… Je puis affirmer que le tribunal criminel n’est pas en arrière ; j’y ai tenu la justice à l’ordre du jour, imperturbablement, et j’ai le courage nécessaire pour l’y maintenir. » Il annonçait, en terminant : — « Duviquet est pris ! Il sera ici à midi. » Et, pour témoigner son regret que ce client de marque échappe à son réquisitoire, il ajoute : — « C’est un reste de la bande exécrable de Boishardy que j’avais fait condamner à mort en 1793 et qui fut fusillé dans son repaire sur les renseignements que j’avais donnés ; on coupa sa tête qui fut portée au bout d’une pique[69]… » Agréable incident que Besné remémore avec satisfaction.

À l’heure où il traçait cette lettre, dans la matinée du 18 juin, Duviquet approchait de Saint-Brieuc. La garde nationale de Moncontour l’avait conduit jusqu’à Quessoy où l’on rencontra, au hameau de l’Hôpital, trois ou quatre cents hommes de la garnison de Saint-Brieuc venus pour escorter le prisonnier et lui assurer en ville une entrée solennelle. Le brigand fut chargé de « soixante à quatre-vingts livres de fer et attaché à la queue du cheval d’un gendarme[70]  ». Il parcourut ainsi, exténué et chancelant, les trois lieues qui séparent Quessoy de Saint-Brieuc ; vers midi il arrivait à la prison où lui était réservé un cachot bien gardé[71].

Le lendemain, à huit heures du matin, le Conseil de guerre prenait séance « en la ci-devant chapelle du collège » : le chef de brigade, Palasne-Champeaux, présidait ; le capitaine Veingarten remplissait l’office de commissaire du pouvoir exécutif. Du peu que l’on sait de l’audience, il ressort que ce fut très court : lecture par le capitaine Hébert, rapporteur, du procès-verbal d’information et de trois pièces à la charge de l’accusé ; puis celui-ci fut introduit ; il avoua tout et peut-être y mit-il quelque fanfaronnade, s’il est vrai « qu’il se vanta d’avoir assassiné de sa main quatorze juges de paix[72] ». D’ailleurs il s’était remonté et soutint l’épreuve avec une fougueuse hardiesse : le président lui ayant observé que la loi lui accordait un défenseur : — « Un défenseur ! s’écria-t-il, gendarmes, apportez-moi ma carabine[73] ! » L’escorte le reconduisit à son cachot et le Conseil, délibérant à huis-clos, prononça, à l’unanimité, la peine de mort[74].

À onze heures le capitaine Hébert se rendit à la prison et, devant la garde assemblée, donna au condamné lecture du jugement, le prévenant qu’il pouvait, dans le délai de vingt-quatre heures, se pourvoir en revision. Duviquet, très calme, déclara qu’il désirait écrire à sa famille ; si on lui accordait cette faveur, il renoncerait à faire appel ; et, tout de suite, il signa, sans hésitation, son désistement. Le capitaine rentra avec lui dans la geôle, lui procura des plumes, du papier et de l’encre, et attendit que la lettre fût faite. Le sang-froid de Duviquet ne se démentit pas un instant tandis qu’il écrivait ; il se relut posément. Ayant plié le feuillet, il le remit à l’officier ; ses yeux étaient pleins de larmes.

Il est midi : cinq heures d’attente encore. On cause, en camarades. Duviquet voudrait parler en particulier au concierge de la prison et charger cet homme d’une commission. Hébert s’y oppose, alléguant les règlements ; mais il offre ses services. — « Il s’agit, dit le condamné, d’une alliance en or que voici… » Ôtant un anneau qu’il porte à son petit doigt, il poursuit : — « J’exige de vous, citoyen capitaine, que la personne à qui vous remettrez cette alliance ne soit pas inquiétée pour ce fait. Vous la lui donnerez après ma mort. » Hébert engage sa parole d’honneur : la mission sera remplie, et Duviquet lui nomma la personne à laquelle il destine ce bijou : en rendant compte de cet incident au commandant de la subdivision, le capitaine Hébert écrivait : — « Permettez-moi, citoyen général, de tenir ma promesse et de vous taire le nom de cette femme[75]… » On ne saura donc pas quelle était, parmi les jeunes amazones de Bosseny, celle qu’aima Duviquet. En se risquant sur le terrain peu sûr des hypothèses, on déduirait assez logiquement qu’une alliance éveille implicitement l’idée de fiançailles ; il s’agissait donc vraisemblablement d’une jeune fille ; la destinataire de la bague devait se trouver à Saint-Brieuc, et, bien probablement à la prison même, puisque le condamné songea d’abord à confier son legs au concierge. Or, parmi les femmes détenues pour complicité avec Le Gris-Duval, une seule jeune fille peut avoir inspiré à Duviquet un sentiment avouable et sérieux : c’est celle que désigne la tradition, mademoiselle Pélagie Du Lorin, belle-sœur de Joséphine de Kercadio. Tandis qu’on dresse l’échafaud, le moribond poursuit ses confidences ; il déplore maintenant la cruauté de son destin : — « la famille Du Lorin est cause de sa perte. » Veut-il insinuer par là que s’il s’est obstiné dans sa vie de criminelles aventures, c’est parce que les Du Lorin se sont opposés à son mariage avec Pélagie ? — Il parle avec reconnaissance des Kerigant et des Le Gris-Duval, auxquels il était très attaché et qui l’ont adopté et entretenu jusqu’au moment où il prit les armes contre la République : — « Kerigant, dit-il, est un braque, plus patriote que chouan. » Carfort, au contraire, est « sanguinaire ».

Le capitaine souhaitait que la conversation déviât sur la Chouannerie ; peut-être ne restait-il là que dans l’espoir de tirer du condamné quelques renseignements utiles ; mais Duviquet fut très réservé. Comme Hébert lui demandait quelles étaient ses caches, il répondit pourtant : — « Nous avons pour usage, lorsqu’un de nous est pris, de changer de hardes et de logement, et souvent nous nous dispersons. Quant à ma correspondance, c’est dans la forêt de La Nouée que je la recevais : j’étais prévenu par une lettre de tel ou tel endroit où devait se trouver le commissionnaire : souvent on la faisait mettre dans des troncs d’arbres qu’on m’indiquait… » Peu après, il s’attendrit : il songe à ses frères et à ses sœurs qui ne sont pas du même père que lui ; il est le dernier de son nom. Il pleure. Le capitaine profite de son émotion pour lui conseiller de déclarer ce qu’il sait « des intentions hostiles des ennemis du gouvernement ». Duviquet est très agité ; il s’assied, se relève : — « Repassez à trois heures, dit-il, je vais faire mes réflexions. »

À deux heures et demie, car le temps pressait, l’officier était de retour. Duviquet posa ses conditions : si l’on consent à le garder en détention jusqu’à la paix dans la prison de son département et à ne pas inquiéter les familles Kerigant et Le Gris, il s’engage à livrer le reste de la bande. Carfort ne se rendra pas, mais il le fera prendre[76]. Le capitaine porta ces propositions à l’Administration départementale. Il reparut une heure plus tard, amenant Palasne-Champeaux, le président du Conseil de guerre ; mais celui-ci n’est point partisan du sursis : il décide que la justice suivra son cours et, sur l’ordre d’Hébert, le bourreau entre en scène. C’est le citoyen Lubin-Lacaille, un homme expert, qui « travaille » à Saint-Brieuc depuis 1792[77]. À son aspect, Duviquet paraît « très affecté ». Désespérément il tente sa dernière chance : — « Citoyen capitaine, dit-il, on vous trahit… si l’on eût voulu, j’aurais dit bien des choses. » L’officier se tait : il n’y a plus rien à attendre des hommes ni de la vie. On apporte au condamné un verre de cognac ; il boit et se ressaisit un peu, sourit au capitaine, le salue « d’un air humble et respectueux » et lui dit adieu. Hébert, pourtant, l’accompagnera jusqu’au bout. Il est cinq heures de l’après-midi. Les portes s’ouvrent ; au dehors, derrière la troupe alignée, des curieux se pressent pour voir de quelle mine le brigand affrontera la mort. C’est le moment terrible : il faut ne pas faiblir et dissimuler, sous l’affectation d’insouciance, la déchirante détresse de mourir, en pleine vigueur, à vingt-huit ans. Il se raidit et avance, la nuque tendue, les mains entravées, dédaigneux des rumeurs et des invectives, entre l’exécuteur et le capitaine Hébert auquel il parle, par contenance : — « Je vous ai chargé de deux commissions[78], vous m’avez donné votre parole d’honneur, ne l’oubliez pas. » Déjà on aperçoit l’échafaud, établi à cent pas à peine de la prison, sur la place de l’Égalité, encadrée par les tilleuls du Cours, les premières maisons de la rue Saint-Guillaume et les vieux murs de la Collégiale de ce nom, convertie en écurie. À dix pas de l’ignominieux appareil, les yeux levés sur les montants trapus qui soutiennent le triangle d’acier, une dernière crânerie : — « La guillotine ne me fait pas peur ; je me guillotinerais bien moi-même. » Et comme s’il avait gardé pour cet instant-là une réserve de fermeté, il « redouble le pas », monte l’échelle, s’abandonne : tandis qu’on le boucle sur la planche, il tourne la tête vers les spectateurs groupés à la droite de la plate-forme et dit « assez distinctement » : — « Vive mon Dieu ! Vive mon Roi ! » La plèbe le hue. Le corps bascule, le couteau tombe[79].

On dit que, dans la journée, s’était présenté au chef de brigade Palasne-Champeaux un messager apportant de la part des Chouans l’offre d’échanger contre Duviquet le chef de bataillon L’Honoré pris à La Mirlitantouille. La proposition fut repoussée. Deux jours plus tard parvenaient au commandant de la place de Saint-Brieuc la montre, la bague et les papiers de L’Honoré immolé par manière de représailles. Il avait exprimé avant de mourir le vœu que ces objets fussent remis à sa famille. Un avis anonyme indiquait l’endroit où l’on trouverait son cadavre. En relatant ces tragédies au ministre de la justice, l’accusateur public Besné, dépité de n’y jouer aucun rôle, insistait sur l’urgence de purger le sol de la République « des coquins très intrigants » que renfermait la prison et dont « les trames secrètes » constituaient un permanent danger pour le gouvernement[80]. Il craignait qu’on oubliât les Le Gris-Duval, les Kerigant, les Du Lorin attendant depuis six mois leur jugement. Prononcer leurs noms au moment où tombait la tête de Duviquet, leur ami, leur créature et leur complice, c’était les pousser à l’échafaud et Besné n’avait pas perdu l’espoir que cette aubaine, — le plus beau procès de sa carrière, — lui serait réservée.

  1. Archives nationales, F7 6147.
  2. Le Falher, Le Royaume de Bignan, 535.
  3. Cote 237 de la carte de l’État-major.
  4. « Comme cela, étant arrivé à La Mirlitantouille, au cabaret du côté de Plémy, il a entré dans la maison pour demander un chapeau ; mais je ne sais pas ce qu’il leur a dit. » Relation de Mairesse, 1er nivôse, VI. Archives nationales, F7 6147.
  5. « Il est revenu rester encore quelque temps chez Carfort qui lui a donné 9 livres en lui disant qu’il fallait chercher du travail ailleurs, vu qu’il craignait trop qu’on le trouvât chez lui… » Relation de Mairesse. Archives nationales, F7 6147.
  6. « Le 18 floréal, à six heures du matin, assassinat de Guillaume Duval, de la commune de Gausson, patriote. » Archives nationales, BB18 252.
  7. « Nous prenons une bouteille de vin ensemble ; après m’avoir dit qu’il y avait un prêtre qui mariait ses enfants, je vis descendre Du Lorin fils qui vint m’embrasser, ainsi que Pélagie, sa sœur ; l’autre jeune homme descendit aussi avec plusieurs vieilles dames ; mais je ne vis point Élisabeth (Élisabeth Du Lorin, qui épousait Huguet). Elle resta en haut à tenir compagnie au bon prêtre que je n’ai pas vu non plus. Nous sommes restés quatre à cinq jours dans le grenier… parce qu’il y avait beaucoup de monde ; nous eûmes plusieurs visites : madame Grandgand, M. Du Lorin et son beau-frère, la femme du Du Lorin… » Relation de Mairesse.
  8. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 155 et suivantes.
  9. C’est l’île de Locoal, dans la rivière d’Étal.
  10. Sageret, loc. cit.
  11. Archives nationales, F7 6147. Relation de Mairesse.
  12. É. Sageret, loc. cit., I, 449.
  13. Le maire de Saint-Gilles-du-Mené, nommé Lemeux, était à la dévotion du châtelain de Bosseny. On allait chez lui assister à la messe des prêtres réfractaires. Archives nationales, F7 6147.
  14. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études
  15. Duviquet resta pendant un certain temps chez un chirurgien de Laurenan. Relation de Mairesse. Archives nationales F7 6147.
  16. Relation de Mairesse.
  17. M. de Kerigant, — Les Chouans, p. 76, — s’élève contre cette hypothèse émise en 1836 par le Président Habasque, qui avait été en relations avec bon nombre des survivants de la Chouannerie. Mairesse cite une dame Ct…, comme ayant été « la bonne amie » de Duviquet. — « Je crois bien, dit-il dans son jargon, qu’il y a élevé un enfant sur les fonts de baptême. » Archives nationales, F7 6147.
  18. Même source.
  19. Archives nationales, F7 36691.
  20. Archives nationales, F7 3330, dossier 7026.
  21. Archives nationales, F7 6147.
  22. Archives nationales, F7 6147.
  23. Archives nationales, F7 6147. On suit, pour le récit de l’attaque de la malle-poste, la relation de Mairesse, témoin oculaire.
  24. Capitaine au 1er bataillon de la 13e demi-brigade.
  25. Dès le 5 décembre 1797, le commissaire du Directoire des Côtes-du-Nord annonçait, au ministre de la police, l’arrestation de Le Gris-Duval, commandant en chef des Chouans du département. Archives nationales, F7 36691.
  26. Mariée civilement le 15 février 1797, comme on l’a dit, Joséphine de Kercadio accoucha, le 29 mai suivant à Moncontour, d’un fils, Louis-Charles-Hervé Du Lorin. Mais il est très vraisemblable qu’un mariage religieux clandestin avait précédé le mariage civil, souvent même totalement négligé dans les milieux royalistes.
  27. Archives nationales, F7 36691. La date de ces arrestations est difficile à préciser. Le 22 janvier 1798, le président du Conseil de Guerre écrit au ministre de la police : — « La plupart des grands suppôts du scélérat Duviquet se trouvent à la fois saisis. » Pourtant, dans une réclamation collective des détenus, on lit : — « Nous avons été arrêtés le 27 janvier, les uns au milieu de la nuit ; les autres, le 28 au matin… » Quant à la liste des personnes arrêtées, il est possible de la reconstituer, en partie seulement, à l’aide des jugements postérieurs ; mais on ne peut la dresser complète car, pour cette époque, les livres d’écrou de la prison de Saint-Brieuc ne se retrouvent pas aux Archives des Côtes-du-Nord.
  28. Précis des renseignements obtenus sur Port-Brieuc et diverses autres communes du département des Côtes-du-Nord. Archives nationales, F7 3330.
  29. Archives nationales, F7 36691.
  30. Savary, Guerre des Vendéens et des Chouans, IV, p. 305. Chassin, Pacifications, I, p. 57.
  31. Arrêté du Comité de Salut Public du 18 fructidor, III. — 4 septembre 1795.
  32. Chassin, Pacifications, II, p. 390.
  33. Pouhaër, commissaire du Directoire près l’Administration des Côtes-du-Nord, au ministre de la Police, 22 frimaire, VI. Archives nationales, F7 36691.
  34. Archives nationales, F7 36632.
  35. Archives nationales, F7 36691.
  36. Jugement rendu par le Conseil de Guerre permanent de la 13e division militaire, 7 mars 1798. Archives nationales, F7 36691.
  37. Le postillon de la diligence, parent d’un des Chouans, avait prévenu ceux-ci du jour et de l’heure du passage et de la somme d’argent que portait la voiture. Archives nationales, F7 36691, 1er prairial, VI.
  38. V. sur cet épisode Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 553 et suiv.
  39. Anagramme de Lamour.
  40. Avant de mourir il avait rimé ses adieux à la vie dont l’autographe est conservé aux Archives du Morbihan : voici l’une des six strophes de cette complainte :

    Adieu donc, épouse chérie,
    Sans regret, je perdrai la vie ;
    Faites de vos armes l’apprêt.
    Votre bandeau m’est inutile ;
    Tirez, soldats, me voilà prêt :
    Dieu près mon roi m’offre un asile.
       Amen.


    Contrairement à l’usage pour ce qui concerne les condamnés des commissions militaires, le nom de François-Gaëtan Lamour de Lanjégu n’est pas inscrit sur les registres de décès de Vannes, ce qui permettrait de supposer que ses dénonciations lui avaient valu sa grâce et un emploi sous un faux nom dans la police du Directoire. En revanche, son nom est inscrit sur les tables de marbre du mausolée d’Auray, parmi ceux des martyrs de Quiberon où, comme on l’a dit, il était censé avoir été fusillé en juillet 1795. V. Chassin, Pacifications, III, p. 159, et Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 564.

  41. Le Falher, loc. cit.
  42. Guillemot était né en 1770 à Plemin, dans les Côtes-du-Nord.
  43. « La commune de Plémy, entre autres, est le séjour habituel des Chouans : Quand il se fait des mouvements de troupes, ce qui est rare, les brigands sont avertis de suite. » (Plémy est la commune dont dépend La Mirlitantouille.) « Il y a plusieurs prêtres dans ce canton et des soldats en congé qui disent qu’ils ne reviendront plus et qu’ils serviront dans les Chouans. Il y en a beaucoup d’enrôlés déjà… Duviquet n’a été que deux jours dans ce canton depuis son retour du Morbihan. Il est venu du côté de Plédran et Plaintel et a retourné à Plémy, d’où il a parti pour le Morbihan. » Archives nationales, F7 36632.
  44. « De caporal », d’après un autre document, Archives nationales, F7 36692.
  45. Archives nationales, BB18 253.
  46. On utilise ici un très beau plan manuscrit de Saint-Brieuc, daté de 1812, c’est-à-dire avant les transformations qu’a subies, à une époque plus récente, le chef-lieu des Côtes-du-Nord. Bibliothèque nationale, Département des cartes et plans.
  47. Habasque, Notions historiques, statistiques et agronomiques sur le littoral du département des Côtes-du-Nord, II, p. 94.
  48. Cette allée, primitivement dénommée Promenade Necker, a été prolongée depuis lors jusqu’à la rue Saint-Benoît, et longe le square du moderne Palais de Justice.
  49. Plus tard, armurier à Saint-Brieuc.
  50. Archives nationales, F7 36693.
  51. D’après les déclarations d’un Chouan nommé Pièche, arrêté l’année suivante, ce serait lui, Pièche, qui aurait figuré le prisonnier. Archives de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  52. « Duviquet avait « égaré la garnison par d’habiles mouvements ». Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 564, note i.
  53. Archives nationales, F7 36692.
  54. Archives nationales, BB18 253.
  55. Lettre de Besné au ministre de la Justice, 18 juin 1798. BB18 253.
  56. Il venait de recevoir son brevet de chef de bataillon. » Habasque, loc. cit., III, 68 note.
  57. Relation d’événements arrivés dans la nuit du 28 au 29 prairial et dans la journée du 29. Archives nationales, F7 36692. Le rapport du commissaire de Loudéac (même dossier) ne porte le nombre des soldats qu’à douze. C’est aussi le chiffre indiqué par une autre pièce ayant pour titre Nouvelle exacte, qui se trouve aux Archives nationales, BB18 253. Habasque écrit : — «… sur un faux avis donné sous le timbre de Josselin qu’un émigré est caché dans le cabaret de La Mirlitantouille, L’Honoré est parti de Loudéac dans la nuit avec quatre gendarmes. En passant à Pontgamp, il a pris quinze hommes de surplus. »
  58. « Lorsque les nôtres les virent arriver, ils crièrent Qui vive ? et les autres répondirent : patrouille de la 13e demi-brigade ! En même temps, ils fondirent sur les républicains… » Le commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de Loudéac au ministre de la Police. Archives nationales, F7 36692.
  59. Le hameau de Carfort, dont les Lenepvou de Carfort portaient le nom, est situé sur le territoire de la commune de Plémy, à quelques cents mètres de La Mirlitantouille.
  60. En quittant La Mirlitantouille, la bande de Mercier La Vendée se dirigea vers la forêt de Loudéac et gagna ensuite celle de La Nouée. Le Chouan Pièche, qui faisait partie de l’expédition, raconta plus tard que le commandant L’Honoré fut d’abord conduit au Pas-aux-Biches, près de cette forêt, chez Laurent Grépon. — « Là, dit-il, on apprit que la troupe arrivait et alors on mit L’Honoré sur un cheval et on le transporta dans la forêt. Le soir on remonta à cheval et on le conduisit à la chaussée de La Tertrée (?) et nous nous dispersâmes. La Vendée fit transporter l’officier au quartier général de Georges ; il y mourut le lendemain au soir. Carfort a gardé son sabre et ses vêtements. » Archives de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  61. « Il faut observer que les hommes partis de Moncontour n’étaient pas en uniforme et que leur déguisement, qui rappelait le costume des anciens Chouans, avait pour but de favoriser leur marche. » Relation d’événements… Archives nationales, F7 36692.
  62. « Les hommes tués ont été laissés sur le grand chemin. » Archives nationales, BB18 253.
  63. C’était un volontaire de Pontgamp, « très grièvement blessé et qui doit être mort… », écrit, le 18 juin, le Commissaire du Pouvoir exécutif près le tribunal correctionnel de Loudéac. Archives nationales, F7 36692.
  64. L’épisode de l’enfant, — un petit pâtre, — se retrouve dans tous les récits, Relation d’événements… Archives nationales, F7 36692. — Nouvelle exacte, Archives nationales, BB18 253. — Habasque, qui n’avait pas connaissance de ces deux documents, l’a également placé dans sa relation.
  65. Relation d’événements… — « Il les a priés de le détruire… » Nouvelle exacte
  66. C’était la carabine du brigadier de gendarmerie, Thierry, l’une des victimes du massacre de La Mirlitantouille. Duviquet s’était approprié cette arme, plus légère que le lourd fusil anglais dont il était porteur pour l’expédition contre la prison de Saint-Brieuc. Le fourrier Saulnier reçut en récompense « la ceinture saisie sur Duviquet ». Archives nationales, F7 6147. Jugement rendu par le Conseil de guerre
  67. De toutes les relations, seule celle de Habasque rapporte une tentative de résistance de la part de Duviquet. Les documents contemporains de l’événement sont muets sur ce point.
  68. Le rédacteur de la relation intitulée Nouvelle exacte écrit : — « Le détachement (de Moncontour) n’a pas jugé à propos d’aller troubler le sommeil des autres, couchés à trois champs plus loin. » Cela paraît peu vraisemblable : si Mercier La Vendée, Carfort et leurs hommes s’étaient trouvés à portée de secourir Duviquet, ils ne l’auraient certainement pas abandonné sans tenter de le défendre. C’est également par erreur que, dans son ouvrage sur les Côtes-du-Nord (I, p. 236), B. Jollivet dit que Duviquet fut pris dans un champ de la commune de Hénon. L’endroit où on le découvrit endormi doit être très rapproché de La Mirlitantouille, entre ce lieu-dit et Notre-Dame de La Croix, probablement à la croisée de la route qui conduit à cette chapelle et du chemin qui va de Launay-Montel à Folleville.
  69. Archives nationales, BB18 253.
  70. Habasque, loc. cit.
  71. Rapport du chef de brigade Champeaux, président du Conseil de guerre. Archives nationales, F736692.
  72. Le commissaire du Directoire exécutif près l’Administration centrale des Côtes-du-Nord, au ministre de la Police, 2 messidor, VI. Archives nationales, F7 36692.
  73. Levot, Biographie bretonne, article Guezno de Penanster. Duviquet eut néanmoins un défenseur ; le jugement porte : — « Ouï le rapporteur en ses conclusions et l’accusé dans ses moyens de défense, tant par lui que par son défenseur… » Archives nationales, F7 6147.
  74. En outre, aux termes de l’arrêt, et conformément à la loi du 4 nivôse, an IV, il devait être prélevé, sur les biens du condamné, une somme de 10 000 livres, « tant pour frais de recherches, capture et conduite de la personne de Duviquet, que pour le prix des objets d’armement, habillement et équipement emportés par lui. La ceinture de Duviquet sera remise au citoyen Saulnier, fourrier de la 2e compagnie du 2e bataillon de la 13e demi-brigade, qui a arrêté ce brigand, la carabine et le sabre du condamné rendus à la gendarmerie de ce département, à qui ils appartiennent ; le poignard qu’il portait sera déposé au greffe. »
  75. Rapport du capitaine Hébert au général Romand. Archives de la Guerre. Cité par Chassin, Pacifications, III, p. 16 et suiv.
  76. « Vous répandrez le bruit que je viens de m’échapper ; j’écrirai à tous les Chouans et chefs ; j’indiquerai où il faudra porter mes lettres ; elles annonceront que j’ai eu le bonheur de m’échapper ; qu’ils aient à se réunir dans la forêt de La Nouée pour une expédition essentielle ; ils s’y trouveront certainement, les républicains les cerneront, et on leur fera mettre bas les armes… »
  77. Archives nationales, B3 207 et 215.
  78. La remise de l’anneau et l’engagement d’obtenir que la destinataire du bijou ne serait pas inquiétée.
  79. « … Ce scélérat invoqua l’ombre de Louis Capet avant de mourir et montra un certain caractère ; mais le supplice des assassins l’accabla ; il vit avec plus de frayeur les bois du sacrifice et le couteau fatal qu’il n’eût vu la fusillade… » Lettre de Besné au ministre de la Justice. Archives nationales, BB18 253.
  80. Même dossier.