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La Monnaie et le mécanisme de l’échange/14

La bibliothèque libre.
Germer Baillière (p. 137-154).

CHAPITRE XIV

la monnaie internationale

On ne peut aujourd’hui écrire un livre sur la monnaie sans parler d’un projet qui a été mis en avant, et qui même a reçu un commencement d’exécution, pour l’adoption d’un système universel de Monnaie Internationale. Sans doute il ne s’écoulera pas de longues années avant qu’un tel projet soit réalisé, quoique la mesure rétrograde récemment adoptée par le gouvernement allemand tende à retarder ce pas immense vers le progrès et la véritable civilisation. Nous devons donc, dans toutes les modifications que nous apportons à nos monnaies, comme dans toutes nos discussions sur ce sujet, avoir présente à l’esprit l’introduction éventuelle d’un système monétaire uniforme. Quoique les guerres ne puissent être encore évitées, nous pouvons compter avec certitude sur une amélioration graduelle dans les relations des peuples entre eux. Nous avons des lois internationales sur la propriété littéraire et sur l’extradition des criminels ; nous avons des codes de signaux maritimes, des conventions postales, des traités pour adoucir les horreurs de la guerre. Il y a longtemps que les nations ont cessé d’être des corps isolés dont chacun souhaitait le malheur de ses voisins ; et comme la liberté du commerce commence à triompher partout, comme les communications par les chemins de fer, les bateaux à vapeur, la poste et les journaux augmentent continuellement, nous pouvons considérer d’avance l’époque où tout le monde cherchera à briser autant que possible les barrières qui séparent l’une de l’autre les diverses familles de la race humaine.

J’établirai d’abord les avantages qu’on peut attendre de l’établissement d’un système international de monnaie métallique ; puis j’exposerai successivement les inconvénients qu’il peut présenter d’un autre côté, les progrès qu’on a déjà faits vers la simplification des systèmes monétaires, les principaux projets qui ont été mis en avant avec leurs mérites et leurs défauts comparatifs.

avantages d’une monnaie internationale

Des personnes à courte vue répondent, chaque fois qu’on leur parle d’un projet de monnaie internationale, que si jamais on atteignait le but qu’on se propose, l’effet obtenu serait uniquement d’éviter quelques embarras aux personnes relativement peu nombreuses qui voyagent d’un pays à l’autre. Mais c’est là le moindre des profits qu’on pourrait tirer de l’uniformité des monnaies. Je suis porté à placer au premier rang et à considérer comme un avantage immense la facilité avec laquelle on comprendrait tous les comptes, les prix, les exposés statistiques, dès qu’ils seraient exprimés à l’aide des mêmes unités de valeur. Il est presque insupportable pour le statisticien de rencontrer dans ses recherches des tableaux où il trouve confondus ensemble francs, livres sterling, dollars, thalers, mètres, yards, aunes, tonneaux, kilogrammes. Le travail des recherches statistiques est bien assez pénible déjà, sans y ajouter le travail préliminaire qu’exige la réduction de mesures si variées à une unité commune. Pour le commerçant ou l’homme d’affaires la diversité des monnaies et des mesures n’est pas moins embarrassante. Dans beaucoup de pays on ne connaît pas avec certitude la valeur des espèces, et les personnes qui se trouvent posséder une connaissance spéciale d’une localité et de la monnaie ou des mesures qui y sont employées, peuvent seules s’aventurer à y faire du commerce. En outre, la différence des systèmes monétaires complique singulièrement les calculs dans les échanges avec l’étranger, de sorte que tout le profit est pour ceux qui se sont rendus habiles dans des calculs de ce genre.

En second lieu le règlement des affaires avec l’étranger deviendrait plus prompt et plus parfait si la monnaie d’un pays pouvait passer directement dans la circulation d’un autre. Un des résultats produits par la monnaie internationale serait de faire conserver une plus grande quantité de métaux précieux sous forme d’espèces monnayées. Aujourd’hui, ce qui a été frappé par une nation doit souvent être fondu et monnayé de nouveau par une autre, quoique les espèces principales de monnaies, par exemple les souverains anglais, les aigles américains, les napoléons français, les dollars mexicains, soient conservées par les banques et vendues et achetées par elles. Avec un système unique de monnaies, le stock de l’or et de l’argent serait, en règle générale, conservé sous forme d’espèces prêtes à entrer à tout moment dans la circulation. Quelques petites économies résulteraient aussi de la diminution dans les dépenses du monnayage ; mais ce ne serait là qu’un avantage très-secondaire. Ce qui serait plus important, c’est qu’il y aurait moins d’occasions de profit pour les marchands de métaux et les autres commerçants qui spéculent sur les difficultés que présente le commerce du métal dans l’état actuel des choses. L’économie d’embarras, de peines et d’argent que feraient les voyageurs n’est pas non plus sans importance. En même temps que les communications internationales, le nombre des voyageurs augmentera, et nous devons supprimer, autant que possible, toutes les difficultés qui ne sont pas inévitables.

Un avantage de la monnaie internationale sur lequel on n’a pas assez insisté, est l’amélioration que son adoption produira sans doute dans les monnaies des états secondaires et à demi-civilisés. Dans beaucoup de contrées, il y a encore un mélange de pièces dont les valeurs sont différentes et mal déterminées ; or, tant que les nations principales frapperont des monnaies de systèmes complètement différents, leurs monnaies, en circulant dans d’autres pays, y produiront de la confusion. Depuis longtemps déjà la circulation internationale du dollar mexicain présente de grands avantages ; dans les pays où cette pièce est l’unité de valeur, les commerçants savent sur quelle base appuyer leurs transactions. Or si toutes les nations principales s’entendaient pour émettre des monnaies de poids et de dimensions uniformes, ces monnaies composeraient bientôt la circulation des états où l’on n’en frappe pas, et une réforme heureuse s’opérerait ainsi dans les parties du monde les plus éloignées.

désavantages d’une monnaie internationale

Une monnaie commune, qui circule librement d’une nation à l’autre, peut certainement présenter quelques inconvénients. Un gouvernement, par exemple, peut frapper des pièces légèrement inférieures au titre fixé ; or cette monnaie, une fois émise, serait, en vertu de la loi de Graham, difficile à déloger. La fabrication de la monnaie en France n’est pas irréprochable sous ce rapport. Si l’on essaye avec soin la monnaie d’or française, on trouve qu’elle est au titre de 898 ou 899 millièmes, au lieu de compter 900 parties d’or pur. Il y a bien, sans doute, une tolérance de deux millièmes pour le monnayage ; de sorte que ces pièces sont légalement bonnes ; mais l’administration de la Monnaie a profité de cette tolérance d’une manière blâmable. Les pièces émises par une Monnaie quelconque doivent en moyenne avoir le titre légal avec une exactitude presque absolue, et la divergence autorisée sous le nom de tolérance ne doit servir qu’à couvrir les fautes accidentelles de main-d’œuvre qui se rencontrent dans quelques pièces ; on ne doit pas rester constamment et avec intention au-dessous du titre fixé.

On ne doit pas supposer qu’un État qui émet de la monnaie en vertu d’obligations internationales, soit disposé à faire de cette manière un bénéfice d’un ou deux sur mille. Pour assurer l’uniformité de la fabrication, les essayeurs et les employés ou administrateurs des différentes Monnaies devraient se réunir et s’entendre sur un procédé commun pour arriver au même titre, et pour obtenir des métaux uniformes. L’expérience ne montre pas qu’en matière de monnaies les nations doivent se défier les unes des autres. Nous ne regardons pas l’Espagne et le Mexique comme des modèles d’intégrité financière ; cependant les Monnaies de ces pays observaient si scrupuleusement, dans l’émission des dollars d’argent, les conditions de poids et de pureté qui leur étaient imposées, que ces pièces ont été reçues sans difficulté, pendant le dernier siècle, dans la plus grande partie du monde, et qu’elles ont même, à une certaine époque, circulé en Angleterre. La possibilité d’une monnaie internationale est prouvée par le fait que, sans traités internationaux, les pièces de plusieurs nations ont cours forcé chez plusieurs autres : c’est ce qui arrive pour les souverains anglais, non-seulement dans les colonies et possessions anglaises, mais en Portugal, en Égypte, au Brésil et sans doute ailleurs encore. Le napoléon a circulé librement dans l’Europe presque entière. Le ducat de Hollande a été aussi une pièce fort estimée ; et j’ai déjà parlé fréquemment de la circulation étendue de plusieurs espèces de dollars.

conflit des systèmes monétaires

La principale difficulté qui s’oppose à l’établissement d’une monnaie internationale vient de ce fait, qu’il y a plusieurs grandes nations, la France, l’Angleterre, l’Amérique, l’Allemagne dont chacune possède son système de monnaies particulier, auquel, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, elle ne veut pas renoncer. Aucun de ces systèmes ne présente d’avantages extraordinaires qui le mettent évidemment au-dessus des autres. Le système français, fondé sur le franc, est un système décimal d’une perfection remarquable, et ce qui lui assure un grand prestige, c’est qu’il est reconnu comme monnaie internationale en Belgique, en Suisse et en Italie, outre qu’il circule en Autriche et que nous le retrouvons comme monnaie d’argent en Espagne, en Grèce et dans quelques états secondaires.

Les Anglais, de leur côté, peuvent dire avec raison que, si la subdivision de leur livre (pound) ne mérite pas d’être recommandée, la livre sterling est en elle-même une excellente unité de valeur. C’est la plus grande unité monétaire qui existe, et elle est d’or, de sorte qu’elle parait mieux en harmonie que d’autres avec la richesse toujours croissante des nations. Sans doute elle n’est reconnue que dans un petit coin de l’Europe, c’est-à-dire en Portugal, mais nous devons nous rappeler que l’Europe cesse rapidement d’être le centre exclusif du commerce et de la civilisation. Dans l’Australie, la Polynésie, dans les colonies d’Afrique, des états grandissent qui bientôt jetteront dans la balance un poids considérable, et ils ont adopté la livre. L’extension universelle du commerce anglais et de la navigation anglaise ont fait connaître le souverain dans tous les ports du monde.

Toutefois les Américains à leur tour pourraient dire bien des choses en faveur du dollar. Il est divisé suivant le système décimal, et comme nous le verrons, de la manière la plus commode. Il correspond aux monnaies qui, depuis deux ou trois siècles, ont eu la circulation la plus étendue, et qui ont servi de monnaies de compte, de sorte que l’expérience prononce en sa faveur. Mais, par-dessus tout, il est complètement adopté par une nation qui, autant que l’intelligence humaine peut lire dans l’avenir, est destinée à devenir la plus nombreuse, la plus riche et la plus puissante du monde. Cette nation, formée à l’origine de ce qu’il y avait de meilleur en Angleterre, dans les veines de laquelle coule aussi le meilleur sang des autres nations européennes, et qui a reçu en héritage le continent le plus riche du monde, aura inévitablement dans l’avenir une importance dont les Américains eux-mêmes ont à peine conscience.

négociations monétaires internationales

Il est tout à fait impossible, dans un ouvrage si peu étendu, d’esquisser d’une manière satisfaisante l’histoire longue et complexe des discussions, des réunions, des congrès, des associations, des négociations et des conventions par lesquelles on se proposait d’établir une monnaie internationale parmi les nations de l’Europe occidentale. Je dois renvoyer le lecteur, qui désirerait de plus amples informations, à l’excellente brochure de M. Frederick Hendriks ; c’est le premier ouvrage qui ait bien fait connaître ce sujet, en Angleterre. Elle a pour titre : Monnaie décimale ; Projet pour l’étendre immédiatement à l’Angleterre et la mettre en rapport avec la Monnaie internationale de la France et de plusieurs autres pays, et fut imprimée en 1860. On peut aussi consulter de M. Seyd, le Traité du stock métallique et des échanges avec l’étranger. Enfin le Journal des Économistes est plein de renseignements à ce sujet.

L’Association Internationale pour l’établissement d’un système décimal uniforme de mesures, de poids et de monnaies, fut fondée à Paris en 1855, et la branche anglaise poussa activement les opérations. En 1858 les États-Unis firent des propositions tendant à l’uniformité des monnaies. En 1860 et 1863 des congrès internationaux importants se tinrent à Londres et à Berlin, et, dans le dernier surtout, on adopta des résolutions importantes que nous aurons à examiner. Ce fut cependant la contiguïté de la Belgique, de la France, de la Suisse et de l’Italie, et ce fait qu’on ne pouvait empêcher l’or et même l’argent français de passer la frontière, qui tirent avancer la question, et qui eurent pour résultat, en décembre 1865, une Convention effective pour la Monnaie Internationale.

Le rapport du congrès de 1863 sur les monnaies est un document d’une haute importance. Il montre les avantages notables d’un étalon d’or accompagné de monnaies auxiliaires d’argent et de bronze ; il plaide pour le titre uniforme de neuf dixièmes dans toutes les monnaies à valeur pleine ; il conseille pour les pièces des poids déterminés d’après le système métrique ; enfin il propose un plan suivant lequel on pourrait établir des rapports simples entre les unités monétaires existantes.

En 1870, peu de temps avant que la guerre avec l’Allemagne fût déclarée, la France nomma une nouvelle commission impériale, présidée par le ministre du commerce et le ministre président du conseil d’État (M. de Parieu), pour étudier sous toutes leurs faces les diverses questions relatives à l’étalon et à ses rapports avec la monnaie internationale. On n’entendit pas moins de trente-sept témoins. Les résultats de l’enquête, imprimés par ordre du gouvernement français en 1872 et formant deux volumes énormes, montrent que la majorité des témoins et des commissaires se prononçait nettement pour un étalon unique d’or.

Grâce à une coïncidence purement accidentelle, les principales unités monétaires se rapprochent déjà singulièrement de multiples simples du franc. La table suivante montre les valeurs relatives actuelles de ces unités et les multiples auxquels on propose de les conformer exactement.

Valeur actuelle en francs Valeur proposée en francs
Franc 1 1
Florin autrichien d’argent 2,47 2 1/2
Dollar américain d’or 5,18 5
Livre sterling 25,22 25

Il suffit donc d’élever le florin de 1,21 pour cent, et d’abaisser le dollar et la livre sterling respectivement de 3,5 et de 0,88 pour cent, pour établir entre ces monnaies des rapports très-simples. Ainsi, sans une modification bien sensible des systèmes monétaires, il serait possible de remplacer facilement ces monnaies les unes par les autres ; de plus les pièces elles-mêmes auraient un cours international ; la livre sterling passerait en France comme pièce de vingt-cinq francs, et en Amérique comme pièce de cinq dollars ; le dollar américain circulerait comme écu en France et comme pièce de quatre shellings en Angleterre.

Le congrès s’abstenait de recommander aucune unité comme unité universelle, mais il proposait que toute nation qui ne possédait pas une des quatre unités désignées, choisit celle qui lui plairait le mieux. Si ce projet avait été accepté par toutes les nations dans un esprit éclairé et libéral, il est probable que dès à présent nous verrions clairement notre route vers le choix de la meilleure unité. Malheureusement, depuis 1865, l’empire d’Allemagne et les royaumes Scandinaves ont fait des changements qui ne s’accordent pas avec ces principes. Il s’est produit des simplifications dans la monnaie ; mais elles tendent à former des groupes de monnaies nationales, et non internationales, quoique, comme l’a démontré M. Hendriks dans plusieurs articles de l’Économist, les pièces nouvelles aient plusieurs points nouveaux et importants de contact et d’accord avec les systèmes métrique et décima), de sorte qu’en réalité on a fait tout de même quelques progrès.
moyens de conformer la monnaie anglaise au système décimal

Depuis que Lord Wrottesley, en 1824, proposa au Parlement d’adopter une division décimale de la livre sterling, on a discuté à perte de vue sur les mesures à prendre pour la réorganisation de notre monnaie. On a proposé plusieurs plans ; mais leurs avantages se balancent si bien, et la difficulté d’en exécuter un, quel qu’il soit, est si grande, que ces débats d’un demi-siècle n’ont encore amené aucun résultat pratique. Les deux projets principaux, les seuls peut-être qu-il soit utile de citer ici sont celui du pound and mil, et celui du penny and ten-franc.

Le premier repose sur ce fait que le farthing est presque le millième de la livre. Puisque 960 furthings font une livre, il suffirait d’enlever au farihing 4 pour cent de sa valeur pour obtenir le sous-multiple décimal le plus bas, qui s’appellerait le mil. De là le nom de pound (livre) and mil. Le penny serait de cinq mils, comme le demi-penny ou sou français est de cinq centimes. Selon quelques-uns il faudrait introduire une nouvelle pièce, d’une valeur de 2 pennies 4, qui serait la centième partie de la livre ; mais cela n’est pas nécessaire. Le florin vaudrait cent mils, et le demi-souverain cinq cents. Le grand avantage de cette méthode, c’est qu’elle garde la livre comme unité principale, et en même temps plusieurs autres pièces usuelles en Angleterre. Ceux qui la repoussent s’appuient, 1o sur le fait supposé qu’elle exclut les plus répandues de nos pièces, c’est-à-dire le shelling et le six pence, et 2o sur ce que le mil est un sous-multiple trop faible pour servir de point de départ. Mais ces conséquences ne sont pas nécessaires. Le shelling pourrait subsister, comme pièce réelle avec le poids, le titre, la valeur qu’il possède à présent ; mais, comme monnaie de compte, il vaudrait cinquante mils au lieu de quarante-huit farthings, et le sixpence vaudrait vingt-cinq mils au lieu de vingt-quatre farthings. Cette subdivision n’est pas plus complexe que celle qui nous est si familière, et elle est parallèle à la subdivision en pièces de cinquante et de vingt pfennige, centimes, lire, öre, adoptée pour les nouvelles monnaies de l’Allemagne et de la Scandinavie, ainsi que par les alliés monétaires de la France. Quant à ceux qui reprochent au mil d’être un sous-multiple trop faible, ils semblent oublier qu’il est 2 fois 1/2 aussi grand que le sous-multiple initial du système français, et 2 fois aussi grand que celui du nouveau système allemand.

Le second projet a été proposé par feu le professeur Graham, et par M. Rivers Wilson, dans leur rapport sur les opérations de la conférence monétaire internationale de 1867. Il est fondé sur ce fait que la pièce de dix francs vaut huit shellings moins les trois quarts d’un penny, et qu’il n’y a entre elle et cent pence anglais qu’une différence de 4 pour cent. Il suffirait donc d’établir une pièce d’or de dix francs, qui servirait provisoirement de monnaie conventionnelle avec la valeur de huit shellings, pour rattacher notre système au système français. Une réduction ultérieure de 4 pour cent sur la valeur du penny, et le remplacement du shelling par une pièce d’un franc ou de dix pence, nous donnerait un système vraiment décimal. Un des grands avantages de ce projet, c’est qu’il conserve, presque sans l’altérer, une pièce aussi familière que le penny, et qu’il fait de cette pièce ce qu’elle est la plupart du temps dès à présent, c’est-à-dire la plus basse monnaie de compte. De plus il s’accorde fort bien avec le système monétaire français. La difficulté principale c’est qu’il implique l’abandon de la livre, qui contiendrait ainsi deux fois et demi la nouvelle unité ; et que, de toutes nos monnaies actuelles, le florin, le penny et le demi-penny s’y ajusteraient seuls avec facilité. Pour convertir des sommes composées de livres sterling en unités de la nouvelle monnaie, il faudrait multiplier par le nombre 2 1/2, ce que beaucoup de gens regarderaient comme un procédé très-gênant.

Quand on proposa pour la première fois de ramener la monnaie anglaise au système décimal, l’idée d’une monnaie internationale n’avait jamais été bien sérieusement examinée ; à peine même l’avait-on conçue. On a maintenant fait de tels progrès en ce sens qu’il est impossible de considérer l’une des réformes indépendamment de l’autre. La difficulté d’accomplir un changement quelconque est si grande qu’il ne vaudrait pas la peine d’opérer un changement partiel.

le dollar américain de l’avenir

Le pas le plus facile et le plus important, qui puisse être fait en ce moment vers l’adoption d’une monnaie internationale, c’est l’assimilation du dollar américain à la pièce de cinq francs. Les circonstances sont à présent très-favorables, parce que la circulation des États-Unis se compose encore d’un numéraire en papier de valeur variable. Si l’on considère les énormes fluctuations de valeur qui ont eu lieu dans ces dix dernières années, on reconnaîtra que ce serait un scrupule tout à fait exagéré que de vouloir ramener le dollar, avec une exactitude absolue, à son ancienne valeur. Tout changement dans la valeur du numéraire, que ce soit une hausse ou une baisse, produit une certaine perte. Or, le dollar américain est composé de 25 grains d’or 8, estimés en monnaie anglaise 49 pence 316. Quand l’or est à 111 le dollar en papier perd 10 pour cent en valeur ; il vaut donc alors 44 pence 384, tandis que le dollar français, c’est-à-dire la pièce de cinq francs en or, pèse 24 grains 89, et vaut 47 pence 58. Il y aurait donc un avantage évident à donner exactement aux nouveaux dollars métalliques le poids de la pièce française, et à commencer les paiements en espèces quand le cours du papier sera au pair avec cette dernière monnaie. Pour les contrats faits en papier, pour tous les prix courants et tous les paiements, ce changement n’impliquerait aucun manque de foi ; les contrats seraient au contraire plus fidèlement observés et exécutés que si le numéraire en papier diminuait assez pour arriver au pair avec l’ancien dollar.

Cette diminution dans le poids du dollar jetterait, il est vrai, la perturbation dans tous les contrats stipulés en or, y compris toutes les obligations des États-Unis, des compagnies de chemins de fer, et des autres compagnies, payables en espèces, à moins qu’on ne fit une réserve pour modifier les termes de ces contrats. Mais on pourrait surmonter cette difficulté en stipulant que, pour chaque centaine de dollars anciens il sera payé et reçu 103 1/2 dollars nouveaux. Si le gouvernement américain adhérait aux propositions du Congrès de 1863, il frapperait assurément un coup décisif en faveur du système métrique de poids, de mesures et de monnaies. Une pareille décision ferait très-probablement du dollar l’unité universelle de l’avenir. Ce fait, que le dollar est déjà dans bien des parties du monde l’unité monétaire, lui donne de grands avantages. Une fois assimilé à l’écu français, l’or américain pourrait circuler en Europe, et partout où le napoléon français a passé jusqu’à présent. On trouvera peut-être qu’un Anglais ne fuit pas preuve de patriotisme en plaidant pour un changement qui amènerait la défaite de la livre sterling ; mais j’aime mieux voir choisir un plan d’unification quelconque que de n’en voir adopter aucun. Quels que puissent être les résultats définitifs, je désire que l’assimilation entre les systèmes français et américain s’accomplisse aussitôt que possible. Pour des raisons qu’on trouvera plus loin, je regarde le dollar comme une excellente unité ; et, s’il y avait de grandes chances de le voir universellement adopté, les préjugés nationaux pourraient seuls s’y opposer. Quand même on ne l’adopterait point partout, ce serait déjà un grand pas de fait si la Grande-Bretagne, l’Amérique et la France s’entendaient pour frapper une monnaie d’or d’un poids et d’un titre identiques, qui circulerait indistinctement sous les noms de souverain, de pièce de cinq dollars et de pièce de vingt-cinq francs.

la réforme monétaire allemande

Le nouveau système monétaire de l’empire d’Allemagne introduit une bonne monnaie dans des pays où régnait une confusion complète. Dans quelques années les Allemands auront peine à comprendre comment ils ont si longtemps supporté un état de choses dans lequel deux et même trois ou quatre séries de monnaies sans rapport entre elles étaient mêlées sans aucune méthode. À bien des égards, le système nouveau est aussi bon qu’on pouvait le désirer. À la place de l’étalon d’argent suranné, l’or est choisi comme la mesure de la valeur, la seule monnaie principale, avec un cours forcé illimité. L’unité de compte est le marc, qui consiste en 6 grains 1465 d’or au titre de 9 dixièmes. Il vaut donc environ 11 3/4 pence. La monnaie principale sera la pièce de vingt marcs, pesant 122 grains 92. ou 7 grammes 934,954, et contenant 7 grammes 168,459 d’or pur. Il y a aussi une pièce de dix marcs dont le poids est exactement la moitié du précédent.

Les pièces auxiliaires d’argent et de bronze de nickel sont émises sur le pied du cours forcé composite, c’est-à-dire dans le système anglais, et n’ont qu’une valeur conventionnelle. Le droit de monnayage à prélever sur les monnaies d’argent allemandes sera de 11,111 pour cent, et dépassera ainsi les prélèvements qui se font sur la monnaie d’argent anglaise et française et qui montent pour la première à 9 environ, pour la seconde à 7,784 pour cent.

Pour peu qu’on soit ami du progrès, on ne saurait trop regretter que le gouvernement allemand, en fixant le poids du nouveau marc, ait soigneusement évité de se rapprocher du système français. Le souverain contient 7 grammes 3224 d’or pur ; la pièce de vingt-cinq francs, quand elle sera frappée, en contiendra 7,2581, et la pièce de vingt marcs en contient 7,1685. La seule raison par laquelle on puisse justifier le choix de ce poids, c’est que trois marcs équivalent approximativement à un thaler. Mais il régnait une telle diversité dans les monnaies des états allemands, que le champ était ouvert à l’adoption d’un système quelconque. On ne peut donc supposer que dans une réforme si importante une différence de 1 1/4 pour cent eût été un obstacle insurmontable à l’adoption d’une monnaie internationale.

systèmes de monnaie divisionnaire

Une fois l’unité de valeur choisie, on se trouve, lorsqu’il s’agit de la subdiviser, en présence de trois méthodes différentes : ce sont les méthodes binaire, duodécimale et décimale. Le premier système est appliqué avec une grande perfection dans nos poids avoirdupois, où seize onces font une livre ; mais il est aussi employé dans notre système monétaire, où le souverain se divise en demi-souverains, en couronnes et demi-couronnes ; le shelling en pièces de six et de trois pence ; le penny en demi-pence et en farthings. En même temps lu division duodécimale est représentée dans notre monnaie par la division du shelling en douze pence, tandis que le tiers du même shelling est encore en circulation sous la forme du groat, ou pièce de quatre pence, qu’on est en train de retirer a présent.

Chaque système de subdivision a ses avantages propres, et il doit y avoir entre les systèmes divers une sorte de compétition naturelle. Ils se sont même trouvés en lutte dès les temps les plus anciens. Dans l’Italie ancienne le système duodécimal dominait au sud des Apennins, tandis que la division décimale était employée dans le Nord. En Sicile les deux méthodes se pénétraient mutuellement. La Chine a un système purement décimal dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

En Angleterre les divisions duodécimale et binaire existent depuis une époque très-reculée. On accordera sans difficulté que le système binaire est le plus simple et le plus naturel, puisqu’il emploie le moindre facteur possible au-dessus de l’unité. Le système duodécimal a aussi des avantages marqués, parce qu’il permet la division en plusieurs parties aliquotes qui comprennent deux fois le facteur 2 et une fois le facteur qui vient immédiatement après, c’est-à-dire 3. Ainsi le shelling se divise exactement en deux sixpences, en trois fourpences, en quatre threepences et en six twopences.

Le système décimal est beaucoup moins simple, et à quelques égards moins commode. Le nombre 10 n’admet que deux facteurs supérieurs à l’unité, savoir 2 et 5, et 5 est un facteur premier plus complexe que ceux que nous trouvons dans les méthodes précédentes. Mais ce système possède l’avantage suprême de s’accorder exactement avec notre système décimal de numération et de calcul. Quoiqu’elle ne soit pas probablement la meilleure méthode qui eût pu être choisie, si le choix nous avait été laissé, la numération décimale est solidement établie dans les usages de la race humaine, comme une habitude héréditaire dérivant de la pratique primitive de compter sur les doigts. Nous ne pouvons faire autrement que d’accepter l’inévitable, et comme toutes nos opérations d’arithmétique s’exécutent d’après la méthode décimale, il y a un avantage inappréciable, à mesure que l’éducation et l’usage de l’écriture se propagent, à conformer au même système tous nos poids, nos mesures et nos monnaies.

Un système parfaitement et purement décimal n’admettrait que les multiples et sous-multiples décimaux, savoir : — 1000 — 100 — 10 — 1 — 0,1 — 0,01 — 0,001. Mais il est si gênant de compter dix pièces avant d’arriver à l’unité supérieure suivante, que l’on s’est toujours relâché de la rigueur des divisions décimales. Dans le système français la moitié et le double de chaque multiple sont représentés par des pièces intermédiaires de manière à former la série : 1. 2. 5. 10. 20. 50. 100. 200. 500. etc. La monnaie américaine est moins simple et symétrique, puisqu’elle admet le demi-aigle et le quart d’aigle, le demi-dollar et le quart de dollar, la pièce de vingt-cinq cents et même une pièce de trois cents. J’incline à préférer la méthode française, et je croirais volontiers que la Monnaie américaine a émis trop de pièces de diverses valeurs.

choix définitif de l’unité de monnaie internationale

Je terminerai ce chapitre par quelques remarques sur les raisons qui devront nous guider dans le choix de l’unité monétaire qui sera la base définitive d’une monnaie internationale.

J’attache peu d’importance aux arguments relatifs à la valeur absolue des unités rivales. Comme la richesse des nations s’accroît, a-t-on dit, en même temps que la valeur de l’or diminue, nous avons besoin d’une unité plus considérable. Pour cette raison on recommande la livre comme évidemment préférable au franc. Si nous comptons par francs nos nombres seront vingt-cinq fois aussi considérables que si nous comptions par livres sterling. Mais on parait oublier que la même unité ne saurait convenir aux sommes extrêmement différentes que nous avons à exprimer, de sorte que nous devrons employer des multiples ou des sous-multiples de l’unité actuelle. De même que nous employons des pouces, des pieds, des yards, des furlongs, des milles, ou même des diamètres de l’orbite terrestre, selon les grandeurs à mesurer, de même, quand il est question de monnaie, nous changeons nos unités. Si nous discutons le salaire hebdomadaire d’un ouvrier, nous comptons en shellings ; si nous parlons du traitement annuel d’un employé, nous parlons de livres ; s’il s’agit de la fortune d’un négociant ou d’un banquier, nous ne tenons compte que des milliers de livres ; nous occupons-nous des revenus de l’État ou bien de la dette nationale, nous n’accordons notre attention qu’aux millions de livres. L’unité de compte portugaise, appelée le rei, ne vaut que la dix-neuvième partie d’un penny anglais, et c’est à peu près la plus faible unité du monde. Dans la pratique cependant le milreis, ou millier de reis, qui vaut 53 1/3 pence, devient l’unité. De même les négociants indiens parlent de lacs et de crores de roupies. Les Français évaluent leur dette nationale en milliards de francs. Sans doute il n’est pas commode pour les Anglais de se rendre un compte exact de la signification de ce mot milliard ; mais, pour ceux qui sont accoutumés à compter en francs, ce n’est pas plus difficile que de se faire une idée nette d’un million de livres. Les mêmes considérations s’appliquent exactement aux unités de poids. Ainsi, quoique les Français emploient une unité aussi petite que le gramme, c’est-à-dire 15 grains 43, cependant, suivant la grandeur des objets pesés, ils emploient des unités plus petites ou plus grandes, les centigrammes et les milligrammes d’une part, les décagrammes et les kilogrammes de l’autre. La valeur absolue de l’unité initiale me semble donc, à ce point de vue, tout à fait dénuée d’importance.

Pour ce qui regarde la subdivision de l’unité il y a des considérations plus importantes. La subdivision doit être décimale, cela va sans dire, elle doit aussi être combinée de telle sorte que le sous-multiple le plus bas corresponde à la plus petite somme dont on croie devoir tenir compte dans les transactions commerciales. Or le franc est divisé en centimes, de sorte que la valeur du centime n’égale pas le dixième d’un penny. Quoique les pièces de bronze d’un et de deux centimes forment le vingtième de la masse totale de la monnaie de bronze, c’est à peine si l’on en trouve dans la circulation. Si elles étaient employées par hasard dans les plus petits achats au détail, par exemple chez le boulanger, elles ne figureraient pas sur les livres de comptes. Ainsi en France un teneur de livres n’inscrit pas de sommes au-dessous de cinq centimes, la somme immédiatement supérieure est de dix centimes, et correspond à notre penny. On introduit ainsi dans les comptes des complications inutiles. Il est si incommode de désigner par les mots de cinq centimes la plus petite monnaie généralement employée qu’on lui donne souvent encore le nom de sou, quoique le système décimal existe déjà en France depuis quatre-vingt-dix ans. Le rei portugais est une si petite unité qu’elle n’est représentée par aucune pièce réelle. Cependant, au Portugal, elle a sa place dans les comptes de commerce et ajoute ainsi sans nécessité un chiffre de plus à tous les nombres qui expriment des sommes d’argent.

En Angleterre la plus petite monnaie qui soit réellement employée est le farthing ; mais dans les comptes on ne parle guère de farthings ni de demi-pennies, de sorte que le penny est la plus faible monnaie de compte. Les bureaux de poste, dans le règlement des affaires de la caisse d’épargne, refusent de reconnaître aucune pièce au-dessous du penny. Mais il n’y a pas de rapport commode entre le penny et la livre, dont le centième équivaut à 2 pence 4 et le millième à peu près à un farthing Ainsi le système décimal appliqué à notre livre nous obligerait d’enregistrer comme notre plus basse monnaie de compte une pièce d’une petitesse incommode, c’est-à-dire le mil. Sous ce rapport le projet de pound and mil est supérieur au système du franc et du centime. Ainsi la somme de 12 shellings 6 pence peut être exprimée par 625 mils ; mais en monnaie française, (en évaluant la livre à vingt-cinq francs), cette somme deviendrait 15,625. Elle se transformerait en 1,56 unités, ou 156 pennies métriques, si l’on prenait la pièce de dix francs pour unité principale. Dans beaucoup de cas il faudrait moins de chiffres pour exprimer une somme en pence que pour l’exprimer en mils ou en centimes.

Le système américain est irréprochable à cet égard. Le dollar se divise en cent cents, dont chacun vaut environ un demi-penny Quoiqu’on ait frappé des demi-cents (half-cents), et qu’ils puissent être employés pour des achats insignifiants, on n’a jamais besoin de les inscrire dans les comptes ordinaires. Le cent me semble ainsi correspondre à la plus petite somme dont on ait besoin de s’occuper dans les comptes, si bien que les calculs de monnaie sont ramenés à la plus grande simplicité possible.

On pourra demander si la monnaie la plus faible qui soit réellement inscrite n’est pas la véritable unité, dont toutes les autres pièces sont des multiples. Peut-être la meilleure réponse serait-elle de dire que l’unité est indifféremment le cent, le dollar ou l’aigle. Dans la monnaie anglaise peu importe que nous considérions comme unité la livre, ou le vingtième, ou le deux cent quarantième de la livre. La valeur absolue de l’unité est, je le répète, complètement indifférente, et le seul point que nous ayons à considérer est de savoir si cette unité, ou quelqu’une de ses fractions décimales, correspond à la plus petite somme dont il soit utile de tenir compte. À cet égard le dollar est la meilleure unité existante ; mais on peut se demander si le double dollar, c’est-à-dire la pièce de dix francs en or, qui vaut huit shellings ou cent pence ne serait pas encore meilleure. Si la richesse des nations continue à croître et la valeur de l’or à baisser, le cent même paraîtra une monnaie trop petite pour figurer dans les comptes, et il conviendra de faire du penny l’unité la plus basse. Il me semble donc que dans le choix d’une unité définitive pour la monnaie internationale nous ne pouvons hésiter qu’entre la pièce de cinq francs et la pièce de dix francs en or. On peut ajouter en faveur de la pièce de dix francs que, de toutes les pièces d’or, elle est la plus petite qui soit d’un usage commode et qu’il convienne de frapper. Le dollar et la pièce de cinq francs en or sont trop petits, et subissent de grandes pertes par le frai.