La Mort (Étienne Arnal)

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LA MORT

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Le sault n’est pas si lourd du mal estre au non estre.
Montaigne


Vive la mort ! je me confie
À ses lois, ses soins vigilants ;
Dans ces préceptes consolants
J’ai puisé ma philosophie.
Elle a pour calomniateurs
Trop de gens d’un esprit vulgaire ;
Mais ceux que la raison éclaire
Sont parmi ses adorateurs.
Nos poëtes et nos sculpteurs
En font une horrible matrone ;
Mais elle est secourable et bonne.
En dépit de ses détracteurs.


Vive la mort ! Elle n’oublie,
Du moins pendant quelques instants,
Que l’insensé qui l’injurie ;
Dès qu’un infortuné la prie,
Et lui dit : « Je suis prêt, j’attends, »
Sa douce voix jamais rebelle,
Répond à celui qui l’appelle :
« Reconnais la fille du temps,
« Et réjouis-toi de me suivre ;
« Laissons à ceux qui veulent vivre
« Le tourment des fiévreux plaisirs,
« Les noirs chagrins, les vains désirs :
« Moi, de tous maux je te délivre. »

Plus d’un moraliste fameux,
D’accord avec l’expérience,
Nous répète que l’existence
Est un sentier dur, épineux,
Court, mais rapide et tortueux.
À chaque pas est une ortie,
À peine y voit-on quelques fleurs.
Additionnons sans erreurs
Les biens et les maux de la vie ;
La colonne la mieux remplie
Est toujours celle des douleurs.
La mort vient-elle alors, ses charmes
Savent bientôt sécher nos larmes ;
Nous l’acceptons comme un bienfait,


Elle nous apporte, en effet,
Le bonheur de la délivrance ;
Plus d’angoisse, plus de souffrance ;
La mort, c’est le repos parfait.
Elle nous donne, dit l’adage,
Un asile contre l’orage ;
Elle est l’absence de tout soin,
L’extinction de tout besoin,
De tout ennui, de toute peine ;
Du moment qu’elle nous entraîne,
Notre labeur est terminé.
Parlons-nous d’un infortuné
Que le malheur semblait poursuivre,
Un synonyme vient s’offrir.
Dire : il a cessé de souffrir,
C’est dire : il a cessé de vivre.

Nous avons, hélas ! sous les yeux,
De nos douleurs la triste chaîne,
Le cortège des maux hideux,
Attachés à l’espèce humaine :
Dans les folles ambitions,
Que d’espérances mensongères !
Dans nos tendres affections,
Que d’affreuses déceptions !
Au milieu de tant de misères,
Est-il, pour repousser la mort,
Un but qui mérite un effort ?

De ces vérités l’âme empreinte,
Le sage arrive à ce sommeil,
Qui n’a ni songe ni réveil,
Sans proférer aucune plainte.

Ainsi donc ce champ de repos,
Ce cimetière dont l’enceinte
Renferme une égalité sainte,
Loin de jeter à tout propos,
Le trouble, l’effroi dans la vie,
Doit plutôt exciter l’envie ;
Car ce néant des passions,
Ce calme, si cher au vieil âge,
Apporte, au terme du voyage,
De douces consolations.

Sur cette éternité divine,
Dont on nous promet le secours,
Sur le sort que Dieu nous destine,
Un voile est fixé pour toujours :
Ainsi n’espérons rien surprendre,
Nous avons des sens imparfaits,
Ne nous occupons que des faits
Que Dieu nous permet de comprendre.
Le philosophe a beau prétendre
Vouloir sur ce point discuter,
Il ne nous apprend qu’à douter.


C’est encor le fameux que sais-je
Qui redouble notre embarras ;
Quand je ne serai plus, serai-je ?
Qu’étais-je avant de n’être pas ?
Pauvres humains, que de peut-être !
L’un nous affirme qu’en mourant
Nous retournons dans le néant
Où nous étions avant de naître ;
L’autre, prompt à se réjouir,
Voit dans un céleste avenir
Mille félicités suprêmes
Qui ne doivent jamais finir.
Laissons ces doctes discourir,
Et croyons qu’en fait de systèmes,
Le plus sage est de s’abstenir.

Sur un point facile à connaître,
Concentrons plutôt notre esprit :
Voyez ce brin d’herbe paraître,
Il fructifie et se flétrit.
C’est la même loi pour chaque être,
Tout s’anime et bientôt périt.
Un peu d’humus ou de poussière
Doit remplacer nos plus beaux jours ;
Telle est la destinée entière
De notre espoir, de nos amours,
Toute existence est éphémère.
Homme, accepte la loi du temps,

Point de regret, point de chimère.
Si tu rêves des jours exempts
De toute peine douloureuse,
Si tu t’es fait d’un si beau sort
L’idéal d’une vie heureuse,
Cet idéal est dans la mort.

Arnal.

NOTES

  « La mort, c’est le repos parfait. »

« On peut affirmer que tout ce qu’il y avait de grand, d’élevé dans le monde romain subissait l’influence de cette école qui rangeait au nombre des choses indifférentes la vie et la mort. Zénon, fondateur de la secte, voulut joindre l’exemple au précepte. On rapporte qu’un jour, étant tombé et s’étant cassé un doigt, il frappa la terre de sa main en s’écriant : « Me demandes-tu ? je suis prêt ! » Et sans tarder davantage, il se donna la mort. Ses disciples suivirent en foule son exemple. Nous nous bornerons à citer les noms de Caton et de Sénèque. »

(Du Suicide, etc. Brierre de Boismont.)





   « Est-il, pour repousser la mort,
   » Un but qui mérite un effort ? »

M. de Chateaubriand a dit dans ses Mémoires d’outre-tombe : « À mesure que ces Mémoires se remplissent de mes années écoulées, ils me représentent le globe inférieur d’un sablier constatant ce qu’il y a de poussière tombée de ma vie. Quand le sable sera passé, je ne retournerai pas mon horloge de verre, Dieu m’en eût-il donné la puissance.



  « Le trouble, l’effroi dans la vie. »

Les deux vers suivants traduisent assez bien la fameuse recette d’Épicure, répétée dans tous les âges :


  « Pourquoi contre la mort tant de cris superflus ?
  » Je suis, elle n’est pas ; elle est, je ne suis plus. »

Cicéron dit dans son traité De la Vieillesse : « Si la mort nous anéantit, elle est indifférente ; si elle nous conduit à un séjour d’immortalité, elle devient désirable. Or, il ne peut bien certainement y avoir une troisième hypothèse. Qu’ai-je donc à redouter, puisque dans un cas je ne puis être malheureux, et que je jouis dans l’autre d’un bonheur éternel ? »

(Édition Panckoucke.)




  « Apporte au terme du voyage
  » De douces consolations. »

On a dit sagement : « Si la vie est un bien, la mort est son fruit ; si la vie est un mal, la mort est son terme. »




   « Sur le sort que Dieu nous destine
   » Un voile est fixé pour toujours. »

« La Providence, qui voulait nous retenir quelque temps sur cette terre, a bien fait de couvrir d’un voile l’espérance de la vie à venir. Si nos yeux pouvaient voir clairement l’autre bord, qui resterait sur cette rive désolée ? qui n’en partirait pas pour rejoindre ? »

(Madame de Staël.)





   « L’un nous affirme qu’en mourant
   » Nous retournons dans le néant
   » Où nous étions avant de naître. »


« Quant à la sombre, à l’éternelle question que chacun se fait dans la profondeur et l’effroi de sa conscience : Que deviendrai-je après mon existence actuelle ? la réponse a été faite depuis longtemps. Vous deviendrez ce que vous étiez quo non nata jacent, où sont les choses qui ne sont pas encore, comme on le proclamait en plein théâtre, à Rome. Avant votre naissance, avez-vous gémi de ne pas être ? éprouviez-vous de la douleur, de l’angoisse, des plaisirs inquiets, troublés, incertains ? Non, sans doute. Il en sera de même lorsque, parvenu au dernier terme de l’existence, votre corps rendra aux éléments ce qu’il en avait emprunté temporairement.

» Du reste, une chose est évidente pour nous : c’est que nous n’existons que par des organes ; c’est par eux et en eux que nous vivons, que nous sentons, que nous sommes ; au delà, nous ne comprenons plus rien.

« C’est une chose si bornée, si vague, si incomplète que l’échelle de nos certitudes, qu’il est impossible de s’en rapporter uniquement à nos perceptions. L’homme n’a que des moyens humains pour connaître ; alors lui est-il donné de concevoir ce qui est au-dessus de ces moyens ? et parce qu’il ne les comprend pas, est-il en droit de les nier ? Le cerveau de l’homme mort reste avec lui sous la terre et s’y décompose ; peut-on regarder comme démontré que la pensée immatérielle s’enfonce également, pour n’en plus sortir, dans le sombre royaume du néant ? Eh quoi ! la puissance divine ne saurait-elle donner des perceptions à l’âme que par celles du corps ? Nous l’ignorons, dites-vous ; alors pourquoi affirmer qu’il n’en est rien ? »

(Traité de la Vieillesse. Réveillé-Parise.)





   « Voit dans un céleste avenir
   Mille félicités suprêmes
   Qui ne doivent jamais finir. »


« Peut-être jouirons-nous de ce vrai au delà duquel il n’y a plus de vrai à connaître ; de ce bien au delà duquel il n’y a plus de bien à désirer ; peut-être aussi verrons-nous d’autres cieux, un autre soleil ! « Le nôtre est beau, disait le vieux et excellent Ducis, toutefois je m’attends à mieux ! » Mais nous n’avons sur ces objets tant désirables, tant désirés, aucune idée juste, aucune notion, aucun rayon de lumière ; car la mort imprime comme un cachet suprême d’immutabilité sur les êtres qu’elle a touchés. »

(Traité de la Vieillesse. Réveillé-Parise.)