La Mort d’Artus/24
XXIV
Après le souper, Lancelot parla à ses compagnons.
— Seigneurs, ceux de Logres ne peuvent guère se réjouir, car, bien qu’ils soient plus nombreux, ils n’ont, Dieu merci, rien gagné sur nous. Je souhaite que nous sortions demain encore et les attaquions. Mais, s’il vous est avis que mieux vaut rester dans le château, je ferai votre volonté.
Tous s’accordèrent à dire qu’ils préféraient le travail au repos. C’est pourquoi, avant même que le soleil eût pris vie, ils s’armèrent et descendirent dans la plaine en bon ordre, où les gens du roi avancèrent à leur rencontre.
Hector d’une part et de l’autre messire Gauvain conduisaient les deux premières échelles. Dès qu’ils s’entr’aperçurent, ils ne perdirent pas leur temps à se faire des menaces : vous les eussiez vus mettre leurs écus peints et vernis devant leur poitrine, brocher rudement des éperons et laisser courre, leurs grosses lances allongées ; et chacun d’eux appuya si bien son coup qu’ils n’eurent ni poitrail, ni sangle, ni arçon d’arrière assez fort pour ne pas rompre : ils volèrent à terre où ils demeurèrent gisants, faisant la nuit du jour. Aussitôt les chevaliers du château d’accourir : sans doute eussent-ils enlevé monseigneur Gauvain, si ceux de Logres ne fussent venus à la rescousse. Et la mêlée dura dans les prés, au bord de la rivière de l’Ombre, depuis l’aube jusqu’à la nuit : sachez qu’au soir il n’était plus une seule armure entière.
Ce jour-là, le roi Artus porta les armes, et certes aucun homme de son âge n’eût fait les prouesses qu’il accomplit, car il avait bien alors soixante et quinze ans. Vers l’heure de none, il rencontra Lancelot et lui courut sus aussitôt, l’épée haute. Lancelot ne voulut pas frapper : il se contenta de se couvrir de son écu, de façon que le coup glissa et tomba sur l’échine de son cheval qui en fut occis. Mais Hector, courroucé de voir son frère à terre, s’élança et, d’un premier coup de taille sur le heaume, il étourdit le roi, puis d’un second le fit choir de son destrier ; après quoi il cria à Lancelot :
— Sire, coupez-lui la tête. Voilà notre guerre finie !
— Que dites-vous, Hector ? Il m’a fait si souvent bien et honneur que je le protégerai de tout mon pouvoir.
Et comme son écuyer lui amenait un destrier, il le présenta au roi.
— Sire, dit-il, vous m’avez souvent donné de beaux chevaux. Montez, s’il vous plaît, celui-ci, et gardez-vous mieux une autre fois.
Grâce à quoi le roi s’en fut sain et sauf, songeant en son cœur que Lancelot venait de passer en courtoisie tous les chevaliers présents et à venir. Néanmoins la bataille recommença le lendemain. Et ainsi dura le siège de la Joyeuse Garde pendant deux mois et plus.