La Mort de Cochon

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La Mort de Cochon
Desray (2p. 279-292).


LA MORT DE COCHON,

Chien de M. le Maréchal de Vivonne.

Le théâtre s’ouvre, et représente une terrasse de plain-pied aux gouttières.


Scène première.


MIMY, MARMUSE, CHŒUR DE CHATS DU VOISINAGE.
MIMY.

Je ne puis plus souffrir les rigueurs dont Grisette
Paye mes soins et mon tourment ;
Pour Cochon, tu le sais, l’ingrate me maltraite.
Ciel ! quel dérèglement !
Une chatte choisir un chien pour son amant !
Conçois-tu bien, mon cher Marmuse,

L’excès des peines que je sens ?
Depuis deux ans
Un vilain chien possède un cœur qu’on me refuse.

MARMUSE.

À votre désespoir, Mimy,
Je ne puis exprimer combien je suis sensible ;
J’ai vers la belle gloire une pente terrible ;
Et de plus, je suis votre ami.
Croyez-moi, quittez une chatte
Assez peu délicate
Pour préférer un chien au plus parfait des chats.

MIMY.

Je ne saurois cesser d’adorer ses appas.
Mais il faut aujourd’hui que ma vengeance éclate.
Ami, ne m’abandonne pas ;
Viens m’aider à punir une maîtresse ingrate.

MARMUSE.

Quand il faut vous servir, pour moi rien n’est sacré.
Allons, je vous offre ma patte,
Disposez-en à votre gré.



Scène II.


MIMY, MARMUSE, CAFAR, CHŒUR DE CHATS DU VOISINAGE.
CAFAR.

Apprenez, beaux matoux, une grande nouvelle.
Cochon vient de perdre le jour ;
Une rage affreuse et cruelle
À Grisette a ravi l’objet de son amour.

MARMUSE.

Le cœur de Grisette
Est donc à louer.
Avec la coquette
Qui veut se jouer ?
Pour moi, qui me pense
Un chat d’importance,
Je ne ferai rien
Qui vous fasse dire
Que mon cœur aspire
Aux restes d’un chien.


MIMY.

Quelle main favorable a lavé notre injure
Dans le sang de ce chien maudit ?
Cafar, faites-nous le récit
De cette agréable aventure.

MARMUSE.

Ne va pas imiter le style triomphant
D’un genre de mortels que beaux-esprits on nomme.
La mouche entre leurs mains devient un éléphant ;
Et l’on pourroit aller de Paris jusqu’à Rome,
Avant qu’ils eussent dit le chagrin d’un enfant
À qui l’on dérobe une pomme.

CAFAR.

Je n’ai garde d’être si sot.
Un village ici près, qu’on appelle Chaillot,
Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme…

MARMUSE.

Justement, t’y voilà. Nous pouvons faire un somme
Avant que nous soyons à la mort de Cochon.
Harangueur fastueux, dont l’éloquence assomme,
Puisse-t-on de ta peau bientôt faire un manchon !

CAFAR à Mimy.

Ce fou vous est-il nécessaire ?


MIMY.

Ne vous amusez pas à ses emportemens.

CAFAR.

Sachez donc que depuis un temps,
Chaillot est devenu le séjour ordinaire
D’un maréchal vaillant comme défunt César,
Sage comme un Caton, savant comme un Homère.

MARMUSE.

Alte-là, mon ami Cafar ;
L’éloge n’est pas ton affaire.
Nous connoissons ce maréchal,
Ce qu’il a fait, ce qu’il peut faire ;
Et nous l’aimons, foi d’animal.

CAFAR à Mimy.

Ne voulez-vous pas faire taire
Ce petit fripon de matou ?

MIMY

Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire.

MARMUSE.

Qu’il me soit donc permis de bâiller tout mon soûl.

CAFAR.

Cochon trop orgueilleux des faveurs de son maître,
De tous les autres chiens attirant le courroux,

C’en est trop, dirent-ils, vengeons-nous, vengeons-nous ;
Il faut nous défaire d’un traître.
La rage à cet instant vient s’offrir devant eux :
Qu’un de vous aujourd’hui, dit-elle, me reçoive ;
Sans qu’on s’en apperçoive,
Je punirai cet orgueilleux.
Citron, sans tarder davantage,
Ouvre toute son ame à la cruelle rage.
D’abord ce chien adroit
Parcourut le village,
Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit,
Et l’envoya là-bas tout droit.

MIMY.

La fortune pour nous devient donc favorable.
Ce chien, ce rival redoutable,
Pour qui nos tendres soins ont été négligés,
A subi des destins l’arrêt irrévocable ;
Mais peut-être les maux dont l’amour nous accable
N’en seront pas plus soulagés.
Grisette pleurera ses plaisirs dérangés.
Quand on aime, est-ce un avantage
De voir du fier objet à qui l’on rend hommage
Les beaux yeux toujours affligés ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.


MARMUSE à Mimy.

Au lieu de vous répandre en de belles paroles,
Nous ferions mieux d’aller à pas bien ménagés,
Dérober là-bas quelques soles,
Ou de certains chapons de graisse tous chargés,
Que je sais qu’on n’a pas mangés.

MIMY.

Marmuse, un autre soin m’occupe.

MARMUSE.

En héros de roman, comme une franche dupe,
Cher ami, vous vous érigez.

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.



Scène III.


GRISETTE, MIMY, MARMUSE, CAFAR,
CHŒUR DE CHATS DU VOISINAGE.
GRISETTE.

Cruels matous, qu’osez-vous dire ?
Songez-vous que vous m’outragez ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.

GRISETTE.

À mes cruels ennuis je ne saurois suffire.
Mon juste désespoir va finir mes malheurs ;
Miaou, miaou, coulez, coulez, mes pleurs.
Malgré la haine naturelle
Que le ciel, en naissant, imprima dans nos cœurs,
Cochon désarma mes rigueurs,
Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle.
Miaou, miaou, coulez, coulez, mes pleurs.

MARMUSE
.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.


CHŒUR DE CHATS.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.

GRISETTE.

Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
Son trépas demande le mien.
Mourons pour cet illustre chien ;
À ses mânes errans immolons-nous nous-même.
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
Son trépas demande le mien.

MIMY.

Ce n’est donc pas assez, chatte injuste et barbare,
D’avoir trahi votre gloire
Par une passion bizarre ?
Quand la mort d’un rival rallume mon espoir,
Il faut encor me faire voir
Tout ce qu’à mon amour votre douleur prépare ?
Craignez que cette patte… Ah ! ma raison s’égare.
Je frissonne… Je meurs…

MARMUSE à Mimy.

Je frissonne… Je meurs… Bonsoir.

(à Grisette.)

C’est un diable quand on l’irrite ;
Ne vous exposez pas à son ardent courroux :
À contenter ses feux tout en lui vous invite.

Cochon n’avoit d’autre mérite
Que celui d’être aimé d’un héros et de vous.

GRISETTE.

Son choix autorisoit ma fatale foiblesse.
On sait pour mon amant la douleur qui le presse.
Mon cher Cochon étoit le plus beau des toutous.
Miaou, miaou.

MARMUSE.

Miaou, miaou. Peste des miaous !
Beauté capricieuse,
Soyez un peu moins précieuse ;
Le ridicule suit de bien près les grands goûts.
Cet assemblage de merveilles,
Ce Cochon, ce chien tant aimé,
Étoit sans queue et sans oreilles.
Il fut, dit-on, sauvé de l’égoût de Marseilles,
Et Cochon fut nommé,
Tant il avoit de l’air de cette bête immonde.
Il sortoit de sa gueule une certaine odeur
Qui se faisoit sentir de cent pas à la ronde.
Il ne lui restoit plus qu’un œil distillateur.
C’étoit, à cela près, le plus beau chien du monde.

GRISETTE.

Non. Cochon étoit fait pour enflammer un cœur.


CHŒUR DE CHATS.

Non. Cochon étoit fait pour faire mal au cœur.

MARMUSE.

Durant tout le cours de sa vie
Il ne se passa jour, je n’en excepte aucun,
Qu’il ne lui prît une sincère envie
De dévorer toujours quelqu’un :
Chapons, perdrix entroient dans sa panse profonde,
Sans qu’il prît soin de les mâcher.
Caresses ni bienfaits ne pouvoient le toucher ;
C’étoit, à cela près, le meilleur chien du monde.

GRISETTE.

Ose-t-on à mon cœur porter de pareils coups !
Ah ! que d’horreurs et quel blasphème !
Redoutez, médisans matous,
Redoutez ma fureur extrême ;
Tremblez, tremblez tous.
Toi, divine Vénus, dont je suis descendue,
Viens ici défendre mes droits.
Ne laisse pas pour moi ta tendresse inconnue ;
Punis des habitans des toits
La brutale et dure insolence.
C’est en moi ton sang qu’on offense.


MARMUSE.

Nous redoutons peu sa vengeance ;
Un chat au bord du Nil fut jadis son époux,
Et nous avons fait connoissance
Tandis qu’elle étoit parmi nous.
Cessez donc d’invoquer la charmante déesse ;
Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.

CHŒUR DE CHATS.

Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.

GRISETTE.

Je dois à Cochon ma tendresse.
Dussiez-vous être encor mille fois plus jaloux,
Vous verrez à quel point pour lui je m’intéresse.

CHŒUR DE CHATS.

Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.

MARMUSE.

Menuet.

Il faut n’être pas mal folle
Pour aimer un amant mort.
Les humains en sont d’accord :

On apprend à leur école
Que l’absent a toujours tort.

MIMY.

L’ingrate a déjà fait retraite,
Elle fuit mes feux irrités.
Ah ! cruelle chatte, arrêtez,
Grisette, Grisette, Grisette.

CHŒUR DE CHATS.

Grisette, Grisette, Grisette.
Ah ! cruelle chatte, arrêtez.



Scène IV


L’AMOUR, MIMY, MARMUSE, CAFAR,
CHŒUR DE CHATS.
L’AMOUR à califourchon sur une gouttière.

Tendre matou, laissez-la faire :
Votre infortune finira ;
J’en jure par mon arc, j’en jure par ma mère.
La constance est une chimère,
Dont Grisette se lassera.

CHŒUR DE CHATS.

Croyons, croyons l’Amour ; ce dieu nous vengera.


AIR.


Non, rien ne peut égaler mon ennui.
J’aime depuis long-temps un berger qui m’adore ;
Et de ma tendresse aujourd’hui
Ce charmant berger doute encore.
Hélas ! peut-il douter que mon cœur soit à lui,
Quand, malgré tous mes soins, personne ne l’ignore ?
Non, rien ne peut égaler mon ennui.


MADRIGAL.


Tircis voudroit cacher le beau feu qui l’enflâme :
Ses yeux et ses soupirs, tout trahit son secret.
Quand l’Amour règne dans une ame,
L’Amour, le tendre Amour est toujours indiscret.