La Muse gaillarde/La Caille
Un jour, Adam dit à son Ève :
« Hélas ! sommes-nous donc réduits
À ne manger rien que des fruits ?
Ce n’est pas mauvais… mais je rêve
De manger des mets inédits.
Je pense, ou le Diable m’enlève,
Qu’il en est dans le Paradis.
Ainsi, tous ces oiseaux sonores,
Aux plumages multicolores,
Qui braillent la nuit et le jour,
Je suis convaincu, mon amour,
Qu’ils sont mangeables. Aussi, vais-je
Essayer d’en prendre un au piège. »
Adam était industrieux.
Il fit un piège de son mieux.
Bientôt après, une volaille
Y fut prise — soit, une caille.
Sans plus tarder, il la pluma
La vida de tout son magma,
Et, comme aussi le premier homme
Avait l’instinct d’un gastronome,
Il la fit cuire lestement
Sur un joli feu de sarment,
Non, d’ailleurs, sans qu’il la souligne
D’une large feuille de vigne.
Ce fut un vrai régal de rois,
Dont ils se léchèrent les doigts.
Mais, me direz-vous, une caille
Pour deux, c’est maigre victuaille.
De nos jours, c’est bien évident,
Une caille est un cure-dents ;
Mais, à ces époques heureuses,
Les cailles étaient monstrueuses.
Un autre jour, que son époux
Était, pour être moins debout,
Couché dans la forêt voisine,
C’est Ève qui fut de cuisine.
Elle prit une caille aussi,
Et la fit cuire tout ainsi
Qu’elle avait vu faire à son homme.
Et voici qu’au déclin du jour,
Quand celui-ci fut de retour,
À l’heure de la boustifaille,
Ils se partagèrent la caille.
« Oh ! oh ! mes compliments, dit-il —
Cette caille encor plus m’agrée
Que celle par moi préparée.
Je lui trouve un goût plus subtil,
Un je ne sais quoi de suprême…
— Tu dis ça parce que tu m’aimes
Ou bien c’est qu’alors, mon petit,
Tu te sens plus en appétit,
Aujourd’hui. — Non, non, je t’assure,
J’en ferai la même gageure… »
— Pourtant, les cieux me soient témoins !
Je suivis ta façon, pas moins,
Sans m’en écarter d’une ligne.
Sauf, je pris pour feuille de vigne,
N’en trouvant pas sur mon chemin,
Dit la suave créature —
Celle que j’avais sous la main
Et qui me servait de… ceinture. »