La Musique au point de vue sociologique

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La Musique au point de vue sociologique
Revue des Deux Mondes4e période, tome 135 (p. 69-104).
LA MUSIQUE
AU POINT DE VUE SOCIOLOGIQUE

Sous ce titre : l’Art au point de vue sociologique, un penseur et un écrivain dont on ne saurait assez déplorer la perte, Guyau, laissa naguère un beau livre, mais un livre incomplet. Un grand sujet n’y est traité qu’en partie, et la littérature presque seule y est considérée au point de vue annoncé. Ainsi l’ouvrage trahit quelque peu son titre et l’attente du lecteur. Ce que fit Guyau pour l’art littéraire, la tentation nous est venue de l’essayer pour l’art proprement dit, ou plutôt pour un des arts, la musique, et de chercher ce qu’il y a de sociologique ou social dans sa nature, son histoire et ses effets. Si peu que soit notre étude, c’est au jeune maître disparu que nous en empruntons non seulement l’idée, mais les élémens. C’est sur son propre fonds, d’après lui et selon lui, que nous avons travaillé, sans rien souhaiter que de vérifier dans l’ordre particulier de la musique les principes généraux qu’il a posés.


I

« La conception de l’art, a écrit Guyau, la conception de l’art, comme toutes les autres, doit faire une part de plus en plus importante à la solidarité humaine, à la communication mutuelle des consciences, à la sympathie tout ensemble physique et mentale qui fait que la vie individuelle et la vie collective tendent à se fondre. Comme la morale, l’art a pour dernier résultat d’enlever l’individu à lui-même et de l’identifier avec tous. »

Voilà le point de départ et le thème à développer. Une chose est certaine : de même que la philosophie et la science créent la communauté des idées et la morale celle des volontés, l’art, comme la religion à laquelle il ressemble en ceci, l’art établit la communauté des sentimens. Il possède donc un merveilleux pouvoir d’unifier, et, pour ainsi dire, de socialiser ; car en nous il n’est rien d’aussi particulier, d’aussi individuel que la sensibilité. Par elle encore plus que par l’intelligence nous différons les uns des autres ; par elle chacun de nous est le plus irréductible et le plus inconciliable. Et parce que nous ne possédons rien d’aussi personnel que notre sensibilité, nous n’estimons rien non plus aussi précieux. Elle est nous à ce point, qu’elle nous semble quelque chose même de supérieur à nous, et mon amour, dit très bien Guyau, « mon amour est plus vivant et plus vrai que moi-même. » Aussi est-ce à leur sensibilité que les hommes ont coutume de faire les plus grands sacrifices, et jusqu’à celui de la vie. C’est de la sensibilité, — je prends le mot dans la plus forte, la plus noble acception, — de la sensibilité non moins que de l’intelligence, que le martyre est l’héroïque effort. Les raisons des grands cœurs sont généralement de celles que la raison ne connaît pas. Oui meurt pour sa foi ne meurt peut-être pas tant pour ce qu’elle contient de croyance et de certitude, que pour ce qu’elle renferme d’amour. Mais que parlons-nous de mourir ? L’humanité vit encore plus, j’entends de la vie supérieure, par les sentimens partagés que par les idées communes. Pour quelques hommes, et pour tous les hommes, il importe moins de penser que de sentir pareillement ; savoir les mêmes choses ne suffit point : il faut les aimer. La solution du problème social serait dans la fraternité non pas des esprits, mais des âmes, et si l’on a justement dénoncé la banqueroute de la science, c’est que la science, qui nous rassemble tous par l’intelligence, est impuissante à lier seulement deux d’entre nous par le cœur.

Ainsi l’art est un agent sociologique incomparable, ou comparable à la seule religion, parce qu’il agit comme elle sur la sensibilité. Ainsi la beauté peut être, plus que la vérité même, créatrice d’unanimité. On prend la foule et on la conduit par les passions encore mieux que par les idées, par l’émotion plutôt que par l’évidence. Quelle démonstration mathématique excitera dans une assemblée l’enthousiasme que soulève une symphonie ou seulement léchant d’une voix humaine ? Quel savant fut jamais acclamé comme un ténor ? Il arrive même que la science emprunte à l’esthétique certains mots dont elle aime à se parer. On dira que la solution d’un problème est « élégante », et Guyau nous propose comme un « beau » spectacle, celui « d’une intelligence suivant une direction, se proposant un but, faisant effort pour y arriver, écartant les obstacles ; d’une volonté, et, qui plus est, d’une volonté humaine, avec laquelle nous sympathisons, dont nous aimons la lutte, les efforts, le triomphe. Il y a quelque chose de passionné et de passionnant dans une suite de raisonnemens aboutissant à une vérité découverte, et c’est par ce côté qu’elle est esthétique. »

L’art est donc un fait ou un phénomène essentiellement sociologique, parce qu’il est essentiellement un phénomène ou un fait de sensibilité. « L’important, avait coutume de dire une vieille et douce gardienne de notre enfance, l’important c’est de se perdre de vue. » Elle avait raison. Cela est l’important, et en toutes choses. C’est le dernier mot de l’esthétique aussi bion que de la morale ; c’est la beauté suprême et le suprême bienfait du génie autant que de la vertu. Il faut que l’artiste se perde de vue, ou plutôt ne se regarde que pour les autres ; qu’il se considère comme ; leur appartenant, comme étant créé, et créateur surtout, pour leur profit et leur joie. Ainsi se vérifie cette définition de l’art donnée par Guyau : « L’extension de la société par le sentiment. » Ainsi l’art devient charité. Ainsi l’ordre du beau concorde avec l’ordre du bien, tel que l’a réglé la loi divine. « Aime Dieu de tout ton cœur… Aime ton prochain comme toi-même. Nul autre commandement n’est plus grand que celui-là. » En se proposant de nous faire aimer encore plus que comprendre ensemble, l’art établi ta sa manière la primauté, sur le précepte même de l’esprit, du précepte du sentiment, du précepte de l’amour.


II

La musique est le plus sociologique des arts.

Elle l’est d’abord parce que le son est l’agent social par excellence. « Les instincts sympathiques et sociaux sont au fond de toutes les jouissances de l’oreille. Pour l’être vivant, le plus grand charme du son, c’est qu’il est essentiellement expressif. Il lui fait partager les joies et surtout les souffrances des autres êtres vivans… La douleur qui s’exprime par la voix nous émeut en général plus moralement que celle qui s’exprime par les traits du visage ou par les gestes[1]. » De cette valeur sociale du son, la nature et l’art rendent également témoignage. Plus que le mouvement et plus que la lumière, le son révèle l’existence et l’exprime. Si les sourds sont généralement plus tristes que les aveugles, c’est que l’ouïe est encore plus nécessaire que la vue à la perception de la vie extérieure. Sous le soleil éclatant le désert semble mort parce qu’il est immobile sans doute, mais surtout parce qu’il se tait, et sur le seuil des « espaces infinis », Pascal s’est effrayé non de leurs ténèbres, mais de leur silence. De l’ordre réel passant à l’ordre esthétique, nous reconnaîtrons encore que la musique est le mode par excellence de l’évocation ou de la représentation de la vie. Jamais l’Orphée de marbre ne lit couler autant de pleurs que l’Orphée qui chante, et sous le plafond de la Sixtine ou devant le tombeau des Médicis, Beethoven, le Beethoven des sonates et des symphonies, oserait peut-être nous dire : « Voyez si cette douleur même est égale à ma douleur ! » Quelle joie aussi fut jamais égale à sa joie ! Allez entendre le finale de la Symphonie héroïque ou de l’ut mineur, et dites à votre tour de quel tableau de Rubens, fût-ce le plus exalté, le plus triomphal, déborde une pareille allégresse.

Cette faculté de créer la vie et de provoquer par-là notre sympathie, la musique la doit à ses analogies avec le langage. La musique, on l’a remarqué justement, « a recueilli, pour l’accentuer et l’enrichir démesurément, toute la partie réaliste du langage instinctif[2]. » Elle est donc restée et restera toujours, elle aussi, un langage : celui de la sensibilité et non de l’entendement ; langage naturel et non fabriqué ni convenu, plus ressemblant, plus adéquat que le langage des mots aux sentimens qu’il exprime. Sur la communauté originelle et la séparation ultérieure de l’un et de l’autre, sur les droits de la musique à demeurer, à devenir de plus en plus une langue, et quelle langue ! Wagner a laissé des pages auxquelles on ne saurait trop souvent revenir. « Issue, dit-il, d’une signification des mots toute naturelle, personnelle et sensible, la langue littéraire de l’homme se développa dans une direction de plus en plus abstraite, et finalement les mots ne conservèrent plus qu’une signification conventionnelle ; le sentiment perdit toute participation à l’intelligence des vocables, en même temps que l’ordre et la liaison de ceux-ci finirent par dépendre, d’une façon exclusive et absolue, de règles qu’il fallait apprendre. Dans leurs développemens nécessairement parallèles, les mœurs et la langue furent parallèlement assujetties aux conventions dont les lois n’étaient plus intelligibles au sentiment naturel, et ne pouvaient plus être comprises que de la réflexion, qui les recevait sous forme de maximes enseignées. Depuis que les langues modernes de l’Europe, séparées en des branches différentes, ont suivi avec une tendance de plus en plus décidée leur perfectionnement purement conventionnel, la musique s’est développée de son côté et est parvenue à une puissance d’expression dont il n’existait encore aucune idée. On dirait que sous la pression des conventions civilisées, le sentiment humain s’est exalté et a cherché une issue qui lui permît de suivre les lois de la langue qui lui est propre et de s’exprimer d’une manière qui lui fût intelligible, avec une entière liberté et une pleine indépendance des lois logiques de la pensée… Le développement moderne de la musique a répondu à un besoin profondément senti de l’humanité, et malgré l’obscurité de sa langue selon les lois de la logique, elle se fait nécessairement comprendre de l’homme avec une puissance victorieuse que ces mêmes lois ne connaissent pas[3]. »

Agissant ainsi sur la sensibilité, ce sont des rapports de sensibilité que la musique établira toujours. N’ayons pas d’autre prétention pour elle. Si nous l’entraînions hors de son domaine, elle trouverait des musiciens même pour l’y ramoner. On connaît le mot de Grétry. Un de ses amis prétendait que la musique peut tout exprimer. « J’en demeurerai d’accord, répondit l’auteur de Richard Cœur de Lion, si dans le restaurant où nous allons entrer vous réussissez à commander votre dîner en musique. » Grétry avait raison : la musique ne dit pas tout, et l’on ne demandera jamais du pain en musique. Mais l’homme ne vit pas seulement de pain, et voici la contre-partie nécessaire de l’anecdote de Grétry. Beethoven, dit-on, alla voir un jour une mère dont le fils était mort. Elle vint à sa rencontre ; mais lui, se détournant, se mit au piano sans mot dire. Il joua longtemps, et quand il eut achevé, toujours silencieux, il sortit. La musique avait accompli ce jour-là sa plus haute mission sociale : mieux que ne l’eût fait le langage même, elle avait compati, peut-être consolé.

Non seulement entre les hommes, mais entre l’homme et les animaux, entre les animaux eux-mêmes, la musique établit des rapports, assez vagues sans doute, que seule pourtant elle est apte à créer. L’animal ne perçoit du langage que les élémens musicaux : le timbre, la hauteur, l’intensité du son. L’intonation et non le sens de nos discours, affectueux ou sévères, le réjouit ou l’attriste ; il n’obéit pas à la parole, mais à la voix. Aux instrumens eux-mêmes, les bêtes ne sont pas insensibles. Le serpent du charmeur écoute, comprend peut-être ce que soupire la flûte de roseau, et le clairon sonnant la charge fait battre à l’unisson le cœur du cheval et celui du cavalier. Le ranz des vaches est le plus connu, mais non le seul exemple de l’effet sociologique de la musique sur les animaux. Quand le taureau du cirque a refusé obstinément le combat, on envoie vers lui des bœufs portant une clochette au cou, et la clochette, encore mieux que la vue de ses compagnons, la clochette, par le souvenir et l’espérance de la prairie, attire hors de l’enceinte L’animal qui n’a pas voulu mourir. Enfin entre le pâtre et son troupeau qui douterait que la musique crée des liens mystérieux ? Interprète de sympathie el de mutuelle tendresse, sans que le troupeau, ni peut-être le pâtre sache l’entendre, elle dit l’humble vie vécue ensemble contre le sein de la commune mère. Entre l’homme et les créatures inférieures, entre ce maître et ces serviteurs, elle établit ou rétablit ainsi des rapports bienveillans, presque fraternels. Elle étend le règne de la charité et de l’amour, et d’un François d’Assise, du saint qui rachetait les agneaux et les nommait ses frères, l’âme peut chanter quelquefois sur les lèvres d’un berger.

Par la musique nous communiquons, je dirais presque nous communions avec la nature elle-même. La nature est la grande musicienne, et qui la regarderait sans l’écouter, risquerait de ne la point comprendre toute. Si l’écho n’est plus la voix de la nymphe pleurant le bel adolescent qu’elle aimait et qui n’aimait que lui-même, il est encore une voix pourtant : celle des bois, des rochers, des eaux, de toutes ces grandes choses qui, muettes, nous seraient étrangères, mais qui nous deviennent amies dès que nous leur parlons et qu’elles nous répondent. Oui, par ses harmonies autant que par ses spectacles la nature nous est associée et mêle un peu de son âme obscure à notre âme.


O flots, que vous savez de lugubres histoires !
…..
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous.


Il n’est pas besoin d’être poète pour sentir que le vent gémit, que la source rit ou pleure, et quand Mme de Sévigné appelait le rossignol une feuille qui chante, elle savait bien qu’on doute parfois si ce sont les feuilles qui chantent, ou les oiseaux. Il y a dans l’Artésienne une page où je trouve un exemple admirable de la sympathie, de la solidarité universelle que peut créer la musique. C’est le soir, au bord d’un étang de Camargue. Sur l’épaule de Balthazar, Frédéri vient de reposer longtemps sa pauvre tête déjà plus qu’à demi égarée. Le vieillard et l’enfant ont souffert, pleuré ensemble. Ils s’en vont ; on entend là-bas d’invisibles bergers rappeler leurs bêtes ; la scène reste vide et l’orchestre seul fait courir un frisson sur les roseaux. Alors tout s’enveloppe de mélancolie. Tout, jusqu’à ces pâtres, à ces troupeaux que nous ne voyons pas, jusqu’à l’étang, jusqu’à l’immense plaine, tout s’attriste d’une commune tristesse, et quelques accords suffisent pour établir entre les hommes, les animaux et les choses même, l’unanimité de l’inquiétude et de la douleur.

La nature sociologique de la musique apparaît encore ailleurs, et notamment en ce fait incontestable, que la musique est l’art populaire entre tous. Il existe une musique populaire, tandis qu’une peinture, une sculpture, une architecture populaire, n’existent pas. La musique est le seul art auquel participe, dans une certaine mesure, le génie impersonnel et l’âme anonyme de la foule. Pourquoi ? Parce que, suivant la formule heureuse d’Emile Hennequin, « la perception des sentimens dans leur mode auditif est plus commune que dans leur mode optique. » Plus commune, parce qu’elle est plus facile et plus à la portée de tous. Qui sait, disait Musset invoquant la musique,


Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
Dans tes soupirs divins nés de l’air qu’il respire !


Il avait raison, et pour faire œuvre musicale, il ne faut parfois qu’un souffle, respiré par une poitrine d’enfant.

La musique en outre est le seul art qui soit associé, ou susceptible de l’être, à la plupart des actes de notre vie collective ou sociale. La musique nous suit de la naissance à la mort. Elle chante près du berceau ; elle chante encore devant la tombe. On sait comment elle se mêle à la religion et à la guerre, à la danse et aux banquets, à toutes les solennités et à toutes les fêtes. Il y aura toujours des chansons de table ; il y avait naguère des « chansons de lit ». À la plus élémentaire mais à la plus essentielle des relations sociales, — c’est l’amour que je veux dire, — la musique ne demeure point étrangère. Loin d’effaroucher les amans, elle les enivre davantage. Ils le savent bien, et c’est pour cela que souvent ils l’appellent. « Si la musique est l’aliment de l’amour, jouez toujours, donnez-m’en avec excès… Encore cet air, il avait une telle chute mourante ! Oh ! il arrivait à mon oreille comme le doux vent du sud qui souffle sur un banc de violettes, dérobant et donnant à la fois des parfums. » Ainsi parle, j’allais dire ainsi chante Orsino, le beau prince énamouré, dans le Soir des Rois de Shakspeare.

À la vie des humbles encore plus que des grands, la musique est unie. C’est le savetier, et non le financier, qui « chantait du matin jusqu’au soir », et de tous ceux qui travaillent et qui peinent, la musique toujours se fit la compagne et la consolatrice. Elle préside, elle aide aux rudes journées, à celle de l’ouvrier comme à celle du paysan. Toute œuvre de la terre s’accomplit en chantant. Chansons de labour et de semailles, chansons de la cueillette et de la moisson, belles et libres « chansons à grand vent ! » Chansons des lavandières et des fileuses, chansons du rouet, chansons des fléaux battant l’aire et rythmant la danse des poussières d’or ; chansons des vendangeurs qui foulent les grappes, vous Mes la musique sociale par excellence, celle de l’humanité primitive et des grands labeurs sacrés. Tandis que vous montez de la terre, d’autres, qui vous sont pareilles, montent des eaux. Comme le laboureur sur la charrue, le pécheur ou le gondolier se courbe en chantant sur les rames, et les flots mêmes sont mélodieux. De l’autre côté des mers, aux rives lointaines, fabuleuses ou sauvages, des milliers de voix s’élèvent encore ; et devant les mosquées de Stamboul ou sous les palmiers du Nil, l’âme des multitudes ignorées, de l’Orient mystérieux, soupire dans la cantilène du muezzin ou du chamelier. Entre les mélopées exotiques et les nôtres, il y a parfois des rencontres inattendues ; il arrive que le biniou de Bretagne, la flûte du Caire et la guitare andalouse chantent en des modes qui se ressemblent étrangement. Ne vous en étonnez pas. Admirez plutôt quelle ouvrière ou quelle interprète d’unanimité internationale peut être la musique, la musique populaire surtout, puisque, s’il est besoin d’innombrables systèmes de mots, il suffit parfois d’un système de sons pour traduire quelques-uns des sentimens élémentaires, mais universels, de l’humanité.

Des formes sonores ainsi créées par le génie de tous, le génie individuel à son tour s’empare. Il se les approprie, il en fait la base et le fond de ses œuvres, de ses chefs-d’œuvre parfois. Si profondément qu’on fouille dans le passé de la musique, on y rencontre le chant populaire. Comme l’écrivait un maître en cette matière, le chant populaire est le «  substratum sur lequel se sont accumulées les couches successives de la musique depuis ses premières formations jusqu’aux époques les plus avancées[4]. » La mélodie populaire est partout. Dès le moyen âge on la trouve dans les chants de l’Eglise latine, et en dehors de l’Église elle représente à cette époque la seule forme de poésie et de musique alors connue. De la chanson populaire tout l’art des trouvères est sorti. C’est d’elle aussi que naquit plus tard la polyphonie vocale des XVe et XVIe siècles. Sur des motifs ou seulement sur des intonations populaires, les grands maîtres du contrepoint, les Josquin de Prez, les Roland de Lassus, les Palestrina bâtissaient leurs architectures, et M. Tiersot nous assure que, depuis Dufay jusqu’à Carissimi, le seul thème de l’Homme armé inspira dix-neuf messes et deux chansons. Quand de la polyphonie l’art musical revint à la monodie, l’élément populaire ne resta pas étranger à cette vicissitude. Si plus tard il s’affaiblit dans notre opéra du XVIIe siècle, il reparaît au siècle suivant dans l’opéra-comique. Hors de France, il ne meurt pas non plus. Bach a traité de mille manières — toutes admirables — les chorals de la liturgie luthérienne. Or les chorals se rattachent étroitement à la chanson ; plusieurs d’entre eux ne sont que des airs profanes du XVIe siècle, qui, changeant de rythme, d’accent, et associés à des paroles pieuses, ont ainsi trouvé leur forme définitive. Maître de chapelle du prince Esterhazy, dont la résidence d’Eisenstadt était peu éloignée du pays de langue croate, Haydn n’a pas manqué d’introduire dans ses œuvres plus d’une mélodie de ce pays. L’une d’elles, quelque peu modifiée, est même devenue le fameux hymne autrichien[5]. Des mélodies hongroises figurent également dans mainte symphonie du maître. Le Mozart de la Flûte enchantée (surtout pour le rôle de Papageno) s’est inspiré de la musique viennoise, et Beethoven, en certains quatuors, a fait usage de thèmes russes. Le rôle du ranz, ou plutôt des ranz des vaches, dans le Guillaume Tell de Rossini, est beaucoup plus considérable qu’on ne le croit d’ordinaire[6]. Personne du moins n’ignore quel parti le Mendelssohn de la Reformation-Symphonie et le Meyerbeer des Huguenots ont tiré du choral de Luther : Eine feste Burg. Weber et Schubert ont été de grands musiciens du peuple ; plus grands à cet égard que Wagner lui-même. Aujourd’hui c’est l’art populaire, au plus noble sens du mot, que représente un maître tel que M. Grieg, et l’usage des thèmes nationaux est resté depuis Glinka l’un des principes les plus constans et les plus féconds de l’école russe.

Ainsi, tout le long de l’histoire, se côtoient et parfois se croisent le génie individuel et le génie de la foule. L’un prête à l’autre ce qu’il a de plus simple, de plus vrai, de plus pur. Il lui confie sa pensée encore mal définie, ses passions vagues, ses désirs et ses rêves ; il apporte ses humbles joies et ses obscures douleurs. De ces matériaux primitifs et sacrés, l’autre génie, le génie personnel, compose les œuvres d’art supérieures et définitives. Il choisit et il développe ; il ordonne et il organise ; il élève l’instinct jusqu’à la conscience et fortifie le sentiment par la raison. En un mot il rend au centuple ce qu’il a reçu, et par cette communication constante, par ce perpétuel échange de services et de bienfaits, l’idéal sociologique se réalise, car la solidarité s’établit entre l’élite et le nombre, entre les grands hommes et l’humanité. On appelle souvent la musique un art de société, et, pour être vulgaire, l’expression n’en est pas moins significative. Plus que les autres arts, en effet, la musique est une cause ou un prétexte d’association. Les orphéons, les fanfares, en donnent des preuves, parfois, hélas ! trop éclatantes. On se réunit plus volontiers et en plus grand nombre pour entendre de la musique que pour considérer des tableaux, des marbres ou des édifices. Il n’y a de festivals que de musique, et vers le Parthénon, l’Hermès de Praxitèle ou la Madone de Saint-Sixte, les foules ne vont point, comme vers le théâtre de Bayreuth, en pèlerinage. Ce n’est pas devant les statues, mais autour des orchestres militaires, que se presse le public de nos jardins, et pour les concerts du dimanche le Louvre est de plus en plus abandonné. En demandant à tous de se taire pour l’écouter, la musique demande à chacun d’étouffer sur ses lèvres et même en son cœur toute voix discordante, importune, ou seulement étrangère. Elle veut qu’en elle et par elle tous ne soient plus qu’un. Je sais trop qu’elle obtient rarement cette unité, n’obtenant presque jamais ce silence. Mais il est de son droit, de sa nature d’y prétendre, et son action totale, son plein effet n’est qu’à ce prix. La musique, presque toute musique au moins, est faite pour être entendue de plusieurs, et, dans son théâtre vide, le jeune et sombre roi destituait d’une haute dignité l’art auquel il n’accordait que son orgueilleux et solitaire hommage. Il y a plus, et chaque genre musical comporte, commande même un genre particulier d’auditoire. Il existe une espèce de corrélation et de proportion nécessaire entre le nombre de ceux qui jouent et le nombre de ceux qui écoutent, et peut-être ne serait-il pas impossible de faire, au point de vue sociologique, une étude comparée du quatuor, de la symphonie et de l’opéra.

Enfin la musique, ou plus précisément une œuvre musicale, est, plus que toute œuvre d’art, une chose, on pourrait dire un être collectif et social. Les termes seuls du langage musical : accord, concert, harmonie, en rendent d’abord témoignage. Ce n’est pas tout : la musique, de même que l’architecture, se compose d’élémens unis par des rapports d’une rigueur mathématique ; mais tandis qu’en architecture les ensembles ou les groupes ainsi formés sont inanimés et muets, en musique ils se meuvent, ils parlent, ou plutôt ils chantent, possédant ainsi deux fois une vie qui deux fois manque aux plus admirables ordonnances du marbre ou de la pierre. Toute musique est donc vivante socialement. Une mélodie, même isolée, est multiple en ce sens, qu’elle est constituée par des périodes, des membres de phrase qui se répètent ou se ressemblent. Dès que l’harmonie s’ajoute à la mélodie et l’accompagne, une solidarité nouvelle s’établit et de plus nombreuses réactions se produisent. Qui donc, écoutant l’adagio de la sonate de Beethoven en ut dièse mineur, n’a pas senti de quelle douceur amie et consolatrice les arpèges enveloppent le chant désolé ? Qu’est-ce que la fugue, sinon un mode rigoureux, le plus rigoureux même, de l’association entre les élémens ou les êtres sonores ? La variation en est un autre, plus libre et comportant plus de variété. Un jour que le hasard avait mis sous nos yeux et sous nos doigts certaines variations de Haendel et les Études symphoniques de Schumann, l’opposition des deux œuvres, au point de vue qui nous occupe, nous apparut et nous frappa. L’une et l’autre ne sont autre chose qu’un thème varié. Qu’est-ce donc qu’un thème varié ? C’est l’évolution de formes ou plutôt de forces multiples et changeantes, sous l’influence et comme sous l’autorité d’une force supérieure et constante ; c’est une sorte d’économie, de hiérarchie vivante ; c’est un certain système de rapports entre le nombre et l’unité, entre un individu et un groupe. Or, dans l’œuvre de Hændel et dans celle de Schumann, ces rapports sont régis par des lois absolument opposées. Très calme, très sage, le thème de Hændel est tout simplement suivi de cinq « doubles », comme on disait autrefois. On disait bien, car de telles variations ne consistent guère que dans un accroissement numérique, dans la progression régulière, et de deux en deux, de valeurs de plus en plus rapides. D’ailleurs nul changement de mesure ou de rythme ; tout conflit évité, toute passion absente. Des voix toujours plus nombreuses, mais dont aucune jamais ne s’écarte ou ne s’égare, ne contredit ou ne conteste. Partout l’accord et le consentement unanime, partout enfin l’image d’une société polie, heureuse, que suffit à maintenir dans la discipline et l’ordre, le souvenir ou l’ombre seule du thème accepté de tous et de tous obéi. Chez Schumann, au contraire, que voyons-nous ? D’abord un thème plus âpre, et malgré cela moins décisif, plus sombre et moins ferme à la fois. On sent tout de suite qu’il n’apporte pas la paix, mais la guerre ; qu’il vient pour diviser et non pour unir. Déjà la première Étude symphonique annonce une révolte prochaine. Et cette révolte éclate magnifiquement dans la seconde Étude, où je ne sais quelles âmes solitaires, farouches, protestent et refusent de se soumettre, ou seulement de s’associer. Chaque variation désormais s’affranchit et s’emporte, rune par fantaisie et caprice, l’autre par égoïsme et par orgueil. Ainsi l’idée, qui devrait commander, est esclave et quelquefois victime. On la méconnaît, on la dénature, on va presque jusqu’à lui faire violence. Et ce « beau désordre » sans doute « est un effet de l’art », d’un art sublime et dont nous sommes aujourd’hui plus touchés, plus émus que de celui de Haendel. C’est le désordre pourtant. Au lieu de la hiérarchie, c’est l’indépendance, presque l’anarchie. C’est en tout cas une représentation sociale et un idéal sociologique en opposition absolue avec celui que tout à l’heure nous avons essayé de définir.

Trois élémens ou trois facteurs, disait Guyau, constituent le caractère social de l’émotion esthétique. Il semble bien que tous trois coexistent aussi dans l’émotion musicale et lui donnent également ce caractère.

Le premier élément est la reconnaissance des objets par hi mémoire. Aucun art, plus que la musique, ne procure à l’esprit cette satisfaction et cette jouissance à la sensibilité. La musique, en général, ne nous présente rien, qu’ensuite et constamment elle ne nous représente. « Il est plus doux, comme dit le Chœur des vieillards à Perdican, il est plus doux de retrouver ce qu’on aime que d’embrasser un nouveau-né. » En musique on ne fait que retrouver ce qu’on aime ; tout reparaît sans cesse et la loi du retour est l’universelle loi. Ce retour, si l’œuvre est belle, ne sera jamais une redite, encore moins un recul : un progrès au contraire et un accroissement, une promotion de la forme ou de l’idée musicale à une vie de plus en plus riche et de plus en plus haute. Il y aura retour néanmoins, et dans une fugue de Bach, dans une symphonie de Beethoven, dans les pages finales d’une Valkyrie ou d’un Parsifal, il n’est pas de beauté supérieure à celle qu’un philosophe appelait, je crois, et qu’un musicien pourrait appeler également la beauté de l’identité retrouvée.

D’après Guyau, l’émotion esthétique est sociale encore parce qu’elle nous fait sympathiser avec l’auteur de l’œuvre. Or avec aucun artiste, le poète et surtout l’orateur excepté, nous ne sympathisons comme avec le musicien. Avec aucun autre nous ne lions une aussi facile, une aussi étroite société. Plus que le peintre, le sculpteur ou l’architecte, nous trouvons le musicien dans son œuvre ; celle-ci nous le révèle et nous le livre, et du style musical autant que du style littéraire on peut dire qu’il est l’homme même. Par la musique, la personnalité du musicien s’affirme non moins qu’elle se communique, et le génie d’un Mozart ou d’un Beethoven est ce qu’il y a de plus individuel et de plus général à la fois. Dans la sonate ou la symphonie, c’est la voix même du musicien qui nous parle. Cette voix, qui frappe à nos oreilles, il nous est impossible de la croire éteinte, morte, tandis que nous savons raidie et glacée la main qui peignit ce tableau, sculpta ce marbre ou dressa le plan de cet édifice. Il semble donc que dans la musique, l’être, l’homme semblable ou supérieur à nous vive actuellement et réellement près de nous ; derrière son œuvre c’est lui qui nous appelle et nous attire ; c’est vers lui que nous emporte, à lui que nous attache une sympathie et une tendresse, que la vie, et la vie personnelle, peut seule inspirer à la vie.

Enfin l’émotion esthétique est sociale parce qu’elle nous fait sympathiser avec les êtres représentés par l’artiste. — Mais la musique est-elle donc capable de représenter des êtres ? Pour la musique chantée, cela ne fait aucun doute. Il est certain que la musique de théâtre, ou de chant seulement, est créatrice d’âmes, et que les personnages d’un opéra, pourvu que cet opéra soit d’un grand musicien, existent par les sons. Par les sons plus que par les mots, et chez les héros de Wagner lui-même, si grand poète qu’il ait été quelquefois, c’est toujours la vie musicale qui l’emporte. De la dernière scène de la Valkyrie, par exemple, ce qu’on pourrait enlever avec le moindre dommage pour la beauté dramatique et morale, n’est-ce pas évidemment les paroles ? Ailleurs, aux confins opposés de l’art, imaginez Chérubin disant, au lieu de le chanter, le Voi che sapete. Que deviendront la rêverie, la langueur et l’émoi ? Qu’il chante au contraire sans rien dire, et du sentiment, du caractère, de la vie enfin, rien ou presque rien ne sera perdu.

Quant à la musique instrumentale, il est vrai qu’elle ne représente pas des êtres individuels, animés de tel ou tel sentiment. Mais, plus largement efficace, et regagnant en étendue ce qu’elle perd en précision, elle représente le sentiment lui-même, impersonnel et pour ainsi dire en soi ; quelque chose enfin qui, dans l’ordre de la sensibilité, correspond à ce que l’idée générale est dans l’ordre de la raison. Et par cette correspondance on peut comprendre quelle est, au point de vue sociologique, la grandeur de la musique pure. On a dit excellemment : « C’est par les idées générales que nous communiquons les uns avec les autres, et en ce sens, il faut convenir qu’elles sont le lien de la société. Nos idées particulières nous divisent ; nos idées générales nous rapprochent et nous réunissent… Nos idées particulières, c’est nous, c’est ce qu’il y a de plus individuel et par conséquent de plus excentrique en nous ; mais nos idées générales, c’est ce qu’il y a de vraiment humain en nous et par conséquent c’est en nous ce qu’il y a de vraiment social[7]. » Tout cela n’est pas moins vrai des sentimens généraux que des idées générales. Comme celles-ci nous rapprochent par l’esprit, ceux-là nous réunissent par le cœur. Or, exprimer ou représenter les sentimens généraux, cela est le fait et l’objet même de la musique instrumentale. Quelle est la joie ou la douleur que chante un finale, un adagio de Beethoven ? Ce n’est aucune ou plutôt c’est toute douleur et toute joie ; c’est la vôtre, et c’est aussi la mienne, celle qui nous est commune, qu’hier vous avez ressentie et que j’éprouverai demain. Ainsi les chefs-d’œuvre de musique pure, encore plus que les autres, sont faits de ce qui nous rapproche et non de ce qui nous divise ; ils ne contiennent rien d’individuel et par conséquent d’égoïste ; ils sont larges, ils sont profonds, et c’est en eux que l’humanité, que toute l’humanité se regarde, se reconnaît et se plonge.


III

La nature, ou mieux l’esprit sociologique de la musique, tel que nous venons de l’analyser, apparaît à toutes les époques et comme à tous les tournans de l’histoire. Il varie sans doute et se métamorphose ; ici l’on voit s’étendre et là se rétrécir la société que la musique établit et représente à la fois. Au fond cet esprit demeure toujours, et les divers états de la musique à travers les âges n’en sont que les diverses manifestations. Monodie antique, plain-chant, polyphonie du moyen âge jusqu’à Palestrina ; mélodie des grands siècles italiens ; symphonie et drame symphonique moderne, il convient de considérer chacun de ces genres ou de ces catégories comme l’expression d’un certain rapport entre certaine musique et certaine société.

On sait quelle place la musique occupait dans la société antique. Présente à toutes les cérémonies et à toutes les fêtes religieuses ou civiles, nationales ou privées, elle l’était de même aux représentations théâtrales. Elle concourait encore, avec la poésie et la danse, ou plutôt l’orchestique, à la formation d’un art supérieur : la lyrique chorale, dont nos oratorios et nos cantates n’offrent qu’une imparfaite image et comme un débris mutilé. Si haute était l’estime où la Grèce tenait la musique, que « la muse de Pindare, écrit M. Gevaert, célébrait sans déroger la victoire d’un joueur de flûte, à Midas d’Agrigente[8]. » L’art musical était alors, comme on dirait aujourd’hui, reconnu d’utilité publique. Il avait un rôle dans l’éducation et jusque dans l’État. On désignait sous le nom de gymnopédies certains exercices de gymnastique et de musique à la fois, auxquels étaient astreints les jeunes gens. La nomenclature et l’éthos des modes démontrent assez le caractère sociologique de la musique ancienne. Chaque mode se rattachait étroitement à la nature du peuple dont il portait le nom ; chacun n’était que l’expression et comme le signe musical d’une âme collective et sociale. On les appelait, au dire d’Aristide Quintilien, les principes des mœurs, ἄρχαι τῶν ἤθων[9]. Principes divers de mœurs diverses aussi. D’où les distinctions que firent de tout temps entre les modes philosophes et législateurs. Faut-il rappeler le passage si connu de la République, où Platon, après avoir écarté de l’éducation les harmonies molles et plaintives, indignes de former les gardiens de l’Etat, n’autorise que les harmonies dorienne et phrygienne, dont il dégage un idéal qu’on peut bien appeler sociologique, puisqu’il est à la fois celui du guerrier, du magistrat, du prêtre même, en un mot du citoyen ? Faire des hommes et des « citoyens » (le terme revient sans cesse), telle est bien l’auguste mission qu’Aristote également assigne à la musique. Longtemps avant le développement de la philosophie hellénique, les institutions d’un Thalétas entraient déjà comme élémens dans la législation d’un Lycurgue, et Pindare invoquait Apollon « qui introduit dans le cœur le paisible amour de la loi[10]. »

Par la grâce, ou le miracle du génie, cet art, largement social et populaire, n’en était pas moins un art délicat et subtil. La musique des Grecs consistait bien dans ce qu’a dit M. Gevaert[11] : « Un dessin mélodique, sobre de contours et d’expression, indiquant le sentiment général par quelques traits exquis d’une extrême simplicité et accompagné par un petit nombre d’intervalles harmoniques. » Sans doute pour les musiciens que nous sommes devenus, cela ne serait rien ; cela leur suffisait à eux, et à eux tous. Il n’y avait pas alors de chef-d’œuvre trop rare, trop raffiné pour la foule, car la foule était une élite, et ce peuple entier semblait choisi.


Puis, quand tout fut changé, le ciel, la terre et l’homme,


alors le christianisme recueillit la mélodie gréco-latine ; il en fit la musique de ses églises, et dans les catacombes d’abord, plus tard dans les basiliques, plus tard enfin sous les voûtes romanes, puis gothiques, les foules du moyen âge, innombrables et souffrantes, redirent d’une seule voix — et de quelle autre voix ! — les chants que sous des cieux moins sombres une élite heureuse avait chantés.

Moins sociologique peut-être que l’homophonie du plain-chant, la polyphonie vocale des Gallo-Belges et des Italiens le fut autrement ; elle aussi exista par le peuple et pour lui. L’élément populaire envahit de plus en plus la musique. Jusqu’aux réformes du concile de Trente, les offices liturgiques se chantent couramment sur des thèmes de danse, de guerre, quand ce n’est pas d’amour ou de cabaret. La musique profane, elle aussi, s’inspire du peuple ; c’est à lui qu’au XVIe siècle elle demande la vérité et la vie. Notre Clément Jannequin s’ingénie à reproduire les cris de Paris ; il imite le caquet des commères, le fracas de la bataille ou le bruit de la chasse. En Allemagne, Eckard représente le tumulte de la place Saint-Marc, et l’Italien Strigio compose : « Le bavardage des femmes au lavoir », cicalamento delle donne al bucato[12].

Non seulement par les thèmes qu’elle emprunte et par les sujets qu’elle traite, mais par sa constitution et sa nature même, la musique de cette époque est profondément sociologique. Comme nous le remarquions un jour ici même à propos de Palestrina[13], la polyphonie vocale ne fut pas un art individuel, encore moins égoïste, mais au contraire un art véritablement catholique, c’est-à-dire universel et en quelque sorte unanime. Tandis que toute autre musique — le plain-chant naturellement excepté — semble admettre avec le solo, avec la prééminence d’une partie ou d’une voix, telle ou telle interprétation personnelle et privilégiée de la pensée, l’art palestinien ne tolère aucune distinction ni prérogative. En lui tout est commun, nulle voix ne domine ou ne dédaigne les autres ; l’orgueil et le sens propre s’effacent, et voilà comment, — si l’on nous permet de nous citer nous-même, — « la polyphonie palestrinienne est l’une des plus admirables expressions par la musique, non seulement de la foi, mais de la charité. »

Puis la Renaissance vint. Elle vint plus tardive pour la musique que pour les autres arts, mais elle ne vint pas différente. Au principe de l’association et du nombre, elle substitua partout le principe de l’individualisme, et la musique qui, depuis longtemps, ainsi que l’homme même, n’existait plus que sous la forme collective, reparut sous la forme particulière et individuelle. Le récitatif d’abord, et puis, et surtout, la mélodie, retrouvée et comme créée à nouveau par le génie italien, se dégagea du contrepoint vocal ; mais, dans l’orgueil de sa beauté reconquise, elle se détourna de la foule que jadis elle avait tant aimée, et le plus populaire des arts en devint le plus aristocratique et le plus mondain[14]. Le drame lyrique naît au XVIIe siècle à Florence, dans le salon de Giovanni Bardi, comte de Vernio, et longtemps, non seulement en Italie, mais en France, en Allemagne même, il se ressentit de ses origines. Ce fut l’âge d’or de l’opéra-concert, de la cantate, des genres les mieux faits pour charmer une société choisie, et « le monde » plutôt que la multitude. Les académies de musique fleurirent par toute la péninsule. Dans le palais des grandes familles italiennes s’ouvrirent des théâtres privés. Les plus célèbres furent celui des Farnèse, qu’on voit encore à Parme, et à Rome celui des Barberini. De ce dernier, le librettiste ordinaire était le cardinal Rospigliosi, le futur pape Clément IX ; les Mazzocchi, les Marazzoli en étaient les musiciens. Ailleurs encore, chez le cardinal Corsini, on représentait l’Aretusa de Vitali devant le cardinal Borghèse et neuf autres cardinaux. « Ce beau spectacle de princes, dit très bien M. Romain Rolland[15], avait, à la vérité un défaut de nature : il était exclusivement princier ; son aristocratique perfection l’éloignait de la vie commune, et de l’âme populaire. » Cet art fermé, qui s’adressait à un public restreint, ne comportait aussi qu’une interprétation en quelque sorte individuelle. Médiocrement sociologique à ce point de vue encore, il favorisa le règne et bientôt la tyrannie de la virtuosité, et celle-ci finit par devenir une forme, funeste entre toutes, non seulement de la personnalité, mais pour ainsi dire de l’égoïsme esthétique. La situation d’un virtuose, tel que fut par exemple un Loreto Vittori, était alors extraordinaire. De cet illustre chanteur, qui fut compositeur aussi, les contemporains ont rapporté des merveilles. Entré d’abord au service de Cosme II de Médicis, il lui fut enlevé par le cardinal Ludovisi. Celui-ci ne le laissait entendre qu’à des personnages d’élite ; des séances privées avaient lieu chez les Barberini, les Aldobrandini, les Ubaldi. Bientôt la renommée de l’artiste s’étendit. Le pape Urbain VIII l’agrégea à sa chapelle et le nomma chevalier. « Son art admirable, écrit M. Romain Rolland, jetait le public dans des transports que nous avons peine à concevoir. Erythrœus, qui se fit son biographe et son apologiste, raconte que lorsque Vittori chantait, beaucoup de personnes étaient obligées d’ouvrir brusquement leurs vêtemens pour respirer, suffoquées d’émotion. Telle était sa popularité à Rome, que les nobles et les cardinaux se virent une fois chassés d’une de ses représentations par le peuple, qui fit irruption dans le palais des Jésuites. Ses concerts devinrent de petits champs de bataille. Quand le peuple n’avait pu réussir à y pénétrer, il se groupait autour du palais pour tâcher de saisir quelques accens de la représentation. »

Ce n’est pas seulement de la salle de spectacle ou de concert, c’est de l’art lui-même que le peuple alors était banni. Il en était banni partout. En Allemagne, le génie populaire et national semblait reculer devant l’invasion du génie aristocratique italien. La musique, ou du moins l’opéra, n’y était guère encore qu’un article d’importation. Et puis la guerre de Trente ans avait été trop rude. « Nous avions, écrit un Allemand d’aujourd’hui, nous avions eu à combattre trop durement avec les nécessités de la vie, et les classes dirigeantes de notre peuple… étaient devenues si étrangères aux masses, que celles-ci pendant des siècles ne purent avoir la moindre part à la culture, au goût, aux satisfactions esthétiques des classes supérieures, séparées d’elles par un abîme infranchissable[16]. » Et cependant pour ces masses, pour ces foules misérables, aux plus mauvais jours de leur misère, un consolateur était né. Ne fut-il pas contemporain de la longue guerre, cet admirable Heinrich Schütz, dont un chef-d’œuvre au moins, la Symphonia sacra : Venite ad me, omnes qui laboratis ! est un chef-d’œuvre de tendresse et de pitié infinie ? Mais quand il vint parmi les siens, les siens, hélas ! ne pouvaient le connaître : ils souffraient trop, les temps étaient trop douloureux, et cette grande voix s’éleva dans un désert et parmi des ruines.

Il fallut un siècle pour que sous les robustes mains de Hændel et de Bach la musique s’élargît magnifiquement. Au principe italien de l’individualisme s’opposa, dans la fugue d’abord, en attendant que ce fût dans la symphonie, le principe allemand de la pluralité. Chez Bach et Hændel, les plus belles pages sont peut-être les plus représentatives du nombre et de la multitude. On voit assez, pour peu qu’on y songe, et nous n’y insisterons pas, ce qu’il y a de sociologique, d’universel et d’unanime dans l’Alléluia du Messie, par exemple, en ce cantique ou plutôt ce cri de joie éclatant de toutes parts et comme aux quatre coins du monde. Et quand les doubles chœurs de Bach, à quatre parties chacun, déploient à travers l’espace le prodigieux appareil de leurs polyphonies ; quand s’édifient devant nous, semblables à des cathédrales géantes qui se construiraient sous nos yeux, le Kyrie, le Gloria, le Credo de la Messe en si mineur ou l’épilogue de la Passion selon saint Matthieu, alors, oh ! alors il faut bien reconnaître que toute prière et toute piété, toute allégresse et toute peine, toute foi, toute espérance et tout amour sont contenus dans ces pages, et qu’il n’y a de chefs-d’œuvre souverains que ceux qui sont, pour ainsi dire, capables de toute l’humanité.

A son tour ne fut-il pas largement humain, le Haydn des Saisons, le maître souriant et parfois sublime ? Il eut beau vivre aux gages des princes, il était du peuple et ne l’oubliait pas. L’un des premiers, il prit par la main la muse allemande pour la conduire hors du sanctuaire, où Bach l’avait tenue enfermée. Il lui montra les champs, les prairies, les bois, et de la vierge sacrée il fit l’amie de ces paysans qu’il aimait lui-même : chasseurs, laboureurs et vignerons. Ce n’est pas tout, et par Haydn, l’idéal sociologique de la musique a été changé. A la fugue, cette forme rigoureuse de l’association, il substitua la forme plus libérale de la symphonie, et c’est ainsi qu’il est le précurseur de Beethoven : de Beethoven plus que de Mozart, car Mozart ne fut pour ainsi dire pas annoncé ni suivi. Mozart est une fleur miraculeuse et solitaire. Son âme n’est pas la symphonialis anima du moyen âge. Que ce soit un air des Noces ou de Don Juan, l’appel de Suzanne sous les marronniers ou la plainte de Doña Elvire à son balcon ; que ce soit le largo du quintette avec clarinette ou le souriant début de la symphonie en sol mineur, toute mélodie de Mozart semble moins la confidente ou l’interprète d’une foule, d’une élite même, que d’un être, d’un seul, et qui serait exquis. Le génie de Mozart a pour essence, au lieu du nombre, l’unité, et c’est par-là peut-être qu’il a mérité le plus d’être appelé divin.

Beethoven au contraire est sublime par la pluralité. La symphonie de Beethoven est la plus magnifique représentation, la plus riche en même temps que la plus harmonieuse, la plus libre et la plus réglée à la fois, que la musique ait jamais donnée de la vie universelle. L’idéal de Beethoven a presque toujours quelque chose de sociologique ou de social ; la beauté suprême et comme le fond de son œuvre est une immense sympathie. Vivant, on l’accusait de misanthropie, d’orgueil solitaire et farouche. Mort, il a été justifié. On a su qu’il ne cherchait la solitude que pour y cacher comme une honte l’infirmité qui le désespérait. « O vous ! a-t-il écrit dans le douloureux « testament de Heiligenstadt », ô vous qui me croyez plein de fiel et de haine, vous qui me faites passer pour misanthrope, combien vous m’accusez injustement ! Vous ne connaissez pas les raisons secrètes qui me donnent ces fâcheuses apparences. Mon cœur et mon esprit m’avaient incliné vers la bienveillance dès mes plus tendres années… Venu au monde avec une âme ardente, un tempérament sensible, et fait en un mot pour les relations de la société, j’ai été contraint de bonne heure à m’enfermer dans l’isolement, à passer mon existence dans la solitude et la retraite… Il n’est plus possible au malheureux de se distraire dans la société des hommes, de prendre part à leurs conversations élevées, à leurs épanchemens. Seul ! toujours seul ! à moins qu’une impérieuse nécessité ne me force à sortir de mon isolement, je passe ma vie dans la solitude comme un proscrit, et si le hasard me conduit au milieu des hommes, tout aussitôt je me sens saisi d’une anxiété mortelle en pensant que je m’expose à dévoiler les secrets de ma surdité… O mon Dieu ! Ton regard de là-haut pénètre dans les profondeurs de mon âme ; tu connais mon cœur et tu sais, n’est-ce pas, qu’il ne respire que l’amour des hommes et le désir du bien[17]. »

Encore plus que le « testament de Heiligenstadt » l’œuvre entier de Beethoven respire ce désir et cet amour. Extérieurement séparé de l’humanité, Beethoven a recréé l’humanité au dedans de lui-même, et participant en quelque sorte de la toute-puissance divine, il a participé aussi de la toute-bonté. Pour comprendre les chefs-d’œuvre de Beethoven, il faut les interpréter largement. Soit, par exemple, la Symphonie héroïque. Sans doute elle fut consacrée à la gloire d’un héros, et sur la première page on sait que Beethoven avait inscrit le nom de Bonaparte. On sait également qu’en apprenant le couronnement de l’empereur, il effaça le nom, pour lui déshonoré. Reprenant son chef-d’œuvre à un seul héros, que désormais il n’en jugeait plus digne, il le rendit à tous ; à toute l’humanité héroïque il reporta son hommage sublime, un instant égaré. Telle était bien la véritable vocation de la symphonie. Elle dépasse en effet et déborde un sujet ou un modèle unique, celui-ci fût-il un des plus grands parmi les hommes. Guerrière sans doute, elle n’est pas seulement guerrière. Certes elle est l’épopée musicale de ceux « qui ont parcouru le monde moins par leurs pas que par leurs victoires » ; elle l’est aussi de ceux-là, qui le parcourent « par leurs victoires moins que par leurs bienfaits[18]. » Que dis-je, la Symphonie héroïque a quelque chose de plus général encore : elle célèbre et glorifie les victoires plus humbles, plus obscures et tout intérieures. Bien de ce qui est grand, de ce qui est beau dans l’ordre de la volonté et de la conscience ne lui est étranger. Et qu’on ne prétende pas que l’entendre ainsi c’est l’abaisser et la réduire ; c’est la dilater au contraire, et l’élever, par-dessus les acceptions particulières et personnelles, jusqu’à la signification ou à la représentation totale de l’universelle moralité.

Si le Beethoven de la Symphonie héroïque sympathise avec toute l’humanité, celui de la Symphonie pastorale sympathise avec la nature entière. On raconte que le maître, un jour (c’était en 1823), conduisit son ami Schindler aux environs de Vienne, dans un vallon retiré. S’étant assis à l’ombre, près d’un ruisseau, il demanda tristement à son compagnon si les oiseaux chantaient, car depuis longtemps il ne pouvait plus les entendre. « C’est ici, dit-il, que j’écrivis jadis la Scène au bord du ruisseau ; les loriots, les cailles, les rossignols et les coucous l’ont composée avec moi[19]. » Et comme Schindler observait que le loriot ne joue aucun rôle dans la Symphonie pastorale, le maître tira de sa poche son carnet, et notant un arpège qui s’envole à certain moment de l’orchestre en fusée sonore, il rendit à l’oiseau ce qui était à l’oiseau, pour que nulle voix ne fût oubliée ou méconnue dans le concert où toutes les voix avaient chanté.

Ainsi Beethoven s’est inspiré de toute la nature. Mais il faut ajouter : de toute nature. De même que la Symphonie héroïque n’est pas le poème d’un seul héros, la Symphonie pastorale n’est pas celui d’un seul paysage. Elle non plus n’a rien d’étroit ni de particulier, en un mot rien de local. Beethoven au contraire l’a composée avec les élémens les moins rares : avec les aspects les plus familiers que puissent prendre les choses ; avec les sensations et les sentimens les plus généraux qu’elles puissent éveiller. Impressions agréables en arrivant à la campagne, — Scène au bord du ruisseau, — Orage. C’est là, comme on dit, la nature de tout le monde, et le mot, pour être vulgaire, n’en est pas moins profond. Oui, la nature de tout le monde, et de tous les pays, et de tous les jours ; la seule avec laquelle devait communiquer ou communier le grand esprit qui, dans l’humanité ou hors de l’humanité, ne conçut jamais rien sans l’étendre à l’universel et à l’infini.

En cette unie si largement sympathique, la sympathie ne pouvait que s’élargir jusqu’à la fin. Et la fin ce fut la Messe en ré, ce fut la Symphonie avec chœur, les deux œuvres sociologiques par excellence, les deux œuvres où s’emportèrent en quelque sorte au-delà d’eux-mêmes et le génie de Beethoven et son amour pour le genre humain.

Le Kyrie de la Messe est admirable à cet égard ; admirable de plénitude et d’unanimité. Mais plus admirable encore et peut-être sans pareil dans l’œuvre entier de Beethoven nous paraît certain épisode de l’Agnus Dei. En tête du dernier morceau de la Messe on lit ces mots : Bitte uni innern und äussern Frieden. Prière pour obtenir la paix intérieure et extérieure. Dans un andante qu’on souhaiterait moins uniforme, je n’ose dire moins traînant, cette prière d’abord se développe longuement. Pacem, pacem, pacem, disent et redisent les voix à satiété, comme pour arracher le précieux don à la lassitude divine. Mais brusquement tout change : rythme, mesure, tonalité. On entend de sourdes rumeurs et l’appel des clairons. L’orchestre s’émeut, frémit, et sur son frémissement les trois voix du contralto, du ténor et du soprano, jettent tour à tour vers l’Agneau de Dieu une adjuration épouvantée. Ce n’est qu’un cri, mais sublime : le cri de toute créature qui recule et défaille devant l’horreur, apparue soudain, de la guerre ; de la guerre que sonnent là-bas « les trompettes hideuses. » Et c’est aussi le cri de Beethoven lui-même, d’un Beethoven qu’on ne connaissait pas. Aujourd’hui sans doute comme aux jours, anciens déjà, de l’Héroïque, il conduirait encore les guerriers au combat ; mais fasse plutôt le ciel que jamais de tels jours ne reviennent. Sans en désavouer l’héroïsme, il en conjure l’horreur, et désormais ce n’est plus la gloire, c’est la paix, que demande à Dieu pour les hommes, pour tous les hommes, cette grande âme sur eux attendrie et apitoyée.

C’est la paix, et demain ce sera la joie.

« O joie, belle étincelle de la divinité, fille de l’Elysée céleste ; pleins d’une ivresse sacrée nous entrons dans ton sanctuaire. Une puissance mystérieuse réunit enfin ceux que le monde et le rang séparaient ; à l’ombre bienfaisante de tes ailes tous les hommes deviennent frères. Tous les êtres boivent la joie, s’abreuvant au sein de la nature ; les bons et les méchans suivent maintenant un chemin semé de fleurs. Que des millions d’êtres, que le monde entier se confonde dans une même étreinte[20]. »

Voilà le thème du dernier morceau de la dernière symphonie. Voilà les Novissima verba de Beethoven. Sans doute, — bien que le droit en soit contesté par certaine école, — il est permis de préférer au finale de la Symphonie avec chœur tel ou tel autre parmi les grands finales du maître : celui de l’Héroïque, de la Pastorale, de la Symphonie en la ou de l’ut mineur. On peut admirer on l’un quelconque de ceux-ci des proportions plus exactes, une perfection pour ainsi dire plus parfaite, plus de mesure avec non moins de grandeur, peut-être même l’expression d’une joie aussi unanime, mais plus rayonnante et plus enthousiaste. Il n’est du moins personne qui ne voie dans le finale de la neuvième symphonie une manifestation sublime du sentiment ou de l’amour social. À ce dessein grandiose, la symphonie — je veux dire ici le principe ou le mode symphonique — emploie tout ce qu’elle possède de ressources, et semble même les multiplier. Jamais elle ne fut plus la symphonie, c’est-à-dire un plus riche concours, et plus constamment accru, d’élémens, de formes et de forces sonores. Après avoir rappelé les motifs des morceaux précédens comme pour les subordonner au thème définitif et souverain, l’orchestre expose ce thème à découvert. Puis il commence à l’appuyer, à l’enrichir, mais sobrement, d’harmonies encore élémentaires. Les voix alors interviennent et donnent le signal d’une évolution dont le sens général, l’ampleur et le dernier terme sont assez connus. On sait quel est, d’un bout à l’autre du finale, le progrès et l’effusion grandissante de la joie. On sait aussi de quelle joie : joie incessamment transformée ; d’abord intérieure et sérieuse, puis débordant au dehors, éclatant ici en fanfares de guerre, ailleurs en cantiques sacrés ; joie communicative, contagieuse, qui gagne de proche en proche, monte de cime en cime, jusqu’à ce que dans l’infini du bonheur toute créature, toute chose même soit abîmée et comme anéantie.

Que dis-je, anéantie ! Ce n’est pas au néant, c’est à l’être ; ce n’est point à l’abolition, mais à l’épanouissement de la vie, et de la vie éternelle, que Beethoven a voulu convier et conduire l’humanité. En dépit de certaines traditions ou légendes, de commentateurs tels que Nohl, et après lui Victor Wilder, il nous plaît de voir dans l’ode de Schiller, et surtout dans le finale de Beethoven, un hymne à la joie plutôt qu’à la liberté. Il se peut que Schiller, par crainte de la censure, ait écrit Freude, tandis qu’il avait pensé Freiheit ; mais c’est bien Freude, la joie, que chante Beethoven. La joie est supérieure à la liberté même, — j’entends à notre liberté humaine, — puisqu’elle doit lui survivre. La joie est notre fin dernière, car un jour, et pour jamais, nous ne serons plus libres, mais nous serons joyeux. Comprise ainsi, la pensée de Beethoven s’élève et s’agrandit encore ; son rêve, ou son espoir, ne s’arrête pas à la terre, et la société conçue par son génie n’est plus celle des vivans, mais des élus ; non plus celle du temps, mais celle de l’éternité.

De Beethoven jusqu’à nous — c’est jusqu’à Wagner que je veux dire — l’évolution de l’idée ou de l’idéal sociologique ne s’est pas interrompue. A l’aristocratique opéra d’Italie, l’Allemagne opposa enfin son premier chef-d’œuvre national et populaire, le Freischutz. Aux cantates de cour et de salon, aux nobles récitatifs, aux vocalises des virtuoses répondit le lied allemand, et le grand maître que fut Schubert n’estima point indignes de son génie les petits et les humbles : le pâtre, le chasseur, « la belle meunière », la fileuse au rouet, le postillon sonnant du cor et le pécheur de truites au bord de l’eau.

Sans constituer jamais un genre populaire, le grand opéra français, de la Muette à l’Africaine, accorda pourtant en ses chefs-d’œuvre quelque chose à la foule. Le nombre augmenta des personnages mis en scène ; soucieux des sentimens généraux et des passions de la multitude, les Rossini, les Halévy, les Meyerbeer donnèrent plus d’importance aux chœurs, aux ensembles, et de Guillaume Tell ou de la Juive, des Huguenots ou du Prophète, les beautés qu’on pourrait appeler sociologiques ne furent peut-être pas les moindres beautés.

Hors du théâtre même et dans l’ordre de la musique pure s’opéraient des changemens analogues. Le génie complexe d’un Berlioz enrichissait démesurément l’orchestre, organe de la symphonie. Soit qu’il créât de nouveaux timbres en modifiant pour ainsi dire les lois de relation entre les familles instrumentales ; soit qu’il accrût — en des proportions quelquefois exorbitantes — la valeur numérique des unités sonores, Berlioz apparaissait comme l’un des deux grands maîtres modernes, par qui sur le principe individuel, le principe collectif allait l’emporter.

De ces deux maîtres, le second fut Richard Wagner. Il transporta la symphonie au théâtre. En ses œuvres, et plus encore en son esthétique, Wagner se flatta d’être le plus sociologique des musiciens. Ici même, un de ses profonds commentateurs l’a fait voir[21]. L’art, selon Wagner, est sociologique d’abord en ce sens, qu’il est ou doit être une association de tous les arts. La poésie, la peinture, l’architecture, la plastique (cette sculpture animée) doivent concourir, avec la musique, à la réalisation de l’œuvre d’art wagnérienne, et ce n’est point assurément par la musique seule que cet homme a été grand.

Il y a plus, et l’un des principes fondamentaux de la doctrine de Wagner, c’est que l’art vient du peuple et doit retourner à lui. Tout art supérieur est nécessairement « un art général, collectif, répondant à des besoins artistiques communs[22]. » Un chapitre de l’Œuvre d’art de l’avenir porte ces mots en épigraphe : « Le peuple, force efficiente de l’œuvre d’art. » — « Pour que l’artiste, écrit encore Wagner, crée une œuvre grande et vraiment artistique, il faut que nous tous nous y collaborions avec lui. La tragédie d’Eschyle et de Sophocle a été l’œuvre d’Athènes[23]. » Wagner va même jusqu’à dépersonnaliser, ou peu s’en faut, le pouvoir créateur de l’œuvre d’art. Il ne craint pas d’en dépouiller l’individu pour en investir l’association. « Si sublime que soit le génie d’un artiste, mille liens le rattachent toujours à la société qui l’entoure », et Wagner a pu dire en ce sens que « l’individu isolé ne saurait rien inventer, mais peut seulement s’approprier une invention commune. » Il n’a point cessé non plus de protester contre l’emploi courant, et, à son avis, trop commode, du mot de génie, pour désigner une force de création artistique qui lui paraissait plutôt collective qu’individuelle. Il n’admettait point qu’on considérât l’artiste comme un prodige tombé du ciel. Il ne voyait en lui que « la floraison d’une puissance collective, floraison capable de produire à son tour des germes nouveaux[24]. »

Rien de plus conforme que de telles théories aux pures traditions de l’esprit allemand. Coopération de tous les arts à l’œuvre d’art, origine et fin sociale de l’art, toutes ces idées se rencontrent déjà chez les philosophes, les critiques et les poètes antérieurs au maître de Bayreuth. M. Chamberlain, et avant lui M. Édouard Rod[25], ont pu les signaler dans le Laocoon de Lessing aussi bien que dans l’Esthétique de Hegel, dans la Causerie sur Alceste de Herder et dans la Correspondance de Schiller et de Goethe. Schiller, préoccupé de la désagrégation, et, comme il disait, de « l’émiettement individuel », espérait de l’art seul une restauration de l’unité humaine. Quant à la formule wagnérienne : « Le peuple, force efficiente de l’œuvre d’art », elle semble contenue à l’avance dans cette pensée de Gœthe : « C’est l’ensemble des hommes qui seul peut connaître la nature, et lui seul peut vivre ce qu’il y a dans la vie de purement humain[26]. »

« Ce qu’il y a de purement humain. » Autrement dit ce qu’il y a de plus général, de plus indépendant de tout accident et de toute particularité, de toute contingence et de toute formule historique ou locale, « ce qui exprime l’essence de l’humanité comme telle » ; cela seul est pour Wagner élément et matière d’art. Dès lors l’opéra wagnérien ne pouvait être nécessairement que légendaire ou mythique. Aussi ne fut-il point autre chose, et tel est, dans l’art de Wagner, le premier effet de la théorie sur la pratique, de la sociologie doctrinale sur la sociologie de l’œuvre. Mais il y en a d’autres encore, et qui se sont produits non plus dans l’ordre de la poésie ou de la poétique, mais dans celui de la musique même, de la seule musique. Plus que toute autre, la musique de Wagner est sociologique en ce sens, que plus que toute autre elle a pour principe le nombre. Wagner a renversé les modes ou les lois, obéies jusqu’à lui, de la représentation musicale des êtres et des choses. Il a dépossédé l’unité chantante au profit de la pluralité instrumentale, et de cette pluralité, désormais souveraine, il a multiplié les élémens à l’infini. Renouvelant en quelque sorte les conditions de la vie, il a voulu que celle-ci procédât non plus d’une force unique, mais d’un concours de forces. On ne saurait trop rappeler à ce sujet les paroles profondes d’Amiel : « Les œuvres de Wagner, écrivait-il en 18S7, sont plutôt des drames symphoniques que des opéras. La voix est ramenée au rang d’instrument, mise de niveau avec les violons, les timbales et les hautbois, et traitée instrumentalement. L’homme est déchu de sa position supérieure, et le centre de gravité passe dans le bâton du chef d’orchestre. C’est la musique dépersonnalisée, la musique néo-hégélienne, la musique-foule, au lieu de la musique individu. En ce cas elle est bien la musique de l’avenir, la musique de la démocratie socialiste, remplaçant l’art aristocratique, héroïque et subjectif. »

Le penseur à demi allemand a compris admirablement le musicien d’Allemagne. La musique de Wagner est bien ce que dit Amiel : musique-foule. Et cette foule est une collection d’infiniment petits. En toute œuvre de musique aujourd’hui, en tout chef-d’œuvre même, le menu détail remplace de plus en plus les vastes généralisations d’autrefois. Rien ne s’y rapporte plus à de grandes causes simples, à des partis pris individuels et souverains, mais à des élémens innombrables et presque imperceptibles. Comment ne pas sentir ici, entre les diverses manifestations de la pensée et de la vie, des harmonies mystérieuses et profondes ? Elles n’ont point échappé naguère à l’un de nos maîtres, méditant il y a quelques mois sur une grande sépulture. « Il serait absurde, écrivait ici même M. de Vogué le lendemain de la mort de Pasteur, il serait absurde de prétendre que la doctrine pastorienne apporte un appui à nos systèmes politiques et sociaux, à la démocratie, au suffrage universel ; voire même au socialisme envisagé comme l’association des petits intérêts qui se liguent pour mieux vivre aux dépens d’un grand corps… Il n’en est pas moins vrai que l’homme, toujours incertain et inquiet sur la valeur de ses frêles constructions, leur cherche un patron dans l’éternel modèle, dans la nature ; qu’il est encouragé et rassuré quand cette sage nature lui montre, ou paraît lui montrer, réalisées dans l’œuvre éternelle, des intentions semblables à celles qu’il s’efforce de réaliser dans son œuvre éphémère. La doctrine pastorienne annonce une de ces conformités. Elle constate la loi du nombre, elle découvre les sources de la vie et les causes de la mort dans une infinité d’êtres très faibles qui deviennent tout-puissans par leur réunion, qui triomphent des plus robustes organismes. Elle nous livre cette découverte à l’heure où nos sociétés font sur elles-mêmes un travail commandé par des constatations identiques. Qui refuserait de réfléchir sur cette simultanéité[27] ? »

Et nous à notre tour, sur le socialisme ou la sociologie de l’art wagnérien, sur cette période, la dernière jusqu’ici, d’une évolution que nous avons essayé de suivre, nous ne voulons pas d’autre conclusion que ces grandes paroles. Comme la doctrine de Pasteur, et en même temps, la doctrine de Wagner annonce une de ces conformités que signalait notre éminent collaborateur. Elle aussi découvre dans le nombre, dans les infiniment petits, les sources de la vie, de la vie esthétique — en attendant qu’une autre doctrine y découvre les causes de la mort. Elle aussi nous livre sa découverte à l’heure où s’accomplissent dans nos sociétés des changemens commandés par des constatations identiques. De cette simultanéité nouvelle encore plus que de l’autre il serait absurde d’abuser, mais personne assurément, et nous n’en demandons pas davantage, ne refusera d’y réfléchir.


IV

Après avoir étudié la nature et résumé l’histoire de la musique au point de vue sociologique, il convient, et nous finirons par-là, d’en considérer, à ce point de vue encore, l’influence et le rôle, les devoirs en quelque sorte et les bienfaits.

« Tous les désordres, toutes les guerres qu’on voit dans le monde n’arrivent que pour n’apprendre pas la musique… La guerre ne vient-elle pas d’un manque d’union entre les hommes ? Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas là le moyen de s’accorder ensemble et de voir dans le monde la paix universelle ? » Ainsi parlait à M. Jourdain son maître de musique, et sans doute il s’en faisait accroire. Mais, deux siècles plus tard, un bien autre maître de musique devait tenir à peu près le même langage. Wagner ne s’est guère fait de son art une idée moins haute ; il n’a pas eu pour lui de moindres ambitions. Il en a tout espéré, tout prétendu, tout promis, et à tous. Tout, jusqu’à la solution de l’énigme du monde, jusqu’à la réponse à l’éternel et universel pourquoi. Avec Schopenhauer et d’après lui, Wagner tenait la connaissance artistique pour le degré le plus élevé, pour le mode supérieur de la connaissance, le seul par où l’esprit humain puisse atteindre à l’essence des choses et la comprendre. Il a proclamé que la vie ne peut être « supportable » pour l’homme, que dans une société dont « l’art constitue la fonction la plus haute[28]. » Son rêve le plus cher fut de rétablir entre l’art et la vie les rapports qu’avait créés la civilisation antique et que notre civilisation a détruits ou tout au moins altérés. À cette restauration chimérique il ne voyait pas, ou ne voulait pas voir d’obstacles. Il ne s’avouait pas que la condition de l’humanité s’est renouvelée ; que le temps n’est plus des élites heureuses, intelligentes, servies par des milliers d’esclaves ; que les Grecs étaient un peuple, un petit peuple d’artistes, ce que les Allemands, les Italiens, les Français, ne sont plus et ne peuvent plus être aujourd’hui. A l’idée, juste et belle en soi, de l’origine et de la destination sociale de l’art, Wagner a fini par demander plus qu’elle ne peut rendre. Il le sentait parfois au fond, tout au fond de lui-même, et de son exagération il semble bien apercevoir les suites quand il écrit : « Que du sein du peuple allemand soient sortis Goethe et Schiller, Mozart et Beethoven, cela amène beaucoup trop facilement le grand nombre des médiocres à s’imaginer que ces grands esprits font de droit partie de leur nombre, et à laisser croire à la masse du peuple, avec une satisfaction démagogique, qu’elle est elle-même Goethe et Schiller, Mozart et Beethoven. » — A la bonne heure ! Mais qui donc, objecte alors avec infiniment de raison M. Nordau, qui donc a non seulement laissé mais fait croire cela à la masse du peuple, si ce n’est Wagner lui-même, en déclarant qu’elle était « la force efficiente de l’œuvre d’art, l’artiste de l’avenir. » Et quant à cette autre théorie wagnérienne d’une réforme esthétique devant un jour procurer l’universel bonheur, est-il possible d’en signaler avec plus de sens et d’ironie que M. Nordau encore les prétentions exorbitantes : « En quoi se manifestent à lui (Wagner) la corruption de la société et le caractère intenable de tous les états de choses ? En ce qu’on joue des opéras avec des ariettes sautillantes et qu’on représente des ballets. Et comment l’humanité doit-elle parvenir au salut ? En exécutant le drame musical de l’avenir. »

Sourions, mais avec mélancolie, comme on sourit de trop beaux rêves. Hélas ! il ne faut pas se promettre, encore moins promettre à la foule un état, une vie sociale dont l’art serait la fonction la plus haute. Cette vie, l’humanité jamais ne la vivra. Il est possible que la connaissance artistique soit le mode supérieur de la connaissance, mais à cette supériorité combien d’entre nous jamais s’élèveront ? Des « temples sereins » du poète, du savant, de l’artiste, qui fera notre commune demeure ? Ici encore nous pourrions en appeler de Wagner à Wagner, et de ses radieuses visions à sa clairvoyance attristée. N’a-t-il pas écrit dans Opéra et Drame : « Personne ne peut être aussi convaincu que moi-même de cette vérité, que la réalisation du drame tel que je le conçois dépend de conditions qui la rendent actuellement impossible, non seulement à moi, mais à une volonté et à des aptitudes infiniment supérieures aux miennes. Elle dépend d’un état social, et par suite d’une collaboration collective qui sont exacte-mont à l’opposé de ce que nous avons à présent[29]. » — Aurons-nous jamais autre chose ? Il est permis de ne le point affirmer. Et quand bien même l’idéal esthétique de Wagner se réaliserait pleinement un jour, on garde le droit de se demander encore si ce jour-là serait le premier de l’universelle félicité.

De ces généreuses doctrines et de ces imaginations grandioses, il faut du moins retenir un principe : celui de l’obligation, du devoir social de l’art. L’art ne sera jamais tout pour le peuple ; mais il peut, il doit être quelque chose, et de plus en plus il faudrait qu’il le devînt. Dans l’ordre de la joie ou seulement de la vie esthétique, il y a peu d’élus ; que du moins il y ait beaucoup d’appelés. Un jeune prêtre disait généreusement l’année dernière à de jeunes auditeurs : « Il est tant de plaies sociales qui demandent des mains, même des mains d’écrivains et d’artistes, pour les panser… » Et il ajoutait : « En multipliant la beauté, en donnant au monde des humbles le sens de la sincère beauté, vous lui aurez fait la plus exquise et peut-être la plus utile des charités[30]. » Puisque, nous l’avons vu, la beauté musicale est plus sociologique que toute autre, plus que toute autre elle peut être charitable. Que partout elle le soit et pour tous. Pour l’enfant d’abord. Qu’une part soit faite à la musique dans l’éducation du peuple. Un concours ouvert il y a quelques mois par le service de la Correspondance générale de l’Instruction primaire, a donné d’excellens résultats, et c’est un petit chef-d’œuvre d’art sociologique, que le recueil, couronné dans ce concours, des Chants populaires pour les Écoles, de MM. Maurice Bouchor et Julien ïiersot[31]. A l’église non moins qu’à l’école, il importerait que l’enfant du peuple chantât. Il y chantait naguère, et pour la culture musicale — j’entends celle de la foule — les maîtrises avaient fait ce que jamais Conservatoire ne refera. Songez, qu’avant la Révolution la France comptait quatre cents maîtrises, c’est-à-dire douze ou quinze mille musiciens, dont cinq mille enfans de chœur. Quel gouvernement vraiment démocratique réorganisera d’aussi utiles associations, des syndicats aussi bienfaisans ? Alors la « maison du peuple » était la maison de Dieu. Quelles leçons, quels exemples de solidarité fraternelle, de véritable unanimité, les choses mêmes y donnaient ! Que la vie devait être harmonieuse en cette église de Saint-Sauveur d’Aix, où les plus humbles serviteurs étaient musiciens, où, quand sonnaient les cloches, l’orgue ne pouvait jouer que dans le ton où elles sonnaient[32]. Et de la vertu sociale et charitable de la musique, quel plus touchant apprentissage que celui-ci ? Les enfans de la maîtrise de Rouen n’avaient jamais licence de se faire entendre au dehors. Un jour pourtant il arriva que certain bailli d’Evreux fît une perte cruelle, dont il était fort affligé. La fête de la Toussaint étant venue, comme le bailli se trouvait malade en sa demeure, on permit aux enfans d’aller chanter devant lui, et « si doulcement chantèrent, nous rapporte la chronique, que le dolent bailli en feut tout consolé[33]. »

Aucune éducation ne vaudra jamais celle des maîtrises, pour préparer le peuple à des joies que de plus en plus il recherche et qu’il faut lui rendre de plus en plus familières et faciles. Il y a des œuvres d’assistance par le travail ; qu’il y ait des œuvres d’assistance par la beauté. Panem et circenses. Le jour où, dans un cirque, un excellent musicien, qui était un homme de cœur, a dirigé le premier « concert populaire », il a fait plus que maint économiste, plus que tel politique, pour le bonheur des humbles et des petits. De son initiative et de son exemple nous voyons aujourd’hui les salutaires effets. On raconte du vieil Haydn, que le dimanche il aimait à rassembler les paysans pour les régaler d’un bon repas et de bonne musique. Il appelait cela ses jours de magnificence. Entrez, le dimanche également, au concert Lamoureux, ou plutôt au concert Colonne, demeuré le plus populaire. Allez vous asseoir en haut, tout en haut, au « paradis », — le mot est juste, car c’est bien là que sont les plus heureux, — voyez-les écouter, comprendre, applaudir, et dites si pour le peuple qui pendant six jours travaille et peine, la musique ne fait pas encore maintenant du septième jour un jour de magnificence.

De ces jours-là peut-être le peuple sait mieux que nous profiter et jouir. Le véritable et, comme on dit, le « bon » public, le public unanime, que la musique rassemble dans l’attention et l’émotion commune, ce n’est pas celui des représentations mondaines, mais des représentations populaires. C’était un humble auditeur, un ignorant, presque un ouvrier, dont je fus le voisin l’an dernier au concert du Châtelet. On jouait le Roméo de Berlioz : Nuit sereine. — Le jardin des Capulets silencieux et désert. Vous souvient-il de l’admirable page ? Les premiers accords s’élevaient, les beaux accords flottans. J’entendis une voix étrange, un peu tremblante, lire à côté de moi ces deux seuls mots du programme : « Nuit sereine. » Je regardai l’homme et, rien qu’à voir comme il écoutait, je sentis que dans son aine et jusque dans son sang, peut-être brûlé par les veilles laborieuses, se répandait la fraîcheur et la sérénité de la nuit. En sortant ce jour-là du Châtelet, je rêvais à ce que pourraient être, au sens idéal du mot, des concerts de charité : concerts donnés vraiment pour les pauvres, en leur présence et en leur honneur ; au lieu de l’aumône d’argent, l’aumône de beauté. Et je me demandais s’il serait impossible de leur découvrir, ne fût-ce que pour une heure, des conformités profondes entre l’art et la vie, leur vie à eux, entre les belles œuvres et les grands devoirs ou les grandes vertus. Des plus divines paroles, fût-ce du Sermon sur la montagne, j’entrevoyais, pour ceux-là justement auxquels il fut prêché, la possibilité d’une exégèse musicale. Oui, par la musique même toute béatitude leur serait annoncée. Heureux les simples, leur dirait Haydn. Heureux, leur chanterait Mozart, heureux ceux qui ont le cœur pur. Et, de sa voix héroïque et douloureuse. Beethoven leur crierait : Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. Mais d’abord, et pour les initier, il est un chant, un appel admirable, que je voudrais leur faire entendre : celui d’un vieux maître allemand, de ce Heinrich Schütz que plus haut nous avons cité. Venite ad me, omnes qui laboratis. Voilà peut-être le plus ancien, en tout cas l’un des plus émouvans chefs-d’œuvre de la musique sociologique. Là, pour la première fois, et pour jamais, il semble que le génie d’un homme se soit lié envers tous les hommes par la divine promesse de consolation et de réconfort, et que ce ne soit plus seulement le Christ, mais la musique elle-même, qui ait dit à tous ceux qui sont dans la peine, à tous ceux qui ploient sous les fardeaux : « Venez à moi et je vous soulagerai. »

Elle fera plus que les soulager : elle les enseignera aussi. Le peuple trouvera dans la musique, autant qu’un intérêt de sympathie, des exemples de conduite. Elle lui révélera les rapports nécessaires, qui sont les éternelles lois. Mais toute musique sera-t-elle capable, digne de donner à la foule ces hautes et salutaires leçons ? Non sans doute. Toute œuvre, tout chef-d’œuvre même n’est pas bon pour tout le monde, et le plus populaire aujourd’hui des grands musiciens, celui qui dans notre siècle finissant aura fait le plus de bruit, n’est peut-être pas, au point de vue sociologique, celui qui aura fait le plus de bien. Du moins n’aura-t-il pas fait que du bien. Des œuvres de Wagner, il en est, comme Tannhaüser, Lohengrin, certaines pages de la Tétralogie, des Maîtres Chanteurs ou de Parsifal, que le peuple ne connaîtra, n’admirera jamais trop. Il en est d’autres qu’on souhaiterait presque de lui cacher ou de lui interdire, comme ces modes dangereux que Platon proscrivait de sa République. De ces œuvres défendues, ou réservées, la première serait peut-être Tristan et Yseult. Nous en relisions récemment dans le Triomphe de la mort de M. Gabriel d’Annunzio la très puissante, très troublante analyse, et jamais ce que le drame wagnérien renferme de pernicieux, d’anti-social surtout, ne nous était plus clairement apparu. Le Wagner de Tristan n’a-t-il pas faussé, vicié le principe ou la force sociale par excellence, l’amour, en lui donnant pour fin et pour idéal, au lieu de la vie, la mort ? Le romancier d’Italie ne s’y est pas mépris, lui que des affinités secrètes prédisposent à goûter mieux que personne ces étranges et malsaines beautés. Dès le prélude de Tristan, M. d’Annunzio reconnaît « l’insatiable désir exalté jusqu’à l’ivresse de la destruction. » Et plus loin, qui l’accusera de calomnier Yseult ou seulement de la méconnaître, lorsqu’il écrit : « La puissance de destruction se manifestait en la femme magicienne contre l’homme qu’elle avait élu, qu’elle avait voué à la mort… La passion mettait en elle une volonté homicide, réveillait dans les racines de son être un instinct hostile à l’être, un besoin de dissolution et d’anéantissement. Elle s’exaspérait à chercher en elle et autour d’elle une puissance foudroyante qui frapperait et détruirait sans laisser de traces. » Quand Yseult, au second acte, éteint et foule aux pieds le flambeau, c’est avec une joie farouche, et de cette joie son cœur bondit non seulement à l’approche de l’amour, mais à l’approche de la mort. « Elle offrait sa vie et colle de l’élu à la nuit fatale ; elle entrait avec lui dans l’ombre, pour toujours. » Critique littéraire, dira-t-on peut-être, ou de littérateur et de poète, à laquelle échappe la musique. Attendez : voici qui va droit à la musique, au fond même de la musique et jusqu’au foyer du mal. Il s’agit du duo du second acte : « Dans l’impétuosité des progressions chromatiques il y avait la folle poursuite d’un bien qui se dérobait à toute prise, quoiqu’il resplendît très proche. Dans les change mens de ton, de rythme et de mesure, dans la succession des syncopes il y avait une recherche sans trêve, il y avait une convoitise sans limites, il y avait le long supplice du désir toujours déçu et jamais éteint… L’effrayante vertu du philtre opérait sur l’âme et sur la chair des deux amans déjà consacrés à la mort. Rien ne pouvait éteindre ou adoucir cette ardeur fatale, rien hormis la mort. Ils avaient tenté vainement toutes les caresses ; ils avaient recueilli vainement toutes leurs forces pour s’unir dans un embrassement suprême… Leur substance corporelle, leur personnalité vivante, tel était l’obstacle. Et une haine secrète naissait chez l’un et chez l’autre, un besoin de se détruire, de s’anéantir, un besoin de faire mourir et un besoin de mourir. »

La mort ! Toujours et partout la mort ! Dans l’opéra comme dans le roman c’est bien elle, elle seule qui triomphe. Toute activité, toute personnalité détruite, tout effort stérile, toute lutte vaine et toute victoire impossible ; tout être enfin englouti, abîmé dans le néant, voilà l’idéal du poète et du musicien de Tristan, et si jamais peut-être Wagner n’a rien produit de plus puissant, peut-être ne produisit-il jamais rien de plus contraire à la destination ou à la mission populaire et sociologique de l’art. « Je souhaite, écrivait Gounod au pape Léon XIII en lui dédiant son oratorio de Mors et Vita, je souhaite que mon humble travail soit de quelque utilité pour l’accroissement de la vie en mes frères et en moi-même, ad incrementum vitæ in fratribusmeis et in meipso. » A la bonne heure. Voilà de sages et presque saintes paroles. Elles enseignent qu’il n’y a d’œuvres socialement salutaires et belles que les œuvres vivifiantes, celles par qui s’accroît la vie et non la mort.

Aussi bien, pour être et surtout pour demeurer le guide, le maître par excellence de la foule, Wagner peut-être l’a trop flattée et trop servie. Son génie a trop accordé à la multitude. En sa polyphonie colossale, il a de plus en plus sacrifié l’individu au nombre, dont il a, sans contrôle ni contrepoids, établi la souveraineté. C’était nous pousser — et de quelle terrible main ! — du côté où nous penchons, sur une pente où, si nous pouvons encore être sauvés, il est temps que d’autres mains viennent nous retenir. Rappelez-vous les expressions ou les définitions d’Amiel : « musique dépersonnalisée, musique-foule. » C’était autant d’avertissemens. Il n’est pas bon que nulle part, fût-ce en musique, le nombre domine et règne seul ; pour le nombre lui-même cela est dangereux et finit toujours par être funeste. Voilà pourquoi l’art de Wagner, plus sociologique que tout autre par l’intention ou la prétention, l’est beaucoup moins par l’effet et le bienfait. L’idéal sociologique n’est pas dans la musique de Wagner, parce qu’elle a compromis l’équilibre entre les deux principes également nécessaires de toute vie sociale : le principe collectif et le principe personnel.

Cet équilibre, et par suite cet idéal, où donc le trouverons-nous ? De quel maître, en achevant cette étude, dirons-nous à la foule : Allez à lui, car il a les paroles de la vie éternelle ? C’est du maître des neuf symphonies, c’est de Beethoven qu’on peut le dire. Du point de vue où nous nous sommes placé, c’est lui comme toujours qui paraît le plus grand. Il n’est pas de plus haut enseignement social que le sien ; pas de plus admirable modèle que son art, de l’harmonie parfaite entre l’individu et le nombre, on pourrait presque dire entre les droits de la foule et ses devoirs. Oui, toute œuvre de Beethoven est une société incomparable parce que c’est une incomparable hiérarchie. Bossuet a dit : « S’il y a de l’art à bien gouverner, il y en a aussi à bien obéir. » Il a parlé de la science maîtresse par laquelle un seul commande ; mais aussi d’une autre science subalterne qui enseigne aux sujets à se rendre dignes instrumens de la conduite supérieure. « C’est, ajoute-t-il, le rapport de ces deux sciences qui entretient le corps d’un État par la correspondance du chef et des membres. » Cette correspondance et ce rapport, cette économie et cette proportion, cet équilibre entre le chef et les membres, entre le commandement et l’obéissance, une sonate ou une symphonie de Beethoven en est la représentation et l’image. Nul n’a créé plus de formes, ou de forces individuelles, et plus individuelles, que Beethoven ; que ces forces d’ailleurs soient des mélodies, des rythmes ou des notes seulement. Mais ces individualités ne sont point égoïstes ou tyranniques ; elles sont libérales et bienfaisantes. Que fait par exemple un thème comme celui du premier morceau de l’Héroïque ? Que fait-il autre chose que proposer un but, une fin supérieure, à l’effort de cette association qu’est la symphonie ! Vers cette fin, sous la direction et l’autorité du thème souverain, tous les élémens tendront ensemble. Si quelques voix, quelques parties s’en écartent, elles y seront bientôt ramenées. On attendra peut-être, on souhaitera leur retour, mais ce ne sera jamais en vain. Par la liberté, la fantaisie ou le caprice, — rappelez-vous la fausse rentrée du cor dans le premier morceau de l’Héroïque, — tout pourra sembler perdu ; tout sera sauvé au contraire, car le caprice sera toujours heureux, la fantaisie obéissante et la liberté disciplinée et soumise.

Pour comprendre quelle force, quelle vertu sociale possède parfois chez Beethoven une note, oui une note seulement, écoutez l’introduction de la symphonie en la. Dix mesures avant le début du vivace, la dominante, le mi, se détache inopinément de l’ensemble. Deux fois d’abord elle provoque l’accord de mi majeur, créant ainsi une première association. Mais celle-ci ne tarde pas à se dissoudre. Durant six mesures alors le mi résonne solitaire, et parce que ces mesures sont lentes, l’impression tonale de mi s’atténue par degrés et s’efface. La note cependant persiste ; à des hauteurs différentes, timbrée de sonorités diverses, elle se fait écho à elle-même. On ne sait plus maintenant ce qu’elle va donner, quel système de sons il lui plaira de fonder. Soudain, répétée, et plus vivement, elle s’enveloppe d’une harmonie inattendue ; elle crée une agrégation nouvelle : après l’accord de mi, l’accord de la. Mais à ce second accord de même qu’au premier, elle encore préside, commande, et c’est ainsi que de la même unité deux groupes successivement ont déjà procédé et dépendu.

Ce que fait ici une note, il serait aisé de montrer comment le fait ailleurs, partout ailleurs dans Beethoven, soit un rythme, soit une mélodie. Ainsi chacune des œuvres de Beethoven est une et multiple à la fois. Tout y est personnel ; tout y est mutuel aussi. C’est pour cela que Beethoven est le maître des maîtres. Il proclame et il applique également les deux lois égales de la vie sociale supérieure. Par lui nous pouvons apprendre, comme dit Bossuet encore, non seulement avec qui, mais sous qui nous devons vivre. Il nous propose le double idéal d’une solidarité universelle et d’une souveraine autorité.

Qui méconnaîtrait la vertu sociologique de la musique, alors que de l’œuvre d’un musicien se dégagent de telles leçons ? Il faut donc bénir la musique parce qu’elle émeut, parce qu’elle console ; il le faut encore parce qu’elle enseigne, parce qu’elle éclate non seulement aux âmes, mais aux esprits. Que tous ceux qu’elle aime, ceux qu’elle a marqués au front, s’efforcent de la faire éclater à l’esprit comme à l’âme des foules. « Consolatrice, consolatrice ! » lui criait naguère le héros d’un roman de George Sand. Sous le titre non moins sacré d’éducatrice, peut-être convient-il de l’invoquer aujourd’hui. Que ceux qui souffrent soient par elle moins malheureux, mais que les ignorans, les égarés, par elle aussi deviennent plus sages ; qu’Apollon, comme aux temps de Pindare, verse encore dans les cœurs le paisible amour de la loi. « L’esthétique, a dit admirablement Flaubert, n’est qu’une justice supérieure. » Oui, l’art, et en particulier la musique, nous donne des leçons de justice autant que de charité. C’est l’idéal de la justice supérieure que réalise le génie d’un Beethoven, car c’est l’idéal de l’ordre, de la hiérarchie, celui d’une société meilleure que la nôtre, où se trouve conciliée l’antinomie — hélas ! peut-être inconciliable parmi les hommes - — entre le principe du nombre et celui de l’individu.

Je me souviens qu’un jour, un admirable jour de l’automne dernier, je me promenais dans la campagne normande. Au tournant d’une allée obscure se découvrit un vaste horizon. Des bois, des bois à perte de vue l’emplissaient tout entier. De l’autre côté de la plaine commençait leur étendue sombre, et là-bas, — si loin que cela semblait à l’extrémité de la terre, — là-bas encore leurs cimes bleuâtres se confondaient avec le ciel. Mais un peu en avant de la première ligne de verdure, quelques grands hêtres s’élevaient seuls. Distingués de l’innombrable foule, ils ne lui étaient point étrangers. Ils paraissaient plutôt ses élus, ses protecteurs et ses souverains. Ainsi, dans l’harmonieux paysage, la beauté singulière et la beauté collective se rapportaient l’une à l’autre et s’accordaient ensemble. J’avais relu le matin même une symphonie de Beethoven, et je crus saisir alors entre la nature et l’art une conformité profonde. Au sortir de cette lecture et devant ce spectacle, je compris, moi aussi, comment le génie de l’homme peut trouver dans la création le modèle ou le patron divin de ses œuvres et que dans la société, comme dans une symphonie ou dans un paysage, il ne faut pas que la forêt cache les arbres, ni que les arbres empêchent de voir la forêt.


CAMILLE BELLAIGUE.

  1. Guyau.
  2. Voir le très intéressant ouvrage de M. Jules Combarieu : les Rapports de la musique et de la poésie.
  3. Cité par M. J. Combarieu ; op. cit.
  4. M. Julien Tiersot, Histoire de la chanson populaire en France ; chez Plon, Nourrit et Cie et chez Heugel, Paris.
  5. Voir à ce sujet un article du Dr H. Reimann dans l’Allgemeine Musik-Zeitung du 13 octobre 1893.
  6. Voyez De la mélodie populaire dans le « Guillaume Tell » de Rossini, par M. E. van der Straeten.
  7. Voir la Revue du 15 février 1895.
  8. Histoire et théorie de la musique de l’antiquité.
  9. M. Gevaert, op. cit.
  10. M. Gevaert, op. cit., passim.
  11. Op. cit.
  12. Sur ces œuvres diverses, et notamment sur la dernière, on trouve de curioux détails dans l’intéressante Histoire de l’opéra en Europe avant Lulli et Scarlatti de M. Romain Rolland ; Paris, 1895, Ernest Thorin.
  13. Voir la Revue du 15 octobre 1894.
  14. Sur le développement de l’opéra aristocratique en Italie, sur les théâtres privés et sur les virtuoses, consulter l’ouvrage de M. Romain Rolland. Nous y avons puisé nous-même abondamment.
  15. Op. cit.
  16. M. Max Nordau, Dégénérescence.
  17. Cité par Victor Wilder dans son livre : Beethoven. Paris, Charpentier.
  18. Bossuet.
  19. Victor Wilder, Beethoven.
  20. Schiller. Traduction de V. Wilder (Beethoven).
  21. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1893 : la Doctrine esthétique de Richard Wagner, par M. Houston Stewart Chamberlain.
  22. M. H. S. Chamberlain.
  23. M. H. S. Chamberlain.
  24. Id.
  25. Wagner et l’esthétique allemande.
  26. M. H. S. Chamberlain.
  27. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1895 : le Legs philosophique de Pasteur, par M. le vicomte E. -M. de Vogué.
  28. Voyez M. H. S. Chamberlain, loc. cit.
  29. Cité par M. H. -S. Chamberlain, op. cit.
  30. M. l’abbé Pierre Vignot, la Vie pour les autres. (Conférences.)
  31. Chez Hachette, 1895.
  32. Voir : la Maîtrise d’Aix, par M. l’abbé Marbot.
  33. Histoire de la maîtrise de Rouen, par MM. les abbés Colette et Bourdon.