La Mystification fatale/Deuxième Partie/VI

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Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 133-139).
§ VI. — Textes de saint Athanase. — Mauvaise foi de Thomas d’Aquin.


Dans le quatrième livre de saint Athanase contre les Ariens, on lit les paroles suivantes sur les relations intimes de la Trinité : Αλλα ηλιον ϰαι απαυγασμα ϰαι εν το εξ ηλιου εν τω απαυγασματι φως. Or, dans diverses éditions, notamment dans celles de Paris et de Bâle, ce passage est traduit en latin de la manière suivante : Sed unicum solem ejusdem splendorem et ex utroque lucem procedentem. Ceci appartient encore au genre de falsifications par traduction. M. Laemmer prétend que la différence n’existe pas dans la chose in re, mais seulement dans les termes in vocibus, et que cette observation de Zernicavius ne peut tromper que ceux qui ignorent les deux langues de l’original et de la traduction. C’est la répétition des inepties de son maître Baronius. Zernicavius (page 222) démontre que le sens loin d’être le même ; je ne puis rapporter ici cette démonstration qui est trop étendue, mais je me bornerai à une seule observation. Pourquoi ne pas traduire le texte grec exactement et scrupuleusement ? Est-ce qu’en cette occasion la langue latine ne possède pas les termes qui correspondent exactement à ceux de l’original ? Pourquoi donc y intercaler le trompeur utroque, si ce n’est pour égarer le jugement de son lecteur ? Traduisez fidèlement et loyalement le texte original, puis par une note à la marge ou au bas de la page, tâchez de recommander le sens qui vous plaît ; autrement vous trompez.

Dans un autre ouvrage de saint Athanase, intitulé Exposition de la foi, on lit : Το δε Αγιον Πνευμα εκπορευμα ον του Πατρος |αει εστιν εν ταις χερσι του πεμφαντος Πατρος και του φεροντος| υιου δι ου επληρωσε τα παντα . Cependant les apocrisiaires du pape Grégoire IX envoyés au patriarche Germain, lors du concile de Nymphée en Asie-Mineure (1234), mutilaient ce passage en le citant sans les mots : αει εστιν εν ταις χερσι του πεμφαντος Πατρος και του φεροντος — que nous avons signalés en les mettant entre crochets — ou plutôt ils n’en retenaient que le και, soudure indispensable. Ce passage ainsi mutilé faisait attribuer la fonction de la Procession au Père et au Fils. Ils prenaient même la précaution de dire que c’étaient les expressions propres et textuelles de saint Athanase ; mais que pouvait-on attendre des légats d’un Grégoire IX, l’auteur de la nouvelle compilation des pseudo-décrétales et des gloses qui s’y rapportent ? M. Laemmer y répond, que Zernicavius se trouve dans l’impossibilité de prouver que le code dont se servaient ces apocrisiaires était d’une valeur inférieure à celle des autres. En un mot, M. Laemmer soutient que ce prétendu code doit jouir d’une autorité supérieure à celle que nous possédons aujourd’hui, et que possédaient les Orientaux et même les Occidentaux, puisqu’en nulle autre occasion, n’avait été produite jusqu’alors une telle citation de saint Athanase. D’ailleurs, ajoute M. Laemmer, le texte produit par les apocrisiaires a la même signification que celui du texte authentique. Écoutez donc, vous qui pourriez prendre au sérieux les objections de M. Laemmer, voici la traduction française de ce passage : « Et le Saint-Esprit, qui est une émanation du Père, [se trouve toujours aux mains du Père qui l’envoie] et du Fils [qui le porte], et par lequel il a rempli tout le monde. » M. Laemmer ne se moque-t-il pas de son lecteur ? lorsqu’il lui dit : « si vous retranchez ce qui est compris entre crochets le sens reste le même. » Quant aux autres ouvrages attribués à saint Athanase, mais composés par Vigilius évêque de Thapsus en Afrique, et falsifiés eux aussi en divers endroits, nous nous en occuperons plus loin.

Parmi les ouvrages de saint Athanase s’en trouve un qui porte le titre : De passione imaginis Din Nostri Jesu-Christi et qui est considéré par tous comme supposé. (Opera Athanasii Vol. II, pag. 636). Vrai ou supposé peu importe : nous n’avons à nous occuper que de son contenu. Or, il y est dit : Εν Πνευμα Αγιον δι ου αληθως πιστευομεν σωτηριας τυχεις, Unus Spiritus Sanctus per quem speramus salutem obtinere. Après le mot Sanctus, des faussaires ont maladroitement intercalé les mots : et ab utroque procedens. Montfaucon affirme, dans l’introduction de son édition des œuvres de saint Athanase, que rien de pareil ne se trouve dans les deux codes qu’il a eus à sa disposition. Ni Baronius, dans ses annales (an. 787) où il a inséré cette œuvre, ni Binius, dans son édition des conciles de 1618, ni Labbe, dans la réédition qu’il a faite de Binius, n’admettent cette interpolation. Toutes ces choses, M. Laemmer les a lues, dans la note apposée par Zernicavius au chapitre qui concerne ce texte ; néanmoins, il a eu le courage, pour ne pas employer un autre mot, de dire que ce n’étaient pas les Latins qui avaient ajouté cette incise, mais bien les Grecs qui l’avaient retranchée. Décidément il devait se dire intérieurement : Qui ira se morfondre à compulser l’ouvrage de Zernicavius ? tandis que moi, je serai cru sur parole.

Eugenius dans une note (pag. 226) où il s’occupe de cette question, dit qu’outre ces découvertes de Zernicavius, Théophane Procopowitch a aussi découvert que d’autres passages des écrits de saint Athanase avaient été falsifiés par Thomas d’Aquin, tandis que d’autres étaient présentés par le même comme authentiques. (V. Théoph. Procopowitch, de Processione Spiritus Sancti, Gothæ 1772, cap. XIV, § 210—214.)

On a voulu disculper le Docteur Angélique, non seulement en ce qui regarde la question de la Procession, mais encore en toute autre matière dogmatique soutenue par des faussetés, en alléguant qu’il ignorait le grec et qu’il avait été égaré par les traductions infidèles de divers faussaires. Ce prétexte pourrait à peine être allégué pour quelqu’un des théologiens de l’Espagne, du Nord des Gaules, de l’Angleterre ou de la Germanie ; mais Thomas d’Aquin vivait et écrivait dans l’Italie méridionale, où divers couvents de langue grecque étaient suffisamment fournis d’œuvres patrologiques, et où il aurait pu facilement se renseigner s’il l’avait voulu. Ensuite, s’être trompé sur deux ou trois points, cela se conçoit ; mais dans cette quantité de faussetés qu’il a accumulées dans son traité de Erroribus Græcorum, où se trouvait l’honnêteté du Docteur Angélique ? Le fait est que Thomas d’Aquin ne songeait qu’à plaire à Urbain IV et à flatter ce pape qui se piquait de science théologique et qui lui avait envoyé un écrit anonyme en apparence, mais en réalité produit de son propre cru, et où toutes les faussetés débitées par les faussaires de ces temps-là étaient accumulées, avec la recommandation d’en faire passer le contenu. C’est ce que nous apprend de Rubeis, dans son commentaire sur les ouvrages de Thomas d’Aquin : Il y dit que, quoiqu’il y eût en Italie des gens instruits qui pouvaient lui expliquer les textes grecs, il ne pouvait néanmoins contredire le Souverain Pontife qui avait colligé et recommandé les falsifications dont nous parlons. (Cité par Procopowitch, pag. 244.)