La Néphélococugie/Comédie
LA COMÉDIE
NÉPHÉLOCOCUGIE
Je suis douteux quel chemin je retienne
De ces deux-cy.
Ah ! beste arcadienne,
Tu te vantois de me conduire bien.
Ce chemin est fourchu, Dieu sçait combien ;
Ne sçays-tu pas qu’une voye fourchüe
Est bien souvent de dure retenüe ?
Comment cela ?
J’en appelle au besoing
Le cas fourchu de ta femme à tesmoing.
Et de la tienne ?
Autant et davantage.
Nous sommes nez tous deux au cocuaige,
Pour telz censez, reputez et tenuz,
Tous deux cornards, encornez et cornuz.
Mais cependant, quel chemin faut-il querre ?
Marche, crains-tu que te faille la terre ?
Voy ce Corbeau qui croasse sans fin,
Demande-luy, si tu veux, le chemin.
Est-il saison de railler à ceste heure
Qu’il fault marcher ?
Veux-tu doncq’que je pleure ?
Je n’en ay point de vouloir quant à moy,
Bien que je soys aussi fasché que toy,
Que je ne voy quelque homme en nostre voye,
Qui au chemin le plus droict nous envoye.
Ceste contrée est déserte à la voir,
On n’y peut pas la trace appercevoir
D’hommes aucuns, sans plus en ces bocaiges
Divers oyseaux degoisent leurs ramages.
En mon esprit un moyen m’est venu
Dont j’apprendray ce chemin inconnu :
Divin flascon qui tiens la douce goutte,
Entre en ma bouche et m’asseure du doubte
De ces chemins incertains et divers ;
Par maintz travaux, par maintz ennuys souffertz,
Espointz des maux qui nostre cœur incitent,
Nous en allons où les Cocus habitent ;
Là les destins, d’un arrest ordonné,
Nous ont promis un repos fortuné.
Ô le bon vin, le vin a une oreille !
Je sens desjà que je diray merveille,
Allons tout droict, nous ne faudrons jamays,
Tu parles bien, ton oracle j’admetz ;
Si nous eussions, malheureux et infâmes,
Cheminé droict sur le corps de nos femmes,
Ayans le manche, et l’outil tousjours prompt,
Nous n’aurions pas deux cornes sur le front.
C’est nostre faute, et quand bien tout je sonde,
Il n’y a rien si equitable au monde
Comme la femme, à qui en tout endroict
Autre vertu ne plaist tant que le droict.
Nous esgarons en ces propos obliques,
Lesquelz nous font dolens et fantastiques,
Partant, marchons, sans plus nous arrester :
Mais en allant je te supply conter
Aux spectateurs, qui longtemps le desirent,
Quelz sont les maux qui cruelz nous martirent,
Qui en est cause, et pourquoy et comment
Nous est venu nostre premier tourment.
Je le diray, mais devant je proteste
Que cela m’est bien fascheux et moleste.
Qui va comptant à autruy ses douleurs,
« Il allentist la pluspart de ses pleurs ;
« En le celant nostre mal se renforce,
« Et l’esventant il demeure sans force. »
Depuis le temps que Jupin irrité
Du larrecin de ce fin Promethé,
Nous envoya afin de nous mesfaire
La femme, helas ! nostre mal nécessaire,
Ce feut alors que tout genre de maux,
D’ennuys, de soings, de penibles travaux,
Que la famine, et la peste, et la guerre
Ont fourmillé par elle dans la terre,
Plus dru cent fois qu’on ne void aux espis,
Parmy les champs, courir maintes fourmis,
Et aux jardins là diligente avette
Couvrir autour le front d’une fleurette.
La femme est cause, ô genre trop maudit !
Que le peché est seul en grand crédit,
Ayant si fort sa racine profonde,
Qu’il en remplist l’enfer, la terre et l’onde ;
D’elle est l’orgueil, d’elle est la passion
Qu’on nomme amour, d’elle l’ambition,
L’ire, la rage et l’aspre frenaisie
De cocuaige et de la jalouzie.
Dès aussitost qu’elle a un peu gousté
Aux hameçons cachez en volupté,
Elle s’y prend, et sans raison ny bride,
Court eshontée où sa teste la guide,
Ne cherchant rien, d’un courage esperdu,
Que son plaisir méchant et deffendu.
Comme un chancreux, si on n’y remédie,
De plus en plus nourrist sa maladie
Qui ne luy donne aucunement repos
Jusques à tant qu’elle ay mangé ses os,
Et consumé d’une fureur cruelle
Tout le meilleur de sa tendre mouëlle ;
Et comme un ver qui au chesne se prend,
Plus il y est, plus vermoulu le rend :
Ny plus ny moins la volupté damnable
Se rendant d’elle une foys accostable,
Et luy ayant ses faux plaisirs appris,
Suce son cœur, aveugle ses espritz,
Va allumant de sa brillante flamme
Les fols pensers du cerveau et de l’ame.
Si d’avanture on la veut empescher
De ne pouvoir tous ses desirs chercher,
C’est lors, c’est lors qu’elle se fait connoistre
Et qu’on luy ouvre une plus grand’ fenestre
À se jetter aux vices bien souvent ;
C’est lors, c’est lors qu’elle va controuvant
Mille moyens tant sa rage l’incite
À pourchasser une chose illicite.
Heureux celuy qui ne connoist le mal
Que donne à l’homme un si fier animal ;
Il vit tout franc d’un dangereux servage,
Il n’a le nom de sot pour apanaige !
Le front levé, il se monstre en tous lieux,
Sans craindre en rien le nom injurieux
Qui appartient à cil qui tant s’oublie
Que d’esclaver soubz la femme sa vie.
Pauvre chetif ! qui en ces lacz tenu
Est, ou sera, ou doibt estre cornu.
Si nous eussions tous deux esté bien sages,
Sans asservir à ses douceurs volages
Nostre franchise et sans estre appastez
Des vains appastz de ses fresles beautez,
Nous ne fussions cornuz comme nous sommes,
Plustost deux boucz que semblables aux hommes,
Et ne voudrions, tristes et esbahis,
Quitter ainsi nostre propre païs ;
Mais si fault-il apprendre la science
En enrageant de piller patience,
Et malgré nous noz douleurs oublier,
Puisqu’on ne peult plus y remédier.
« Où il n’y a point remède d’abattre
« Les durs assaux de fortune marâtre,
« Il fault fuyr par trop se désolant
« De rengreger son malheur violent,
« Et peu à peu par une longue espreuve
« Vestir en soy une nature neuve,
« Qui rien ne craigne et n’appréhende rien,
« Soit que luy vienne ou du mal ou du bien. »
Pour ce, Messieurs, laissans nostre fortune,
Qui nous est trop cruelle et importune,
Je vous diray qui nous meut de venir
Dans le pays des Cocus nous tenir :
Nous sommes nez tous deux d’un mesme pere,
Tous deux sortis du ventre d’une mère,
Qui nous voyans estre vilipendez,
Huez, sifflez, mocquez et regardez
Pour nostre front, dont la cyme se borne
Deçà, delà d’une bessonne corne,
Avons conclud, pour oster de noz piedz,
Tous les soucys où nous estions liez,
Qu’il valloit mieux délaisser pour ceste heure,
Nostre païs, noz biens, nostre demeure,
Noz bons amys, nos parens et tous ceux
Qui nous estoient ennemys et fascheux,
Et s’en aller où les Cocus se tiennent,
Qui comme nous mesme destin soustiennent,
Ont mesme humeur, mesmes fascheuses nuicts,
Mesmes desirs et non moindres ennuys.
De ces oyseaux nous prendrons accointance
Par le moyen d’un qui nasquit en France,
Qui autresfois, comme nous estonné
De voir son front de deux cornes borné,
Se retira où les Cocus demeurent,
Oyseaux de bien qui benins le reçeurent,
Le feirent Roy et luy meirent en main
Le Sceptre esleu d’un Cocu souverain :
Et maintenant d’une puissance grande,
Comme seigneur aux Cocus il commande,
Estant changé, ains que de commander
En une forme estrange à regarder :
Il n’est oyseau ny homme tout ensemble,
Et toutesfois l’un et l’autre il ressemble :
Il a plumage ainsi comme l’oyseau,
Et comme luy chante au printemps nouveau ;
Ce nonobstant, comme un homme il devise,
Il fait, il parle, il propose, il advise,
Il a des mains et aussi des piedz telz
Comme les ont tous les hommes mortelz.
Il crache, il tousse, il pète, il rote, en somme,
Il est semblable au naturel de l’homme ;
Mais il differe en cecy des humains
Qu’il est oyseau et ne l’est neanmoins,
Car sa grande aille estendue à merveille
Monstre qu’il n’a une essence pareille
À l’homme, et moins à un Cocu aussi,
Car le Cocu a le corps tout noircy
D’ailles, de poil, de piedz et de plumage,
Et n’a qu’un bec en lieu d’un beau visage ;
Son corps est moindre et est bien plus leger
À prendre vol que son Prince estranger.
Or, ce grand monstre, ensemble oyseau et homme
Est de Paris et Jean Cocu se nomme ;
N’ayant mué rien plus que le surnom
Parceque Jean il a eu tousjours nom ;
Et nous, Messieurs, que la fortune exile,
Sommes natifz de Tholoze gentille,
Où Amalthé a longtemps habité,
Et a Jupin là mesmes allaicté,
Non dedans Crete, et pour reconnoissance
Luy a laissé sa corne d’abondance.
Je pense, moy, que nous ne sommes pas
Bien loing du lieu où nous dressons noz pas.
Nous verrons bien, or va-t’en et desserre
Deux ou troys coups avecques une pierre
Dedans ce chesne, et crie à haute voix
Pour voir voler les oyseaux de ce boys.
Hau ! Jean Cocu !
Qui est là ? qui l’appelle ?
Ô ! Apollon quelle chose nouvelle,
Certes, je n’eusse oncques pensé cecy
Que les oyseaux eussent parlé icy.
Et si font bien en Tholoze les bestes.
Ne voulez-vous me dire qui vous estes,
Qui demandez à parler à Monsieur ?
Dis-moy, oyseau, es-tu le senateur
De Jean Cocu, dont la grand’ renommée
En toutes partz est aujourd’huy semée ?
Ouy, ouy.
Tout nous vient à souhaist.
Mais qui es-tu ?
Je suis son Tiercelet,
Tiré de luy comme une quintessence,
Pour estre mis souz son obéissance.
Ton maistre est-il des quintessentiaux,
Changeant en or tous les autres métaux ?
Nenny, mon maistre ignore l’Alchemie,
Mais tout ainsi comme en l’Oyselerie
On va trouvant des oyseaux qui ont nom
Les Tierceletz, d’Autour et de Faucon :
Semblablement aux Cocus se presente
Une autre espece à leur forme approchante,
Qu’on ne dict pas des Cocus proprement,
Ains Tierceletz de Cocus seullement.
Doncq, Tiercelet, va-t-en dire à ton maistre
Que deux cornuz, telz que tu nous voidz estre,
Le veulent voir.
Il est pris de sommeil,
Je luy diray soudain à son réveil,
Et non plustost, car je crains sa menace.
Mon Tiercelet, je te supply, de grace,
Va l’esveiller.
Je sçay bien qu’il sera
Fort dépité quand on l’esveillera,
Mais pour l’amour de vous deux je me charge
D’aller vers luy accomplir ceste charge.
Va, mon amy.
Ce Tiercelet icy
A son minois a beaucoup de soucy.
N’as-tu pas veu qu’il a la veuë trouble
Et le corps maigre comme une escouble ?
Ce n’est le soing qui si maigre le rend,
Ains c’est plustost qu’à son repas il prend
Honneur partout aux friandes oreilles,
La Merde d’Oye, ou viandes pareilles.
Laissons-le là, le vilain, qu’il est laid,
Je ne voudroys avoir un tel valet.
Sus, ouvrez-moy la Forest, que je sorte.
Voyci ce Jean. Dieux ! quel plumage il porte,
Quelz piedz il a ! quelles mains et quels yeux !
Quel port, quel geste horrible et furieux !
Qui estes-vous qui me cherchez ?
Deux bestes,
Comme deux boucz ayans cornes en testes,
Venus exprès pour cosser contre toy.
Il semble à voir que vous mocquez de moy.
Non pas de toy.
De quoy doncq ?
Il nous semble
Que ton visage et ton plumage ensemble
Cache en un homme un cocu Damoyseau.
Estimez-vous que cela soit nouveau ?
Ce grand Tonnant qui, d’un coup de tonnerre,
Peut eslosser, et les Cieux et la terre,
Lequel retient souz son brave pouvoir
Tout ce qu’en hault et en bas on peult voir,
Pris et bruslé en sa tendre poictrine
De la beauté admirable et divine
D’une Junon, se changea finement
En un Cocu pour guerir son tourment
Et pour jouïr d’elle qui estoit fiere
À luy vouloir accorder sa priere.
Et c’est pourquoy sur ton sceptre doré,
Comme un Cocu est Jupin figuré ?
Vous dites vray.
Et doncq’ Jupin peult estre
De tes Cocus le patron et le maistre,
Estant ainsi dessus ton sceptre peint
Tel qu’il estoit alors qu’il feut contraint
D’aller changer sa divine figure
En un oyseau plein d’estrange nature.
Non point, nous seulz portons le sceptre en main,
Où soit gravé un Cocu si hautain ;
Dedans Argos, celle qu’engendra Rée,
D’un pareil sceptre a la main decorée,
Pour un seignal que son frère en Cocu
Feut maistre d’elle, et ensemble vaincu,
Et qu’elle feut d’un maistre Cocu faite
D’une pucelle une femme parfaicte.
Ce n’est doncq’ pas un peu d’authorité
D’estre Cocu, puisqu’un Dieu l’a esté.
Mais, dites-moy, d’où estes-vous ?
De France.
De quel quartier ?
Où l’on ayme la dance
Plus qu’en nul lieu.
Vous estes volontiers,
Comme je croy, tous deux nez de Poictiers.
Un peu plus loin.
Où est-ce, je vous prie ?
En une ville ayant pour armoirie
Un blanc agneau, et où les baladins
Grandz piaffeurs, sont appelez Moudins.
Je vous entendz, vous parlez de Tholoze.
Vous l’avez dict.
Qui vous meut, quelle chose
Vous faict venir en un lieu si lointain ?
Le grand desir qu’avons de longue main
De te connoistre.
Comme nous deux tu as esté un homme,
Comme nous deux tu nasquis autrefois
De nation et de genre François ;
Et comme nous, en marque d’une beste,
Tu euz jadis deux cornes sur la teste,
Et as esté aussi bien, comme nous,
Mocqué, sifflé, monstré au doigt de tous ;
Et comme nous, plein de melancholie,
Tu as quitté les tiens et ta Patrie :
Par ce moyen, par un accord fatal
Symbolisant tout oultre à nostre mal,
Et comme nous sans différence aucune
Ayant couru une mesme fortune,
Son ignorant de ces divers assaulx,
Tu voudras mieux secourir à noz maux,
Et permettras en meilleure asseurance
Que dans ton bois nous facions demeurance.
Je vous reçoy.
De grandz mercis nous te remercions,
Te promettans dorenavant de vivre
Dessoubz les Loys qu’il te plaira ensuivre.
Vous soyez bien et à propos trouvez
Pour une affaire où tous deux me pouvez
Bien conseiller comme estans avec l’aage,
Pleins de praticque et de prudence sage.
Qu’est-ce, dy nous ?
Le filz de Maie, interprete des Dieux,
Me vint sommer d’aller faire en personne
L’hommage deu, pour moy et ma coronne,
Au Dieu qui faict trembler dessouz sa faux
Par les jardins tous les autres oyseaux :
Je respondy que tout mon cocuaige
Ne tenoit point à foy et à hommage
De ce Dieu là, ains de ma majesté,
Qui y commande en souveraineté,
Et reffasay d’estre soubz la puissance
D’un Dieu tiran contraire à nostre engeance,
Cruel, félon, sans amour, sans appuy
Et le motif de nostre grand ennuy.
Sur mon refus il veut saisir ma terre,
Mais je l’empesche et dénonce la guerre
À ce Priape, au cas qu’il me voudroit
Troubler mon sceptre et mon souverain droict.
En peu de motz voylà toute l’affaire :
Et aujourd’huy qu’est-il meilleur de faire,
Ou d’assaillir, ou repousser bien loing
Mon ennemy, si j’en ay le besoing ?
Je te diray un moyen bien utile,
Dont promptement il te sera facile
De l’envahir, ou de ne luy faillir,
Si d’avanture il te vient assaillir.
Quel ce moyen ?
Regarde en bas, que voys-tu à ceste heure ?
Rien n’apparoist que la terre à mes yeux.
Hausse ton col, qu’avises-tu ?
Or, entre deux l’air est sis.
Qui est nommé en autre nom le vuide.
Vuide pourquoy ?
Qu’il est tout vacque et qu’il est tout desert.
Mais si tu veux me croire en une chose,
Fais-y bastir une ville bien close
Et bien garnie autour de toutes partz
De boulevertz, de tours et de rempartz,
Et y demeure, et toute la grand’ bande
De tes Cocus auxquels Roy tu commande.
En ceste sorte estant fortifié
De murs, de gens, tu iras sans pitié,
Escarbouillant plus dru que la tempeste,
À gros caillous de Priape la teste.
Et quand les Dieux le pourroient secourir,
Ilz n’oseroient de crainte de mourir
De male faim.
Il adviendra, et m’entendz bien.
Dedans le ciel les grandz Dieux immortelz
Vivent d’odeurs qui montent des autelz
Parmy l’espace où sera vostre ville :
Si doncq’ les Dieux, d’une audace inutille,
Vouloient monstrer contre vous leurs fureurs,
Vous humerez leurs friandes odeurs,
Comme d’un coup en humant on avalle
Au desjeuner les huitres en escalle.
C’est bien parlé, j’en jure les grandz Dieux,
Jamais un Dieu ne m’eust conseillé mieux,
Et je feray ceste ville construire,
Si aux Cocus je voy la chose duire.
Qui leur dira ce que j’ay proposé ?
Ce sera toy qui es mieux advisé
Et mieux instruict aux affaires plus rares
Que nous, Oyseaux ignorans et barbares.
Je ne voy point de tes Cocus en l’air
Où sont-ilz tous ?
ODE
Sur les plaines Parnassides,
Qui accordant à ta voix
Le luth guidé de ton pouce,
D’une harmonie si douce
Esmeuz les rocz et les boys ;
Que les neuf seurs immortelles,
Les Muses, chastes pucelles,
Suivent alors qu’elles vont
Caroller dans une plaine,
Ou au bord de la fontaine,
Qui jallist dessus leur mont ;
Viens, Apollon, je t’appelle,
Donne-moy une voix belle,
Pour faire venir à moy
Mes Oyseaux, qui par le vuide
Suivront ma voix comme guide,
Ô douce langue ! ô gorge doucereuse !
Combien elle a sa voix harmonieuse,
Ayant esmeu en un moment de temps
Tout ce grand boys de ces chantz esclatans !
Paix, parle bas.
Ne veux-tu pas donner silence encores ?
Ce Jean Cocu se veult jà apprester
Pour aultres chantz tous nouveaux nous chanter.
STROPHE OU ODE
Tous mes Cocus à moy s’en viennent
Qui espars dans ce boys se tiennent :
Coku, Tacoku, Tacoku :
Sus, sus, que chacun d’eux s’envole,
Branlant ses deux ailles en l’air.
Tous, tous, viennent vers moy voler,
Cherchans le vent de ma parolle,
Comme à ce faire ilz sont instinctz.
STROPHE OU ODE
Hastez-vous de venir tous,
Ou soit que dessouz l’ombrage,
Desgoisant vostre ramage,
Sur un rameau vous perchiez ;
Ou qu’en la terre couverte
De gazons et d’herbe verte,
Vostre pasture cherchiez ;
Ou que soyez aux bocages,
Où l’on ne void pas de trac
D’hommes et bestes sauvaiges.
STROPHE OU ODE
Tous deux aux affaires des hommes,
Se sont de leur terre absentez
Pour venir aux lieux où nous sommes ;
Ilz veulent monstrer le moyen
Comme nous donnerons la chasse
À nostre ennemy ancien,
Le Dieu adoré dans Lampsace.
Cokou, Cokou, Cokou, Cokou,
EPODE
Vous orrez leur eloquence,
Qui coulle plus doux que miel ;
Accourez tous d’une bande,
Et de vostre suitte grande
Voys-tu en l’air aucun Oyseau qui vienne ?
Je ne voy rien, ores que je me tienne
Fiché en haut, regardant parmy l’air,
Si je verray quelque Cocu branler.
Je suis aussi beant emmy la nuë,
En attendant des Cocus la venue.
Si ne sont-ilz desmeshuict gueres loing,
Car Jean Cocu se taist, et n’a plus soing
De gringotter sa chanson Cocuante,
Ains accrouppy aux escoutes se plante.
Je voy, je voy un Oyseau maintenant,
Qui parmy l’air ses ailles demenant,
Haste son vol, et semble à sa vistesse
Que devers nous sa volée il addresse.
Le vois-tu bien ?
Tout tannelé des couleurs d’un corbeau,
Fauve, cendré à la queuë avalée,
Couverte en long de plume grivelée :
C’est un Cocu, ou je suis grandement
Circonvenu en mon entendement.
Nous le sçaurons de Jean Cocu, beau sire,
Qui sans faillir nous le pourra bien dire.
Dis, Jean Cocu, nous voudrions sçavoir
Qu’est cest Oyseau ainsi marqué de noir ?
C’est un Cocu.
Tes beaux Cocus ont doncq’ la plume noire,
Grise, tannée et grivelée aussi ?
Non tous Cocus, ains seullement ceux-cy,
Qui sont nyays, vivant toute l’année
Dedans leur nid qui est la cheminée,
Dont cestuy-là en est un bien parfaict,
Nyays Oyseau et nyays par effaict,
Gros enfroigné, gros tendrier inutile,
Tout renfroigné, tout sot, tout mal habile,
De tous plaisirs retraint et desnué,
Un lourd vilain, un Cocu cocué.
J’en voy encore un autre qui luy semble,
Et de plumage et de couleur ensemble,
Sinon qu’il a comme une mitre au front.
Aussi est-il de ces Cocus qui sont
Oyseaux de marque et prisez davantaige,
Pour avoir sçeu que c’est que Cocuaige ;
Qui, entre nous, pour estre mieux monstrez,
Sont en leur front de nature mitrez ;
Cocus pondus en semence et en herbe,
Qui vont croissant en espy, et en gerbe.
En terre doncq’ ilz ont esté tapis,
Puisqu’ils sont nez en herbe et en espis.
Ne voidz-tu point un autre Oyseau encore,
Frizé au front d’un beau poil qui le dore,
Oyseau si vif, si prompt, si remuant ?
C’est un Oyseau qu’on nomme Cocuant,
Le plus gaillard, le plus fin que je pense
De tout Oyseau de mon obéissance ;
Il est subtil, il est prompt et leger,
Il suict le vent comme Oyseau passager,
Il vit de proye, et bien souvent encore,
Las de voler sur un arbre il s’essore ;
Il peult le poing aizement endurer,
Et si est bien plus facille à leurrer,
S’il void de loing une chair vive et belle.
En mes ans verdz j’euz la nature telle,
Quand me jettant sur les champs à l’escart,
J’avois jà pris l’essor en quelque part,
Si je voyois une chair vive et nette,
Non corrompue ou pourrie et infaicte,
Haussant mon aille et mon corps allongeant,
J’allois mon bec dessus la chair plongeant,
Et me leurroient les pucelles tendrettes,
Qui par plaisir branloient mes deux sonnettes,
M’apprivoysoient et avoient bien le soing
De me porter quand il estoit besoing :
Et quand j’estois perché un peu sur elles,
Souple et dispos je dressoys mes deux ailles,
Mais maintenant que je debviens chenu,
Je suis aussi tout pantoys devenu.
Ô Dieux puissans ! à quelles troupes fortes
Viennent icy Cocus de toutes sortes,
Gras, amaigris, gresles, carrez et rondz,
Grandz et petitz, trappus, menus et longs,
Noirs, pers, tannez, cendrez, routes et garres,
Jaunes, blancs, roux, marquetez et bizarres :
De leur haut vol en long ordre espaissy,
Ilz vont rendant tout le Ciel obscurcy,
Et de leurs cris tout ce boys s’en estonne,
L’air retentist et Echon en résonne.
Ilz sont prochains, et à les voir crier,
Il sembleroit qu’ilz vueillent déplier
Contre nous deux leur rage et leur audace ;
Plus ilz sont près, plus j’entendz leur menace.
Et plus je voy qu’ilz regardent sur nous.
Que vous plaist-il, Sire, que voulez-vous ?
Nous voyci prestz tous ensemble de faire
Ce que verrez qui vous soit nécessaire.
Non pour moy seul, mes subjectz, seullement,
Ains pour vous tous, et moy esgallement,
Je vous ay faict assembler pour vous dire
Ce qui concerne au bien de nostre Empire.
Qu’y a-t-il, Sire ?
Sont devers moy venus deux hommes vieux,
Qui m’ont instruict comme il faut que j’attrape
Nostre ennemy, ce viedaze Priape.
Où sont, où sont ces hommes ennemys ?
D’où viennent-ilz, et qui leur permis
De s’addresser dans noz bois en la sorte,
Veu mesmement la haigne qu’on leur porte,
Où sont, où sont, où sont-ilz ?
Ilz sont tous deux auprès de moy icy,
Et ont laissé le païs de la France,
Qui est le lieu où ilz prindrent naissance,
Pour s’en venir avec nous habiter.
Ferez-vous bien un tel acte damnable ?
Je le feray et l’ay pour agreable,
Ne dittes plus ny pourquoy, ny comment,
C’est mon plaisir, c’est mon commandement.
STROPHE
Noz haineux nous ont envahis
Lequel nous debvant soustenir,
Faict, ingrat, les hommes venir
Pour destruire nostre Province ;
Il nous veult mettre entre les mains
De noz ennemis inhumains,
Les hommes, ses frères antiques,
Les hommes, si fiers animaux,
Nez à nous faire mille maux
Tiran cruel, digne de grief supplice,
Qui nous trahist, qui avons esté siens,
Tout en un coup et de corps et de biens
Ne luy portons jamais obeissance,
Et toutes fois prenons, prenons vengeance
De ces vieillardz malheureux et mauditz,
Qui ont esté si osez et hardis
Que d’espier le bois qui nous enserre,
Nous sommes mortz.
Vers ces Cocus pour nous faire mourir !
C’est faict de nous, je ne voy point de plage
Où nous puissions nous sauver de l’oraige ;
De toutes partz mille Cocus nous vont
Environnant aux costez et au front,
Et à la queuë, et ne sçaurions tant faire
Que nous puissions de leurs trouppes distraire.
Sçays-tu que c’est ? Il ne faut craindre rien,
Car j’ay trouvé un fort subtil moyen
De les chasser s’ilz vont haussant leur creste :
C’est que dressant noz deux cornes en teste,
Et aiguisant noz ongles comme il faut,
Nous résistions à leur cruel assaut ;
Et le premier qui nous voudra combattre,
Que promptement on ne faille à l’abattre
Dessoubz les piedz, et pour besongner mieux,
Qu’à coups de corne on luy creve les yeux.
STROPHE
Ces deux vieillardz rassottez,
Tous pleins d’astuce et d'injure ;
Sus, que noz grandz becs pointus
Rendent leurs corps abattus,
Pour nous servir de pasture.
Dressons noz ailles en haut :
Alarme, alarme, à l’assaut,
Ayons les deux griffes prestes,
Et de corps, de piedz, de testes,
Enfonçons-les sans frayeur ;
Ilz sont à nous, ilz ne taschent
Qu’à chercher où ilz se cachent
Où m’enfuiray-je ? où iray-je à ceste heure ?
Ah ! malheureux, faut-il donc que je meure ?
Ne t’ay-je dict qu’aizement nous pourrons
Fendre, assaillir, chasser leurs escadrons ?
Laisse ta peur.
Que nous puissions faire grand’ resistance ;
Ilz sont plus fortz que nous deux mille foys,
Et de pouvoir evader de ce boys,
Nous ne sçaurions, quelque effort que tu tente.
Qui faict qu’au cœur j’ay si grande espouvante,
Que si n’estoit de honte que j’aurois,
De male peur tout je m’incagnerois.
Donnons dessus, et sans craindre la vie,
Frappons, ruons, rompons tout de furie ;
Allons les joindre, et de noz ongles tortz,
Fendons, tuons, ecorchons-leur le corps.
Si vous venez, Oyseaux, je vous appreste
Sur vostre chef une horrible tempeste ;
Ne m’espargnez, affin qu’à vostre tour
Vous recepviez à beau jeu beau retour.
Dittes, Cocus, quelles fureurs cruelles
Erre au profond de voz tendres mouëlles ?
Mechans Oyseaux, que pensez-vous songer ?
Voudriez-vous bien deux vieillardz saccager,
Qui n’ont jamais offensé vostre race,
Ny de propos, d’effect ny de menace,
Ainçois tousjours tandis qu’ilz ont vescu
Ont honoré le beau nom de Cocu ?
Vous perdez temps, il est autant possible
Que nostre cœur de rage soit paisible,
Qu’il est possible entre les grandz trouppeaux
Des gras moutons et des petitz aigneaux,
Que le loup puisse empescher sa furie
Et s’en aller hors de la bergerie.
Mais s’ilz vous sont de nature ennemys
Et qu’ilz vous soient en leur pensée amys,
Estans venus pour service vous faire,
Voudriez-vous bien les meurtrir et deffaire ?
Quoy ? pourrions-nous aucun service avoir
Des hommes promptz à tousjours decepvoir,
Malings, ruzez et ayans davantaige
Faict à nous tous et maint et maint outrage,
Les ennemys les plus pernicieux
Qu’ont eu jamais noz anciens ayeux.
Ilz vous don’ront conseil en voz affaires.
Comment peut-on de ces grandz adversaires
Prendre conseil ? Ce seroit pour néant,
Et ne seroit utile ne seant.
« Si pouvez-vous, en le voulant entendre,
« Beaucoup de bien de l’ennemy apprendre,
« Dont le conseil quelquefois est plus sain
« Que n’est celuy de nostre amy certain :
« Car nous prenons vivement par l’oreille,
« Ce que l’amy nous dict, et nous conseille,
« Ne regardans s’il a bien, ou mal dict,
« D’autant qu’il est entre nous en credit,
« Et qu’il est creu de tout ce qu’il propose :
« Mais du haineux c’est bien une autre chose,
« Car s’il nous va conseillant nostre bien,
« Nous regardons, devant qu’en faire rien,
« S’il a bien dict, s’il y a apparence
« En ses propos de quelque vray-semblance,
« Et qui l’esmeut, à quelle occasion,
« Quel est son but, et son intention,
« Encor enfin il est en nous d’eslire,
« Si nous debvons prendre ou laisser son dire,
« Non de l’amy, qui se sent mesprisé,
« Si comme luy son conseil n’est prisé. »
S’il est ainsi qu’aux ennemis on treuve
Quelque conseil, nous en ferons l’espreuve ;
Arrestons-nous, et cessons peu à peu
Nostre courroux, nostre ire, et nostre feu.
Nous sommes bien, ilz mattent leur courage,
Ilz vont laissant leur fureur, et leur rage,
Ne craignons plus leur félonne rigueur.
Je n’ay encore en seureté mon cœur
Qui me debat d’une crainte certaine,
Ainsi qu’on void debattre une mitaine,
Qu’entre ses mains par passetemps soufflant,
On va d’un vent platissant et enflant.
Si tu craignois, je n’estois pas sans crainte,
Mais il falloit estre hardis par feinte
Vers ces Oyseaux qui monstrent leur courroux
A des aigneaux, et non pas à des loups.
Je ne sçaurois m’enhardir par feintise,
Pour estre après noté de coüardise,
Comme d’aucuns qui font bien des fendans,
Sont en braver, en jurer abondans,
Jouans du plat de la langue à leur aize,
Ce n’est que feu, ce n’est que vive braize,
On ne sçauroit leur ardeur soustenir,
A toute force ilz se font retenir :
Et quand il faut un petit se combattre,
Vous les verriez resfroidiz comme plastre,
Estre esbahis, craintifs, et estonnez,
Et de vergogne avoir un pan de nez.
Tout est passé, nous ne debvons plus craindre,
Jà ces Cocus delaissent de nous ceindre,
Comme ilz avoient au commencement faict,
Et ont desjà tout leur ordre deffaict.
STROPHE
Et qu’en signe d’une concorde,
Marchant ensemble à petitz pas,
Ces deux hommes vieux on aborde,
Et devant que de faire rien,
Le Roy nous enseignera bien
Comme en habitz et en couleurs,
On les void remplis d’inconstance,
Les uns aux vertus sont enclins,
Les autres embrassent le vice,
Et les uns vivent sans malice,
Les autres sont cautz et malings.
Prince, nous voudrions bien connoistre
En quelle contrée ont peu naistre,
De la France ces fugitifs ?
Ilz sont de Tholoze natifs.
Pourquoy ont-ilz abandonné
Ceste ville si fortunée,
Pleine de gens riches d’escus
Et qui ayment tant les Cocus ?
C’est d’ennuy, et d’ire profonde
De se voir herceler au monde,
A cause que les Dieux les ont
Tous deux marquez emmy le front
De deux grandes cornes bessonnes ;
Au reste ilz sont bonnes personnes,
Et quand bien vous les connoistrez
De plus en plus les aymerez.
Quelz bons conseilz, et profitables
Peuvent donner ces misérables,
Vous voyez bien là l’un des deux
Qui a le plus maigre visage,
C’est un autant accort et sage
Que j’aye jamais accosté ;
Il dit merveille, il a hanté
Le monde, à contempler sa face
Pleine d’une modeste audace.
ÉPODE
Il nous faut devers luy aller
Commandez-luy doncq’ de parler,
Un desir desjà nous affolle
D’escouter sa douce parolle,
Et de voir s’il est sage ainsi
AUTRE SYSTEME
Or, mes amys, j’ay si bien de ma langue
Basty pour vous une douce harangue,
Que grace aux Dieux vous estes retirez
Du grand danger où vous estiez fourrez,
Et pour signal d’une paix amyable
Ces miens Cocus ont eu pour agréable
Vostre venuë, ayans compassion
De vostre ennuy et vostre affliction.
Si nous ont-ils faict de fortes alarmes,
Mais ce que plus je craignois de leurs armes
C’estoit leur bec si crochu et si fort.
Laissons cela, car j’ay faict vostre accord
Par tel moyen que tu feras entendre
Ton bon conseil, comme il faut se deffendre
Contre Priape, et comme il faut l’avoir,
Ainsi qu’as dict, dessouz nostre pouvoir.
Auparavant il faut doncq’ qu’on me jure
Qu’on ne fera à nous aucune injure,
Ou je ne veuz rien dire de ma part.
Nous vous jurons.
Qu’est-ce Coquart ? J’ay veu, comme il me semble,
Le Calendrier où les Dieux sont ensemble
Selon leur grade et leur rang enfermez,
Si n’ay-je veu ce Dieu que vous nommez,
Ou il estoit en quelque coing, peu-estre,
Si bien caché, qu’il n’a sçeu apparoistre.
Or si a-t’il entre nous un grand nom.
C’est des Cocus, peult-estre, le patron ?
C’est nostre Dieu.
Qui vous est tant vénérable et supresme,
Faites icy un solennel serment
Que ne serez fascheux aucunement.
Nous vous jurons par Coquard, qui preside
Sur ses Cocus qu’il soustient, et qu’il guide,
Qu’il ne sera, soit en dict, soit en faict,
Contre vous deux rien commis ny forfaict.
Quoy ! voudriez-vous de promesse meilleure
Que celle-cy, par qui on vous asseure
De ne vous faire aucun mal, ny ennuy ?
Bien, nous mettons dessouz ton bon appuy.
STROPHE
Jaçoit que dans l’humaine race,
On voye regner la falace,
Plus que la pure verité,
Et que celuy qui plus exerce
Son temps à malice diverse,
Est plus hault en authorité.
Si ne pensons-nous que vous estes
Autres que simples et honnestes,
Et que toy qui es sage et meur,
Vueilles user de menterie,
De finesse, et de tromperie,
Propres au dissimulateur.
Ainsi conseille-nous sans feinte,
Quelles machines inventant,
Nous rendrons la grand force esteinte
De Priape qui nous hait tant.
Devant jamais que Priape eust naissance,
Desjà Cocus vous estiez en essence.
Nous en essence ?
Cela vrayment nous avions ignoré.
Vous n’avez leu aussi aux bons poëtes
Qui vont chantant dans leurs fables secrettes,
Qu’en mesme temps, mesme heure, mesme jour,
Feurent esclos les Cocus et l’Amour.
Les Dieux alors ne regnoient point encore,
Venus aussi qu’en Paphos on adore,
Prise d’Amour n’avoit du Dieu Bacchus
Conçeu Priape ennemy des Cocus,
Et ne l’avoit dans les champs d’Abarnie,
Si tost qu’il eust en ce monde pris vie,
Abandonne, renonçant d’avoir faict
Un tel enfant si lourd et contrefaict.
Il est aymé toutesfois des pucelles,
Non pas pour luy, ains pour le profit d’elles :
Car en sa hanche il a deux beaux tesmoings
Qui sont plus gros que pillons pour le moins,
Et un beau manche assez roide et qui pousse
Bien roidement sa puissante secousse,
Gentil, nerveux, bien nourry, bien charnu,
Et par sur tous le plus brave tenu.
Alors le ciel, l’air, le feu et la terre
Et toute l’eau qu’Amphytrite resserre
Dessouz ses bras larges et estendus,
N’estoient encore en leur place espandus,
Tout estoit plein de la nuict tenebreuse ;
Laquelle estant de soy-mesme amoureuse,
De deux beaux œufs feist engraisser son sein :
De l’un nasquit l’archeret inhumain,
Ce Dieu Amour portant au dos des ailles
Et un carquois plein de flesches mortelles,
De l’autre vint un Cocu printanier
Qui feut l’autheur des Cocus le premier,
Noble Cocu, dont la race feconde
Peuple aujourd’huy la plus grand’part du monde.
Si les Cocus à ton dire sont vieux
Plus que la mer, que la terre et les cieux,
Que ne sont-ilz ou Dieux ou quelques Princes,
Ayans souz soy les plus belles Provinces ?
Ilz ont jadis esté de puissans Roys.
Mais où ont-ilz commandé autrefois ?
Conte-le-moy, de grace, je t’en prie.
Ilz feurent Roys d’Egypte et de Surie :
Qu’il ne soit vray, quand on void au Printems
Quelques Cocus en ces quartiers chantans,
Lors en son champ tout le monde amoncelle
Le fourment, l’orge, et l’aveine eu javelle,
Et en ce tems on se mocque de ceux
Qui d’asserrer leurs biens sont paresseux,
Gens inutilz, qui n’ont en reverence
De leurs Cocus l’honorable présence.
S’ilz sont mocquez, aussi le gaignent-ilz,
N’honorans pas des oyseaux si gentils.
Ilz ont si bien regné dedans la Grece,
Que les grandz Roys célébrez en proüesse,
Qui dans Mycene ont esté en renom ;
Pelops, Thieste, Atrée, Agamemnon,
Pour mieux se faire à leurs peuples parestre,
Portoient, pompeux, un sceptre en la main dextre,
Qui n’avoit point au sommet un corbeau,
Une choüette, une aigle, ou autre oyseau,
Mais un Cocu, qui est marque certaine
Que les Cocus feurent Roys de Mycene,
Roys redoutez, et tenans souz leurs loix
La région des renommez Grégeois.
Ce preux Ajax indompté de courage,
S’il faut au moins croire le tesmoignage
De Lycophton, autheur digne de foy,
Estoit Cocu, et le filz d’un grand Roy,
Luy-mesme chef entre les chefz de Grece,
Qui assiegeoient Troye et sa forteresse,
Et secondant Achille au pied leger,
Quand il failloit au combat se ranger.
Qui les osta de leur place royalle,
Puisqu’ilz avoient leur majesté esgalle,
Dedans la terre, à celle que Jupin
Retient au ciel en son trosne divin ?
Ce feut le temps qui abbat et qui vire
« Non-seullement un florissant Empire,
« Ains nostre nom, nous, et nostre beauté
« Nostre fortune et nostre authorité. »
Estre le temps, et sa puissance haute
Tant seullement ?
Car vous allez tous seuletz esgarez,
Et n’estes point en troupes resserrez,
Qui dans les prez, qui dedans les campaignes,
Qui dans les bois, qui dedans les montaignes,
Qui au foyer, et qui en la maison,
Estes assis comme en une prison.
D’où doncques vient que nostre ville est pleine
De ce beau chant : un Cocu l’autre meine,
Si ce n’estoit que les Cocus entr’eux
Ne vont seuletz, ains s’en vont deux à deux ?
Si vous eussiez tousjours esté en bande,
L’homme mutin qui rien plus ne demande
Que changement de Prince, et de Seigneur,
Vous eust porté malgré luy tout honneur,
Espris de peur que se jettant aux armes
Il n’eust soudain en teste voz gendarmes,
Qui repoussans promptement son effort
L’eussent puny d’une cruelle mort :
Mais vous voyant courir à la volée,
Sa froide peur s’est de luy escoulée,
Et n’a point craint de vous chasser du lieu
Où vous estiez honorez comme un Dieu.
Et maintenant il cherche vos dommages,
Il vous mesprise, et vous pense volages,
Et qui plus est, sans pitié ny esgard,
Il vous meurtrist, il vous larde de lard,
Vous faict rostir, et pour metz delectable
Il vous appose, et vous mange à sa table.
Si doncques l’homme est vers vous si mechant,
Pensez comment Priape ira taschant
De vous vexer, de vous estre moleste,
Puisqu’il vous est ennemy manifeste.
Hardy sur vous il se viendra jetter,
Et vous pourra aizement surmonter,
Ainsi espars : comme un lyon se ruë
Sur un taureau qu’il deschire et qu’il tuë,
En le voyant dessuz le bord d’un pré,
De son troupeau à l’escart séparé :
Ny plus ny moins vous voyant eu desordre,
Voletans seulz, sans arrest et sans ordre,
Vostre ennemy peut bien à son plaisir,
De vostre bois, et de vous se saisir.
STROPHE
En escoutant de nos ayeux
La magnifique fortune
Qui leur est escoulée en bas,
Par faute de ne prendre pas
L’occasion opportune ;
Mais dy, comment nous le pourrons
En son premier heur remettre,
Car toutes choses nous ferons
Que tu voudras nous commettre.
Commande nous tant seulement,
Que nous debvrons faire, et comment,
Il ne nous en chaut pas du reste ;
Mais que soyons rendus plus fortz
Et que nous revengions les torts
Je ne sçay point de plus certaine voye,
Qui en vostre heur ancien vous convoye,
Que celle-cy, laquelle, à bien parler,
Seulle sans plus vous y peult faire aller.
Monstre-la-nous ?
Votre façon et maniere de vivre,
Vivez ensemble, et plus ne vous mettez
Dedans les bois ça et là escartez.
Par quel moyen ?
Il vous faudra faire en l’air une ville
Qui soit de brique et qui soit proprement
Bastye en haut depuis le fondement,
Et que voz murz bien espais on maçonne,
A la façon de ceux de Babylonne,
Pour mieux souffrir, s’il est nécessité,
L’artillerie et Jupin irrité,
Qui de ses feux, que le ciel il desserre,
Fracasse bien les palais de la terre.
Mais les oiseaux, auxquels sans doute aucun,
L’air comme à nous est ouvert et commun,
L’aigle qui vole au sommet de la nuë,
Qui de son aille en longueur estenduë
Soutient Jupin, alors qu’il fait crouller,
Bruyant, tonnant, sa tempeste dans l’air,
Le cormoran, le chouan, la frezaye,
Qui en la nuict de ses chantz nous emaye,
L’esmerillon, le faucon, l’esparvier,
Et le gerfaut, l’autour et le lanier ;
Bref les oyseaux qui parmy l’air se jouent,
Qui en volant leurs deux ailles secouent,
Fuyans par l’air des hommes la fureur,
Ne pourront-ilz par l’Edict du Preteur
Nous denoncer d’un interdict oblique,
De ne bastir dedans un lieu publique,
Et n’iront-ilz au reffus que ferons,
Mettre à la mort tous tant que nous serons ?
Les craignez-vous ?
Ils sont plus fortz que les Cocus en nombre,
Et en puissance.
Vous estes plus de Cocus mille foys,
Que l’on ne void d’oyseaux par tout le monde,
En l’air, en mer, ou en la terre ronde ;
Quant à la force, un Cocu hazardeux,
Comme l’on dict, en vaut tousjours bien deux.
C’est comme on dict, au Tric Trac, ce me semble,
Qu’au petit Jan, et au grand Jan ensemble,
Le jeu vaut quatre, et est double le jeu,
Quand chasque Jan son rang fournir a peu,
Ainsi dict-on en la maniere telle
Des bons Cocus que bons Jans on appelle,
Lesquelz de force, et d’haleine, et d’ardeur,
En valent deux quand ilz sont en fureur.
Ce qu’il vous faut avoir de prevoyance,
C’est de conduire en toute diligence
Vostre besongne, et faire en se peinant,
Qu’en grand’longueur elle n’aille traisnant :
« Devant qu’aller entreprendre une affaire,
« On doit longtemps consulter, pour la faire,
« Mais quand on l’a commencée à tenter,
« Hastivement il faut l’exécuter, »
Nous viendra-t-il aucun profit utile,
En bâtissant dans le vague une ville ?
Serons-nous plus en honneur avancez ?
Et pourrons-nous, à bon droit courroucez,
Contre Priape avoir la force preste
Qui des Cocus tasche à faire conqueste ?
Demandez-vous pour quelle utilité
Vous bastirez votre forte cité ?
Non-seulement de Priape la rage
Ne vous sçaura porter aucun dommage,
Et des humains les journaliers assaux
Ne vous iront donnant mille travaux,
Mais vous pourrez, ô grand’merveille ! faire
Que Jupiter vous sera tributaire,
Et baissera, tant haut soit-il monté,
En vostre endroit sa grande majesté.
Si pris d’amour, et de ses griefves flammes,
Il veut joüir de la beauté des femmes
En se faisant d’un changement nouveau,
Satyre, et or, et serpent et taureau,
Comme il estoit aimant son Antiope,
Sa Danaé, Proserpine, et Europe,
Il luy faudra, ains que les aborder,
Son sauf conduit de vous seulz demander,
Pour traverser vostre ville et descendre
Dedans la terre, où son desir veut tendre,
Ou autrement vous le pourrez chasser,
Sans luy donner moyen de traverser.
Il vaudra mieux l’arrester à la porte,
Et luy couper ras le cul ce qu’il porte,
Affin qu’il soit de son membre escouillé,
Dont feut jadis son ayeul despouillé,
Et que sans mort souffrant mille miseres,
Il soit puny de tous ses adulteres,
Puisque la loy Julie ne peut pas
Luy moyenner, estant Dieu, le trépas.
Si le Dieu Mars veut descendre en la terre,
Pour exciter ceux de Thrace à la guerre,
Bien qu’il soit fier, bien qu’il soit brave, et fort,
Bien qu’avec luy soit le cruel discord,
« Lequel petit quand à naistre il commence,
« Devient plus grand, et tellement s’avance,
« Que jusqu’au ciel du chef il va touchant,
« Et va, hautain, sur la terre marchant : »
Bien qu’Enyon, bien que ceste Bellonne,
Qui de frayeur les plus constans estonne,
Ses escadrons rangent de toutes partz,
Faisant branler les plus braves soldars,
Si faut-il bien que dessouz vous il ploye,
Et devers vous son ambassade envoye
Pour estre amy, ou les hommes jamais
N’auroient la guerre, et ne vivroient qu’en paix.
Il sieroit mieux qu’ils vescussent en vesses.
Que diray plus ? les Dieux et les Deesses
Sur les mortelz n’iront plus s’esmouvant,
S’il ne vous plaist leur permettre devant.
Le Dieu Phoebus de son arc, qu’il desserre,
N’envoyera plus la peste dans la terre,
Comme il la meist sur les Grecs ennemis,
Vengeant le tort vers son prestre commis.
Jamais Ceres n’envoyra la famine,
Et bref au ciel la grand troupe divine
Vous portera tel respect et honneur
Que le subject porte à son vrai seigneur.
Si les mortelz, par annuel office,
Vont immolant aux Dieux un sacrifice,
A Jupiter un beau belier cornu,
Et un taureau à Neptune chenu,
Un gras pourceau à Venus qui preside
En Amathuse, en Eryce et en Cnide :
Au filz d’Alcmene un beuf sorty du joug
Qui vit aux prez, et à Bacchus un bouc,
Et un sanglier à Ceres la divine,
Et une cerve à la blanche Dictynne,
Au Dieu Phœbus un cheval courageux,
Et à Priape un asne paresseux,
Vous en prendrez le meilleur, et le reste
Qui ne vault rien, qu’on jette et qu’on deteste
Comme un cheval et un asne couillard,
Vous l’envoierez aux grandz Dieux pour leur part,
Qui en feront une metarmophose
En des perdrix, ou en quelque autre chose
Qu’ilz aymeront, car je ne connoys pas
Quelz metz ilz ont là haut en leur repas.
O que les Dieux auront de mal extresme,
Je prevoy bien desjà dedans moy-mesme
Qu’ilz ne pourront à la longue durer
Qu’une grand’faim ne les vienne serrer.
Puisque les Dieux craignans nostre puissance
Seront contraintz nous faire obéissance,
Et que vivrons de metz plus precieux,
Que reste-t-il que nous ne soyons Dieux ?
Rien ne vous fault, et sans doubte on peult croire
Que vous serez en aussi grande gloire
Que sont les Dieux vers les hommes mortelz ;
Ilz vous feront, comme aux Dieux, des autelz,
Et sacreront à vos grandeurs des temples,
Et de presens et de richesses amples
Les orneront, et de voeux presentez
Apaizeront vos sainctes majestez.
Voire comment nous penseront les hommes
Que nous soyons aultres que nous ne sommes
En nous voyant des ailles sur le dos ?
Vons ne parlez rien qui soit à propos,
Car le facond Atlantide Mercure
Qui des haultz Dieux les affaires procure,
N’a-t-il au dos des ailles, dont souvent
Il rode, il vole à la force du vent ?
N’affuble-t-il au chef sa capeliere ?
Et ne prend-il souvent sa talonniere ?
Et la Victoire, à qui les braves Roys
Dressent leur veu, leur priere et leur voix,
N’a-t-elle pas deux ailles décorées
D’un beau poil jaune, et les plumes dorées ?
Iris encor, si d’Homère les vers
Ne sont du tout de mensonges couverts,
Prompte à voler fend l’air à tire d’aille,
Estant semblable à une colombelle ;
L’enfant Amour qui blesse les oyseaux,
L’homme, les Dieux, et tous les animaux
De son vif trait, de ses flammes mortelles,
Ne porte-t-il semblablement des ailles ?
La foy en porte, et les vertus aussi
Qui dans les cieux s’envoleront d’icy,
Lors que Pandore ouvrit toute esperdue
D’Epimethé la boeste deffendue.
N’ayez donc peur d’estre oyseaux reputez,
Si comme oyseaux des ailles vous portez.
Que vienne donc Priape nous meffaire,
Nous monstrerons qu’il n’aura pas à faire
A des oyseaux, ains à des Dieux tous telz
Qu’est Jupiter, et les Dieux immortelz.
Je ne suis pas d’advis que l’on attende
Que contre vous le premier il se bande,
Ains vous ayant en l’air fortifié,
Faites qu’il soit aussitost deffié.
C’est faict de toy, Priape, nostre maistre,
C’est faict de toy, comme je puis connoistre,
Tu es gasté, tu es mat et vaincu,
Et ne vaut pas un crachat de Cocu.
Que ferons-nous pour luy faire nuisance,
Après avoir deffié sa vaillance ?
Il faut remplir les creneaux de vos murs
De gros cailloux bien pesans et bien durs,
Et les laisser tomber dessus la hanche,
Pour le grever, et deroidir son manche.
Cancre qu’il vienne après vous menasser,
Perdant l’outil qui le faisoit arser ;
Je connoistroy qu’elle seroit sa mine,
Et voudrois voir un peu de son urine.
Si de ce tort il se veut ressentir,
Vous lui ferez incontinent sentir
Mille travaux, mille et mille dommages,
En luy gastant partout ses jardinaiges,
Si bien qu’enfin les hommes molestez
De voir ainsi tous leurs jardins gastez
Seront contrainctz, pour avoir votre grace,
De luy oster ses honneurs à Lampsace,
De le chasser des jardins d’icy-bas,
Et supprimer ses grades, ses estats.
Il n’ira plus par le veuil de Neptune,
Montrer au doigt la saison opportune
De navigage, et quand il faut ramer
Dessus le dos de la profonde mer :
Il n’aura plus sa faux en sa main dextre,
Dont aux larrons il se faisoit parestre ;
Et aux oyseaux qui trembloient de frayeur
Lorsqu’ilz voyoient son membre, et sa roideur.
Le plus grand mal dont Priape je plaigne,
C’est qu’il sera des femelles la haigne,
Qui n’aymoient rien de tout ce qu’il avoit,
Que le boudin qui si bien les servoit.
Mais je sçay bien leur remede propice,
Il leur faudra user d’un gondemisse,
Qui soit de verre ou de velours, ou bien
D’or ou d’argent selon qu’est leur moyen,
Et imiter d’un remu’ment lubrique,
Le branlement de la Françoyse picque.
Bref ce Priape, un vray tronc de figuier,
N’aura credit, ny estat, ny mestier,
Dieu inutil, Dieu sans puissance aucune,
Et maudira mille fois sa fortune,
De quoy estant d’un Dieu céleste né
Il se verra au malheur destiné,
Chassé de tous, et quoyque misérable,
N’ayant aucun qui luy soit secourable,
Qui le reçoyve et luy vueille estre doux,
Pour le respect, et la crainte de vous.
STROPHE
De toute nostre race,
Que nous pensions estre nostre ennemy
Tout remply de fallace !
Pourquoy ne croirions-nous
A si belles merveilles,
Qu’au grand profit de tous
Maintenant tu conseilles ?
Non, non, nous t’adjoustons foy,
Et supplions nostre Roy
Que dorenavant il use
De ton utile conseil,
Comme aussi nous en pareil
Voulons user de ta ruze,
Non gardans l’execution
Ne laissons point dormir nostre entreprise,
Puisque desjà la sentence en est prise,
Hastons nostre oeuvre et allons d’un plein saut
Battre le fer cependant qu’il est chault.
Mais je vous veux, ains que rien on advance,
Mener tous deux où est ma demeurance,
Qui est un nid sur un chesne entassé
D’herbe et de mousse à l’entour tapissé :
Entrons dedans et faittes que je sçache
Le nom de vous et qu’on ne me le cache.
J’ay nom Genin.
Il est Cornard appelé en son nom.
Or soyez-vous trouvez à la bonne heure
Et avec moy montez où je demeure,
Je vous prendrai tous deux dessus mon dos,
Et de mon vol prompt, isnel et dispos
Tout aussitost allant le vuide fendre
Dedans mon nid je vous iray descendre.
Ton nid est-il assez ample pour nous ?
Il tiendroit bien dix hommes telz que vous.
Cela suffist, mais dis, je te supplie,
Pourrons-nous bien vivre en la compaignie
De vous Oyseaux, n’ayant de quoy voler
Quand nous voudrons, par la rondeur de l’air
Ne craignez point, je sçay une racine
Laquelle est tant admirable et divine,
Qu’incontinent que vous aurez frotté
Tout vostre corps de son jus esgoutte,
Vous serez faictz, sans perdre voz visaiges,
Voz piedz, voz mains, deux Cocus de plumages ;
Vous n’aurez plus de cornes sur le front,
Et en leur lieu deux seins vous paroistront
Couvertz de poil, et tymbrez en la sorte
Comme la huppe aux crestes qu’elle porte.
Ainsi je feuz mué premierement
Lors qu’esperdu comme vous du tourment
De voir mon front de cornes, effroyable,
Et de me voir aux hommes détestable,
Je me rendis en ce boys déserte
Où des Cocus j’euz la principauté.
Prince, escoutez !
Nous voudrions bien vous faire une requeste.
Dittes-la-moy ?
Ces bons vieillardz au nid où vous tenez,
Envoyez-nous la Caille vostre femme,
Qui de ses chantz, dont noz cœurs elle enflamme,
Nous aydera à faire resjouïr
Les spectateurs qui nous daignent ouïr.
Quoy tu as doncq une Caille mignarde,
Que dans ton nid pour ta femme tu garde ?
Il est ainsi, et affin que tu sois
Plus asseuré, c’est celle que j’avois
Quand j’estois Homme, et quand dolent et morne
J’eus sur mon front une bessonne corne :
Soudain après que la mort la tua,
Le bon destin en Caille la mua,
Ayant la face, et le front d’une fée,
Et toutesfois n’est que Caille coiffée :
De femme elle a toutes les fonctions,
Tous les desirs, toutes les passions ;
Elle a les piedz et les mains aussi belles
Que les auroient autres femmes mortelles.
N’a-t-elle point d’entre-fesson aussi ?
Mais de la femme elle differe en cecy :
Elle a le poil, les ailles, le plumaige,
Le chant, les cris d’une Caille sauvaige :
Comme la Caille elle est chaude un petit,
Et bien souvent se met en appetit,
Me recherchant tout ainsi qu’une Caille
De ses hautz cris à celle fin que j’aille
La contenter de tout ce qu’il luy faut.
Voylà vrayment un animal bien chaut,
Je croy qu’il a une gentille adresse
Tremblant du dos, et jouant de la fesse ;
Je l’ayme fort, et aurois volonté
De luy monter dessus sa pauvreté.
Appelle un peu la Caille, je te prie,
Affin de voir sa forme si jolie.
Si vous voulez je l’appelleray bien.
Je t’en supply de nous faire ce bien.
Sus, hau, ma femme, à coup que l’on descende,
Venez icy, venez, je vous demande,
Pour vous monstrer à deux vieillardz chenus
Qui comme nous de France sont venus.
Voici ta femme, ô qu’elle est joliette !
Qu’elle est sucrée, affetée et douillette :
C’est bien le cas de son mary cocu.
Comment ! elle a une grand’corne au cu ?
Cela luy est provenu de nature.
Quand elle estoit femme par avanture
Elle resvoit, elle cornoit souvent,
Et sus cela estoit pleine de vent.
Tu ne mens pas, la verité est telle.
Mais quand tu veux baudouyner sur elle,
Sa corne longue est un empeschement
Que tu ne peux l’enfoncer vivement.
La corne est molle, et l’ay plustost baissée,
Que dessouz moy n’est ma femme enfoncée.
O belle Caille ! ô oyseau bien heureux !
O heureux Jan qui en es amoureux,
Et qui la peux embrasser à ton aize !
Certes, il faut qu’un petit je la baize.
Et moy aussi.
Car aux Françoys le baizer est permis,
Et le parler, et du reste je pense
Que vous m’aurez en quelque reverence.
Je pense bien que tu n’y seras pas,
Quand on fera avec elle son cas,
Et celuy-là qui t’y voudroit semondre,
Comme un grand sot faudroit l’envoyer tondre.
Or est-il temps de vous mener chez moy :
Montons, allons.
PAUSE
De nous si fort attenduë,
La Caille qui de vos chantz
Si doux et si allechans,
Et de vostre voix plaisante,
Dedans ce bois esclattante,
Pouvez nos sens enchanter,
Ravis à vous escouter ;
Ouvrez, ouvrez vostre bouche,
Où l’harmonie se couche,
Et faittes à ceste fois
PARABASE
Or sus, hommes mortelz, imbecilz, miserables,
Ressemblans à une ombre, aux feuillaiges semblables,
Que le Printems produit, et faict pousser avant,
Puis l’hyver les abat, et l’aleine du vent,
Engendrez de limon, la fable de ce monde,
N’estans qu’infection, et qu’une ordure immonde
Levez voz cœurs en haut, et dans les cyeux montez,
Contemplez des Cocus les sainctes majestez,
Le renom immortel et la puissance telle
Qu’à Jupiter conçeu de semence immortelle :
Adorez leurs grandeurs, et par veuz solennelz
Presentez-leur vos dons comme aux Dieux eternelz :
Ilz sont plus anciens que la mer, que la terre,
Que l’air, et que le ciel qui tout couvre et enserre,
Devant le viel Chaos, l’Erebe, et les Enfers,
Qui feurent embrouillez parmy tout l’univers,
Devant Saturne aussi dont la belle semence
A produit tous les Dieux autheurs de vostre essence ;
Ilz estoient desjà faictz et voletoient aussi,
Par les brouillardz espais du Chaos obscurcy.
L’Amour et les Cocus nasquirent à mesme heure,
Et pour le vous monstrer par une preuve seure,
Ce Dieu s’accoste d’eux, et voulant les hausser,
Partout où il les void, il les va caresser,
Les va couvrant de poil, embellist leur plumaige,
Et n’ayme jamais rien sinon leur cocuaige :
Quand ilz volent par l’air, il s’envole avec eux,
S’ilz ne bougent du nid, il languist paresseux,
Leur ennuy c’est le sien, et leur jeu delectable
N’est autre que son jeu plaisant et agréable :
Si doncques cest archer de voz ames vainqueur,
Une beauté mortelle a mise en vostre cœur,
Et si vous endurez dedans vostre moüelle
Les effets violens de sa flamme cruelle :
Ne pensez le flechir, luy qui est indompté,
Pour adresser voz veux à sa divinité,
Ne plorez, ne plaignez ses assaux, ses alarmes,
Il se rit de voz pleurs, il se paist de voz larmes,
Et plus est enflammé quand il vous void pleurer
Les tourmens, les ennuys qu’il vous faict endurer.
Adressez aux Cocus voz dévotes prieres,
Qui play’ront Cupidon et voz maistresses fieres,
Et vous feront cesser voz plaintes, voz douleurs,
Vos flammes, voz soucys, voz larmes et voz pleurs.
Ce Dieu qui d’un seul clin de sa teste divine
Esbranle le pourpris de la ronde machine,
N’a pas un tel pouvoir et ne peult apaiser
Luy-mesme son amour qui le vient embraizer ;
Ains il a bien changé en un Cocu sa forme
Pour avoir sa Junon à son vouloir conforme,
Et n’en eust point joüy, si par ce gentil tour
Il n’eust ligué à soy les Cocus et l’Amour.
Partout ont les Cocus une belle puissance,
Et sur tous les Oyseaux sont douez d’excellence ;
Regardez mesmement comme tous les Oyseaux,
Soient ou ceux-là de l’air, de la terre, ou des eaux,
Ayans pondu leurs œufs, vont couvant leur nichée,
Et lorsqu’ilz sont esclos leur donnent la bêchée,
Les vont entretenant en la mesme façon
Dont la pauvre femme use envers son enfançon
Que chetifve elle pend au bout de sa mamelle
Et va cherchant du pain tant pour luy que pour elle.
Mais les nobles Cocus ayant pondu leurs œufs,
Ne les couvent jamais ny escloüent souz eux,
Ains les laissent couver et prendre nourriture
Au nid d’un autre Oyseau, qui soigneux en a cure,
Comme sien les deffend, les ayde, les cherist,
Leur apprend à voler, les ayme et les nourrist.
Ainsi feirent jadis les illustres Deesses,
Celles que les grands Dieux choisirent pour maistresses,
Car Cybele bailla son enfant Jupiter
À la nymphe Amalthée, afin de l’alaicter
Dans un antre de Crète, et Junon immortelle
Ne nourrist point Vulcan de sa propre mamelle,
Ains l’envoya nourrir aussitost qu’il feut né
Dans l’isle de Lemnos son séjour fortuné.
Ainsi en vont usant voz plus riches bourgeoises,
Voz dames de la Cour, et voz nobles Françoyses,
Qui laissent leurs enfans, aussitost qu’ilz sont nez,
Souz une autre nourrice à nourrir destinez,
Laquelle en prend le soing, les baize, leur faict chere,
Et les va plus aymant que ne feroit leur mère,
Leur apaize leurs cris, leur forme leur parler
Et en les pourmenant les apprend à aller.
Voire, mais direz-vous, si des Cocus la race
Tous les autres Oyseaux en dignité surpasse,
Pourquoy doncq n’ont-ilz peu chasser l’aigle hautain,
Qui est de tous Oyseaux le Prince souverain ?
Je vous respondz et dis qu’au temps passé ilz eurent
Pouvoir sur les Oyseaux, et leurs Monarques feurent :
Mais quand l’aigle qui tient le tonnerre brûlant,
Et qui perce la nuë et le ciel en volant,
Soigneux d’aller trouver un amoureux remede
A Jupiter épris de son blond Ganymede,
Descendit en la terre, et porta ce garçon,
Sur ses ailles aux cieux pour servir d’echanson :
Alors par le vouloir de Jupiter son maistre,
A qui fidele Oyseau il s’estoit faict parestre,
Il feut appelé Roy et feurent dejetez
Les Cocus à grand tort de leurs principautez.
Si est-ce qu’aujourd’huy ilz reprendront leurs forces,
Et malgré le pouvoir, les effortz, les entorces,
De Jupin et des Dieux voulans les engarder,
On les verra encor aux Oyseaux commander,
Et non point aux Oyseaux, ains à Jupiter mesme,
Qui les avoit ostez de leur grandeur supresme.
A vous autres humains, ilz seront un Ammon,
Delphes, Cyrrhe, Dodone, et un autre Apollon,
Et les allant prier comme Dieux admirables,
Ilz vous seront tousjours bénins et favorables,
Ilz vous escouteront, et heureux vous serez,
Aux enfans des enfans de ceux que vous aurez,
Ilz vous don’ront aussi des biens, de la richesse,
De la felicité exempte de tristesse,
Des plaisirs, des grandeurs, des Estats à planté,
Des danses, des esbatz, et de la volupté,
De la paix, du sçavoir, qui les hommes décore,
De la santé, de l’heur, de la sagesse encore ;
Bref ilz vous feront tant heureux en tous moyens,
Que vous travaillerez soubz le faix de vos biens.
STROPHE
Tortau, Tortau, Tortau,
Kikabau, Kikabau,
Que par tous lieux j’accompaigne,
Soit que dans les prez je soys,
Dans les plaines ou es boys,
Allant à l’aventure
Chercher ma nourriture,
Tortau, Tortau, Tortau,
Kikabau, Kikabau,
Tu me plais quand tu entonne
Dedans ce boys qui resonne
De ton beau chant nouveau,
Kikabau, Kikabau,
Auquel Pan le Dieu sauvage
Se veille, assis à l’ombraige,
D’un chesne ou d’un fouteau,
Kikabau, Kikabau,
Auquel Echon resonnante,
Respond en voix redoublante,
Tortau, Tortau, Tortau,
Epirrheme
Non sans cause, Messieurs, nostre Poëte assemble
Souz un joug une Caille, et un Cocu ensemble,
Les Cocus estantz froidz, et dedans, et dehors,
Et la Caille bien fort chaude par tout le corps ;
Car il a imité en cela la nature
De ce grand univers, qui auprès d’elle endure
La froideux et le chault, et le sec, et l’humeur,
Sans lesquelz elle n’a ny force, ny vigueur,
Et ne peut engendrer, ains brehaigne et sterile
Elle se perd soy-mesme et debvient inutile.
Que si vous m’objectez qu’on ne connut jamais
Deux contraires avoir une paisible paix,
Je le confesse bien : toutesfois un contraire,
En son contraire peut se resoudre et deffaire,
Si que le chaut est froid, et le froid est le chaut,
Quand il plaist au motif des cercles de là haut
Le feu se change en air, et l’air en eau se forme,
Et l’eau en terre aussi par le temps se transforme ;
La terre en eau revient, et puis l’eau peu à peu
Se resout dedans l’air, et l’air dedans le feu.
Et bien que le contraire avecques violence
Ne puisse pas si tost alterer sa substance,
Si est-il temperé, et ne deperist point,
Quand il est doucement à son contraire adjoinct.
Le sec est temperé de son contraire humide,
Et l’humide du sec est retenu en bride ;
Le chaut est par le froid fait tiede et moins brûlant,
Et le froid par le chaut debvient morne et plus lent ;
L’eau est tiedie au feu, et Denis le bon pere,
De son vin la chaleur par l’eau froide tempere :
Et comme là le froid et le chaut sont coullez,
Ainsi sont le Cocu et la Caille meslez,
Et du Cocu le froid tempere de sa femme
La bouillonnante ardeur, la chaleur et la flamme,
Et de la Caille aussi les attraitz chaleureux
Temperent le Cocu tremblant et froidureux,
Et l’un et l’autre ensemble en si belle harmonie
Passent joyeusement le reste de leur vie,
Sans que l’un par le froid soit esmeu, et transy,
Et que l’autre du chaut soit embraizé aussi :
Bref leur desir, leur soing, leur amour violente
Ne cherche autre plaisir, et autre but ne tente,
Que l’un de reschauffer le grand froid qui le tient,
L’autre de refroidir le chaut qu’elle soustient.
ANTISTROPHE
Tortau, Tortau, Tortau,
Kikabau, Kikabau,
Qui la Charente fréquentent,
Et dessus ses bordz herbus
Appellent leur Dieu Phebus :
Au plus haut de la Nüe,
Leur voix est entendue,
Tortau, Tortau, Tortau,
Kikabau, Kikabau,
Son cours arreste le fleuve,
Tant resjoüy il se treuve,
De leur accord si beau,
Kikabau, Kikabau ;
Les hommes qui les entendent,
Quand ceste harmonie ilz rendent,
Ont charmé le cerveau,
Kikabau, Kikabau,
Et les Dieux, et les Deesses
En sont en mille liesses,
Tortau, Tortau, Tortau,
ANTIPIRRHEME
Heureuses mille fois sont les Cailles coiffées,
Qui par trop de soucy ne sont point etouffées,
Ains vivent à leur aize, et esventent souvent
A tous en général leurs cuisses de devant.
Si on fait cas de ceux lesquelz sont politiques,
Et qui vont se soignant des affaires publiques,
Se travaillans pour tous, veillans sur le commun,
Et jugeans droictement sur le droict de chacun :
Ainsi doibt-on priser les Cailles qui besoignent
Pour tous sans difference, et du commun se soignent,
Travaillant au commun, ont à tous l’huys ouvert,
Et d’elles en son droict tout le monde se sert.
Ainsi faisoit jadis en Egipte Rhodope,
Rhodope qui estoit la compaigne d’Esope ;
Ainsi feist Flore à Romme, en Corinthe Laïs,
Et Plangon en Milete, en Athenes Thaïs,
Et mainte autre Gregeoise en renom fortunée,
Dont a faict mention le sçavant Athenée.
Vrayment Solon estoit homme de bon esprit,
Qui dans ses belles loix ordonna par escript
Qu’entre ses citoyens les Cailles habitassent,
Et le droict d’un chacun entre elles procurassent,
Feissent droict à chacun sans personne fâcher,
Qui vers elles voudroient leur bon droict rechercher.
Elles brident le cours de la folle jeunesse,
Règlent ses passions, et luy servent d’adresse
A vivre honnestement et à mettre en prison
Ses propres appetitz domtez de la raison,
A ne fascher autruy cherchant son vitupere,
Et tâchant de soüiller sa femme d’adultère,
A despouiller ses meurs pleines de cruauté,
Et avoir en leur lieu toute civilité.
Cependant qu’une Alix, Caille à nulle seconde,
Procuroit dans Paris les affaires du monde,
La ville n’estoit pas si pleine de cornus,
De cornes, de cornardz, grandz, petitz et menus :
Car cette bonne Caille, en son mestier experte,
Avoit à tous venans une maison ouverte,
Et depuis le matin jusques au soir bien tard,
En cullant culletoyt d’un culletis mignard,
Et le long de la nuict elle se monstroit preste
A remuer le bas plus souvent que la teste,
Et cullant jusqu’à tant que le Soleil levoit
En culletant tousjours son jardin cultivoit.
Ha, ha, ha, hi ! à ceste heure je m’ose
Vanter vrayment n’avoir jamais veu chose
Si ridicule, et où j’aye desir
De plus gausser et de rire à plaisir.
De quoy ris-tu ?
Et de ton poil, et de tes plumes belles :
Veux-tu sçavoir à qui tu sembles bien ?
A quelque Jars deffaict et ancien
Qu’on pele au front, affin qu’en ceste sorte
Il prenne encor sa chaleur desjà morte.
Sçais-tu aussi à qui tu vas semblant ?
A un Coq d’Inde, alors qu’il va enflant
Par les canaux de sa voix qu’il desgorge
Tous les replis et goumons de sa gorge.
Or sus, qu’est-il maintenant question
Que nous facions ?
Je suys d’opinion
Qu’il fault donner un nom à nostre ville,
Qui soit gentil, et fameux entre mille,
Et puis après qu’on supplie en ce lieu
La majesté de Coquard nostre Dieu.
Cela je veux, et m’est bien agreable.
Quel nom sera à la ville sortable ?
Luy don’rons-nous de Paris le beau nom ?
Nenny, nenny, Paris a le renom
D’estre de gens tous divers rapiecée,
Diverse en meurs, en vouloir, en pensée,
Et les Cocus sont unis et entiers.
Il faudra doncq’ la nommer de Poictiers.
Encore moins : Poictiers n’est que trop fine,
Que trop hagarde, et que trop libertine.
Et d’Angiers, quoy ?
Veux-tu le nom de Bordeaux luy donner ?
Il n’est point beau.
Elle trafficque avecque l’Italie.
Et de Tholoze ?
Car ceste ville est fiere et sans merçy,
N’ayme personne, et de nul n’est aymée,
Et n’est sinon en piaffe estimée.
Comment faut-il que je l’appelle mieux ?
Invente un nom aux Cocus gratieux,
Et y rumine à part toy, je t’en prie.
Appelons-la Néphélococugie.
C’est un beau nom, un nom remply d’honneur,
On ne sçauroit en trouver de meilleur ;
Je le reçoy, et je veux qu’on appelle
Par un tel nom nostre ville nouvelle.
Jamays les montz d’Etne et d’Inarimé
N’eurent leur nom tellement estimé,
Bien que Jupin y bastist son trophée,
L’un d’Encelade, et l’autre de Typhée,
Ny moins les champs qu’on nomme Phlegreans,
Où ce haut Dieu combattit les Geans,
Quand renversant de son feu leur montaigne
Il culbuta leurs corps sur la campaigne,
Ne feurent tant en vogue entre les Dieux
Comme ce nom doibt errer en tous lieux.
De l’Orient où l’Indien sejourne,
Jusques au More, et où le soleil tourne
Ses chevaux las de sueur et d’ahan,
Pour les mener baigner en l’Océan,
Et où Borée exerce sa furie,
On nommera Néphélococugie.
Aussi ce nom j’ay voulu inventer,
Parce qu’en l’air il nous faut habiter
Aussi espais comme est la nue espaisse,
Qui dans son ventre une grand’pluye presse.
Si les Cocus comme la nüe espaix,
S’en vont pressant le vague de leur faix,
J’iray craignant qu’un autan ne les treuve,
Et sur la terre en quantité les pleuve,
Comme l’on void sur le Printemps plus chaut
Pleuvoir icy les Grenoilles d’en haut.
Et qui sera des grandz Dieux salutaire
A nostre ville et son Dieu tutelaire ?
En voudriez-vous un autre que Coquard
Nostre bon Dieu, qui prend tousjours esgard
A ses Cocus, qu’il soustient et qu’il garde
Dessouz sa main et souz sa sauvegarde ?
Ce Dieu suffist pour nous pouvoir garder,
Mais toutesfois si fault-il regarder
Quelle Deesse exorable et facile
Avec Coquart gardera nostre ville :
Aux Dieux qui n’ont pas besoing de secours,
Si conjoinct-on les Déesses tousjours.
Eh quoy ! Coquart passe doncques son aage
Sans estre joinct au joug du mariage ?
Il est tout seul et a tousjours passé
Son aage ainsi sans avoir pourchassé
Aucune Dame ou Deesse immortelle,
Pour se conjoindre en amour avec elle.
Il nous le faut marier à Pallas
Belle Deesse.
Car elle est chaste, et n’a dedans son ame
L’impression de l’amoureuse flamme ;
Elle nous hait, nous deteste et nous fuit,
Et outre plus les armes elle suit,
Et aux combatz, hautaine et animée,
Dessouz ses pas faict branler une armée :
Ce n’est le cas des Cocus qui ne sont
De faction, et lesquelz rien ne vont
Tant detestant sur leurs choses fascheuses,
Comme l’orgueil des femmes factieuses.
Bien doncq’ cherchons une femme à loisir,
Qui telle soit comme est nostre desir :
Et cependant d’un vol prompt et agile,
Monte dans l’air, et fay que nostre ville
Soit avancée et que les murs soient fortz
Autant dedans comme par le dehors,
Que les creneaux, les cazemattes belles,
Les parapetz, les tours et les remparts
Soient bien rangez, ordonnez et espars ;
Que les maçons, avec la diligence,
Usent aussi d’art et de prevoyance,
Compassans bien leur ouvrage au niveau,
Affin qu’il soit plus uny et plus beau :
Et sois tousjours en presence toy-mesme,
Pour commander comme Prince supresme ;
« Car l’œil du maistre a pouvoir de pousser
« Une besoigne et la faire avancer. »
Et par sus tout il faut que tu commandes
Que les Cocus aillent par Pair en bandes,
Environnant de nos murs le circuict,
Et faire guet tant de jour que de nuict,
Courir souvent dessus les advenues,
Battre l’estrade, et rôder par les nues,
Pour découvrir si on verra par l’air
Quelques Oyseaux finement se couller,
Qui tascheroient, cachez en embuscade,
De nous donner une chaude algarade,
Et moyenner que noz murs commencez
Feussent du tout de l’œuvre delaissez.
Puis cela faict il te reste de faire
Ce qu’aux Cocus n’est pas moins nécessaire :
Tu envoiras aux hommes un heraut,
Et aux grands Dieux qui habitent là haut :
Aux Dieux, affin qu’ores ilz nous honorent,
Et aux humains affin qu’ilz nous adorent
Comme les Dieux puissans et immortelz,
Et comme à eux nous façent des autelz.
Soudain après fais defier l’audace
Du Dieu Priape honoré dans Lampsace,
Luy escripvant un cartel de ta main,
Dedans lequel en langaige hautain
Luy manderas, que pour luy pouvoir nuire,
Le molester, l’offenser et destruire,
Tu emploieras la force de ton cœur,
Et les Cocus dont tu es le seigneur.
Or je m’en vay pour accomplir les choses
Entièrement, selon que tu proposes.
Et moy je veux en ce lieu demeurer,
Pour le bon Dieu des Cocus adorer,
Le suppliant que sa grace propice
Heureusement noz desseins accomplisse.
Où est icy quelque Cocu mitré
Qui entre nous de vertu décoré
Est nostre guide, alors que l’on supplye
Le Dieu Coquard, ou qu’on luy sacrifie ?
Qu’il vienne à moy, et qu’il face enfumer
Un encensoir pour ce lieu parfumer.
STROPHE
Un chacun de nous accorde
Ton religieux plaisir,
Qui a soing de nostre race.
« Devant tout ouvrage aussi
« Faut des Dieux avoir soucy,
« Et se les rendre exorables,
« Par prieres agreables,
« Autrement ce que l’on faict
ALLOEOSTROPHE I
Donnez silence, et prestez voz oreilles
Pour escouter dire les grandz merveilles
Du Dieu Coquard nostre Dieu célébré :
Or chante donc, chante, Cocu mitré.
STROPHE
A mon subject convenable,
Pour loüer à ceste fois
Nostre Dieu tant admirable.
C’est celuy entre les Dieux,
Que noz anciens ayeux
De pere à filz en tout âge
Ont sainctement redouté,
Et ont d’un humble courage
Leurs veuz à luy présenté ;
C’est luy que premier on nomme,
Que dernier on veut chanter,
Tout ainsi comme faict l’homme
ALLOEOSTROPHE II
Mais l’homme après mettra Jupin arrière,
Pour à Coquard adresser sa prière.
ANTISTROPHE
De ses grandeurs immortelles,
Et en garde nous retient
Dessouz l’ombre de ses ailles :
Par luy nous respirons l’air,
C’est luy qui nous faict voler,
Soit par les larges campaignes,
Soit par les bois spacieux,
Ou par les grandes montaignes
Qui avoisinent les Cieux :
C’est luy qui bénin nous tire,
Quand noz veuz nous luy offrons,
Du tourment et du martyre
ALLOEOSTROPHE III
Les bons Cocus où l’innocence abonde,
Sont, ce dict-on, vrays martyrs en ce monde.
AUTRE STROPHE
Donner faveur à nostre emprise,
Seroit inutil nostre effort :
En son honneur seul est bastie
Nostre Nephelococugie,
Et doresnavant seront siens
Les Nephelococugiens,
Qui estantz faictz Princes du monde,
De l’air, de la terre et de l’onde,
Le mettront en pareil honneur,
Qu’a Jupiter sur la machine ;
Si Jupiter au Ciel domine,
ALLOEOSTROPHE IV
Arreste, arreste, afin que tu allumes
Ton encensoir, et que tu le parfumes
De bon encens, de tous costez semant
Leur bonne odeur qui flaire sœfvement.
EPODE
En quelque part que tu sois
Et reçoy nostre priere ;
Ayde-nous de ton pouvoir
Et nous fay maintenant voir
Ta grand bonté coustumiere ;
D’encens nous te parfumons,
ALLOEOSTROPHE V
C’est trop chanté, cesse, cesse, de grace,
Il faut prier maintenant à voix basse.
STROPHE
Hausse Nephelococugie
De tes vers jusque dans le Ciel,
Viens, ma Calliope, et me touche
En me versant dedans la bouche
ALLOEOSTROPHE VI
Qu’es-tu, dy-moy, qui viens d’entre les hommes
Ainsi vestu comme un cueilleur de pommes,
Demy couvert d’un failly hallecret,
Et eximé comme un haran soret ?
ANTISTROPHE
Qui carolle dessus la crouppe
Du mont de Parnasse besson ;
De ses douceurs elle m’affolle,
Et par l’accent de ma parolle
ALLOEOSTROPHE VII
Je croiroy bien que ceste compaignée,
Qui est si bien habillée et paignée
Voulsist aymer un homme comme toy,
Si mal vestu, et si remply d’effroy.
EPODE
Des Muses comme je fais,
En la pauvreté demeurent
Et sont maigres et deffaictz ;
Si sont-ilz tousjours sacrez,
SYSTEME ENTRECOUPÉ
Ton beau mestier tout le monde l’exerce,
Soit le sçavant qui aux sciences verse,
Ou l’ignorant qui n’en a point soucy,
Ce qu’on ne void aux bons mestiers ainsi :
Le médecin use de medecine,
Et regardant du patient l’urine
Peut ordonner de son authorité
Ce qu’il faudra pour le mettre en santé ;
Le ravaudeur ses robbes rapetasse,
Le savetier d’une laide grimasse
A belles dens fait le cuir allonger,
Pour le pouvoir à l’empaigne ranger,
Et le maçon avecques sa truelle
Peut bien bastir une maison nouvelle :
Bref tous les artz sont sans plus caressez
De ceux qui sont à les faire exercez.
Je suis exempt de la tourbe ignorante,
Et ne suy point le chemin qu’elle tente.
Or respondz-moy ; pourquoy viens-tu icy ?
Je veux oster du tombeau obscurcy
Par mes beaux vers Nephelococugie.
Qui t’a desjà dict son nom, je t’en prie ?
Il n’y a pas une heure que je croy
Qu’elle a esté nommée ainsi de moy.
STROPHE OU ODE
Soudain qu’il est décoché,
Que la volante parolle
N’a point le vuide tranché,
Et que n’est une pensée
Dans nostre esprit eslancée,
Le nom en terre est volé
De Nephelococugie,
Lequel en ma poesie
ALLOEOSTROFHE VIII
Ce fol icy me don’ra plus d’affaire
S’il ne s’en va, ou s’il ne se veult taire.
AUTRE STROPHE OU ODE
Dont en ma saincte fureur j’use,
En besongnant si dextrement
Que ce dont je sacre la gloire,
Dans le Temple de la memoire
Est vivant éternellement :
Aussi ceste ville chantée
Par moy qui en seray sonneur,
Doibt estre par après vantée
SYSTEME ENTRECOUPÉ
Ah ! n’est-ce assez ? Il fault, comme je pense,
Que malgré moy je perde patience ;
Ne veux-tu point ton caquet arrester
Sans passer oultre et plus me molester ?
Je te supply, ne tonne plus tes carmes,
Qui sont autant à mon cerveau d’alarmes :
Demande-moy tout ce que tu verras
En mon pouvoir, et certes tu l’auras :
Car c’est raison que d’un si bon Poëte
A quelque prix le silence on achete,
Sans regarder qu’il couste, moyennant
Que de sa part il cesse incontinent.
AUTRE STROPHE OU ODE
Ayder d’une main libérale,
Et couvrir ma nécessité :
Ainsi te soit fortune bonne,
Et te favorise et te donne
Je t’entendz bien, n’en dis plus davantaige,
Tu as besoing de robbe à ton usage,
C’est la raison, il fault te la bailler,
Car aussi bien je te veuz habiller,
Ayant pitié du froid que tu endures ;
Que si l’hyver, la glasse et les froidures
T’alloieut serrer, pauvre homme, il te faudroit
Transir bientost de frisson et de froid :
Prens ceste robbe encore toute neuve,
Ell’ gardera que le froid ne te treuve,
Mais va-t’en viste.
Et m’en allant je chanteray cecy.
AUTRE STROPHE OU ODE
Du filz de Saturne et de Rhée !
O Jupiter Dodonean !
Accorder ma juste requeste,
Et donne abondance de biens
J’ay renvoyé ce galand de Poete,
Qui plus cavé aux yeux qu’une chouette,
Plus qu’un hibou effroyable et hydeux,
Et aussi noir comme un beau Diable ou deux
Vouloit hausser par un vers inutille
Le sainct honneur de nostre belle ville.
Si suis-je bien surpris d’estonnement
Comme il a sçeu son nom si promptement,
Et qui a peu luy rapporter et dire
Que nous faisions une ville construire :
« Ces foulz icy n’ignorent jamais rien,
« Feust-ce du mal, et feust-ce aussi du bien,
« Et quand leur rage une foys les possède,
« De les brider il n’y a point remède,
« Ilz n’oyent rien, et ne leur chaut jamais
« Du bon subject non plus que du mauvais :
« Ce qui leur vient dedans la fantaisie
« D’un brusque feu gaillardement saisie,
« Est composé, et en nombres divers
« Vivre se void par l’ame de leurs vers :
« Bref ilz ont tous leurs Muses indiscrètes,
« Et ne sçait-on aucuns des bons Poetes
« Qui soient exemptz d’avoir lascivement
« Traitté leurs vers et leur grave argument.
« Pource Platon de sa ville les chasse,
« Et a bien pris mesmement ceste audace
« D’en dechasser ce grand Meonien,
« Qui est leur Prince et leur père ancien,
« Le reprenant que sa hautaine Muse
« Hors de propos à descrire s’amuse
« L’amour des Dieux, leurs adulteres feintz,
« Et leurs discordz trop lasches et trop vains,
« Et qu’en la sorte il corrompt la jeunesse,
« Qui aux plaisirs n’ayant que trop d’adresse,
« N’a pas besoing, se voulant déborder,
« De macquereau qui la puisse guider. »
Astres par qui la machine est régie,
Vueillez garder Nephelococugie,
Et ses Cocus.
Qui en sa main un Astrolabe tient
Et un compas ?
Te soient bénins, et en santé te tiennent.
Que cherches-tu ?
Ce que les Cieux, qui de vous ont soucy,
Vont influant sur vostre ville forte.
Es-tu devin ?
Car je peux bien par le vol des Oyseaux
Donner presage et des biens et des maux,
Du temps serein et des fortes tempestes,
Et regardant les entrailles des bestes,
Je peux y voir l’evenement douteux
De l’heur suivant ou du sort malheureux :
Les songes bons et mauvais je n’ignore,
Comme ayant leu dedans Artemidore,
Et dans Synese et tous ceux qui ont bruict
D’interpreter les songes de la nuict,
Les pointz cachez de la geomantie,
Les jugemens de la çhiromantie ;
Les sortz trouvez des vers virgiliens,
Et Zoroaste, et Dardane anciens
Me sont connuz, et l’occulte science
D’Agrippe n’est hors de ma connoissance.
Je peuz parler des Astres doctement,
Qui sont fichez dedans le firmament,
J’entendz le cours des Planettes errantes,
Leurs mouvemens, leurs lumieres brillantes,
Leurs hautz effaictz, leurs constellations,
Et leurs aspectz et leurs influxions ;
Je sçay par cœur Ptolemée, Firmique,
Haly, Peucer, Bonate, et Copernique,
Et peux comme eux connoistre les saisons
Des ans futurs, et les douze maisons.
N’as-tu assez entassé de langaige ?
Va hors d’icy, et tu feras que sage.
Entendz un peu des Cieux la volonté
Sur les Cocus, et dessus leur cité.
Je n’ay loisir maintenant de l’entendre.
Si te faut-il par mon moyen l’apprendre :
Quand les Oyseaux qui esclattent leurs chantz
Dedans les bois et crachent sur les champs,
Voudront sortir de leurs forestz espaisses,
Et bastiront en l’air des forteresses,
Lors ilz seront comblez d’un heur parfaict,
Et leur viendra toute chose à souhaict.
Je ne sçay pas quel langage tu craches,
Et quelz secretz et mysteres tu caches.
Mais ilz seront encore plus heureux,
Si au devin qui doibt venir à eux,
Ilz font la chère, et tout ainsi qu’ilz doyvent,
Avec honneurs et presens le reçoyvent.
Je suis trompé, ou tu parles de toy.
Aussi le Ciel n’entend autre que moy.
Et quelz presens veux-tu que l’on te donne ?
Escoute encor ce que le Ciel ordonne :
Ilz luy don’ront, pour l’orner de tout point,
Un chapeau neuf, avec un neuf pourpoint,
Qui soit d’un lin le plus fin que l’on treuve,
Un manteau neuf, une cazaque neuve,
Des souliers neufs, et des chausses, affin
Que soit le Ciel envers eux plus benin,
Qu’il leur influe et donne en recompense
De Jupiter la royale puissance.
Vrayment, tu veux de beaux dons recepvoir.
Ce n’est de moy, ains du Ciel le vouloir.
Autant que toy je connois par les Astres
Les biens futurs, les maux et les desastres ;
Escoute doncq’ ce que le Ciel predict :
Quand un jongleur, un menteur a crédit,
Un arrogant, un charlatan habille,
Et un faiseur d’almanacs d’une ville,
Qui promettant aux autres à planté
Des biens, de l’heur, de la félicité,
Meurt de famine, et d’indigence extresme,
Et des presens demande pour soy-mesme
Viendra vers toy, ô Cocu passager !
Et essay’ra d’un propos mensonger,
A t’abuser et mocquer ta simplesse,
Meine-le-moy avecq’ une rudesse.
Je suis trompé ou tu parles de moy.
Aussi le Ciel n’entend autre que toy :
Va le chassant, il ne songe qu’à nuire
A ceux qu’il peut de sa langue seduire.
Me feras-tu telle vergongne avoir ?
Ce n’est de moy, ains du Ciel le vouloir :
S’il ne veult pas vuider de ta presence,
Prendz un baston et le batz à outrance,
Sans espargner teste, espaulles et reins,
Cuisses, jarretz, bras et jambes, et mains,
Estrille, assomme, et abatz et escorche,
Et me le paye à monnoye de torche,
N’estant lassé de le bastre de coups
S’il ne s’en deult, et dessus et dessouz.
A l’ayde, au meurtre, à la force, on me tue !
Et soit qu’il crie, et que jusqu’en la nüe
Il face ouyr sa plaincte et sa clameur,
N’aye jamais ny craincte ny frayeur,
Frappe plus fort, et plus tost ne t’apaise
Qu’il ne s’en aille, et te laisse à ton aize.
A l’ayde, au meurtre, au voleur qui meurtrist
Un sainct devin qui les Astres cherist !
Bien qu’il se vante avoir l’ame divine,
Et que tous maux et tous biens il devine,
Aussi sçavant comme Nostradamus,
Ne le crois point, il est remply d’abus ;
Il feroit bien accroire que les nues
Ne sont sinon des Chimeres cornues,
Des montz de sable, et des poelles d’airain
Tant il est fin et menteur souverain.
Au meurtre, helas !
N’irez-vous pas, mechant abhominable ?
Si de rechef je vous retiens un peu,
Vous maudirez l’heure de m’avoir veu.
Je viens à vous…
Qui vient encor pour nous estre moleste.
Dieu gard de mal les Cocus gratieux.
Qu’es-tu, qui viens ainsi dedans ces lieux ?
Et d’où es-tu ? qui t’emeut ? quelle affaire
Veux-tu icy commencer et parfaire ?
Je suis natif des mons Savoisiens,
De là exprès vers les Cocus je viens
Pour leur monstrer comme sans grand’despense,
D’or et d’argent ilz auront abondance.
Voudrois-tu point donner à noz Cocus
Un Mahommet qui chie des escus,
Et sans labeur fait riche une personne,
Pour les tresors que sans cesse il luy donne ?
Ou n’as-tu point les puissances encor
Du roy Midas qui changeoit tout en or ?
Je ne suis pas un Midas de Lydie,
Mais j’ay pouvoir par mon Entelechie
De faire l’or, et l’affiner si bien,
Qu’il passe au change, et qu’on n’y connoist rien,
Soit qu’on le touche, ou bien qu’on le martelle,
Qu’il soit au feu où souffre la coupelle :
Et ce qui est non moins rare et hautain,
Je puis aussi d’un changement certain
Fondre en argent ce qui estoit nagueres
Un vil metal et ne valoit pas gueres.
De quelz moyens use-tu en cecy ?
Je ne veux pas rendre profane ainsi
Mon art sacré, qui ne se manifeste
Qu’à ceux qui ont l'ame toute celeste,
Qui ne sont point brouillez de passions,
D’humains desirs de perturbations,
Ains affranchis de ce que l’homme endure,
Cherchent hardis les secretz de nature,
Et les vertus infuses aux metaux,
Les mixtions de tous les minéraux,
Et comme ilz sont connuz en leur miniere,
Quelle est leur force et leur cause premiere,
Et s’ilz se vont corrompant par le cours
Du temps qui coulle, ou s’ilz durent tousjours,
Quelle est leur mort, et quelle est leur naissance,
Leur nourriture, et leur belle accroissance :
Quelle chaleur forte temperamment
Les entretient et leur donne aliment :
Comme le plomb en l’argent se transforme,
Et comme l’or ne change point sa forme,
L’argent la change, et le plomb et l’estain,
Et l’argent vif, et le cuivre et l’airain,
Ainsi soigneux de comprendre ces choses
Qui dans le sein de la terre sont closes,
Ilz vont suivant la Nature qui faict
Dedans son moule un ouvrage parfaict,
Et dans leur art font en peu de journées
Ce que nature en mille et mille années
Ne sçauroit faire, encore que ses mains
Passent de loing le labeur des humains,
Que son labeur nostre artifice gaigne
Et qu’elle-mesme est celle qui enseigne
Les plus sçavans, qui leur affection
Dressent tousjours vers sa perfection,
Contr’imitans d’effect et de courage
Ce qui reluict en son divin ouvrage.
Qui t’a appris les discours que tu fays ?
Il semble à voir que tu ne feuz jamais
Que dedié à la vaine folie,
Je voulois dire à la Philosophie.
Depuis le temps que mon âge peut voir,
Et contempler nature et son pouvoir,
Je me suis mis à ses causes entendre,
Et m’eslevant au Ciel pour les apprendre,
Je n’allay point feuilletant un Zenon,
Un Democrite, Heraclite, et Platon,
Un Epicure, un Cleanthe, un Speusippe,
Un Carneade, Empedocle, et Chrysippe,
Un Aristote, à qui nature avoit
Appris beaucoup de secretz qu’il sçavoit ;
Ains poursuivant roidement à la piste
Ce grand docteur Mercure Trimegiste,
Qui a parlé plus hautement que tous
De la nature, et l’a monstré à nous
Comme en énigme, affin que l’ignorance
Ne se meslat de brouiller sa science,
Et me guidant selon l’authorité
De tous ceux-là qui l’ont interpreté,
J’ay maintenant l’intelligence claire
Des fonctions que peut nature faire ;
Je sçay comment imiter il la faut
En ce qu’elle a de plus brave et plus haut,
Et suis venu aux bons Cocus que j’ayme
Pour leur monstrer ma science supreme.
Mais tu pensois tantost nous sermonner
Que tu ne doibz ton sçavoir profaner
Et que pour nous c’est une lettre close ;
Quel changement, quelle metarmophose
T’a faict depuis ton vouloir esgarer,
Que tu nous veux à present le monstrer ?
Je dis encor et asseure immuable
Que mon sçavoir secret et profitable
Ne doibt point estre à tous abandonné,
De peur qu’enfin il ne soit profané :
Ainçois il faut ses principes utiles
Voiler de motz obscurs et difficiles,
Que l’on ne puisse aizement expliquer
Si son travail on n’y veult appliquer.
Jadis Tiphys dans sa nef Argienne,
Alla guidant la troupe Mynienne,
Jusqu’en Colchos pour avoir la toison
Jà destinée aux labeurs de Jason.
Cette toison fut une peau blanchie
Où les secretz de la sainte Alchemie
Estoient escritz tant seulement pour ceux
Qui en vertu se monstroient genereux,
Comme Jason et toute la noblesse
Qui florissoit alors dedans la Grèce,
Et qui aimant la science et son bien,
L’eut ceste peau et l’entendit fort bien.
L’enfant Hylas tant cherché par Alcide,
La nef parlante et Tiphys qui la guide,
Les chantz d’Orphée et ses airs doucereux,
La Symplegade et les bans périlleux,
Idmon encor qui, plein de grande audace,
Est terrassé d’un sanglier sur la place,
Les deux enfans d’Aquilon forcené
Chassans par l’air les monstres de Phiné,
Les fiers Taureaux qui en lieu de fumée
Jettoient du feu de leur gueule allumée,
Le champ semé et les membres Geans
Naissans de terre, et felons se tuans,
Et le Dragon vigilant de nature
Que l’on endort par magique murmure,
Les Myniens valeureux et dispos
Lesquels portoient leur mere sur le dos,
Le Dieu Triton donnant à Eurypile
Un verd gazon, duquel nasquit une isle :
C’estoit l’Enigme où les effectz divers
De ce bel art estoient du tout couvers.
« Tant plus un art est précieux et rare,
« Autant doibt-on au vulgaire barbare
« Le rendre obscur, et si on le descrit,
« Que soit sans plus pour ceux de bon esprit »
Aussi ce docte habitant de Stagyre
Voulut jadis ses beaux livres escrire,
Qu’on ne pouvoit entendre aucunement,
S’il n’en donnoit luy-mesme enseignement,
Ou si par peine et diligence extresme
On n’apprenoit ses discours de soy-mesme.
Et ainsi fut Heraclyte incité
D’aller voilant soubz une obscurité
Ses sainctz decretz pour former nostre vie,
Cachez au sein de la Philosophie,
Et d’estre obscur il fut tant désireux,
Qu’on l’a nommé pour cela ténébreux :
Et moy suivant ces deux grandz personnages,
Ces deux Gregeoys si doctes et si sages,
Aux bons Cocus j’enseigneray comment
Or et argent ilz auront largement.
Certes je fay d’une chose inconnue
Autant de cas que de vesnes de Grue,
Si ce qu’elle a d’obscurité en soy
N’est faict reluire, et n’est montré au doy ;
Que si tu veux que je preste l’oreille
A tes propos, sois moy, je te conseille,
Non ambigu, ains clair et familier,
Car j’ay l’esprit assez rude et grossier,
Et de nature à se tromper facile.
Escoute au moins les vers de la Sibille :
Mon nom est faict de neuf lettres sans plus,
Et de deux foys deux syllabes entières ;
Les trois qui vont en ordre les premieres,
Six lettres ont, et l’autre a le surplus ;
Le tout est clos de cinq lettres muettes
Qui ont valeur en leur nombre Gregeoys
De sept fois deux, et de cent par trois fois,
Quand elles sont des voielles distraictes :
Qui connoistra qui je suis par ces vers,
Possedera le sçavoir qui ameine
Avecques luy mille profits divers
Et conduit l’homme à richesse sans peine.
Je n’y entend que le haut Allemand.
Escoute encor cecy tant seullement :
Lorsque Mercure une estoile divine
S’ira meslant au Soleil radieux
Et que tous deux leur aspect gratieux
Voudront darder sur la claire Dictynne,
Le jaune Roy, et la Royne argentine,
Espris d’amour ce tyran furieux,
De leurs baizers molz et delicieux
Eschaufferont lentement leur poictrine.
Hanche sur hanche, et le flanc sur le flanc,
Le jaune Roy pressant l’yvoire blanc
Engendrera une fille nouvelle
Qui en naissant toute blanche sera :
Et par le temps blonde, vermeille et belle,
Comme Phœbus en clarté reluira.
Parle autrement, ou tais-toy, je te prie,
Tu m’as si bien de ta Philosophie
Le corps, l’esprit et le cœur esperdu,
Que t’entendant je ne t’ay entendu.
Mais que veux-tu me donner de salaire
Si devant toy l’espreuve je peux faire
De ce qui faict ton esprit estonner.
Quant est de moy, je n’ay rien à donner.
Pour peu d’escus dont me feras largesse,
Je chargeray tes Cocus de richesse,
Qui en tresors seront plus plantureux
Quo n’ont esté les Attales heureux,
Qu’un Roy Gigès n’eut d’or en son Pactole
Et qu’aujourd’huy la puissance Espaignole
N’a en Mexiqueet au Peru Indoys
De lingotz d’or et d’argent à la foys.
Sçays-tu que c’est ? Je t’estime et te prise,
Et comme amy fidelle je t’avise
De retourner en ton païs aymé
Si tu ne veux de coups estre assommé.
Qui me battra ?
Et mon bras fort qu’à grand’peine j’engarde
Qu’il ne se rue et se saoulle un petit
Dessus ton corps d’un gentil appetit,
Il est nerveux et d’une longue aleine
Et ne void point où ses coups il ameine,
De tous costez aveugle se tournant
Et tantost bas, tantost hault forcenant,
Il abat tout, il rompt, il brise, il tranche,
Et bravement s’escrime dans sa manche.
M’entendz-tu bien ? je suis, comme je croy,
Plus familier et plus ouvert que toy.
C’est assez dict : je connoy ta menasse
Sans que l’essay sur ma teste s’en fasse :
Je me retire en un lieu plus connu,
Où mieux qu’icy je seray bien venu.
Va autre part monstrer ton imposture
A ces frais prins, dont la simple nature
Se laisse aller comme on veut à plaisir,
Et non à ceux qui n’ont point le desir
De s’abuser, et soy-mesme seduire
Par un faux bien qui leur bien faict destruire,
Et dont l’attente et le trompeux espoir
Fait l’incertain pour le certain avoir.
Celuy qui est des essences l’essence
Et seul moteur de toute autre substance,
L’esprit divin, où reposent divers
Subjectz formez parmy tout l’univers
Comme en Idée, et dont la voix sacrée
Va naturant nature naturée,
Veuille garder accidentellement
Tous les Cocus de mal et de tourment.
Me voicy bien à peine ay-je la chasse
Donné aux uns, que d’autres sont en place
Qui vont troublant mon aize et mon repos :
Mais j’ay le bras encore assez dispos
Pour me jetter dessus ceste canaille
Et l’envahir et luy livrer bataille.
Que viens-tu querre en ce bois deserté
De nulles gens fors les Cocus hanté ?
Je viens pour dire aux Cocus la manière
De disputer sur chacune matiere
Probablement.
M’entendre un peu, tu connoistras que c’est.
Parle, j’entends.
Qui donne à un digne homme
Du nom loué de liberal se nomme.
Où veult venir ta proposition ?
Tu l’entendras par la conclusion,
Or les Cocus genereux et insignes.
Tousjours entr’eux donnent aux hommes dignes,
Et à nulz sont en leur largesse esgaux :
Partant sont-ilz à bon droict liberaux.
Je connoy bien où tu veux jà descendre.
Mais je le vay faire bien mieux entendre.
Tous ceux vrayment sont dignes d’estre aymez,
Qui vont donnant aux sages estimez,
Dict Aristote en cent mille passages :
Or les Cocus donnent aux hommes sages,
Ergò il faut les aymer entre nous
Et les cherir comme bénins et doux :
N’est-ce conclud en premiere figure ?
Tu sçais fort bien proposer et conclure,
Mais je n’entends ton ergò de pourceau.
Si nous rompt-il bien souvent le cerveau
En ergotant de noz genres infimes,
Des transcendans, des specialissimes,
Des differens, des propres, et comment
On les rapporte à leur Predicament,
Et qu’est Socrate, est-ce un homme risible ?
Ce n’est pas peu de dispute penible
Qui se bastit, brouillant la verité
Sur cet ergò qui est tant ergoté,
Et qui hautain, sur les ergotz te dresse
Pour ergoter de tes ergotz sans cesse.
Par luy je suis maistre es artz approuvé.
Ne veux-tu point estre encore lavé
En maistre es arts, ainsi qu’on vesperise
Ceux-là qui ont les degrez de maîtrise
Qui par trois ans ont esté diligens
D’aller faisant leur cours souz leurs regens,
Et qui prenans quatre cornes en teste,
Sont tous huppez comme un coq à la creste,
Mouvent en chair, et bras et cropion,
Estans vestus de leur lirippion ?
Quand j’estois jeune, et encore en bas âge,
Vieil de sçavoir, et jeune de visage,
Il me souvient qu’à l’escolle des artz
Je feus longtemps secoux de toutes partz
De noz tousseurs qui la toux tousjours toussent
Et en toussant bien souvent se courroussent,
Qu’il feut tappé des mains, Dieu sçait comment !
Quand il failloit résoudre un argument,
Et que je dis en toussant ma harangue
Faisant tonner des accens de ma langue
Toute l’escolle, et repetant sans fin
Un beau Quamquam' et un Verô latin :
Longtemps depuis j’ay régenté aux classes
Suivant partout les marmites plus grasses
Des principaux, qui tant plus me plaisoient
Que je voyois que plus ils depensoient.
Qui de nombrer a oncques eu envie
Combien de culs j’ay fessé en ma vie,
Il pourra bien quant et quant estimer
Combien de sable est roulé dans la mer
Parmy les flotz jusqu’au bord d’une rive,
Et combien d’eau sourd d’une source vive,
Combien au Ciel il y a de flambeaux
Et dans Libye il y a de monceaux
L’un dessus l’autre et de poudre et d’arene
Lorsque Zephyre esvente son alene ;
Et maintenant que je suis tout chenu,
De plus fesser je me suis abstenu :
Tout me deplaist, rien ne m’est délectable
Qu’avoir bon feu et le ventre à la table,
Et quand il faut disputer devant tous,
Je suis plus froid, plus modeste et plus doux
Que je n’estois en ma verde jeunesse,
Lorsque mon cœur bouillonnoit d’allégresse
Et que j’allois en braillant et criant
Les plus sçavans au combat deffiant,
Qui me cedoient, ne craignans tant ma force
Comme ilz craignoient ma ruze et mon entorce.
Si tu es sage et amy de ton bien,
Crois mon conseil et t’en trouveras bien.
Je ne suis point ny un Sophiste rogue,
Ny fesse-cul, regent, ny Pedagogue,
Ny trop aussi sur la dispute ardent,
Et si je veux que tu m’ailles cedant :
Ou autrement maistre baston qui picque
Plus que ne faict l’argument sophistique
Viendra en place, et frappera si hault
Que ne pourras respondre à son assaut.
Pourquoy cela ?
Ne voulant croire à mes parolles seures ?
N’iras-tu pas, espece d’animal
Qui es venu chercher icy ton mal ?
Ne me batz plus, je m’en vay, je te laisse.
Or va-t’en donc, mais va-t’en de vitesse,
Si tu ne veuz que ton individu
D’infiniz coups ne demeure perdu,
Ou que son corps de ma main fiere et rude
N’aille sentant dedans son habitude,
Par accident quelque privation,
Et que son propre à ceste occasion
Soit depery de la substance sienne
Et que jamais le doux ris ne luy vienne.
J’ayme doncq’ mieux m’en aller de ce pas.
Si tu y faulx, je ne te faudray pas :
Et quant à moy, pour fuir la présence
D’un tas de foulz, qui pensent leur science
Vendre aux Cocus qui n’y ont point d’esgard,
Je me retire en ce bois à l’escart.
STROPHE
Nous connoistront puissans et telz,
Qui sans nous rien ne pourront faire
Et qu’ilz viendront nous adorer
S’ilz veullent aizes demeurer
Souz nostre garde salutaire.
La vigne sacrée à Bacchus
Sera gardée des Cocus,
Et les semences que la terre
Dedans son large sein enserre,
Dehors espoindre nous ferons
Et du danger les osterons
Des bruynes et de la nielle,
Et de l’orage de la gresle :
Bref les fruictz d’automne et d’esté
Nous mettrons en maturité,
L’hyver ne nuira point aux plantes
Et aux beaux boutons germoyans,
Aux arbres et aux jeunes entes
Et moins aux jardins rozoyans
Nous chasserons toute vermine
Qui mange et consume maline
Les herbes et les belles fleurs
EPIRRHEME
Je veux advertir ceux qui jamais ne s’abstiennent
De blasmer les Cocus, quand les propos s’en tiennent,
Qu’ilz n’en parlent plus mal, ou, s’ilz les vont nommant,
Que ce soit en honneur et non en les blâmant.
Ilz blasonnent leur voix claire, sonnante et pleine,
Prochaine des accens que tient la voix humaine,
Et le cygne sacré au loing dardant Phœbus,
Qui chante doucement aux rivages herbus
Du fleuve de Méandre, et chantant se lamente
De la mort qui desjà voisine le tourmente.
Ilz les nomment Oyseaux qui ne vont en tout temps,
Sinon en la saison que florist le printemps,
Et fuyent en esté lors que la canicule
De ses rayons ardens toute la terre brusle,
Volages, incertains, farouches, passagers,
Et n’ayment rien surtout que les lieux estrangers,
Vilains extrêmement d’aspect et de figure,
Phlegmatiques et pleins de salive et d’ordure ;
Et pour les mespriser encore plus entr’eux,
Quand ilz vont dénotant un homme paresseux,
Fayneant, imbecile et de nulle entreprise,
Et qui rien du passé, rien du present n’advise,
Laissant couler le jour et la nuict sans avoir
Dedans l’esprit le soing de suivre son devoir,
Et ayant mauvais bruict à cause de sa femme,
Disent qu’il est Cocu scandaleux et infâme,
Ne voulans exprimer par autre nouveau nom
Sa grande lascheté et son mechant renom.
Ilz les blâment aussi qu’ilz vivent solitaires,
Qu’ilz hayent leur espèce, et qu’ilz luy sont contraires,
Seulz de tous les Oyseaux qui vivent en discord
Et ne peuvent ensemble avoir aucun accord.
Ce n’est tout que cecy, ilz les notent de vice,
Les appellent ingrats et farcis de malice,
De quoy ilz vont tuant ceux qui les ont nourriz :
Et de là les Françoys ont le proverbe appris,
Qui taxant des ingrats la méchante nature,
Les nomme de Cocus l’ingrate nourriture
Et les faict ressembler aux Cocus qui n’ont pas,
Comme est le dict commun, la nature d’ingratz.
Mais quoy ? pourrois-je mieux reprendre le mensonge
De tous ceux dont la dent le Cocuaige ronge,
Que par vous, spectateurs, qui avez escouté
Quelle est des sainctz Cocus la gratieuseté,
Qui bastissans en l’air une nouvelle ville
Et ensemble vivans en police civile,
Gouverneront le monde et jamais ne seront
Ingratz envers ceux-là qui les honoreront,
Ny gratieux à ceux dont le mechant langage
S’essaye de les mordre et de leur faire outrage,
S’ilz ne changent de meurs et ne sont desormais
Alliez aux Cocus d’une eternelle paix ?
ANTISTROPHE
Resonnante dedans les boys,
Predict la venue amoureuse
Du Dieu Jupiter qui descend
Au sein de sa femme et la rend
De fleurs et de fruictz plantureuse ;
Alors les mariniers dispos,
D’engins vont roulant sur le dos
De Tethys les oinctes navires,
Et lors Eole tu retires
Les ventz et les metz en prison :
Et Neptune en ceste saison
Commandant aux seurs Nereides
D’atteler ses chevaux humides,
Desireux de voir l’air si beau,
Lieve sa teste hors de l’eau,
Et tient son Trident en la dextre
Et ses chevaux moites d’ahan
Il va guidant de la senestre
Soit aux forestz sombres et pleines
D’oyseaux qui entonnent leurs chantz,
ANTEPIRRHEME
Vous rirez, spectateurs, de ma corne, peut-estre,
Que vous voyez ainsi sur mes fesses parestre
Contre le naturel des Cailles qui n’ont point
Dans leur cul une corne affichée en ce point ;
Mais de quoy rirez-vous ? Ce n’est pas de merveille
Si aux autres Oyseaux je ne suis pas pareille,
Puisqu’aux bestes pareil n’est le Rhinoceros
Estant cornu au nez, aux fesses et au dos.
Que si vous contemplez en vostre ame profonde
Les debvoirs de nature et ses effaictz au monde,
Cela vous sera plus pour prodige tenu
De voir un Dieu au front ou un homme cornu,
Qui sont formez parfaictz, que de voir en nature
La Caille avoir au cul une grand’corne dure.
Toutefois les mortelz et les Dieux ont esté
Cornuz dessus leur front remply d’authorité ;
Cornu feut ce Rommain magnifique et brave homme,
Cippus qui refusa d’estre tyran de Romme,
Aymant mieux s’exiler de son propre vouloir
Qu’en son païs natal la Monarchie avoir ;
Cornue estoit Metis que Jupiter son pere
Devora d’un morceau pour ne la voir point mere
D’un enfant qui debvoit tous les Dieux surmonter
Et ravir fièrement le sceptre à Jupiter ;
Cornu estoit aussi à son vouloir Prothée
Pressé de Menelas ou du jeune Aristée,
Et feut cornue encor celle qui secouroit
Son pere Erisycton lequel de faim mouroit ;
Cornue feut Isis, fille du vieil Inache,
Ayant son corps caché dans une belle vache,
Et cornu feut le filz du Pylien Nelé,
Le fort Peryclimene, auquel feut escoullé
Par son ayeul Neptune un pouvoir admirable,
Ores d’estre Taureau ou quelqu’autre semblable,
Et la race de Cadme, Actéon le veneur
Eut deux cornes au front à son très grand malheur.
Les fleuves sont depeintz à leurs sources sacrées
De deux cornes ayans les testes honorées,
Et comme eux l’Achelois on eust aussi orné,
Ne feust que par Hercul’ son front feust ecorné.
Cornu est le Soleil, la Lune a double corne,
Et dans le firmament, cornu le Capricorne,
Le Bélier, le Taureau, trois astres radieux
Qui luisent clairement en la vouste des Cieux.
Le Dieu Nyctelien engendré de Semele
Porte dessus le front une corne jumelle,
Comme sont les Satyrs et Pan le Dieu berger,
Et cornu fut Jupin quand il voulut changer
Son corps, qui enduroit un amoureux martyre,
En Taureau, en Belier, et en cornu Satyre,
Se faisant adorer maintenant du surnom
De Jupiter bélier par les prestres d’Ammon.
Où est, où est Genin ? Qu’on le m’asseure ;
Où est Genin, où est-il à ceste heure ?
Que me veux-tu ? diz, parle, me voicy.
Noz murs sont faictz, et nostre ville aussi.
Tout est-il bien ?
Soit que l’on veuille ou regarder l’ouvrage,
Ou la matière, et qu’on en juge à l’œil,
Rien ne se void en terre de pareil,
D’un rang espais les maisons compassées
Sont jusqu’au Ciel hautement avancées,
Et ce qui semble encores merveilleux,
Tous les logis sont palais orgueilleux,
Les murs sont hauts et longs et imprenables,
Et tellement en largeur admirables,
Que six chevaux lesquelz se rencontr’ont
Estans chargez à six autres de front,
Sans se heurter l’un ny l’autre en leur charge
Les passeront et y courront au large.
Voylà grand cas.
Ilz peuvent bien avoir en leur quarré,
Sans point mentir, quinze toizes entieres,
Et en circuit il ne s’en faut de gueres
Qu’ilz ne soient longs comme jadis estoient
Ceux où les Roys d’Assyrie habitoient,
Qu’un homme prompt ne pouvoit à grand’peine
Circuir autour en une my-sepmaine.
0 Dieux puissans quelle longue largeur !
Quoy ! noz Cocus ont-ilz de leur labeur,
Sans estre aydez d’autres que de leur sorte,
Si tost basty une ville tant forte ?
Ilz ont loüé pour le service d’eux
Quelques oyseaux pauvres et souffreteux,
Qui diligens d’aller gagner leur vie
Ont avancé nephelococugie.
Que servoient-ilz ?
Dedans la terre, et de là s’en alloient
De leur long bec à la pointe crochue
Portant en l’air de l’ardoize menue
Et de la brique, et jettoient leurs fardeaux
Tous estenduz sur la nue à monceaux ;
D’un ordre long les Grues accourantes
Deçà, delà apportoient diligentes
De gros tuffeaux, qu’elles tenoient aux piedz
Et les bailloient aux Herons dediez
A les tailler, les mettre en escarreure,
Et les orner de subtile mouleure,
Lesquelz n’usoient de riflard, de marteau,
Ny de bec-d’asne ou d’un pointu ciseau
Pour travailler comme ceux de la terre
Qui dextrement besongnent sur la pierre ;
De tout cela leur bec aigu au bout
Servoit assez et suffisoit pour tout,
Tranchant plus fort que n’eust faict une lame
D’un fin acier qui toute chose entame.
Qui fournissoit de mortier, dy-le-moy ?
Vous en aviez loüé, comme je croy.
De toutes partz couroient les arondelles
Et en callant sur la terre leurs ailles,
Alloient faisant de mortier un amas,
Et le chargeant sur leurs cuisses en bas
Montoient en haut et pressoient leurs deux cuisses
En la façon que pressent les nourrisses
Entre leurs bras leurs enfançons, affin
De leur donner du lait de leur tetin,
Les resjouir, ou les porter esbattre,
Ou leurs hautz cris par flattemens abattre.
Qui espendoit le mortier amassé
Dessus la brique et le tuffeau dressé ?
Vous n’aviez point, ce croy-je, de truelle.
Je te diray nostre invention belle.
Conte la doncq ?
Et n’en voulions loüer aussi pas un
En ceste affaire, ains, affin que tu oyes,
A nous ayder nous louasmes des Oyes,
Qui le mortier de leurs pattes prenoient
Et çà et là sur les murs l’ordonnoient,
L’alloient joignant ensemble à la matière,
Et le paroient en la mesme manière
Dont le maçon va usant au besoing
Quand sa truelle il faict marcher au poing.
Qui penseroit que des piedz on peust faire
Autant ou plus que des mains son affaire ?
O nouveauté entre tous les humains,
De besongner des piedz comme des mains !
Et toutesfois les Oyes de leurs pattes
Qui largement sont ouvertes et plattes,
Peuvent, quel art, gentiment travailler
Et sur les murs le mortier esgailler.
Ainsi jadis en Tholoze Pedocque,
Si en mentant l’hystoire ne se mocque,
De ses deux piedz formez en pied d’Oyson
Faisoit assez de besongne à foison,
Et d’elle vient le remuement agile
Qu’on va usant des piedz en ceste ville
Et d’elles sont les jeux de brodequins,
Les tourdions, et les beaux mannequins.
Mais je te prye, poursuivant ton message,
Raconte-moy qui conduisoit l’ouvrage,
Qui commandoit, qui veilloit soucieux,
Et qui servoit aussi d’ingénieux ?
C’estoit le Roy.
Pouvoit-il seul sans lieutenans suffire
A commander, à guider les maçons
Et à pousser l’oeuvre en toutes façons ?
« Celuy qui est le Monarque et le Prince
« D’un peuple grand d’une grande Province,
« A faire tout ne peult pas arranger ;
« Il va s’aydant, pour mieux se soulager,
« De ceux qui sont idoines et capables
« De commander en charges honorables. »
Le Roy tout seul ne commandoit aussi,
Car il n’eust peu souffrir tant de soucy,
Tant de travail, tant de fatigue en somme.
Mais les Cocus que Cocuans on nomme,
Qui ont l’esprit gaillard, gentil et vif,
Et le courage encore plus actif,
Dont le beau poil et le visage insigne
De commander à noz Cocus est digne,
Estoient commis pour les maçons guider
Et à chacun sa tâche commander.
C’estoit bien faict, il n’eu falloit point d’autres
Plus suffisans commettre entre les nostres,
Comme Platon philosophe ancien,
Dessouz le nom de Socrate dict bien :
« Que tout le corps d’un peuple qui s’assemble
« Dans une ville en union ensemble,
« Contient en soy trois sortes de bourgeois :
« Les uns sont d’or qui regnent comme roys,
« Nobles de cœur, de vertus et de race,
« Et comme l’or tous les metaux surpasse
« En prix, en lustre et en riche splendeur,
« Passent ainsi en royale grandeur
« Leurs citoyens, qui prisans leur puissance,
« Leur vont portant une humble obeyssance,
« Et les secondz sont de l’argent formez,
« Moindre que l’or, moins que l’or estimez,
« Et toutesfois non pas moins necessaires
« Pour ordonner les publiques affaires,
« Riches de biens, d’honneur, d’authoritez,
« De hautz estaz et grandes dignitez,
« Nez au commun et respirant la vie
« Tant seullement pour servir leur patrie,
« Et en tous lieux pour elle estre bandez,
« Or’ commandanset ores commandez ;
« Et les derniers sont de bronze ou de cuivre
« Lesquelz sans nom en leur ville on void vivre,
« N’ayant esprit ny force auculnement
« Pour estre crainctz en leur commandement ;
« Humbles bourgeois lesquelz sans plus se rendent
« Obeissans à ceux-là qui commandent
« Et se rangeans sur le veuil de leurs loix,
« Comme un troupeau suit du pasteur la voix,
« Qui çà et là, sifflant parmy la plaine,
« Tout escarté le rassemble et l’ameine :
« Ainsi suivans leurs chefs qui sont les grandz
« Et à leur voix aussitost comparans,
« Pour autre bien le sort ne les faict naistre
« Que pour servir, et souz les autres estre. »
Ny plus ny moins j’affermeray aussi
Que les Cocus sont signalés ainsi
De trois degrez dedans leurs republiques :
Les premiers sont braves et magnifiques,
Nobles, hardis, puissans et invaincus
Comme grandz roys honorez des Cocus,
Et n’esclavans souz aucune personne
Leur majesté, leur sceptre et leur couronne.
Et les secondz Cocuans appelez,
Sont du pouvoir des premiers recullez,
En ce qu’ilz sont subjectz à leur empire
Et qu’à leur veuil ilz n’osent contredire ;
Mais toutesfois comme Oyseaux factieux,
De bon esprit, gentilz, ingénieux,
Ilz sont commis des Roys en l’exercice
De commander et voir sur la police,
Et les derniers sont les Cocus niays
Qui commandez ne commandent jamais,
Humbles Oyseaux, infimes, populaires,
Sans dignité, sans rang et sans affaires,
Gens sans esprit, gens qui ne peuvent rien,
Pleins de lourdesse, ignorans de tout bien,
Qui seullement comme esclaves attendent
La volonté de ceux qui leur commandent :
A souffrir tout de nature dispos,
Quelque fardeau qu’on mette sur leur dos.
Escoute encor que le reste je die
De mon message.
Noz murs ainsi dextrement ordonnez,
Et mieux dressez, bastis et maçonnez,
Il ne restoit pour les murailles clore
Que des portaux et pont-levis encore :
Et n’ayans point de Cocus charpentiers,
Qui de doler le boys feussent ouvriers,
Le Roy voyant tarder nostre entreprise,
D’un beau moyen en son esprit s’advise :
Il envoya de ces Oyseaux chercher
Qu’on voit au creux des arbres se cacher
Et faire un bruict dans la ramée espaisse
Fendans le boys et becquetans sans cesse,
Robustes, fortz, en leurs plumages verdz,
Oyseaux de Mars et appelez Pycvers.
Ces Oyseaux promptz et ardens à leur tâche
D’un bec pointu qui leur servoit de hache
Et de rabot et de sie à la fois
Pour bien polir et pour fendre le boys,
En peu de temps leurs portaux achevèrent
Et sur des gondz aux murz les esleverent
Bien chevillez, bien clouez et bien joinctz,
Bien charpentez et garniz de tous points :
Diversement ils fournirent les portes
De pont-levis et de herses bien fortes,
N’obmettans rien qui feust propre au mestier
D’un plus expert et sçavant charpentier.
Et maintenant que la ville est parfaitte,
Dedans les murs on faict fort bonne guette,
De gros cailloux sont fourniz les créneaux,
Et les Cocus tous les jours aux portaux
Gardent l’entrée et si bien se maintiennent,
Qu’autres que nous dans la ville ne viennent.
Que resves-tu ainsi profondement ?
Es-tu espris de quelque estonnement
Que noz Cocus ardens à leur affaire
Ont peu si tost leur grand’ville parfaire ?
Cela vrayment me faict un peu songer,
Et si n’estoit la foy du messager,
Je ne croiroy chose si admirable
Qui semblerait n’estre point veritable.
Mais devers nous accourir j’aperçoy
Un des Cocus de la garde du Roy,
Tout effrayé et à sa contenance
Rien n’apportant qu’une triste occurrence.
Helas ! helas !
Dis, respondz-moy.
Car l’un des Dieux, de ces Dieux là qui vivent
Dedans le ciel, et leur Jupiter suivent,
A maintenant nostre garde faussé,
Et malgré nous s’est de tant avancé
Que de passer à travers nostre ville
Et se jetter luy seul contre cent mille.
O grief forfaict ! ô acte audacieux !
Ne sçais-tu point lequel est-ce des Dieux ?
Je n’en sçay rien, car la crainte non vaine
Qui se saisit de mes membres soudaine,
Ne m’a permis que j’eusse le loisir
De l’adviser et connoistre à plaisir ;
Trop bien je sçay qu’il porte au dos des ailles
D’un beau plumage, et luisantes et belles.
Le Roy n’a-t-il semond aucun Cocu
Pour le poursuivre et l’arrester sur cu ?
De grande ardeur et diligence extresme
Il le poursuit en personne luy-mesme,
Accompaigné des Cocus plus vaillans,
Qui de colere et de fureur bouillans
Courent par l’air, pour prendre leur vengeance
De ce Dieu là qui leur a faict offense.
Allons après, hastons-nous, il le fault,
Sus, sus, alarme, au combat, à l’assaut,
Ça, ça, des arcs, ça, des flèches, qu’on s’arme.
Ainsi, amys, courage, alarme, alarme,
Tous, tous ensemble en mesme bataillon
Donnons de front et ce Dieu assaillons.
STROPHE
Ny oüie en ces lieux,
Est maintenant emeüe
Par nous contre les Dieux ;
Mais que chacun s’avance
D’aller en diligence
Prendre vol, et parmy
Le vuide et son espace,
A ce fier ennemy
Que l’on donne la chasse.
Sus, poursuivons ses pas,
Loing de nous il n’est pas,
Tost, tost, qu’on s’appareille,
De ses ailles le bruict
Qui par l’air l’entresuict
Qui vole là ? Demeure là ! demeure !
Cesse ta course et nous dis à ceste heure
D’où t’en viens-tu ?
Par le vouloir du grand Prince des Dieux.
Quel est ton nom ?
Comment, Deesse, ou femme ou bien pucelle ?
Pourquoy cela ?
Aucun de nous n’ira-t-il l’arrester ?
Arrester moy ?
De m’empoigner, moy qui suis si agile,
Et qui me peuz invisible escouler
Dedans la nue en l’espaisseur de l’air,
Ou me changer en mille et mille sortes.
Qui t’a permis d’entrer ainsi aux portes
De nostre ville, et noz murs traverser
Pour nous braver et pour nous courroucer ?
Je ne sçay point quelles portes j’ay ores
Peu traverser.
Qui t’a donné sauf-conduict ?
N’avois-tu point de passe-port aussi ?
Mais resves-tu ?
Nostre patrouille et nostre sentinelle
Ne t’a le mot de nostre guet donné ?
Je n’ay rien veu, ô vieillard forcené !
Et qui t’a faict si folle et si hardie
Non de passer Nephelococugie
Tant seullement, ains bien de t’envoler
Parmy la nue et l’espace de l’air ?
Par quel chemin est-ce doncq que tu cuide
Qu’aillent les Dieux, sinon par l’air liquide ?
Je n’en sçay rien, si ne voulons nous-pas
Que par nostre air ilz volent plus en bas,
Ores qu’ilz soient célestes et qu’ilz puissent
Nous opposer le droict dont ilz joüissent
D’aller par l’air, et qu’on n’a aucun Dieu
Gardé jamais de passer par ce lieu.
Et si n’estoit que tu es femme et telle
Qu’au ciel n’y a de Deesse plus belle,
Tu ne serois sans danger parmy nous
Dont n’est petit bien souvent le courroux.
Quel dur tourment souffriroy-je Deesse ?
Et tu mourrois.
Qu’ayant forfaict vers nostre majesté,
Rien que la mort tu n’as jà merité,
N’estoit ton sexe auquel toute franchise
D’aller partout volontiers est permise.
Mon sexe seul me peut doncq garantir.
Où t’en vas-tu ?
Tous les mortelz qu’ilz delaissent leur vice
Et qu’aux grandz Dieux ilz fassent sacrifice,
Ou autrement que les Dieux irritez
Les domteront de mille adversitez.
Quelz Dieux dis-tu ?
Et commandons à la race des hommes.
Vous estes Dieux ?
Ceux qui au ciel ont des Dieux le renom ?
Mais ces Dieux là plus icy ne commandent,
Ains les Cocus qui leurs forces estendent
Dessus la terre, aux cieux et aux enfers
Et bref partout ce grand monde univers,
Auxquelz il faut que l’homme s’humilie,
Leur fasse honneur et leur sacre sa vie,
Non à voz Dieux et non à Jupiter
Dont le pouvoir n’est plus à redoubter.
Ah ! malheureux ! n’esmeuz point à colère
Les Dieux puissans et Jupiter leur pere,
De peur qu’estans une foys courroussez
Et contre toy à vengeance poussez
Ilz n’aillent mettre en tout malheur extresme
Toy et ta race et ta famille mesme,
Et que ne sois diffamé de renom
Pour n’avoir craint leur puissance et leur nom ;
Car bien qu’aux piedz ilz soient feutrez de laine,
Que lentement ilz glissent par la plaine
Sans faire bruict, sans qu’ilz semblent vous voir
Connivans presque à vostre fol vouloir,
Si est-ce alors qu’ilz vous peuvent atteindre.
Leur ire est grande et terrible et à craindre,
Bruyant bien fort comme un torrent qui sourd
Du haut d’un mont et tout à val s’encourt,
La vague à l’autre en mille bondz se roulle,
Et du grand bruict dont sans celle elle coulle,
L’air retentist et résonne le mont
Et les vallons muglent jusques au fond :
Ainsi les Dieux se font bien loing entendre
Quand leur fureur commence à les esprendre,
Et que sans cesse ilz vont pleuvant des cieux
Mal dessus mal aux hommes vicieux
Qui vont servant de miroir et d’exemple
Envers celuy qui leurs malheurs contemple,
De ne vouloir aux grandz Dieux s’attaquer
Et de leur nom, profanes, se mocquer.
Cesse ta jappe et de ton vain langage
Ne pense pas eschanger mon courage.
Non je te dis et je diray sans fin
Que les Cocus sont plus grandz que Jupin,
Ny que les Dieux hautz, moyens et barbares,
Faunes, Sylvains, Indigetes et Lares.
Que si ces Dieux et Jupiter puissant
Desquelz si fort tu me vas menassant,
Ne veullent pas, orgueilleux de leur estre,
Pour leurs seigneurs les Cocus reconnestre,
Ilz se verront dans leur ciel assieger,
Et aizement affronter et ranger,
N’ayans moyen si grand de se deffendre
Qu’ilz ne soient mis au hazard de se rendre.
Jadis Briare, Encelade, Gyas,
Porphyrion, Rhete, Cée et Mimas
Et les Titans ayans planté l’enseigne
Contre les Dieux sur la double montaigne
Faicte par eux pour le ciel escheler,
Et pour Jupin au combat appeler,
Bien que leur trouppe en nombre feust petite,
Se meirent-ilz telle crainte subite
Au cœur des Dieux estonnez et craintifs,
Que la pluspart en Egypte fuitifs
S’alloient changeant or’ en cheval agile,
Ores en chien, ores en crocodile,
Et en ibis, en corbeaux, en poissons,
En bœufs, en chatz et en mille façons.
Si les Cocus qui en force surpassent
Les fortz geans et en nombre les passent,
Avec les Dieux s’acharnent aux combatz,
Combien plustost les mettront-ilz au bas
Et les feront des Dieux espouvantables,
Palles, craintifz, fuyardz et miserables,
Plus que jamais contrainctz par leurs efforts
De se changer encore en nouveaux corps ?
Tu parles bien à ton aize des choses
Des Dieux auxquelz tes Cocus tu préposes :
Mais tu n’as point sur la teste reçeu
Ny leurs fureurs, ny leur foudre et leur feu ;
Si une fois esprouvé tu les eusses,
En tes propos plus modeste tu feusses.
Sçais-tu, Iris, ton babil outrageux
Par trop desjà m’est moleste et fascheux,
C’est trop user envers moy de bravade,
Si je te prens tu auras la saccade,
Et tout vieillard que je sois et sans cœur,
Sans sentiment, sans force et sans vigueur,
Je te feray, sans que ruer tu puisses,
A mon plaisir escarquiller les cuisses,
Et te rangeant au montoir devant moy,
Pour voir plus loing je monteray sur toy,
Courant, postant d’une carrière prompte.
Va, vieil rossard, comment n’as-tu point honte
De proférer des motz si mal seans,
A toy qui doibz estre meur par les ans,
Sage, prudent, et pezant ta parolle
De peur que rien hors de toy ne s’envole
Qui ne soit bon et ne soit comporté
De tous ceux-là qui l’auront escouté.
Encor veux-tu trancher de la sçavante ?
Va hors d’icy, va, et te diligente
Sans plus muzer.
Mais, pauvre fol, voy bien ce que tu fais,
Les Dieux de qui tu morgues la puissance
Sçauront fort bien prendre sur toy vengeance.
Ah ! ne veux-tu soudain te depescher
Pour t’aller faire autre part chevaucher ?
STROPHE
Qu’ilz ne soient hardis d’entreprendre
De plus nostre ville passer
Et par le vague traverser,
Ne voulans servitude aucune
Qui soit entr’eux et nous commune,
Car nous aymons seulz commander
Et des hommes les sacrifices,
Seulz recepvoir et regarder,
Et tous seulz leur estre propices :
L’air, l’onde et la terre soit nostre
Voici venir devers nous à grand’erre
Quelque herault des hommes de la terre ;
Sçachons un peu ce qu’il veut declarer.
Qui me pourra maintenant asseurer
Où est Genin ?
O noble Oyseau ! ô plein d’honneur supresme !
Les hommes faictz heureux par ton moyen,
Pour reconnoistre un tel souverain bien,
D’un mesme accord pour orner ta personne
T’ont envoyé cette belle coronne.
Je la reçoy, mais quel heur fortuné
Pourroys-je avoir aux hommes moyenné ?
Devant que feust vostre ville bastye
Ilz souspiroient toute melancholie,
Et Jupiter espuisant ses tonneaux
Ne leur versoit en terre que des maux,
Et peu de biens subjectz à la fortune,
Et à la dent de l’envie importune,
Ilz vivotoient sans consolation
Avecq ennuis et mainte affliction.
Le cruel Mars esmouvant les courages
Aux fiers combatz, aux meurtres, aux carnages,
Parmy la plaine entassoit à monceaux
Les corps humains pasture des corbeaux,
Razoit les fortz, demanteloit les villes,
Ou les rendoit esclaves et servilles
Dessouz les loix des fortes garnisons,
Qui s’emparoient des plus riches maisons,
Les butinoient et en faisoient partage
Comme du bien de leur propre héritage :
Guerres, combatz, procès mal intentez,
Contentions, fraudes, impietez,
L’ambition, l’orgueil et l’avarice
De l’homme estoient l’ordinaire exercice :
On ne voyoit plus regner la vertu,
Dessuz, dessouz, tout estoit abattu,
Et l’action des hommes déréglée,
D’aucun esgard ne se voyoit réglée.
Qui la vertu, qui le vice servoit,
Qui tous les deux en mesme temps suivoit,
Chose incroyable et ensemble de vice
Et de vertu s’armoit en sa malice :
Bref un chacun selon sa passion
Regloit son âme et son affection,
Sans autrement se soucier de suivre
Le beau chemin qui conduist à bien vivre,
S’il ne voyoit que son profit y feust
Et que beaucoup de gaing il en reçeust.
Or maintenant que vostre ville est faicte,
Tous sont comblez d’une joye parfaicte
Et les soucis et les maux inhumains
Ont delaissé la terre et les humains :
La paix, l’amour et la saincte concorde
Unist les cœurs qui estoient en discorde,
Tout se void bien en ordre compassé
Et la vertu a le vice chassé.
Mais ce qui est beaucoup plus admirable,
Chacun de meurs aux Cocus est semblable
Et vous admire et en ses actions
Suit voz humeurs et voz complexions ;
On ne s’en chaut de chose qu’on advise,
Tout accident, tout chagrin ou mesprise,
En bonne part on prend tout et on croid
N’avoir point vu ce qu’en presence on void.
L’homme n’est plus jaloux de son espouse,
Et du mary n’est la femme jalouze,
Sans nul scandale et sans aucun ennuy
Les deux espoux pondent au nid d’autruy.
Ores à l’homme est la femme publique,
Comme Platon veult en sa République,
Et l’homme aussi à la femme est commun
Et les enfans sont communs à chacun ;
Tous sont Cocus sinon par le plumaige
Au moins d’esprit, de vueil et de courage,
Et ne verriez par les hommes, sinon
Bruire tousjours et vous et vostre nom.
Les bois Cocu, les prez Cocu resonnent,
Le champs Cocu, les montz Cocu entonnent,
Et les deux flancz d’un fleuve large et creux
Cocu, Cocu se respondent entr’eux.
Dans les maisons, pour un air de musique,
Cocu sans fin et Cocu on réplique,
Et mariant la lyre à la chanson
Rien que Cocu ne tonne par le son :
Pour le refrain d’un plaisant vaudeville,
Cocu, Cocu on chante par la ville,
Et les laquais par la rue marchantz,
Tousjours Cocu degoisent en leurs chantz,
Et les garçons qui aux metiers travaillent
A leur besongne un Cocu entre-taillent.
Bref tout le monde a si bien ses espritz
De vostre amour enserrez et espris,
Que vous verrez en ce lieu où nous sommes
Venir bientost la plus grand’part des hommes
Vous demander le plumage pour eux
D’un beau Cocu dont ilz sont amoureux.
Nous sommes prestz de les recepvoir ores
Et leur donner des ailles et encores
Un mesme honneur, semblable dignité,
Mesmes creditz et mesme autorité.
Sus, que quelqu’un s’en coure et qu’il apporte
Des paniers pleins d’ailles de nostre sorte
Pour emplumer ceux qui auront vouloir
D’estre Cocus et leur figure avoir.
ODE
Une grand’ville, il la vante
Pleine de beaucoup de gens :
Ainsi nostre ville aymée
Pleine de gens soit nommée,
ALLOEOSTROPHE I
Qu’on se despesche et que plus on n’attende
De m’apporter cela que je demande.
AUTRE ODE
Captivent l’homme serville
La terre ne les recrée,
Ains beaucoup plus leur agrée
L’air des Cocus habité.
Le nectar et l’ambrosie
Qui les grandz Dieux rassasie
Ne les faict point désireux
D’aller au ciel et d’y vivre ;
L’heur qu’ilz desirent de suivre
ALLOEOSTROPHE II
J’ay maintenant tout mon brave équipage :
Ailles et poil et panache et plumage,
Et ce qu’il faut pour les hommes garnir
Quand ilz auront volonté de venir.
STROPHE
Les hommes pour avoir des plumes,
Fault, Genin, que tu les emplumes,
Et regardant dessus leur front,
Selon que chacun représente
Un moindre qualibre ou plus grand
Qu’aussi d’une aille differente
Tu le rendes tout different
Et si feras bien davantaige,
C’est que nul ayt nostre plumaige
S’il ne veult te rendre esclarcy
Je veux voler par la longue estendue
De l’air ouvert et sillonnant la nue,
Faire en volant esbranler sans repos
Mon corps, mez bras, mon plumaige dispos,
Que cherches-tu ?
Et la figure et les meurs toutes telles
Qu’a le Cocu volage et inconstant
Et parmy l’air ses deux ailles battant.
De quel mestier exerces-tu ta vie ?
Je vay suivant l’art de chicanerie.
Comment cela ?
Et d’escritoire armé en tous endroictz,
Et deux recordz menant pour ma deffense,
Autant le bon que le mauvais j’offense,
Sans mettre esgard et difference entr’eux
Tant bien de fois de gaigner desireux :
Mon frere mesme et mon pere plus proche
Et mes parens sentent ma vive accroche,
Et mes amys certains et familiers
Sont estimez de moy comme estrangers.
En peu de temps par chicanes je pille
Voire le bien d’une riche famille ;
Procès, debatz, je moyenne et je fais
Que sur le croc ilz pendent pour jamais.
Si Dieu au ciel a la puissance telle
Qu’il donne à l’ame une essence immortelle,
J’ay le pouvoir dessus tous les mortelz
De rendre aussi les procès immortelz ;
Sac dessus sac et forme dessus forme
L’evident droict en obscur je transforme,
Et par deffaulx et par forclusions,
Adjournements et intymations,
Je subvertis du bon droict la substance,
Ou je l’altere et le tiens en balance,
Prest à tomber et facile à ranger
Pour dessus luy en faire transiger :
Brief je suis crainct comme le vif tonnere
Que Jupiter eslance sur la terre.
Pourquoy veux-tu nostre plumage avoir
Estant orné d’un si brave pouvoir
Et d’un mestier qu’en tel heur tu exerces
Garny d’engins et de ruzes diverses ?
Tu entendras pourquoy je cherche tant
D’aller ainsi voz plumages portant :
Quand je m’en vay pour adjourner un homme
Rude, fascheux, ou bien un gentilhomme,
Allant chez luy pour gaigner le teston,
Il va pleuvant mille coups de baston
Dessus ma teste, et souvent son espée
Dedans mon sang est fierement trempée,
Et à grands coups il ne s’espargne pas
D’estaffiller mes jarretz et mes bras
Et mon visage imprimant sa colère
Sur moy qui suis venu pour luy déplaire :
Or je voudrois avoir le dos aillé
A celle fin que m’en estant allé
Faire un exploict dedans le domicile
D’une personne à courroucer facile,
Et que l’ayant adjournée promptement
Tenant en main tout prest l’adjournement,
J’eusse aussitost mon aille toute preste
Pour m’envoler et fuir la tempeste
Des orbes coups, des coups sanglantz et fortz
Qu’il lascheroyt par après sur mon corps.
Nous ne pouvons donner de nos plumages
Sinon à ceux qui arrestez et sages
Veulent leur vie avecques nous tirer
Sans plus la terre en leurs cœurs désirer :
Partant, amy, si Cocu tu veuz vivre,
Sois de chicane et d’affaires delivre,
Ou tu ne peuz et ne doibs point vouloir
Nostre plumage et noz biens recevoir.
Je ne sçauroys, il ne faut que j’en mente,
Laisser la terre et ma vie plaisante,
Ains j’ayme mieux, vivant en vray sergent,
Estre battu et gaigner de l’argent.
Tu ne peux doncq’ de toute ta puissance
Estre Cocu.
Tel que je suis quand je marche à l’assault
Je veux hardy d’un vol isnel et hault
Aller franchir l’air d’une longue trasse,
Dressant au poing ma large coutelasse,
Et de rondache et de casquet armé
Voler ainsi aux combatz animé,
Comme Persée alors qu’en la Lydie
A la Gorgonne il feist perdre la vie,
Et que son glaive au monstre il feist sentir
Lequel vouloit Andromede engloutir.
Ne viens-tu point à nous icy te rendre
Pour t’emplumer et nostre forme prendre ?
Rien que cela, ne m’a icy conduict.
De quel mestier es-tu pour vivre instruict ?
Je suis soldard.
Non, mais soldard des plus lestes de France,
Un bon torseur de routtes, et aux champs
Sçachant fort bien rançonner les marchantz,
Vif à l’assault, non bisongne en bataille,
Mais bien plus prompt à faire la ripaille
Chez le bonhomme et picorant son bien
Multiplier, comme on dict, tout en rien ;
Hardy preneur et n’ayant point de cesse
D’aller traittant mon hoste de rudesse
S’il ne veult pas au souper, au disner,
Pour metz friand du beurre me donner.
C’est un plaisir, lorsque contre luy j’use
Avec risée ensemble d’une ruze,
Et que l’enfant marry je contrefais,
Que je m’eelle et bercer je me fays
Par mes goujatz instruictz au badinage,
Qui vont usant vers luy d’un tel langage :
« Venez, vilain, venez d’un pied legier
« Et nous sçachez qu’a l’enfant à crier,
« Et advisez, quoy qu’il couste et qu’il vaille,
« De luy donner ce qu’il veust qu’on luy baille. »
Il est contrainct de s’en venir à moy
Me demander qui cause mon emoy,
De quoy je pleure et de quoy tant je crie.
Je luy respondz que c’est de grand’envie
Que j’ay d’avoir dix escus de sa main.
Lors mes goujatz luy escrient soudain :
« Baillez, vilain, ce que l’enfant demande. »
Que si je voy qu’il songe et qu’il attende,
Je le menasse et l’estrille si bien
Qu’il baille argent, encores qu’il n’ayt rien.
Que diray plus comme je m’accommode
Des larrecins desquelz j’use à ma mode ?
Les bons chevaux qu’en volant je fay miens,
Coupant l’oreille et les crins je retiens
Pour mon usage et vay par la campaigne
Sans que sur eux aucun adveu je craigne :
Les beufs aussi, les vaches, les brebis
Je vay changeant en somptueux habitz,
Dont je piaffe : et fraizant ma chemise
Comme seigneur je veulx que l’on me prise,
Et me fais noble et parlant des ans vieux,
Je vay nombrant mes anciens ayeulx,
Je vay prenant des feintes armoiries
Et je me donne aussi des seigneuries,
Bien que je soys si pauvre et Kaimant
Qu’une maison je n’ay pas seullement.
Penses-tu bien, estant tel que tu chantes,
Vivant de meurs et d’actions mechantes,
Avoir ainsi les plumes que tu veux
Dont les mechans ne sont jamais pourveuz ?
Change devant tes façons vitieuses
En actions bonnes et vertueuses,
Ainsi de moy emplumé tu seras
Et des Cocus le privilege auras.
Je ne sçaurois.
D’estre Cocu, pour la grand’difference
D’eux et de toy, eux vivans simplement,
Et toy mechant et ruzé garnement.
Mais tu m’as dict qu’en me changeant à l’heure
Je le serois ?
Je mettray peine à me rendre dompté,
Faisant vertu de la nécessité,
Tant le desir et le soing me commande
D’estre enrollé en vostre sainte bande.
Me prometz-tu d’estre bon desormais ?
Je te l’asseure.
Que tu auras la figure parfaicte
D’un vray Cocu, laquelle tu souhaicte,
Et te verras d’un Cocu recevoir
Ailles, nature et honneur et pouvoir.
Je viens vers vous pour estre l’un des vostres
Et devenir Cocu comme les autres.
Quel bon mestier est le tien que tu suis ?
Un bon matoys à bien parler je suis,
Qui ay la main et le pied bien agile
A enterver et à faire après Gille,[1]
Le vray gibier des renards inhumains
Qui vont fouquant le festu que je crains.
Je ne puis point ce que tu dis comprendre,
Fais moy cela plus clairement entendre.
Je suis du rang des hommes sans moyen
Qui n’ont un sol de rente en tout leur bien
Et toutesfois qu’aux villes on void estre
Ceux qui se font plus braves apparoistre,
Non qu’ils ne soient bien remarquez entr’eux,
Car ilz n’ont point de laquays comme ceux
Qui ont du fonds et un train entretiennent
Du revenu d’heritages qu’ilz tiennent.
Ces bons galands affronteurs des ruzez
Ont deux moyens caultz et subtilizez
Dont les plus caultz en cautelle ilz affrontent
Et les subtilz en addresse surmontent.
Le premier est que facondz en propos,
Humbles à tous, beaux hommes et dispos,
Ilz chercheront le marchand ou quelque homme
Qu’ilz sçavent bien qu’au jeu il se consomme,
Et pour le mieux affiner et tromper,
Ilz l’envoyront inviter à soupper
Dans leur logis et après la souppée,
Tenans leur beste aux retz enveloppée,
Sans quelle puisse eviter le danger,
Ilz la feront dessus le jeu ranger,
Se laisseront gaigner à l’abordée,
Et à part eux sera un peu gardée
Leur piperie et le feront exprès
Pour l’appaster et mieux gaigner après :
Et à la fin voyantz l’heure commode
D’aller joüant de leur pipeuse mode,
Ilz se mettront à regaigner au jeu,
Retireront leur perte peu à peu,
Et devoilans le masque de leur face
Ouvertement s’armeront de fallace,
L’accableront sans qu’ilz luy laissent rien
D’argent, chevaux, de harnoys et de bien.
L’autre moyen dont ilz usent ensemble,
C’est au Palays où le monde s’assemble,
Ou aux marchez, aux foires ou aux lieux
Où le peuple est fréquent et copieux :
Là, gardez-bien surtout vostre fouillouze,
Si vous avez au dedans quelque chouze,
Ou autrement estonnez vous serez
Qu’estans chez vous rien vous n’y trouverez :
Car ces matoys pour n’apparoistre aux hommes
Sont tous ornez d’habitz de Gentilz-hommes,
Et ce qui faict que vous esmerveillez,
Vous les verrez eu velours habillez
Errer parmy la trouppe plus espaisse,
Et exercer les tours de leur souplesse,
Fendre la presse et souvent repasser
Et en passant l’un l’autre se pousser,
Guettans tousjours si quelque riche proye
Vient s’élancer et tomber en leur voye :
Estans si fins et si malicieux
Que d’autant plus qu’ilz verront, soucyeux
Quelques marchantz de bien garder leurs bourses,
Plus dessus eux ilz dresseront leurs courses,
Et les suivront d’un si subtil moyen
Que c’est grand cas s’ilz ne leur prennent rien.
Mesmes ilz sont si remplis d’impudence,
Que sans avoir aux mechantz connoissance,
Ilz leur viendront la chere demander,
Et lorsqu’ils sont fichez à regarder
Ces inconnus qui ainsi les abordent
Et que d’argent plus ilz ne se recordent,
Tandis leur bourse est couppée en leur sein,
Et lorsqu’elle est baillée en tierce main
Et est desjà bien avant esgarée,
Ilz leur diront d’une mine asseurée
S’ilz sont point ceulx lesquelz ilz nommeront ;
Eulx le niant, aussitost s’en iront
Usans devant d’une legere excuse,
Et cependant avecques telle ruze
Sont les marchans destruictz le plus souvent
Ne trouvans rien en leur sein que du vent.
Que si la main du matois est trop tarde
Et que foüillant la bourse on le regarde,
Si n’est-ce rien contre cet homme faict,
D’autant que luy, comme larron parfaict,
Va tout niant avec audace telle
Qu’on n’ose pas l’attaquer de querelle,
Craignant sa peau et le voyant plus fier
Estant gardé de ceux de son metier,
Lesquelz pour luy iront de noize prendre,
Aydans celuy qui ne peut se deffendre,
« Car les larrons s’entredonnent support,
« Ont mesme cœur, sont en un mesme accord,
« Et de là vient le proverbe notoire
« Qu’il n’est accord que de larrons en foire.
Voylà que font les matois en plein jour, »
Et sur la nuict ilz usent d’autre tour,
C’est qu’au passant qui alors se pourmeine
Ilz embiront[2] le volant et la laine :
Que s’il s’escrie au larron ! au voleur
S’il ne survient quelqu’un en sa clameur,
Il se verra souffrir quelque bravade
Ou, qui pis est, cent coups de bastonnade.
Je ne diray comme ilz sont par effaictz
Meurtriers à gage et assassins parfaictz,
Qu’au plus offrant ilz marchandent la vie
Ainsi que font les braves d’Italie,
Cela n’est pas à la France inconnu,
Et bien qu’il soit pour tout certain tenu,
Si le void-on passer en connivence
De ceux qui ont des crimes connoissance.
Or des matoys je suis le plus fameux
Qui des Cocus estant faict amoureux
Suis devers vous venu d’un long voyage
Pour estre faict un Cocu de plumaige.
Nous ne voulons un larron recepvoir.
Pourquoy cela ?
Mais, je te pry, que je sois de ta bande.
Sors hors d’icy, va-t’en, je le commande.
Escoute un mot.
Au moins un mot.
Et toy, soldat, qui changes ta coustume
Mauvaise, en bonne, or viens que je t’emplume,
Entrons dedans et là viennent à moy
Ceux qui voudront estre Oyseaux après toy.
STROPHE
Nous voyons de toutes partz
Deçà et delà espars
Mille et mille sortes d’hommes :
Icy demeure arresté
Dans le mellieu d’une escolle
Le philosophe crotté
Pour les autres depriser,
Discourt sur le poil d’un lievre
Ou la laine d’une chevre.
Le medecin est icy
De biens et d’argent farcy,
Pource que bien il devine
Sur la couleur de l’urine,
Et plus se void reputé
Que beaucoup il a jeté
D’hommes de nom et de marqua
ANTISTROPHE
Ses pas mesure en marchant
Et de tout se va faschant,
Mesme son chapeau le fasche,
Le point d’honneur il reçoyt
Et d’un seul mot il s’offense :
Mais c’est contre ceulx qu’il croid
N’oser se mettre en deffense.
Là le courtisan flatteur
Enfin dissimulateur
Vend sa fumée et contente
L’acheteur de vaine attente ;
Là le subtil mercadant
Au gaing est prompt et ardent
Et falsifie à sa guise
Ce qu’il vend de marchandise ;
Là l’usurier sans repos
Va rongeant jusques aux os
Le pauvre homme et luy assemble
Ah ! que je crains, oh ! combien je m’emoye
Que Jupiter en ce lieu ne me voye.
Où est Genin ?
Que me veux-tu qui te caches ainsi ?
Ne voidz-tu point venir à ma rencontre
Quelqu’un des Dieux ?
Quelle heure est-il ?
Le jour est-il sur le soir avancé,
Et le soleil recousant sa lumiere
A-t-il tantost achevé sa carrière ?
Que veult ce fol ?
Rend-il le ciel descouvert et serein,
Ou s’il l’offusque et de nuaux le couvre ?
Le ciel est nuble.
O Promethée !
Cache mon nom et ne l’appelle pas,
Car je suis mort si Jupiter m’espie.
Je le feray, mais dy-moy, je te prie,
Qui cause ainsi que tu viens me chercher
Et que tu veux de Jupin te cacher ?
Devant que rien je disse ou que je fasse
Remetz un peu mon voile sur ma face,
Et tu sçauras l’occasion pourquoy
Je suis venu icy parler à toy.
Tu es fort bien recouvert à ceste heure.
Escoute doncq’.
C’est faict, Genin, c’est faict de Jupiter,
Il n’en peut plus, il est prest à dompter,
Et jà gemist la grand’ trouppe celeste
Dessouz le faix qui la presse et moleste.
Comment cela ?
Qu’une cité vous bastistes autour
De l’air liquide et la feistes si forte
Qu’on ne sçauroit la prendre en quelque sorte,
Tousjours les Dieux ont semblé decliner
Et leur grandeur en pauvreté tourner ;
Plus les mortelz ne leur font des offrandes
Et les verriez aller à longues bandes
Crians, bramans à leur Dieu souverain
Qu’ilz vont mourant de grand’rage de faim,
Que deffermer les passages il fasse
Et qu’un accord avecques vous il passe
A quelque prix que ce soit, moyennant
Que parmy l’air ilz s’aillent pourmenant,
Et qu’un chacun paisiblement joüisse
Des beaux presens qu’il eut en sacrifice.
Que dict Jupin ?
Comme il responde à leur contentement.
N’estant luy-mesme exempt de la famine
Qui ainsi qu’eux le consume et le mine.
Et ce qui faict qu’il est plus soucieux,
Il va craignant la revolte des Dieux,
Lesquelz faschez de vivre en leur mezaize
Et que leur mal Jupiter ne rappaize,
Le pourroient bien à la longue oublier
Et avec vous fugitifz s’allier.
Et qu’ont les Dieux, au mal qui les excede,
Délibéré de pourvoir de remede ?
Il est conclud par le vouloir de tous
Qu’ilz envoiront leurs députez vers vous
Pour une paix avecques vous conclure,
Souz tel article et condition dure
Qu’il vous plaira donner à la rigueur,
Comme au vaincu donne loix le vainqueur.
Or je vous viens advertir en cachette
Qu’aucun de vous la paix ne leur permette
Que ne voyez ces deux poinctz arrestez
Par le vouloir des Dieux leurs députez ;
Que les Cocus comme Princes commandent,
Et que les Dieux leur beau sceptre leur rendent,
Lequel jadis ilz portèrent pompeux
Estans prisez et des hommes et d’eux,
Et pour la paix establir davantaige
Que Jupiter presente en mariaige
Au Dieu Coquard des Cocus redouté
Une Deesse excellente en beauté,
Qui est sa fille entre toutes cherie
Et qui a nom Dame Zelotypie.
Ceste Deesse est crainte dans les Cieux,
Dessus la terre et sur les bas lieux,
Elle delasche et bride le tonnerre
Et en sa main est la paix et la guerre,
L’homme, les Dieux, les bestes, les oyseaux
Et les poissons qui habitent les eaux
Sont ses subjectz et craignans sa puissance
Tous estonnez tremblent en sa presence.
Rien n’est si doux, quand elle a sa douceur,
Ny furieux quand elle est en fureur ;
Le feu n’est tant furieux et horrible,
Ny l’eau si fort en ses debordz terrible
N’ayant les prez, les arbres fracassant,
Et les labeurs des hommes renversant,
Comme on la void furieuse et depite
Quand une fois sa colere elle excite.
Si ceste Dame a si fier le courroux,
Le Dieu Coquard ne sera son espoux,
Car il est simple et veut vivre à son aize
N’aymant avoir une femme mauvaize,
Et nous Cocus, qui vivons dessouz luy,
Ne voulons pas estre faictz aujourd’huy
De francz Cocus, subjectz à une Dame
Qui soit colere et orgueilleuse femme.
Tu sçais, Genin, que je vous suis amy
Et que des Dieux je suis grand ennemy.
Je le sçay bien.
Que si Coquard avecq’elle s’allie,
Vous ne vivrez qu’en grandeur desormais
Et vous suivra le bonheur et la paix.
Ceste Deesse aux autres furieuse,
Aux seulz Cocus doibt estre gratieuse
Et doibt aymer ceux qui les cheriront
Et haïr ceux qui ne les aymeront.
S’il est ainsi qu’elle nous sera bonne,
Je suis d’advis qu’à Coquard on la donne.
Tu ne sçaurois mieux vouloir et parler.
Adieu, Genin.
Je te supply, conte-moy que je sçache
En quel endroict Priape ores se cache,
Qui aussitost devint esvanoüy
Qu’il eut, craintif, noz puissances ouy.
Il est au fond d’une caverne obscure
Et là caché mille ennuys il endure ;
Mais entre tous luy vient à contre cœur
De ne voir plus son membre en sa vigueur
Qui se retire, et alors qu’il le taste
Reste plus mol à toucher que la paste :
Bref il n’a rien qu’un grand boyau pendant
En lieu d’un nerf roide, vif et ardent :
Que s’il se fasche et s’il se deconforte
De sa vertu et sa puissance morte,
Il ne se void moins de douleur sentir
De ne pouvoir s’egayer et sortir.
Comme un cheval qui a pris nourriture
Dedans les prez en foullant la verdure,
N’ayme l’estable et tire son licol,
Et ne pouvant l’arracher de son col
Frappe du pied et gemist souz la peine
En desdaignant et le foin et l’aveine :
Ainsi Priape estant accoustumé
D’aller dehors et de n’estre enfermé
Est dépité qu’aux champs il ne se jette
Et qu’il ne peut exercer sa braguette,
Et voudroit bien un moyenneur avoir
Qui eust credit et moyen et pouvoir
De l’accorder avecques vous de sorte
Que librement de son cachot il sorte.
Mais je m’en vay, car je crains en tardant
Que Jupiter ne m’aille regardant.
STROPHE
De leurs joyaux et atours
Les femmes qui sont tousjours
En leurs habitz dissolues ;
Elles monstrent leur tetin
Et masquent leur face, affin
Que l’amant transi leur touche
Le tetin avant la bouche,
Et qu’il aille recepvant
Le plaisir d’aymer, devant
Qu’il conçoyve dedans l’ame
ANTISTROPHE
Pour leur grossesse cacher
On void la rue empescher
Portant des larges basquines :
Là marchent à graves pas
Renforcées par le bas
Celles qui deux culz supportent
Souz les robbes qu’elles portent,
Lesquelz, l’un de chair, la nuict
Leur sert à prendre deduict,
L’autre de laine et de bourre
Ceste grand’ville en l’air ainsi bastye
Est la cité Nephelococugie
Où deputez par le Dieu Jupiter
Nous en allons pour une paix traiter.
Entrons dedans, et promptement soit
Par nous à fin nostre charge commise.
Allons, Neptune, aussi bien tous les Dieux
Seront tousjours suspendz et soucieux
Jusques à tant qu’ilz sçachent asseurée
Ou bien la guerre ou la paix désirée.
Les deux secondz de tous les immortelz
Vont saluant le premier des mortelz
Qui est Genin.
Marin Neptun’Dieu de l’onde chenue,
Et toy Hercule indompté de vertu,
Qui as jadis les Geans combattu,
Et as purgé la terre desolée
Des monstres fiers dont elle estoit foullée.
Que voulez-vous ? qui vous meut ? qu’avez-vous
A demesler icy avecques nous ?
Les Dieux ensemble et Jupiter supresme
Nous ont commis d’une volonté mesme
Pour moyenner aveques vous la paix
Et faire amys vous et nous desormais.
Vous ne perdez que le temps et la peine ;
Nous aymons mieux une guerre certaine
Que de laisser dessouz un feint accord
Croistre la force à nostre ennemy fort.
Accorde-nous, ô bon Genin, accorde
Que nous soyons vous et nous en concorde :
C’est toy qui as remis en sa grandeur
De tes Cocus l’ancienne splendeur,
Et dessus toy les Cocus se reposent
Et rien entre eulx sans toy ilz ne disposent ;
Tu es leur chef et font tous cas de toy
Autant ou plus qu’ils feroient de leur Roy,
Comme tu veux à la paix tu les guides
Ou aux combatz tu leur lasches les brides.
Nous n’avons point la guerre commencé,
Ainçoys les Dieux, lesquelz au temps passé,
Quand nous estions subjectz à toute injure,
Nous ont vexé contre toute droicture,
Et ont ravy nostre sceptre des mains,
Et de grandz Roys commandans aux humains,
Nous ont rendus, à nostre vitupere,
Pauvres, fuyardz et transis de misere.
Si aujourd’huy que nous sommes plus fortz
Nous desirons nous venger de leurs tortz,
Le debvez-vous trouver dur et estrange ?
« Ainsi la guerre à son tour se rechange. »
Mais si void-on, quand le foible entreprend
« De s’attaquer en guerre à un plus grand,
« Sans y penser dedans le precipice « Pour s’abysmer au gouffre de tout mal, « Allant d’un pas à sa force inesgal ; « Partant doib-t-il prendre de bon courage « La paix conclue à son desavantage « Ou à son bien et profit evident, « Et gaigne mieux quoyqu’il aille perdant, « Faisant la paix, qu’en sa fortune adverse « Osant tramer une guerre diverse. »
Sçavons que c’est, plus la paix n’attendrez Si ces deux pointz vous ne nous accordez : Que nous serons remis en nostre Empire Sans qu’il vous soit loisible de nous nuire A l’advenir d’effet ou autrement : Que Jupiter, pour plus asseurement Nous rendre unis, en mariage allie Le Dieu Coquard et la Zelotypie ; Ainsi seront les celestes et nous Ensemble estraintz d’indissolubles neudz.
Nous ne pouvons accorder voz demandes, Car elles sont inciviles et grandes.
Desirons-nous choses contre equité, Voulans rentrer en nostre dignité Par vous toluë et tousjours usurpée Par le seul droict de force et de l’espée, Et pensez-vous que nous vous faisons tort, Si pour vouloir asseurer nostre accord Nous demandons qu’un mesme lien presse
Un Dieu puissant et une grand’Deesse ?Si nous voulions que le Dieu Jupiter
Entre voz mains vint son sceptre quitter
Et qu’entre vous vinssiez nous faire hommage,
Vous esclavans souz nostre vasselage,
Que diriez-vous, ô Dieux par frop retifz ?
Ne serions-nous en demande excessifs ?
Ouy vrayment, et auriez cause juste
De refuser une paix si injuste ;
Mais maintenant que rien n’est demandé
Qui par raison ne doyve estre accordé,
Et qui ne soit aux Cocus honorable
Et à vous Dieux grandement profitable,
Voudriez-vous bien une guerre chercher,
Et voz profitz destourner et trancher ?
Comment, profitz ? Quels profitz, je te prie,
Nous sont gardez la guerre estant finie,
Et quand les Dieux et vous, Cocus, serez
En bonne paix joinctz et confederez ?
Et doutez-vous encore en quelque sorte
Des grandz profitz qu’une paix vous apporte ?
N’aurez-vous pas les passages ouvertz
Et les odeurs et les parfums divers
Dont les Cocus à ceste heure joüissent
Et dedans l’air les hument et ravissent ?
N’iront-ilz point jusqu’à vous dans les cieux
Par le moyen des Cocus gratieux ?
Quand ilz sçauront qu’à vous les hommes voüent
Un sacrifice et de leurs veuz se joüent,
N’ayans desir de jamais les tenir,
Eux, comme amys, voudront vous maintenir,
Et plus que vous de vous prenant la cure,
Si quelquefois ilz voyeut d’avanture
Ces hommes là avoir mis leurs deniers
Dessus leur table entassez à miliers,
Incontinent ilz prendront leur volée
Et là sans peur ilz raviront d’emblée
Le juste prix de leurs veuz presentez
Et non tenus envers vos majestez.
Ainsi vous, Dieux, par nostre bénéfice,
Ne perdrez point le promis sacrifice.
Or pour autant qu’aux cieux vous demeurez
Et que jamais vos faces ne monstrez,
Les hommes vains qui en leur esprit croyent
N’estre point veuz d’autant qu’ilz ne vous voyent,
Ne vont craignant, voire en plein jugement,
De parjurer vostre nom par serment,
Et à fureur ainsi ilz vous provoquent
Faschez de voir que de vous ilz se mocquent :
Si que souvent pour le crime d’aucun
Vous punissez tout un peuple en commun,
Et ne mettez aucune difference
Entre le bon et celuy qui offense ;
Mais vous estans noz amys et voisins,
Quand nous verrons que les hommes malins
En jugement ou autre lieu vous jurent
Et que menteurs laschement se parjurent,
Pleins de desdaing vers eux nous volerons
Et d’ongles torstz les yeux leur creverons.
Je suis d’advis que la paix se compose.
Et non pas moy, sinon en ceste chose
Que les Cocus, pour estre nos amys,
Seront par nous en leurs honneurs remis,
Mais que Coquard pour espouse et amye
Doibve obtenir Dame Zelotypie
Grande Deesse et fille de celuy
Qui n’a au Ciel plus grand maistre que luy,
Je n’y consens.
Sans essayer de tenter la fortune
D’aucune guerre et sans plus hasarder
Tout nostre estat par faute d’accorder.
Comment veux-tu que Coquard, Dieu ignoble,
Espouse ainsi une pucelle noble,
A qui Jupin porte autant de faveur
Comme à Junon son espouse et sa sœur ?
« J’accorde bien que la paix se doibt faire
« Et qu’elle semble estre fort necessaire ;
« Si toutesfois l’ennemy outrageux
« Demande trop de poinctz avantageux,
« Il convient mieux avanturer sa vie
« Que pour la paix encourir infamie. »
Quelle infamie et quel grand deshonneur
Pour nostre paix porter à vostre honneur
En mariant une jeune pucelle,
De Jupiter la fille naturelle,
A nostre Dieu le redouté Coquard,
Qui n’est comme elle avorton et bastard ;
Car Jupiter espris en sa poitrine
Des vifs attraitz de la belle Cyprine,
Comme tu sçais, son amour pourchassa
Et se meslant à elle il l’engrossa
D’une pucelle en grâces accomplie
Qu’on appela depuis Zelotypie :
Ainsi bastarde elle n’a point d’espoir
D’estre pourveüe et son dot recepvoir,
Et comme estant enfant illegitime
Excluse elle est d’avoir sa légitime :
C’est une loy de Solon ancien
Et des Rommains et de Justinien,
Laquelle aussi, comme je pense, tiennent
Les Dieux d’en haut desquelz toutes loix viennent.
Tu vois, Neptune, aux discours à toy faictz,
Comme sans blâme on peult faire la paix
Et que Coquard doibt par nostre sentence
De Jupiter obtenir l’alliance.
Eh quoy ! Thetis, qui se faict renommer
Dessus les Dieux commandans en la mer,
Et qui les Dieux touche de parentaige,
Ne desdaigna de prendre en mariaige
Un mortel homme, un homme qui n’estoit
Pareil à elle et ne la meritoit,
Et tous les Dieux ses nopces celebrerent
Et Apollon et les Muses chanterent
Le doux lien, le mariage doux
Joignant Thetis et son mortel espoux.
Or bien, Genin, sans plus longue dispute,
Que soit la paix, comme tu veux, conclute,
Et pour fonder entre nous amitié
Soit ton Coquard à Jupin allié.
Mais jurez-moy que la paix accordée
Sera sans fraude entierement gardée.
Par l’eau du Styx dont le nom révéré
Jamais des Dieux ne se void parjuré,
Nous vous jurons en toutes asseurances
Que nous irons gardant nos convenances.
C’est assez dict, je vous croy fermement
Adjoustant foy à vostre jurement.
Aussi, Genin, que le Dieu de Lampsace
Soit vostre amy et rentre en vostre grace,
Estant compris souz l’accord de la paix.
C’est la raison, cela je vous prometz,
Combien qu’il soit motif de nostre guerre
Et que noz bois ayant voulu conquerre
Il nous ayt mis une nécessité
D’édifier en l’air nostre cité.
Il vous sera amy seur et fidelle
Uny à vous d’une paix eternelle,
Je vous l’asseure.
Luy promettons la paix pour nostre part :
Et maintenant pour la rendre accomplie,
Entrons dedans, venez, je vous convie,
Et vous emmeine affin de vous donner
Joyeusement à tous deux à disner.
STROPHE
Qui dessus leurs mules vont
Et traisnent une grand’suicte
D’hommes qui les solicite ;
Ilz se voyent respectez
Et requis et honnetez
Des plus grandz qui les supplient
Et qui leurs faveurs mendient.
Icy dedans le parquet
L’advocat hautement tonne
Et de son brave caquet
Tous les assistans estonne ;
Au pezant de l’or il vend
Sa mere-nourrice langue,
Et souvent en sa harangue
Il ne dict rien que du vent,
Et ses discours vraysemblables
Ne sont gueres veritables,
Imitant par ce moyen
Ulisse Dulichien,
Duquel Homère nous chante
Que de sa bouche eloquente
Mille beaux propos sortoient
SYSTEME ENTRECOUPÉ
Divins Cocus dont la vertu feconde
Renaist et prend sa vigueur par le monde,
O sainctz Cocus ! ô bienheureux Oyseaux
En heur, en gloire aux immortelz esgaux,
Venez, venez recepvoir la pucelle
Que Jupiter et sa bande immortelle
Ont ordonnée à Coquard vostre Dieu.
Comme un Soleil estant sur le milieu
De l’horizon deçà delà desserre
Ses clairs rayons sur les flancs de la terre,
Et comme l’astre avant-coureur du jour,
Astre sacré à la mère d’Amour,
De sa lueur, qui les astres decore,
Va surpassant sa compaigne l’Aurore :
Elle est ainsi esclairante en beauté
Dardant les raiz de sa divinité.
Ses yeux sont beaux et ses joües vermeilles
Sont au cinabre et au corail pareilles,
Douce est sa grâce et son grave maintien
Rien ne ressent d’humain et terrien.
Partant, Cocus, chacun de vous s’excite
A l’honorer ainsi qu’elle merite,
Et celebrans elle et son cher espoux
Chantez hymen d’un chant paisible et doux.
STROPHE OU ODE
Dieu adoré de tous
Qui meines à l’espoux
Son espouse choisie,
Ton front de fleurs soit ceinct,
Et j’en viens, ô Dieu sainct,
Bénir ceste journée,
STROPHE II
Dans ton char attelé,
Et que l’Amour ailé
Tes vistes chevaux guide,
Decochant par les cieux
D’un arc moins furieux
Mainte fleche empannée,
STROPHE III
Toutes trois en un rang
Environnent ton flanc
Dessus ton char assises,
Et qu’elles de leurs voix
Chantent à ceste fois
Ta faveur fortunée,
STROPHE IV
Dessus le mur espars,
Ainsi de toutes partz
Noz deux espoux enserre,
Et fay que l’amitié
Hymen ! ô hymenée !
STROPHE V
Au camp clos de l’Amour,
Se serrans de maint tour
Et les flancz et la bouche,
Et qu’aux combatz emeuz
Ilz rendent de leurs feux
La chaleur terminée,
STROPHE VI
Qu’ilz ayent des enfans
En beautez triomphans
Ressemblans à leur mère :
Et suivans d’un bonheur
La divine grandeur
A leur pere donnée,