La Navigation aérienne et son avenir

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LA NAVIGATION AÉRIENNE
et
SON AVENIR


I


Les ballons étaient à peine inventés que l’on chercha à les diriger, soit en utilisant les courans atmosphériques, soit à l’aide d’un propulseur.

L’idée de la navigation aérienne par l’emploi de la première de ces deux méthodes paraît s’appuyer sur quelques faits bien établis, par exemple que la direction des courans aériens change fréquemment, en un même endroit, avec la hauteur : c’est pour cette raison qu’on voit souvent les nuages élevés chasser dans un sens contraire à celui du vent qui souffle au voisinage du sol. Un grand nombre d’aéronautes ont pu parfois utiliser ces sortes de trottoirs roulans, comme les appelle M. E. Aimé, pour prendre une direction voulue. Mais, d’ordinaire, la méthode est inapplicable. Si l’on a réussi assez fréquemment, depuis un siècle, à franchir la mer, d’Angleterre en France, ce n’est que très rarement que le trajet inverse a pu être effectué. Pendant le siège de Paris, en 1870, soixante-cinq ballons sont partis de cette ville ; aucun n’a pu y pénétrer. Il fallut, pour faire communiquer la province avec la capitale, avoir recours aux pigeons voyageurs.

On peut espérer que l’on découvrira, un jour, les lois (s’il y en a) du régime des vents dans toutes les saisons et à toutes les altitudes : en louvoyant, il deviendrait alors possible de se rendre en ballon d’un point à un autre, la manœuvre se réduisant, en fin de compte, à monter ou à descendre. Mais quand verra-t-on luire ce jour ?

En attendant, force est donc de se rabattre, pour la solution du problème de la navigation aérienne, sur des ballons dirigeables, munis d’un propulseur capable de leur imprimer une vitesse qui leur permette de marcher contre le vent.

Meusnier et Brisson en 1784, Giffard en 1832, Dupuy de Lôme en 1871, Renard et Krebs en 1884, se sont attachés à résoudre rationnellement cette question. S’ils n’y sont pas arrivés, leurs travaux ont au moins permis d’établir un certain nombre de principes, trop souvent oubliés, dont nous allons rappeler ici les plus importans.

Tout d’abord, si l’on veut pouvoir donner à l’aérostat une direction complète dans tous les sens, il est absolument nécessaire de lui adjoindre un propulseur et un moteur capables de lui donner une vitesse propre toujours supérieure à celle du vent.

Le propulseur tout indiqué est l’hélice, qui, en somme, remplace dans l’air l’aile battante de l’oiseau comme elle remplace dans l’eau la nageoire du poisson. Seulement, vu l’extrême mobilité du milieu dans lequel elle doit mordre, il faut donner à cette hélice des dimensions beaucoup plus grandes que celles qui suffisent lorsqu’elle doit mordre dans l’eau ; puis, comme la résistance de l’air à une surface en mouvement croît proportionnellement au carré de la vitesse, il est nécessaire de lui imprimer un mouvement de rotation très rapide, 60 tours au moins à la minute. Mais alors on se trouve dans l’obligation absolue de développer, dans cette unité du temps, sur l’arbre de l’hélice, un nombre suffisant de chevaux, et, comme un ballon gonflé à l’hydrogène le plus pur que produisent les appareils actuels enlève au plus 1 kilogramme par mètre cube de gaz, il devient indispensable d’obtenir le cheval à un poids bien moindre que dans les moteurs ordinaires. La condition qui domine la solution du problème des dirigeables se réduit donc à l’obtention d’un moteur à la fois puissant et léger.

Mais il est de toute évidence que pour faciliter la solution de ce nouveau problème, il faut réduire à leur minimum toutes les résistances à l’avancement. Aussi est-on d’accord, aujourd’hui, pour donner au ballon d’un dirigeable la forme d’un fuseau plus ou moins allongé. Quelques aéronautes vont encore plus loin : ils veulent que ce fuseau possède une forme dissymétrique, celle d’un cigare à peu près, le gros bout formant l’avant, le petit bout l’arrière, la poupe ayant pour effet de remplir le vide creusé par la proue et provoquant, en outre, par la façon dont elle coupe les couches fluides, la naissance, dans le sens de la marche, d’une composante qui permet de récupérer une partie du travail dépensé par la proue. Il va de soi que la nacelle doit, elle aussi, être fusiforme et que l’on doit disposer les suspentes qui la relient au ballon de façon à diminuer autant que possible la résistance, plus considérable qu’on ne se l’imagine d’ordinaire, qu’elles opposent à la marche en avant.

Seulement, il importe de remarquer que les bons effets de l’allongement donné au ballon d’un dirigeable ne se feront pleinement sentir que si l’étoffe en est toujours parfaitement tendue » Dans le cas contraire, en effet, il se formerait à l’avant, aux points où la résistance est maximum, de véritables poches, et l’air, au lieu de glisser doucement sur l’étoffe, s’arc-bouterait en quelque sorte contre le ballon, dont la vitesse pourrait être considérablement diminuée. Il n’y a que deux façons d’éviter cet inconvénient : ou maintenir l’étoffe tendue à l’aide de ressorts, ou ménager à l’intérieur du ballon une sorte de chambre hermétiquement close, extensible, appelée ballonnet, dans laquelle on insuffle de l’air dès que l’enveloppe tend à devenir flasque.

Dupuy de Lôme a montré que, pour amortir les oscillations que causent les moindres mouvemens des passagers, oscillations qui rendraient la nacelle inhabitable, il est indispensable aussi que l’aérostat, dans son ensemble, ballon-filet-nacelle, constitue une sorte de bloc rigide, un système à peu près indéformable. On y arrive en ajoutant, aux suspentes qui forment le filet-porteur, des suspentes intérieures constituant ce qu’on appelle le filet des balancines.

Enfin, il est évident qu’il serait à désirer que la distance qui sépare le centre de traction du centre de résistance fût, comme dans les bateaux à vapeur et les sous-marins, aussi petite que possible. On réduirait ainsi à son minimum l’effet que produit le couple de renversement formé par les deux forces de traction et de résistance. Malheureusement, la difficulté que l’on éprouve à placer l’arbre de l’hélice en dehors et au-dessus de la nacelle a fait renoncer à l’exécution de cette condition.

C’est en se conformant, autant que possible, aux principes que nous venons d’énumérer, que Renard et Krebs ont construit le dirigeable la France, le seul qui ait donné des résultats sérieux, puisque, à l’heure actuelle, c’est encore le seul qui ait pu décrire dans l’espace une courbe fermée, c’est-à-dire revenir à son point de départ.

Cet aérostat, gonflé à l’hydrogène pur, marchant le gros bout en avant, rappelait par sa forme les poissons à marche rapide que l’on a découverts dans les profondeurs pélagiques. Son tonnage était de 1 800 mètres cubes environ, sa longueur de 50 mètres. La nacelle, sorte de périssoire en bambou, avait une longueur de 33 mètres ; afin de présenter au vent le moins de résistance possible, elle était recouverte de soie fortement tendue sur les parois. Une housse de soie remplaçait le filet-porteur et, toujours pour diminuer les résistances à l’avancement, les suspentes reliant cette housse à la nacelle étaient disposées suivant deux plans à peu près parallèles à l’axe du dirigeable. Deux faisceaux de balancines qui, prenant naissance aux pointes du ballon, venaient s’attacher vers le milieu de la nacelle, assuraient la rigidité de tout le système.

Le moteur était constitué par une pile légère et une dynamo Gramme : sa puissance totale était de 8,5 chevaux et son poids de 630 kilogrammes, soit 75 kilogrammes par cheval environ. Placé au milieu de la nacelle, il actionnait, par l’intermédiaire d’un arbre d’une longueur totale de 15 mètres, creux afin d’être plus léger, une hélice, très légère aussi, de 7 mètres de diamètre, formée de deux palettes de bois évidées recouvertes de soie tendue. Cette hélice était disposée, non à l’arrière, comme dans les navires, mais à l’avant de la nacelle : la résistance à l’avancement est ainsi augmentée, mais, en revanche, la manœuvre du gouvernail, placé à l’arrière, est grandement facilitée. Ce gouvernail était formé par deux étoiles de soie, bien tendues sur un même cadre.

Du 9 août au 23 septembre 1884, sept voyages furent effectués avec ce dirigeable et, cinq fois, Renard et ses collaborateurs purent le ramener à son point de départ, la pelouse du parc de Chalais-Meudon, pelouse de trois cents mètres environ. Le dernier voyage, celui du 23 septembre, fut le plus remarquable : la vitesse propre de l’aérostat atteignit jusqu’à 6 m. 50 par seconde ; parti vent debout, l’aérostat arriva jusqu’à Paris, franchit les fortifications au Point-du-Jour et retourna à Chalais, vent arrière, il est vrai.

Au premier moment, on crut, comme un siècle auparavant, la navigation aérienne enfin réalisée. Mais, à la réflexion, les résultats obtenus parurent un peu minces, des critiques surgirent, et on reprocha surtout à Renard la lourdeur de son moteur. Personne ne s’avisa, cependant, d’essayer de mieux l’aire.

Certes, la vitesse de 6 mètres à 6 m. 50 du dirigeable la France était insuffisante : Renard en a toujours convenu. Pour lutter contre le vent avec succès, au moins huit fois sur dix, elle aurait dû être le double. Mais on démontre en Mécanique que, pour un navire aérien (et ce théorème s’applique aussi à la navigation maritime), le travail à développer croît comme le cube de la vitesse. Par conséquent, pour arriver à doubler la vitesse de son dirigeable, il eût fallu à Renard un moteur huit fois plus puissant que le sien à poids égal, c’est-à-dire dans lequel le poids du cheval n’eût été que de 9 kilogrammes. Or, en 1884, il n’existait pas de moteur aussi léger, ce qui explique suffisamment pourquoi, après avoir démontré la possibilité de conduire un ballon contre le vent, Renard a jugé inutile de recommencer ce genre de tentatives.

La question des dirigeables, malgré quelques essais tentés en France et à l’étranger, semblait donc sommeiller, lorsque, en 1898, grâce à M. Santos-Dumont, elle fut brusquement remise à l’ordre du jour, de sorte qu’en ce moment même on attend avec quelque impatience le résultat des essais définitifs que cet aéronaute se propose de faire, sous peu, avec un des assez nombreux dirigeables qui ont été construits à ses frais.

Le dirigeable qu’il se prépare à lancer est fusionne, comme celui de Renard, mais symétrique, ce qui est peut-être un tort. Son tonnage est assez faible, 500 mètres cubes environ. Aussi, pour gagner du poids, Santos-Dumont supprime résolument la nacelle, qu’il remplace par une longue perche en bambou sur le milieu de laquelle se trouvent implantés une simple selle de bicyclette et le moteur, avec Unis ses accessoires. Ce moteur, construit par Buchet, est un moteur à pétrole, à quatre cylindres, et qui, d’un poids total de 92 kilogrammes seulement, développe 16 chevaux, ce qui met le poids du cheval à 5kg, 500 environ. L’axe du moteur se prolonge, en avant, jusqu’à l’embrayage qui transmet le mouvement à une hélice à deux branches, de 2 mètres de diamètre, très légère, derrière laquelle l’aéronaule est, pour ainsi dire, caché. La mise en marche du moteur s’opère d’ailleurs à l’aide de pédales, comme dans les tricycles à pétrole. À la droite de l’aéronaute, est placée une légère turbine à air, qu’il peut faire tourner à l’aide du moteur lui-même et qui sert à gonfler à volonté le ballonnet intérieur. Devant lui, se trouvent deux réservoirs : l’un d’essence, pour l’alimentation du moteur, l’autre d’huile. Enfin, autour de lui, à portée de sa main, sont fixés des burettes et des outils : pinces, clefs, etc. Un gouvernail, placé à l’arrière, complète l’aérostat.

Évidemment, dans ce dirigeable, le poids mort est très inférieur à celui de la France. Si les résistances dues aux cordelettes qui tiennent lieu de filet, au moteur et aux autres accessoires ont été bien calculées, si l’ensemble forme un bloc rigide et indéformable, Santos-Dumont doit pouvoir compter sur une vitesse propre d’au moins 10 mètres. Mais, en somme, cet aérostat n’a pas encore affronté le plein air, et il serait peut-être téméraire d’affirmer que le jour est proche où on le verra, en une demi-heure au plus, franchir les 4 kilomètres qui séparent Suresnes de la Tour Eiffel, doubler cette tour, et regagner son point de départ. C’est à ces conditions cependant, et à ces conditions seules, qu’il pourra gagner le prix de cent mille francs dû à la générosité de M. H. Deutsch.

Quant à l’aérostat du comte Zeppelin, dont il a été si souvent parlé l’année dernière, il est certain que son inventeur s’est appuyé, pour sa construction, sur le raisonnement suivant : Le travail à développer, dans un dirigeable, croît (ainsi que nous l’avons déjà dit) comme le cube de la vitesse. Or, si l’on augmente le tonnage d’un ballon, la résistance, pour la même vitesse, augmente comme le carré des dimensions : mais la force ascensionnelle croît plus que le cube de ces dimensions, car le poids mort est loin d’augmenter proportionnellement au tonnage ; d’où il résulte que le poids disponible du moteur est augmenté dans des proportions encore plus grandes. Donc, au point de vue de la vitesse, il y a avantage, pour les dirigeables comme pour les bateaux à vapeur, à employer les gros tonnages.

Certes, celle conclusion est théoriquement inattaquable. Mais, dans l’application, il est nécessaire de tenir compte du milieu troublé dans lequel se meuvent les aérostats et de considérer qu’avec les gros tonnages toute manœuvre de direction devient excessivement difficile, de sorte que la stabilité dans la direction, condition indispensable au succès, est à peu près irréalisable. C’est parce que Santos-Dumont se sort de ballons de faible tonnage qu’il a des chances de réussir. Or, le dirigeable Zeppelin, dont la forme était celle d’un cylindre effilé aux deux bouts, avait un tonnage de 11 000 mètres cubes environ, une longueur de 125 mètres et 12 mètres de diamètre ! Qu’en est-il résulté ? Que cette immense machine, avec sa charpente d’aluminium, ses deux nacelles, ses quatre hélices actionnées par deux moteurs à pétrole, de 16 chevaux chacun, a bien pu, par trois fois, s’élever dans l’air et évoluer au-dessus du lac de Constance, mais que jamais elle n’a pu revenir à son point de départ. Y eût-elle réussi, que l’insuffisance manifeste de la force motrice eût certainement empêché d’obtenir une vitesse supérieure à celle de la France. Ainsi que le fait remarquer. M. W. de Fonvielle, le seul résultat que l’on puisse, grâce aux expériences du comte de Zeppelin, considérer comme définitivement acquis, est la possibilité d’adjoindre des moteurs à pétrole aux ballons gorilles à l’hydrogène, sans avoir à craindre l’incendie.

Après tout, d’ailleurs, qu’importe, au point de vue de la navigation aérienne telle que le public la comprend et la désire, que Santos-Dumont ou un autre arrive à construire un dirigeable doué d’une vitesse propre de 10, 12 ou 15 mètres ? Si on laisse de côté les services que des appareils de ce genre pourront rendre à la guerre, si on ne veut pas que la navigation aérienne reste simplement un sport plus ou moins attrayant (sans cependant se payer d’illusions et croire que les machines aériennes, quelles qu’elles soient, puissent jamais rivaliser avec les moyens actuels de transport), ce sont des vitesses propres de 20 à 30 mètres qu’il faut obtenir, car, à cette condition seulement, les ballons pourront lutter avec les trains express, auxquels les accidens de terrain imposeront toujours des trajectoires plus ou moins sinueuses. Mais, ce résultat acquis, est-il possible qu’une misérable enveloppe de soie, vernissée et craquelée, puisse résister longtemps aux pressions énormes qu’exercera sur elle l’air dans lequel elle baigne ? Assurément non. Il tombe sous le sens qu’une enveloppe entièrement métallique deviendra nécessaire. Et, dès lors, n’est-il pas évident qu’ainsi alourdis, les aérostats, même gonflés de l’hydrogène le plus pur, seront incapables de s’élever en l’air ?

Conclusion aussi inévitable qu’inattendue : des appareils plus lourds que l’air, c’est-à-dire plus lourds que la masse d’air qu’ils déplacent, peuvent seuls fournir une solution pratique du problème de la navigation aérienne, l’aviation devenant ainsi le prolongement naturel de l’aérostation.


II

La sustentation et la propulsion dans l’air d’un corps qui, comme celui des oiseaux, est plus lourd que ce fluide, ne pouvant s’expliquer, comme l’avait compris Léonard de Vinci, que par la résistance que l’air lui-même oppose au mouvement du corps, toute recherche relative à l’aviation suppose donc la connaissance des lois de la résistance de l’air au mouvement d’un corps qui y est entièrement plongé. Or, ces lois sont loin d’être bien établies.

Pour donner une idée de l’insuffisance de nos connaissances en cette matière, considérons le cas le plus simple, celui du mouvement uniforme et horizontal, dans un air calme, d’une surface plane d’épaisseur négligeable (un carreau, pour parler le langage technique), relevée sur l’horizon d’un angle quelconque, l’angle d’attaque, comme on l’appelle. L’expérience montre, et on peut regarder ce point comme acquis, que, pour une vitesse ne dépassant pas 50 à 60 mètres par seconde, la résistance due au vent que fait naître le mouvement du carreau, résistance normale à la surface, augmente proportionnellement à cette surface et au carré de la vitesse.

Mais la valeur de l’angle d’attaque influe évidemment sur cette résistance. Pour des angles d’attaque ne dépassant pas 10 à 12 degrés, on admet généralement que la résistance augmente proportionnellement au sinus de ces angles. Mais pour des angles plus grands, les opinions sont partagées : les uns admettent encore la loi du sinus, d’autres une loi plus compliquée, proposée par Duchemin et vérifiée par Langley. La même incertitude existe aussi sur la valeur du coefficient numérique par lequel, afin d’obtenir la valeur de la résistance, il faut multiplier le triple produit de la surface du carreau par le carré de sa vitesse et le sinus de l’angle d’attaque.

Ce n’est pas tout.

Quand le mouvement d’un carreau est orthogonal, c’est-àdire normal à la surface, le centre de pression, c’est-à-dire le point d’application de la résistance, coïncide évidemment avec le centre de gravité de cette surface. Mais, si le mouvement est oblique, il n’en est plus de même : l’expérience prouve qu’alors le centre de pression est placé un peu au-dessus du centre de gravité. Où ? c’est à quoi il est impossible actuellement de répondre, même lorsque le carreau a la forme la plus simple, cercle, carré, rectangle, etc.

Sans attacher une trop grande importance à notre ignorance sur des points aussi fondamentaux, on conçoit les difficultés que doit présenter le problème de l’aviation et l’impossibilité presque absolue où l’on se trouve, aujourd’hui encore, de calculer à l’avance, même avec une assez grossière approximation, les résistances qui s’opposent au mouvement d’un dirigeable comme la France. Mais, enfin, il faut aboutir. Le plus sage donc est d’agir, et c’est ce qu’ont pensé, ce que pensent tous les chercheurs qui se sont occupés et qui s’occupent de la navigation aérienne à l’aide de machines plus lourdes que l’air, les volateurs, comme on les appelle ordinairement.

Tous les volateurs qui ont été imaginés ou essayés peuvent se classer comme il suit : 1° les aéroplanes, dans lesquels on cherche à résoudre le problème de l’aviation par le mouvement horizontal d’une surface, plane ou courbe, suffisamment inclinée sur l’horizontale ; 2° les hélicoptères, dans lesquels on utilise le mouvement circulaire d’une surface à peu près plane et convenablement inclinée ; 3° les machines à ailes, improprement appelées orthoptères, dont le but est d’imiter le genre de vol désigné, chez les oiseaux, sous le nom de vol à la rame ou vol ramé.

L’idée de ces différentes espèces de volateurs est fort ancienne puisque, en particulier, c’est à Léonard de Vinci qu’on doit l’invention de l’hélicoptère et du parachute. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si, en 1784, quelques mois après la célèbre expérience d’Annonay, Launay et Bienvenu purent faire fonctionner, devant l’Académie des sciences, un modèle d’hélicoptère. En 1796, après l’échec des premières tentatives de navigation aérienne au moyen des ballons, Cayley imagina un appareil analogue qui, comme le précédent, put s’élever en l’air. Depuis, les tentatives de toutes sortes se multiplièrent, mais aucune ne parvenait à éveiller sérieusement l’attention du public quand, en 1864, parut un manifeste, dû à Nadar, qui fit époque dans l’histoire de l’Aéronautique.

Nadar soutint, assertion paradoxale à première vue, que « ce qui a tué la direction des ballons, depuis bientôt un siècle qu’on la cherche, ce sont les ballons. » Jetant par-dessus bord la vessie flottante de Charles, comme il l’appelait dédaigneusement, le célèbre photographe faisait remarquer que la Nature, qui a créé l’oiseau, ne s’est jamais avisée de rien faire qui ressemble à un aérostat. Il oubliait la vessie natatoire de certains poissons.

Du coup, l’opinion publique fut remuée, un mouvement d’idées créé et, bientôt, affluèrent une multitude d’études sur la résistance de l’air, les différentes sortes de volateurs et le vol des oiseaux.

Tout d’abord, Nadar ayant imprudemment posé en principe que l’hélice seule, la sainte hélice, comme il l’appelait, pouvait résoudre le problème, on essaya des hélicoptères. On ne tarda pas à reconnaître que, faute d’un moteur à la fois puissant et léger, ces appareils ne pouvaient être que des jouets, comme ceux qu’on vend actuellement dans les bazars. Les orthoptères ne réussirent pas mieux. Force fut donc de revenir aux aéroplanes, les seuls appareils sur lesquels se concentrent, actuellement, les efforts des chercheurs sérieux.

Qu’est-ce, en somme, qu’un aéroplane ?

Pour s’en faire une idée simple et exacte, il suffit d’imaginer un carreau animé dans l’air, grâce à un moteur quelconque, d’une vitesse horizontale et constante, de supposer que ce carreau fait avec l’horizontale un angle d’attaque toujours le même et qu’il est relié à une nacelle qu’il doit soutenir et, en même temps, faire propulser.

Il est facile de voir, d’après ce que nous avons dit plus haut, que la force, normale au carreau et dirigée de bas en haut, engendrée par la résistance de l’air au mouvement, peut toujours se décomposer en deux : l’une, verticale, qui soutient l’aéroplane et qu’on appelle, pour cela, composante de soulèvement ; l’autre, horizontale, qui tend à s’opposer au mouvement imprimé par le moteur. Quel que soit le poids de l’aéroplane, on conçoit qu’il est toujours possible, puisque la résistance augmente proportionnellement au carré de la vitesse, de donner à la composante de soulèvement une valeur capable d’équilibrer ce poids : il suffit d’obtenir du moteur une vitesse de propulsion suffisante, la propulsion accompagnant la sustentation, et réciproquement, remarquons-le bien, c’est-à-dire que, si la propulsion vient à manquer, il n’y a plus de sustentation. On conçoit aussi, toujours en s’appuyant sur les lois de la résistance de l’air, que la force de propulsion nécessaire pour mettre l’aéroplane en mouvement, ainsi que la puissance du moteur, sont d’autant plus faibles que la surface de sustentation, c’est-à-dire la surface du carreau, est plus grande et que l’angle d’attaque est plus petit.

La puissance du moteur et la force de propulsion pouvant ainsi être réduites à volonté, on peut se demander pourquoi, alors, le problème du plus lourd que l’air n’est pas résolu depuis longtemps.

D’abord, il n’est pas prudent de réduire par trop l’angle d’attaque : la moindre embardée pourrait tout faire chavirer. Il est donc nécessaire de donner à cet angle une valeur assez grande ; mais, dans ces conditions, la composante de soulèvement diminue très vite, de sorte qu’il devient indispensable d’augmenter la voilure, c’est-à-dire la surface de sustentation de l’aéroplane, dans de grandes proportions, ce qui alourdit considérablement l’appareil. Ensuite, l’adjonction à la surface de sustentation d’une nacelle, d’un moteur, de deux gouvernails au moins, le premier, gouvernail de direction, vertical, le second, gouvernail de profondeur, horizontal, faisant fonction de parachute et, par suite, servant à modérer l’atterrissage, change complètement les conditions du problème : tous ces accessoires, d’ailleurs indispensables, font naître des résistances considérables, dont la somme s’ajoute à la résistance de la voilure. Conclusion : le moteur nécessaire à la marche et à la sustentation d’un aéroplane doit posséder une puissance qui ne peut pas être abaissée au-dessous d’une certaine limite relativement à son poids. On admet, en général, que cette puissance doit être telle que le poids du cheval n’excède pas 10 à 12 kilogrammes.

Or, des moteurs aussi légers, nous l’avons déjà dit, n’existaient pas il y a quelques années, ce qui explique pourquoi, jusqu’à ces derniers temps, il a été impossible de construire un aéroplane capable de s’élever en l’air, ne fût-ce que pendant quelques secondes. Mais, actuellement, les conditions ont changé. En 1890, en effet, d’après O. Chanute, l’ingénieur américain bien connu, le plus léger moteur à vapeur pesait un peu plus de 27 kilogrammes par cheval ; pour un moteur à pétrole, le poids minimum du cheval était de 40 kilogrammes ; pour un moteur électrique, de 59 kilogrammes. En 1900, le poids minimum du cheval n’est plus, pour un moteur à vapeur (Maxim), que de 3,6 kilogrammes ; pour un moteur à pétrole (Langley), 3,2 kilogrammes ; pour un moteur électrique (Hargrave), 4,5 kilogrammes. On comprend alors que, dans l’intervalle de ces dix années, des ingénieurs aussi avisés que MM. M. Maxim et Ader, aient jugé pouvoir se consacrer à l’aviation et aient entrepris la construction d’aéroplanes dignes du nom de machines volantes, c’est-à-dire capables d’emporter dans les airs un ou plusieurs voyageurs dans des conditions convenables de sécurité, de stabilité et de rapidité. On va voir que, seules, des circonstances fortuites (autant du moins qu’on peut en juger) ont empêché d’obtenir des résultats nettement décisifs.

L’aéroplane de Maxim était formé, à l’origine, d’une surface sustentatrice plane de 14m,64 de large, prolongée par des ailes fixes de 11 mètres chacune. Au-dessous se trouvaient cinq paires d’ailes superposées, d’égale amplitude, fixes, inclinées d’environ 12 degrés, qui assuraient, avec la voilure proprement dite, la sustentation de la machine. Mais, d’après Maxim, pour qu’un aéroplane de ce genre puisse être considéré comme véritablement pratique, il doit emporter au moins trois voyageurs : un pour la manœuvre des gouvernails verticaux, un autre pour celle des gouvernails horizontaux, le troisième étant employé à la surveillance et au fonctionnement du moteur et de ses accessoires. D’un autre côté, le poids des voyageurs ne doit être qu’une faible partie de celui de la machine. Par suite, Maxim fut amené, dans ses derniers essais, à amplifier considérablement les dimensions de son aéroplane : il lui donna 30m,50 de long, du gouvernail-avant au gouvernail-arrière, 26m, 6 de large, 10m,67 de haut, le poids total de la machine ainsi constituée étant de près de 3 200 kilogrammes.

La machine à vapeur choisie comme moteur dut, alors, avoir une force de 363 chevaux et on la construisit assez légère pour que le cheval correspondît à un poids de 14,4 kilogrammes, et cela pour un trajet d’une durée de 10 heures. Ce moteur actionnait deux hélices propulsives tournant à raison de 400 tours à la minute, d’où une force de traction de 907 kilogrammes, ce qui, en raison de l’inclinaison des plans de sustentation, donnait naissance à une composante de soulèvement de 4 534 kilogrammes, plus que suffisante, par conséquent, et à une vitesse propre d’environ 64 kilomètres à l’heure, soit 18 mètres par seconde.

La chaudière, chauffée à la gazoline, était portée par le plancher de la nacelle. Quant au moteur proprement dit, il était établi sur un bâti d’environ 1m,25 de haut, afin de lui permettre d’atteindre le niveau nécessaire pour actionner les arbres des hélices. Pour assurer une marche de longue durée, sans avoir besoin de renouveler la provision d’eau, la vapeur était condensée dans des tubes très légers et très minces, le refroidissement se faisant au simple contact de l’air, que la marche de la machine devait renouveler à chaque instant. Ces tubes servaient aussi à renforcer la construction et formaient une partie des cadres de sustentation.

En septembre 1894, Maxim tenta un essai définitif : l’aéroplane fut placé sur des rails d’une longueur de 600 mètres, afin de pouvoir lui donner une vitesse suffisante pour planer. On eut l’idée d’empêcher tout soulèvement prématuré et, aussi, de mesurer la force de soulèvement, en disposant au-dessus de ces rails deux contre-rails de 200 mètres de longueur. L’expérience réussit incontestablement dans sa partie essentielle, puisque les contre-rails cédèrent sous l’effort. Malheureusement, l’appareil fut sérieusement avarié par suite de la rupture d’un essieu. Depuis, les choses en sont restées là.

L’avion d’Ader, que tout le monde a pu voir à l’Exposition universelle, a une voilure formée de deux ailes fixes et concaves, semblables à celles de la chauve-souris. Cette concavité a pour but d’augmenter la composante de soulèvement (c’est pour la même raison que l’on donne de l’embue aux voiles des navires) et la courbure en a été ; établie d’après une loi qui est le fruit des longues études de l’éminent ingénieur sur le vol des oiseaux et les organes de ce vol. Ader a, en effet, constaté que la Nature avait adopté, pour ces organes, une courbe géométrique spéciale bien définie, une spirale logarithmique qui se développe de l’avant à l’arrière dans le sens de la translation. Chaque plume, prise séparément, semble obéir à la même loi : la courbure est plus ou moins accentuée suivant la charge des ailes, mais la spirale se retrouve toujours et partout, qu’il s’agisse d’une aile d’oiseau, de chauve-souris ou de mouche. Cette loi, qui paraît bien établie, nous semble digne d’attirer l’attention des aviateurs.

L’avion doit donc forcément offrir une ressemblance générale avec le corps d’un oiseau aux ailes déployées. La copie n’est pas servile, en ce sens que les ailes de cet aéroplane ne sont point composées de plumes artificielles, formées elles-mêmes de barbes, mais, en revanche, elles reproduisent les ailes de l’oiseau, surtout par la répartition des résistances. Leurs charpentes, faites de fibres de bambous encollées, sont creuses, ce qui les rend très rigides et très légères ; des tirans en fil d’acier, véritables tendons, les maintiennent en position ; les membranes servant de points d’appui dans l’air sont en soie. Articulées, d’ailleurs, en toutes leurs parties, ces ailes peuvent se replier complètement, soit pour les besoins de la manœuvre, soit pour permettre de donner à l’appareil, au repos, le plus petit volume possible. Enfin, elles sont mobiles à l’épaule, de l’avant à l’arrière, ce qui permet de déplacer à volonté le centre de gravité de l’avion.

Deux hélices propulsives, à quatre branches, sont placées à l’avant de l’appareil. Indépendantes l’une de l’autre et tournant en sens inverse presque dans le même plan, elles sont construites avec de la fibre de bambou, ce qui les rend à la fois légères et rigides, et, comme chacune d’elles est actionnée par un moteur particulier, on peut ralentir l’une ou l’autre à volonté, de sorte qu’elles concourent à la direction, de concert avec un gouvernail indépendant, situé à l’arrière. C’est le pilote qui, caché derrière un coupe-vent, manœuvre le gouvernail, au moyen de pédales. Trois ou quatre boulons ou manettes, placés à portée de la main, suffisent à toutes les autres manœuvres.

Comme Maxim, Ader a préféré les moteurs à vapeur à tous les autres. Chacun des deux moteurs de l’avion est à quatre cylindres et à double expansion. Le générateur étant tubulaire, la vaporisation de l’eau est presque instantanée, et, comme toutes les issues sont fermées à la vapeur, la pression monte d’une atmosphère par seconde. Un condenseur à air, comme celui de Maxim, placé au sommet de l’avion, permet de récupérer la totalité de l’eau, sans perte aucune.

Chaque moteur fournit une force de 20 chevaux. Toutes les pièces ont été taillées dans des blocs d’acier forgé, et, comme tout ce qui était susceptible d’être évidé l’a été, le poids total du générateur, de la machine et du condenseur n’est, d’après Ader, que d’environ 3 kilogrammes par cheval. Quant au poids total de l’avion, avec sa charge complète et une provision suffisante d’alcool méthylique, qui sert de combustible, il ne dépasse pas 500 kilogrammes.

Il serait intéressant de connaître, pour cet aéroplane comme pour celui de Maxim, la résistance propre de la nacelle, avec le moteur et tous les accessoires. Renard a, en effet, démontré mathématiquement que, pour une vitesse donnée : 1° la puissance nécessaire à la marche d’un aéroplane est minimum lorsque la résistance de la nacelle et des accessoires égale le tiers de la résistance de la voilure ; 2° la force propulsive nécessaire à la marche d’un aéroplane est minimum lorsque la résistance de la nacelle égale la résistance de la voilure. Mais, comme nous l’avons montré plus haut, il est impossible, actuellement, de calculer à l’avance, avec une suffisante approximation, la résistance des diverses parties d’un aéroplane, et quant aux mesures directes, elles offrent toujours de grandes difficultés. Aussi ces beaux théorèmes restent-ils, pour l’instant, sans application.

Quoi qu’il en soit, une grande piste circulaire de 450 mètres de diamètre et de 40 mètres de largeur (bien préférable à une piste droite, forcément limitée et, par suite, limitant l’élan) ayant été établie sur le champ de manœuvres de Satory, le 14 octobre 1897, Ader prit place sur sa machine et la mil en marche. Celle-ci, montée sur roues et les ailes déployées, parcourut d’abord la piste à une vitesse modérée ; progressivement, cette vitesse s’accrut : on vit les roues quitter le sol, ce qui prouve incontestablement que la machine était capable de voler ; puis, l’avion vira légèrement pour s’orienter contre le vent. Malheureusement, à cet instant, une rafale survint : Ader, craignant d’être entraîné, ralentit la marche et, aussitôt, les roues touchèrent terre de nouveau. Mais ces roues, au lieu d’être folles, étaient fixes, et comme l’appareil avait pris une position oblique par rapport au sens de sa translation, elles ne purent plus rouler et accrochèrent le sol. L’extrémité d’une des ailes heurta alors la piste et se brisa : la machine versa, les propulseurs furent fracassés. L’expérience ainsi interrompue n’a pas été reprise.

D’autres aviateurs, Langley en 1896, V. Tatin et Ch. Richet, en 1897, ont obtenu des résultats qui, à première vue, paraissent plus satisfaisans.

L’aéroplane de Langley était, en majeure partie, en acier. Néanmoins, il rentrait dans sa construction assez de matériaux plus légers pour que la densité de l’ensemble fût voisine de l’unité. L’envergure des surfaces de sustentation, en soie et légèrement courbées, était de 4m,27 ; la longueur de l’aéroplane dépassait 4m,50. Une machine à vapeur très légère, d’une puissance approximative d’un cheval, actionnait deux hélices de 1m,22 de diamètre, tournant à raison de 1 000 tours par minute, placées l’une à l’avant, l’autre à l’arrière du corps de l’appareil. Le combustible était de la gazoline, transformée en gaz avant sa combustion. Le poids total de la machine, y compris celui du combustible et de l’eau, était de 13,6 kilogrammes.

Lancé d’une hauteur de huit mètres au-dessus du Potomac, cet aéroplane put, sous la seule impulsion de son moteur, marcher contre le vent, s’élevant lentement et sans secousses. Décrivant de grandes courbes en s’approchant d’un promontoire voisin et boisé, qu’il franchit néanmoins, il passa sans encombre au-dessus des arbres les plus élevés et descendit lentement, de l’autre côté de ce promontoire, à 276 mètres de distance du point de départ, au bout d’une minute trois secondes, après avoir parcouru dans sa course une longueur totale de 900 mètres environ.

Quant à l’aéroplane de V. Tatin et Ch. Richet, il consistait essentiellement en une carcasse de bois de sapin munie d’une queue et de deux ailes fixes, de 8 mètres carrés de surface et d’une envergure de 6m,60. Le moteur était encore une petite machine à vapeur d’une puissance de 4/3 de cheval, actionnant deux hélices placées l’une à l’avant, l’autre à l’arrière du corps de l’appareil, hélices qui tournaient en sens inverse l’une de l’autre. Tout l’aéroplane ne pesait pas plus de 33 kilogrammes, y compris les quantités d’eau et de charbon nécessaires pour une course de 5 kilomètres.

Il n’alla pas si loin ! Lancé du haut d’une falaise avec une vitesse horizontale de 18 mètres par seconde, vitesse qu’on obtenait en le faisant descendre le long d’une piste convenablement inclinée, en même temps qu’on actionnait les hélices, ce volateur a pu, en juin 1897, sous un angle d’attaque de 2 à 3 degrés, parcourir dans l’air, en ligne horizontale, 140 mètres, mais jamais plus. Il était, évidemment, mal équilibré.

Gardons-nous d’ailleurs de conclure, après cet exposé, à la supériorité des aéroplanes Langley ou Tatin sur les machines volantes de Maxim et d’Ader. Il y a, dit avec raison R. Soreau, entre les premiers et les seconds, la même différence qu’entre les locomotives à moteur très léger que l’on met entre les mains des enfans et les locomotives des voies ferrées. Les expériences faites avec des aéroplanes-oiseaux, comme on peut appeler ceux de Langley et de Tatin (avec d’autant plus de raison que le poids du volateur Tatin est celui des plus gros volateurs animés), montrent simplement que la solution du problème de l’aviation est plus facile avec de petits appareils qu’avec des gros. Mais qu’importe au public ? C’est la question des aéroplanes-navires, comme ceux de Maxim et d’Ader, qui, seule, l’intéresse, car, ce qu’il lui faut, c’est une machine capable de transporter des voyageurs à travers les airs, dans des conditions raisonnables de sécurité, de vitesse et de durée. La seule conclusion à tirer de ce qui précède, c’est que, si l’avenir de la navigation aérienne est dans l’aviation, l’aéroplane semble déjà le genre d’appareil sur lequel on peut le plus compter.

Mais, dira-t-on, les hélicoptères, les orthoptères, doivent-ils être condamnés pour toujours ?

On peut d’abord objecter aux hélicoptères que la théorie de l’hélice est encore à faire ; qu’ensuite, le jour où elle sera faite, ce système de locomotion aérienne sera probablement toujours inférieur à l’aéroplane. Comme le fait encore remarquer R. Soreau, avec un jeu d’hélices verticales et horizontales, la propulsion pourra singulièrement troubler l’action des hélices sustentatrices ; de plus, ces dernières agiront comme des aéroplanes de formes compliquées qui auront, sur la voilure immobile des aéroplanes ordinaires, l’inconvénient d’exiger des calculs très délicats ; à l’atterrissage, elles priveront la machine et les passagers du parachute formé par une grande voilure. Si les hélices sont inclinées, alors la sécurité sera plus que précaire.

Passons aux orthoptères.

Ce système de locomotion aérienne a toujours passionné un grand nombre d’aviateurs, parce que, disent-ils, l’homme doit chercher à imiter la Nature.

Observons d’abord que, si l’étude de la Nature est la seule-féconde en résultats, il ne s’ensuit pas forcément qu’il en soit de même de son imitation. L’industrie humaine emploie, en général, des moyens radicalement différens de ceux que nous voyons employer par la Nature : ainsi, la locomotion sur terre a été portée jusqu’à la perfection, non en réalisant un cheval automate, mais en transformant le mouvement de va-et-vient d’un piston mû par la vapeur en un mouvement de rotation.

Remarquons ensuite que, chez les moteurs animés, c’est par des phénomènes de disposition inconsciente que la force motrice est transmise, instantanément et avec des variations à l’infini, aux innombrables muscles qui la mettent en œuvre. Tout moteur de ce genre, dit Espitallier, constitue une machine qui se règle d’elle-même, une machine automatique instinctive, et cette régulation se fait sentir, jusque dans les parties les plus infimes, avec une promptitude et une sensibilité telles qu’il faut renoncer à copier le modèle sous ce rapport. On ne pourra donc, si l’on veut absolument imiter la Nature, qu’obtenir une imitation plus apparente que réelle, une approximation plus ou moins grossière, car il manquera toujours à cette imitation l’admirable adaptation et l’infinie souplesse des organes de la machine animée. Que si l’on supprime ces dernières qualités, pourtant essentielles, il ne reste plus qu’un moteur d’un faible rendement, compliqué d’organes sans nombre. C’est pour cela que toutes les tentatives faites avec des orthoptères ont piteusement échoué.

Ne demandons à la Mécanique que ce ; qu’elle peut donner. Au lieu d’organes complexes, auxquels il faut distribuer la force, laissons cette science réduire et décomposer en élémens simples, par les moyens qui lui sont propres, le problème de l’aviation.

D’ailleurs, en admettant comme un dogme l’imitation, de la Nature, quel genre de volateurs imiter ? La mouche, le moineau ou l’aigle ?

Si les volateurs animés et de petite taille, comme le moineau, pratiquent surtout le vol ramé, c’est-à-dire, sont, en somme, de véritables orthoptères, en revanche l’observation a démontré que les volateurs animés de grande taille, comme l’aigle, pratiquent de préférence le vol à la voile, se servant de leurs ailes comme d’une surface aéroplane. En outre, tout le monde n’est pas d’accord sur la différence essentielle de ces deux genres de vol et sur l’irréductibilité absolue du premier au second. Pour beaucoup d’aviateurs, l’abaissée et la relevée de l’aile ont simplement pour effet de permettre à l’oiseau la sustentation, en même temps qu’elles fournissent une composante de propulsion qui entretient la vitesse acquise. Quant à celle vitesse, si, d’après Marcy et son école, elle est particulièrement due au coup de rame que donne l’aile à la fin de l’abaissée quand elle se porte en arrière, R. Soreau pense, au contraire, qu’elle est surtout due à la projection de l’aile en avant au moment de l’abaissée, projection assez forte, non seulement pour entraîner les ailes par rapport au corps, mais aussi pour faire propulser en avant l’ensemble de l’animal. En ce qui concerne le rôle de la queue, on est d’accord pour la considérer comme un gouvernail de profondeur, destiné à compenser, suivant qu’elle s’étale ou se ferme, s’incline ou se relève, les variations de la surface sustentatrice.

Cependant, si R. Soreau et la plupart des aviateurs ne veulent pas entendre parler des orthoptères, d’autres, comme Lapointe, restent sur la réserve. En somme, la question n’est pas mûre. Mais, alors, n’est-il pas évident que, dans ces conditions, l’aéroplane s’impose par le raisonnement comme par l’expérience ? simplicité, sécurité, rapidité, tout ne se trouve-t-il pas réuni en lui ? sa mise en marche, avec les moteurs actuels, n’est-elle pas, après ce que nous avons dit plus haut, une opération faisable ? À la réflexion, d’ailleurs, on comprend difficilement comment on pourrait continuer à accorder une importance primordiale au rôle que joue la puissance de la force motrice dans les appareils d’aviation. Peut-on sérieusement admettre qu’un albatros, qui plane des journées entières au-dessus de l’Océan, sans trêve ni repos, avec une sardine dans le ventre, dispose d’une machine de la force de plusieurs chevaux ?

En résumé, le problème de l’aviation au moyen des aéroplanes doit, aujourd’hui, être considéré comme résolu au point de vue dynamique. À cette heure, c’est une question d’équilibre, une question de statique, qui se pose et, malheureusement, tout semble indiquer que cette seconde partie du problème sera beaucoup plus difficile à mener à bien que la première. Pourquoi ? c’est ce qu’il est facile de comprendre.

Si l’air était un fluide entraîné en masse d’un mouvement uniforme, la stabilité longitudinale d’un aéroplane serait assez facile à obtenir : les variations inévitables d’inclinaison de la surface de sustentation, variations qui ont pour effet de changer, à chaque instant, la position du centre de pression, n’entraîneraient que de légères oscillations qu’on pourrait aisément amortir. Il suffirait, par exemple, comme nous avons vu que l’a fait Maxim, de remplacer la surface sustentatrice unique par plusieurs surfaces de sustentation superposées, ce qui aurait pour effet d’éloigner le centre de pression du centre de gravité (quoique, chez l’oiseau, le centre de pression soit toujours très voisin du centre de gravité). Mais l’air est le siège d’embardées répétées et violentes, dirigées dans tous les sens, qui engendrent des oscillations heurtées très dangereuses. À côté de la stabilité longitudinale, il y a donc lieu de se préoccuper de la stabilité transversale. Or, pour l’instant, on ne connaît aucun dispositif mécanique capable de défendre l’aéroplane contre les embardées qui peuvent l’assaillir de côté, à moins d’attacher à la surface sustentatrice la vessie tant dédaignée de Charles.

Il est certain, en effet, que la stabilité et la sécurité, si précaires dans les aéroplanes, seraient admirablement assurées par l’emploi du ballon comme sustentateur. Aussi, nombre d’aviateurs ont-ils songé, depuis longtemps, à l’emploi de systèmes mixtes, ballons-aéroplanes, ballons-orthoptères, etc. Seulement, en ce qui concerne les ballons-aéroplanes, n’est-il pas évident que de pareilles machines ne seront jamais que des ballons surchargés, c’est-à-dire établis dans les pires conditions au point de vue de la vitesse ? Mieux vaudrait des ballons-orthoptères, comme celui que propose le docteur Jaguaribe, si, comme on l’a vu plus haut, la question des orthoptères était plus complètement élucidée. À n’importe quel système mixte, on doit donc préférer, sans conteste, les ballons ordinaires. Mais, comme nous l’avons démontré, c’est une absurdité de compter sur eux pour la solution pratique du problème de la navigation aérienne. Conclusion : ou cette navigation, telle que nous la concevons, n’est qu’un rêve irréalisable, ou son avenir est dans l’aviation, dans l’aviation seule. Reste à décider si le problème de l’aviation, tel qu’il se pose à l’heure actuelle, doit être résolu dans le silence du cabinet. La réponse s’impose d’elle-même : c’est en plein air, en pleine lumière, qu’on doit chercher une solution, s’il y en a une.

Cela, quelques bons esprits le pensent depuis longues années, et c’est, en somme, ce qu’ont pensé tous les hommes volans, depuis Olivier de Malmesbury jusqu’au marquis de Bacqueville, en passant par Léonard de Vinci. Pourquoi, écrivait H. de Graffigny, l’homme n’essaierait-il pas d’apprendre à voler, comme il a essayé et a appris à nager ? Laissons de côté, pour l’instant, ajoute-t-il, toutes ces machines volantes compliquées dont aucune n’a donné de résultats bien sérieux et, après avoir répété à l’aide d’un appareil sustentateur quelconque, aussi simple que possible, les différentes manœuvres du vol plané et les avoir réussies, adaptons à cet appareil un moteur suffisant pour essayer de pratiquer le vol à la voile.

Au fond, cela revient à se préoccuper d’abord de la partie statique du problème, la solution dynamique ne faisant aucun doute, et quant à combattre cette façon de procéder en alléguant la médiocrité de nos connaissances sur la Mécanique des gaz, on peut faire observer que l’homme a nagé avant de connaître la Mécanique des liquides et de construire des bateaux lui permettant de traverser l’Océan avec toutes les conditions de stabilité, de sécurité et de vitesse désirables.

C’est un savant allemand, Otto Lilienthal, qui a eu le premier l’honneur d’expérimenter sérieusement cette méthode.

Conformément à ce que nous venons d’exposer, les expériences de ce nouvel émule de Dédale étaient simplement destinées à apprendre à l’homme la pratique du vol plané, c’est-à-dire du genre de vol dans lequel l’oiseau, après avoir éteint ses battemens d’une façon progressive et complète, se laisse glisser sur l’air, les ailes, immobiles et largement étendues, formant un parachute incliné sur la direction du vent qui, par sa pression, suffit à les soutenir.

L’appareil sustentateur employé, construit en toile, avec une ossature en acier, avait à peu près, comme l’avion d’Ader, la forme d’une chauve-souris. Les ailes, d’une envergure de 7 mètres et d’une largeur de 2m,50, étaient constituées par deux surfaces courbes, dont la concavité regardait le sol et était calculée de façon à augmenter dans le rapport de 3 à 7 la sustentation qu’auraient donnée des surfaces entièrement planes. Pouvant s’abaisser ou se relever à volonté, sans pour cela être battantes, ces ailes se raccordaient du milieu jusqu’à l’arrière ; mais, à l’avant, elles étaient séparées par une large échancrure où se plaçait l’aviateur, qui s’appuyait par les bras dans des gouttières garnies, tandis que ses mains tenaient solidement une barre transversale. Une queue était adaptée à l’appareil ; elle était formée de deux gouvernails : l’un vertical, de forme ovale, servait à prendre le vent et à faire virer la machine quand il changeait ; l’autre, horizontal, utile surtout pour l’atterrissage, empêchait l’appareil de plonger en avant. Tout l’ensemble pesait 20 kilogrammes ; mais, avec le poids de l’aviateur, le poids total à porter s’élevait à 100 kilogrammes environ pour une surface de sustentation de 14 mètres carrés. Il n’y avait, bien entendu, aucun moteur.

Pour arriver, avec ce planeur, comme Lilienthal appelait cette machine, à pratiquer le vol plané, on court contre le vent en abaissant les ailes et en descendant la pente douce d’une colline de 30 mètres de hauteur environ. Quand on juge la vitesse acquise suffisante, on relève légèrement la surface de sustentation, de manière à la rendre à peu près horizontale. Une fois dans l’air, pendant le planement descendant, on cherche, par tâtonnement, à donner au centre de gravité de toute la masse une position telle que l’appareil soit projeté rapidement en avant, mais descende aussi peu que possible. Le difficile est de maintenir son équilibre : comme le vent frappe la partie supérieure des ailes, il faut toujours porter les pieds en avant, de façon à forcer le planeur à remonter contre le vent ; dans le cas contraire, en effet, l’appareil tendrait à tomber, en piquant une tête en avant.

Grâce à cette façon de manœuvrer, Lilienthal, dans les deux mille voyages aériens qu’il a effectués, a pu parcourir, sans loucher terre, des distances de 300 à 366 mètres, quelquefois avec une vitesse de 15 mètres par seconde, soit 54 kilomètres à l’heure, le plus souvent, avec une vitesse de 9 mètres par seconde, soit 32 kilomètres à l’heure. Avec un vent debout de 4 à 5 mètres à la seconde, la composante de soulèvement était de 118 kilogrammes et la chute de 0m, 50 par seconde, seulement.

Dans certaines circonstances spécialement favorables, Lilienthal put s’élever, pendant le trajet, à un niveau supérieur à celui du point de départ. Il réussit même quelquefois, en déplaçant le centre de gravité sur l’un ou l’autre côté, par un mouvement d’extension de ses jambes, à dévier la trajectoire de son vol et il arriva même à ce résultat merveilleux de revenir, pendant un certain temps, vers son point de départ.

Aussi, encouragé par le succès, se préparait-il, après avoir préalablement adapté à son planeur un moteur très léger, à passer à la pratique du vol à la voile, dont l’importance est considérable, puisque c’est ce genre de locomotion qui permet aux condors, aux vautours, aux albatros, etc., le mouvement de translation le plus rapide et le plus prolongé pour le minimum d’effort musculaire, l’animal, afin d’utiliser, pour entretenir sa vitesse, l’énergie qu’il trouve dans les mouvemens de l’air, se bornant à imprimer à son corps un léger balancement, lent et irrégulier, sans qu’on puisse saisir le moindre frémissement des plumes des ailes ou de la queue. Malheureusement, le 9 août 1896, dans une expérience de planement avec un nouvel appareil, plus compliqué que le précédent, une forte embardée, que Lilienthal ne réussit pas à contre-balancer, inclina son appareil de sorte que le vent le frappait en dessus : l’infortuné expérimentateur, tombant d’une hauteur de 80 mètres, se brisa les reins et expira quelques heures après cette terrible chute.

En septembre 1899, un élève de Lilienthal, l’ingénieur Percy S. Pilcher, mourait à peu près dans les mêmes conditions, par suite d’un accident arrivé à son planeur. Mais ces deux catastrophes, se succédant à si court intervalle, n’ont pas empêché les disciples du maître de suivre la voie qu’il avait tracée.

Les essais les plus intéressant dans ce genre sont certainement ceux d’O. Chanute. Tout en conservant la même méthode générale, ce savant aviateur, après avoir écarté comme dangereuses les machines genre Lilienthal, a renversé le principe dont l’aviateur allemand avait fait dépendre le maintien de son équilibre dans l’air. Dans le système Chanute, l’expérimentateur reste tranquillement assis dans sa machine au lieu de projeter ses pieds en avant, sauf, bien entendu, les mouvemens nécessaires pour gouverner ou atterrir ; mais un mécanisme moteur est ajouté au planeur pour déplacer les ailes automatiquement, de façon à rétablir l’angle d’attaque et, par suite, l’équilibre longitudinal quand celui-ci est compromis par les embardées de Vair. Quant à la surface sustentatrice, elle est constituée tantôt par des ailes multiples, tantôt par deux grandes surfaces de sustentation superposées, ayant la forme de vastes rectangles légèrement bombés.

Il n’y a pas de sensation plus délicieuse, dit O. Chanute, que celle du vol dans l’air. Toutes les facultés sont en éveil ; le mouvement est deux et élastique à un degré surprenant. La machine répond instantanément au plus petit mouvement de l’opérateur ; l’air se précipite dans ses oreilles ; arbres et buissons fuient sous lui. Il n’y a pas de sport aussi enivrant ! Mais la prudence, le sang-froid et la décision sont, au plus haut degré, indispensables. Si, grâce au mécanisme automatique, l’équilibre longitudinal se rétablit de lui-même malgré les variations du vent, il n’en est pas de même quand celui-ci, soufflant latéralement, tend à faire chavirer l’appareil. L’expérience montre qu’alors aucun dispositif mécanique n’est nécessaire pour redresser le planeur : il suffit de projeter brusquement les pieds du côté soulevé, mouvement qui est juste l’opposé de celui qu’on ferait instinctivement sur terre, mais qui, avec un peu d’exercice, devient une seconde nature. Seulement, il faut agir rapidement, le vent, pas plus que la pesanteur, ne permettant de longues réflexions.

En cherchant avant tout à assurer la stabilité et la sécurité des appareils planeurs, avant de songer à leur appliquer un moteur, nul doute, pense Chanute, qu’on n’arrive d’ici peu à pouvoir effectuer dans l’air des trajets d’au moins 1 500 mètres. Ce serait déjà un beau résultat, et qui nous dit, d’ailleurs, que, d’ici quelques années, ce genre d’expériences, au lieu de ne constituer qu’un simple sport, ne finira pas par nous donner la solution complète du grand problème de l’aviation ?


III

Si nous jetons maintenant un coup d’œil d’ensemble sur le chemin parcouru par l’Aéronautique, depuis ses origines jusqu’à nos jours, nous constaterons que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les efforts des chercheurs, dans le domaine du plus lourd comme dans celui du plus léger que l’air, furent infructueux. Mais ne serait-il pas injuste de ne pas reconnaître que ces efforts contribuèrent à créer un ordre spécial de préoccupations auxquelles nous sommes certainement redevables de la découverte des Montgolfier ? Dans le profond saisissement causé par l’expérience d’Annonay et les voyages audacieux de Pilâtre de Rozier et Charles, tout le monde crut le problème de la navigation aérienne résolu ou sur le point de l’être. Le XIXe siècle s’est tout entier écoulé, et la solution reste encore à trouver. Aucune découverte sensationnelle de nature à frapper fortement l’imagination n’a surgi pendant cette longue période. Mais, sérieusement, faut-il compter pour rien cette somme importante de perfectionnemens et de progrès réalisés dont nous avons essayé, dans ces quelques pages, de donner une idée aussi exacte que possible ?

Les fondateurs de l’Aéro-Club de France ne l’ont pas pensé. Les membres de ce club n’ont pas la prétention de faire œuvre de science ; ils jugent qu’ils n’ont pas à se prononcer sur les mérites respectifs des volateurs et des ballons : ils ne veulent encourager ni ne décourager personne. Mais, étant donné que, jusqu’ici, le plus lourd que l’air n’a rien fait et que le plus léger, seul, a fait quelque chose, ils ont prudemment décidé de se servir, pour la navigation aérienne, des aérostats tels qu’ils sont, estimant qu’un emploi fréquent, prolongé et rationnel de ces appareils conduirait nécessairement à les perfectionner, soit au point de vue de leur construction, soit au point de vue de leur maniement. Les résultats des concours d’Aérostation de l’Exposition universelle ont montré l’exactitude de ces vues.

Quatorze concours de quatre espèces différentes, plus de cent soixante ascensions, la plupart fort remarquables, effectuées sans aucun accident de machine ni de personne, les principaux records battus par ceux-là mêmes qui les détenaient, tel est, déclare le colonel Renard, le bilan des concours aéronautiques de Vincennes.

En altitude, Jacques Balsan et Louis Godard ont dépassé 8 000 mètres (le docteur Berson restant toujours le champion du monde pour son ascension de 9 156 mètres, du i décembre 1894), et il est maintenant prouvé qu’on peut braver la raréfaction de l’air et les basses températures des hautes régions atmosphériques, au moins jusqu’à 9 000 mètres. Il est même probable que l’emploi de l’oxygène liquéfié, que propose Cailletet, permettra sous peu, d’atteindre et de dépasser l’altitude de 10 000 mètres.

Mais il y a mieux.

Pour qu’un ballon puisse s’élever, il faut dépenser du lest et, en même temps, par suite de la diminution de la pression atmosphérique, on perd du gaz ; pour qu’il puisse descendre, il faut dépenser du gaz et, afin de modérer la descente, il faut perdre du lest. Si, une fois dans une zone favorable, on se contente de suivre le lit du vent, le soleil, la pluie, etc., font toujours dépenser du lest ou perdre du gaz. Évidemment, priver à la fois un ballon de son lest et de son gaz est une façon de naviguer absurde avec un ballon ordinaire, absurde même avec un dirigeable, car, dans ce cas, vouloir obstinément, pour éviter ces perles, maintenir un ballon de ce genre toujours à la même hauteur, serait se priver bénévolement du profit que l’on pourrait retirer des variations de la vitesse du vent avec l’altitude. Malheureusement, on ne connaît encore aucun moyen pratique de remédier d’une façon absolue à la double saignée faite ainsi continuellement à un aérostat. Aussi, jusqu’à ces dernières années, la durée des plus longues ascensions en ballon libre, sans escale, n’avait jamais dépassé vingt-deux heures.

Mais, grâce à l’impulsion donnée par l’Aéro-Club, de sérieux progrès ont été réalisés dans l’économie du lest et du gaz. Déjà, en 1897, Godard et Surcouf avaient exécuté, en ballon libre, sans escale, au-dessus des plaines de l’Allemagne du Nord, un voyage de vingt-quatre heures, snr une longueur de 1 000 kilomètres. En 1899, on fait mieux encore : MM. Mallet et de Castillon de Saint-Victor battent ce record en voyageant en ballon libre pendant vingt-neuf heures. Enfin, le 7 octobre 1900, MM. de la Yaulx et de Castillon de Saint-Victor, tous les deux membres de l’Aéro-Club de France, ont battu les records précédens, au point de vue de la durée et de la distance : en 35 h. 45, ils ont pu franchir la distance de 1 925 kilomètres qui sépare Kief de Paris, leur point de départ, ce qui correspond à une vitesse moyenne de 54 kilomètres à l’heure, environ.

Ainsi, malgré la double dépense de lest et de gaz, dépense inévitable, il est établi aujourd’hui qu’à l’aide d’un vent favorable, on peut, avec un aérostat bien construit et bien dirigé, parcourir près de cinq cents lieues en trente-cinq ou trente-six heures à peu près. En tout cas, ce qu’on peut toujours faire, dans des conditions atmosphériques normales, c’est se maintenir en l’air trente-six heures de suite. Aucun des hardis aérostatiers du siège de Paris n’eût cru possible un pareil tour de force ! La conquête du Pôle Nord, la traversée du Sahara, celle de la Méditerranée, en ballon libre, sont peut-être, quoi qu’on en pense, des entreprises réalisables, actuellement !

L’Aéro-Club de France a le droit d’être fier des prouesses de ses membres. Lui aussi peut affirmer que, dans la mémorable année 1900, il a bien mérité de la Science.

P. Baxet-Rivet.