La Noël de mes enfants

PERSONNAGES
E Père.
La Mère.
Bernadette (9 ans), qui a l’air d’un escogriffe toujours prêt à renverser une lampe, mais elle a des yeux de velours.
Neuillon (8 ans), une toute petite binette musquée de souris des champs.
Mimi (6 ans), qui a la tournure d’un melon.
Peupeu (4 ans 1/2), filleul de Paul Claudel, très choyé des dames à cause de son caractère judicieux et de sa figure d’Annamite qui serait blond ; mais il a des yeux de nuit profonde.
Michel (2 ans 1/2), l’air d’une rose coiffée de soleil, et qui se gonfle quand il joue de la trompette.
Anne (5 mois), l’innocente…
(Ces deux derniers personnages ne prennent point part à l’action.)
PROLOGUE
e vous présente les six enfants du
poète. Et leur mère n’est pas morte !
N’allez donc pas colporter, à gauche
et à droite, que la femme qui a de nombreux enfants devient tuberculeuse et
meurt plus tôt que les femmes qui n’en
ont point, ou seulement un ou deux.
C’est une menterie, un « prétéqueuseuteu », comme eût prononcé la cuisinière de mon grand-père.
I
e veux que ce soit Noël tout de suite.
Ce ne sera que demain.
Je veux que ce soit Noël à présent.
Et moi aussi, je veux que ce soit Noël à présent.
Vous m’embêtez.
Maman, pourquoi ce n’est pas Noël aujourd’hui ?
Toi aussi ! À ton âge ?
Tu es joli, Rip. Tu as une tête, comme papa.
Moi, je sais bien ce que je veux que m’apporte le Petit Jésus.
Quoi donc ?
Une boîte de perles, pour les enfiler. Non, des ciseaux.
Moi, une poupée, mais une vraie.
Et moi aussi, une poupée.
Tu ne veux donc plus les ciseaux… ni les perles ?
Si, les perles. Non, la poupée.
Je veux un tramway.
À toi, Peupeu, le Petit Jésus n’apportera rien si tu continues à mériter des bulletins ainsi annotés : « …abuse de sa force d’homme pour tirer les cheveux de ses voisines de classe ; s’empare sans scrupule des crayons d’autrui. »
Mais…
Et quand est-ce qu’il est né, le Petit Jésus ?
Je te l’ai dit, le jour de Noël.
Est-ce que c’est tout de suite, Noël ?
Mais je vous ai dit que non. C’est demain.
Je veux que ce soit aujourd’hui demain.
Zut !
Où est-ce qu’il est né le Petit Jésus ? Maman, raconte-moi le petit Jésus.
Il est né dans une pauvre étable.
Est-ce qu’il y avait des verres sur la table ?
Une table, ce n’est pas une étable. Une étable, c’est une grange comme celle de Pochelou.
Est-ce qu’il y avait des bœufs dans la grange du Petit Jésus ?
Il y avait un bœuf et un âne.
Mais ils ne faisaient point de mal au Petit Jésus… Oh ! non… Je suis son amie. Il me donnera une grande poupée, une vraie.
Qu’est-ce qu’il y avait encore ?
Eh bien ! il y avait des bergers à genoux qui priaient le Petit Jésus. Et les brebis étaient devant la porte.
Il n’y avait pas de porte.
Il faut toujours que tu contredises, que tu contraries, que tu déprécies. Tu es bonne comme du bon pain, mais il faut toujours que tu raisonnes, que tu chipotes, que tu discutes.
Comment il est le berger ?
Pareil à Carrère, tu sais ? qui nous vend du lait caillé, qui a un parapluie et un âne.
Et qu’est-ce qu’ils disaient, les bergers, au Petit Jésus ?
Ils écoutaient les musiques des anges.
Comment ils sont les anges ?
On dirait Michel quand il gonfle ses joues à sa trompette, et quand il est tout doré.
Est-ce que le berger de la table il a une flûte comme Carrère ?
Oui.
Et encore ? Qu’y a-t-il ?
Oh ! Encore… Il y a les trois Rois Mages.
Qu’est-ce que c’est ?
Des rois qui ont de beaux habits et qui arrivent avec une caravane de chameaux.
Qu’est-ce que c’est qu’une vacarane ?
Beaucoup de chameaux, l’un après l’autre, tu sais… comme beaucoup d’hommes qui prennent des billets de chemin de fer.
Et ensuite ?
Ensuite les Rois Mages arrêtent les chameaux.
Qu’est-ce que c’est un chameau ?
C’est un cheval bossu.
Qu’est-ce qu’ils font les Rois sages ?
Ils s’arrêtent devant la crèche…
Qu’est-ce que c’est que la crèche ?
C’est l’étable.
Et ensuite ?
Ils s’arrêtent devant la crèche en même temps que la belle étoile qu’ils suivaient.
Quelle étoile ?
Une étoile qui leur était apparue, et qui allait devant eux pour leur montrer le chemin. Lorsqu’elle ne bougea plus, et fut sur la crèche, ils surent qu’ils étaient arrivés au terme de leur voyage. Ils entrèrent, adorèrent le Petit Jésus et lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Maman, est-ce que tu me donneras de l’armire ?
Non.
C’est trop grand.
Qu’est-ce qu’il faisait, le Petit Jésus ?
Il dormait entre sa maman, son papa, le bœuf et l’âne, ou il tettait.
Où dormait-il ?
Sur de la paille ; peut-être dans un berceau fabriqué par son papa avec de vieilles planches.
II
e soir tombe sur la terrasse du
jardin où, bien que nous soyons
à la veille de Noël, des roses résistent.
Il en est ainsi en Béarn. Des six enfants
du poète les deux derniers, Anne et
Michel, sont déjà couchés dans la chambre aux volets un peu disjoints. Les deux aînées, Bernadette et Neuillon, ne sont pas encore rentrées du « Pensionnat Jeanne d’Arc ». Dans le sentier longeant la terrasse passe d’abord Carrère le berger qui ramène du pâturage ses brebis. L’âne suit le troupeau.
Viennent ensuite, montés sur leurs lourds chevaux, trois gendarmes bonifaces et solennels dont voici les noms (que je pourrais bien me dispenser de transcrire), mais enfin : Gabarret, Humérus et Fraison.
Le berger et l’âne vont trouver le Petit Jésus puisque maman l’a dit. Il n’y a pas de bœuf. Je pense qu’il est déjà passé.
(Maintenant c’est les gendarmes qu’il admire et il songe :) Ce sont les trois Rois sages et leurs chevaux bossus.
Qu’est-ce que tu fais ?
J’ai vu la camarade des chameaux.
On ne dit pas une camarade.
Comment on dit ?
On dit une cavarane.
III
ur la même terrasse, un instant après.
Il commence à faire froid. Qu’est-ce que tu fais là ?
Je regarde.
Qu’est-ce que tu manges ?
Une nèfle.
Tu vas te salir, sans serviette.
Avec quoi est-ce que je puis me salire ? Il n’y a pas de la couleure.
Allons, il faut rentrer. Qu’est-ce que tu attends là ?
L’étoile.
IV
ce moment, l’antique voisine d’en
face, Mademoiselle Perdrigaits,
rentre chez elle, dûment confessée
comme il convient en cette vigile de
la Nativité. En son appartement, sis
au premier étage, elle allume sa petite
lampe à essence pour surveiller la
cuisson d’un gratin de morue.
Et voici l’étoile. Si j’allais où elle est, je verrais le Petit Jésus, son papa, sa maman, et le berger et les trois Rois sages que j’ai vus passer tout à l’heure là-devant…
eupeu semble obéir à son père, c’est-à-dire qu’il regagne l’intérieur de la maison, mais pour bientôt en ressortir par la porte d’entrée. Il se faufile dans la ruelle en étouffant ses pas. Il se dirige avec foi vers la maison où scintille la lampe de Mademoiselle Perdrigaits. La porte du rez-de-chaussée est entr’ouverte. Peupeu pénètre avec précaution dans l’obscur corridor et glisse un œil rapide, à droite, où il y a une autre porte entr’ouverte. Non loin d’un grand feu de bois il y a des choses confuses, du monde, les trois Rois sages, les bergers, l’âne, le bœuf, le Petit Jésus, son papa, sa maman (conclut Peupeu). Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a là, au-dessous de l’étage de Mademoiselle Perdrigaits, un joli poupon, qui est le fils du charpentier Moinot, et que sa mère fait tetter.
Peupeu s’éloigne rapidement, comme aveuglé par l’éclat de l’arche sainte. Il rentre et confie mystérieusement à Mimi :