La Normandie romanesque et merveilleuse/16

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J. Techener & A. Le Brument (p. 312-340).

CHAPITRE SEIZIÈME.

Possessions.


Différents cas remarquables de Possessions en Normandie ;
les Religieuses de Louviers ; Marie des Vallées ;
 Marie Bucaille ; les Paroissiennes de Bully ;
les Demoiselles de Leaupartie.

Séparateur



On ne saurait, à la rigueur, ranger au nombre des superstitions populaires la croyance aux possessions du démon, puisqu’elle fait encore partie des dogmes de l’église. Cependant, les évènements qui servirent à manifester cette croyance appartiennent à notre sujet, au moins par le merveilleux qui les entoure. D’ailleurs, aucun esprit sain ne se refuserait, de nos jours, à reconnaître que les préjugés et l’erreur ont dominé dans ces faits d’apparence si miraculeuse ; et nulle personne, douée de bon sens, ne se hasarderait à expliquer, par l’influence et par l’action du démon, les accidents extraordinaires, les désordres étranges qui signalèrent les prétendues possessions. Ce n’est pas que la recherche des causes qui les provoquèrent ou contribuèrent à les développer soit devenue entièrement exempte d’obscurité : là même où la question du miracle n’est plus admissible, il reste encore à se demander quelle part la maladie, le dérèglement de l’imagination, la crédulité, l’hypocrisie et la fraude ont à revendiquer dans de semblables catastrophes ? Quels étaient les germes de cette contagion qui pervertissait les esprits, tourmentait les corps, s’étendait à plusieurs individus à la fois ? Quelle diversité de moyens secrets fut employée pour illusionner les regards, abuser les esprits, dans un examen auquel on apportait alors un si curieux et si vif intérêt ? Pourquoi, dans un drame à la fois tragique et bouffon, tel que celui dont le monastère de Louviers fut le théâtre, tous les acteurs, qui, sans aucun doute, s’étaient créé eux-mêmes leurs rôles, marchaient-ils d’un commun accord vers un sanglant dénouement ? Toutes ces questions, et d’autres que nous pourrions soulever encore, ont maintenant perdu leur à-propos, et sont devenues moins importantes que difficiles et singulières ; aussi ne nous mettrons-nous point en peine de les résoudre ; nous laisserons ce soin à la sagacité du lecteur, nous contentant de lui présenter les faits sous le point de vue qui nous semble offrir l’aspect le plus frappant de justesse et de vérité.

Plusieurs cas remarquables de possessions ont dramatisé les annales de notre province. Nous citerons d’abord la possession des religieuses de Louviers, dont les incidents principaux remontent à l’année 1643, et qui occasionna un retentissement et obtint un crédit auxquels ne purent atteindre les imitations plus ou moins habiles qui en furent tentées dans la suite. La dernière de ces bouffonneries mensongères et sacrilèges date de l’année 1724. Les demoiselles de Leaupartie, et quelques autres jeunes filles de la paroisse des Landes, en étaient les héroïnes. Toutes les circonstances supposées miraculeuses qui caractérisaient cette possession furent appréciées dès-lors par une critique intelligente et bien entendue, dont les aperçus éclairés peuvent aider à pénétrer dans le mystère des évènements analogues. Ainsi mis au jour, le fait de possession de la paroisse des Landes devient une railleuse parodie du drame de Louviers. De ce rapprochement piquant et significatif résulte l’éclaircissement le plus complet qu’on puisse exiger en semblable matière.

Abordons maintenant d’analyse des évènements[1]. Les religieuses, dites de Saint-Louis et de Sainte-Élisabeth de Louviers, du tiers-ordre de Saint-François, travaillaient avec ardeur à la bonne renommée et à la sanctification de leur monastère, récemment établi, lorsqu’un prêtre, nommé David, fut choisi par Monseigneur François de Péricard, évêque d’Évreux, pour être le directeur de la nouvelle fondation. Ce prêtre s’était acquis l’estime générale dans les divers lieux où il avait été appelé à exercer son ministère. Les défenseurs de la possession, qui, par la suite, virent dans ses enseignements la cause première des désordres qui envahirent le monastère de Louviers, nous le représentent comme un infâme rejeton des gnostiques, un prêtre audacieux et pervers, se complaisant à insinuer d’abominables doctrines, à l’aide des hypocrites formules d’une fausse spiritualité. Mais ce jugement n’est porté que d’après les mauvais résultats de sa direction, car il paraît que tout en lui était fait pour attirer la confiance et commander le respect, aussi bien les dehors de sa personne que les semblants de sa conduite : « Il avait la façon d’un grand serviteur de Dieu, d’un grand spirituel, d’un grand directeur », suivant les propres expressions de ceux qui se sont le plus acharnés à ternir sa mémoire. Peut-être cet extérieur ne trompait-il pas. Voici ce qu’on pourrait croire encore : Le directeur était zélé, ferme, abstrait, contemplatif ; toutes ses facultés spiritualisées mettaient aisément le corps en oubli. Le troupeau, au contraire, était timide, agité, livré aux embûches des sens, soumis aux émotions décevantes d’une imagination inquiète dans un corps fragile. Tous les efforts du directeur, pour entraîner ses ouailles à sa suite et les faire avancer dans la voie d’une perfection sublime, n’avaient réussi d’abord qu’à les lancer imprudemment hors de ce cercle étroit, mais artistement fortifié, où la Règle avait posé ses minutieuses entraves. Dans l’espace illimité qui s’offrait ensuite, espace rempli de pièges et voilé d’illusions, l’œil d’un guide expérimenté pouvait seul découvrir une route invariable et sûre. Malheureusement, ce guide manqua tout-à-coup aux pauvres abandonnées : David fut obligé de quitter le monastère de Louviers, quelques procès l’ayant appelé à Rome et à Paris. À peine était-il de retour, que la mort vint le surprendre, alors qu’il reprenait sa tâche avec plus de ferveur, et avant qu’il pût mettre à l’abri des égarements où elles s’aventuraient déjà, celles dont le salut dépendait de sa surveillance, et dont la garde avait été confiée à ses soins. Une circonstance suspecte servit plus tard, à tort ou à raison, à confirmer les outrageuses accusations dont on a flétri la renommée du prêtre David. La supérieure des religieuses, Simonne Gaugain, célèbre depuis sous le nom de Mère Françoise-de-la-Croix, avait rompu tout-à-coup avec le directeur, et déserté le monastère de Louviers, accompagnée de plusieurs de ses novices, pour se choisir à Paris une nouvelle retraite. Sa fuite fut attribuée au désir de se soustraire à une pernicieuse influence qui, déjà peut-être, l’avait entraînée à de criminelles erreurs. S’il en fut ainsi, cette mesure de prudence et de repentir n’eut qu’un succès temporaire : Simonne Gaugain ne devait point échapper au contre-coup humiliant et funeste des orages qui allaient bouleverser le monastère de Louviers.

Après la mort de David, la direction des religieuses fut confiée à Mathurin Picard, curé du Mesnil-Jourdain. Mais, durant l’époque qui précéda l’installation de ce nouveau directeur, le mal avait fait de rapides progrès. La révolte était devenue ostensible, et la volonté d’un homme ne suffisait plus pour arrêter les graves désordres qui se manifestaient dans un lieu choisi pour être l’asile de la ferveur et de la soumission religieuses. Est-il vrai, encore, que Mathurin Picard, héritant des traditions corruptrices de David, ait aggravé, au profit de ses passions, cette criminelle dépravation ? Au milieu de cet échafaudage d’accusations aussi absurdes que monstrueuses, dressé à l’encontre des premiers directeurs du monastère de Louviers, un point, ce nous semble, restera toujours bien difficile à éclaircir : celui où finit le mensonge, où commence la vérité. Quoi qu’il en fût de la conduite secrète de Picard, il mit cependant assez de prudence et de zèle extérieur, dans les affaires de sa direction, pour que l’évêque d’Évreux se crût autorisé à le féliciter publiquement. Mais, comme il était arrivé à son prédécesseur, la mort, et une mort qui eut toutes les apparences de la sainteté, enleva bientôt l’infortuné Picard aux difficultés de sa fonction. Lorsqu’il sentit son dernier moment approcher, il demanda à être enterré dans l’église du monastère, auprès de la grille du chœur. Mais, cette tombe qu’il s’était choisie dans l’espoir d’y goûter, à l’abri d’une ombre pieuse, le repos du juste, devait exposer tout ce qu’il lui avait confié, abandonner ses cendres à une violation sacrilège, et livrer sa mémoire à une souillure infamante.

Thomas Boulé, vicaire du Mesnil-Jourdain, succéda en réalité aux fonctions de Picard, quoique le titre de directeur des religieuses appartint à son supérieur, M. Langlois, qui était curé de la paroisse qu’ils occupaient tous deux. Les troubles scandaleux auxquels le monastère était en proie augmentèrent encore, pendant le peu de temps qu’y demeura Thomas Boulé ; quelques soupçons s’élevèrent contre ce jeune prêtre que ses supérieurs se crurent obligés d’écarter ; cependant, cette mesure ne profita pas au rétablissement de l’ordre et de la paix intérieure du couvent.

Le drame commençait alors à se jouer avec éclat : Un grand nombre de filles témoignaient une répugnance invincible à l’accomplissement de leurs devoirs religieux ; elles refusaient les sacrements, et faisaient des résistances sacrilèges pour s’approcher de la sainte table ; enfin, plusieurs d’entre elles se plaignaient d’être tourmentées, poursuivies, obsédées par toutes sortes de visions et d’apparitions surnaturelles. Ce qu’elles racontaient à ce sujet démontrait suffisamment que les plus pures et les plus saintes notions de la religion s’étaient perverties dans leur imagination faussement exaltée. Une religieuse déclarait que, pendant ses longues méditations, elle voyait devant elle l’image d’un crucifié, se détachant de la croix, pour venir presser amoureusement ses lèvres ; ou bien, un ravissant soleil s’humiliait à ses pieds, et lui prodiguait, comme à l’épouse de son choix, les appellations les plus tendres et les plus doucereuses. Une autre sœur était visitée par un démon, sous la figure du père confesseur, M. Langlois, qui lui faisait l’aveu d’une passion coupable qu’il se reconnaissait impuissant à dompter. À celle-ci, un ange de lumière apparaissait chaque soir ; il avait avec elle des entretiens d’une éloquence ineffable, d’une dialectique raffinée, sur des points très délicats et très élevés de la religion, sur le perfectionnement intérieur, sur la soumission et la fidélité à la volonté divine, sur l’essence de Dieu et celle des anges. Malgré leur nature abstraite, ces entretiens, complaisamment reproduits par la religieuse qui s’en prétendait favorisée, sont empreints d’une sensualité mystique qui explique assez comment une imagination de femme se laissait égarer dans ces étranges rêveries. Ainsi, la controverse établie entre l’ange et la religieuse se terminait d’ordinaire par un long débat dont voici le sujet et la conclusion : La religieuse, craignant, disait-elle, d’être la dupe d’un stratagème du démon, suppliait l’ange de lui accorder la permission de confier, à ses supérieurs, la faveur signalée dont elle était l’objet. L’ange, au contraire, exigeait qu’un silence absolu tînt ses visites secrètes. Mais, pour écarter les scrupules de la sœur et fortifier son courage, il la soumettait à une épreuve mystérieuse, en lui posant, d’autorité, la main sur le cœur. Alors toute contradiction se taisait dans l’ame de la religieuse, et se trouvait subitement remplacée par les purs ravissements et l’ineffable extase d’un amour céleste. Ces prétendues apparitions se renouvelèrent pendant quinze jours, jusqu’au moment où la religieuse dévoila ce mystère au père confesseur. Depuis, dit-elle, l’ange ne reparut plus qu’en démon, et pour la tourmenter.

Les divagations d’esprit de nos visionnaires se jouaient déjà sacrilégement des choses les plus dignes d’un humble respect. Et cependant, ces rêves de femmes solitaires et recluses, tout insensés et coupables qu’ils étaient, obtiendraient encore une rémission indulgente, sans les hideux mensonges et les turpitudes grossières qui en ont été la suite, sans la catastrophe sanglante qu’ils ont su provoquer.

Ce n’était pas assez que de confesser des visions semblables à celles que nous avons racontées, et de les entretenir dans son esprit ; il fallait, de plus, par quelques signes visibles, manifester au-dehors ces étranges mystères. Déjà plusieurs religieuses paraissaient tourmentées par une force inconnue qui les faisait fléchir sur elles-mêmes au point qu’elles ne pouvaient faire trois pas sans tomber. Des accidents extraordinaires troublaient le sommeil des sœurs : c’étaient des cris furieux, des hurlements effroyables qui retentissaient dans les airs, des voix d’hommes qu’on entendait parler la nuit dans les dortoirs. Une fois, entr’autres, un sorcier descendit par un tuyau de cheminée dans une cellule ; une sœur, le prenant pour un fantôme, se jeta sur lui, mais elle fut bientôt obligée de lâcher sa prise, car le sorcier l’enlevait hors du couvent, en reprenant son vol par la cheminée. Deux autres religieuses, qui couchaient dans la cellule où se passait cette scène, entendirent un colloque animé ; elles interrogèrent leur compagne, qui leur fit part du danger auquel elle venait d’être exposée, et, comme témoignage du fait, leur montra ses mains encore enduites de la graisse dont le sorcier s’était frotté le corps. Cette graisse était noire, tirant sur le rouge ; elle exhalait une très mauvaise odeur ; on l’essuya avec un linge blanc que l’on eut grand soin de jeter au feu. Les prodiges augmentaient en proportion de la crédulité avec laquelle ils étaient accueillis. Les religieuses obsédées étaient-elles en prière dans l’église, on voyait les règles, les bréviaires, les diurnaux s’échapper de leurs mains et voler dans le chœur, sans qu’elles eussent fait aucun mouvement pour lancer ces objets. Quelquefois aussi, les sandales ou soques de ces pauvres filles se trouvaient tout-à-coup attachées à l’extrémité de leur voile, sans que personne y eût touché.

Les choses étaient en cet état, c’est-à-dire que les signes évidents d’une possession commençaient à se révéler aux yeux expérimentés, lorsque, vu l’urgence de la situation, Monseigneur de Péricard jugea à propos d’envoyer, à titre de guide et de consolateur spirituel, au désolé monastère, le père Esprit de Bosroger, provincial des révérends pères capucins de la province de Normandie. On sait qu’un évènement extraordinaire ne se développe jamais complètement que sous l’influence de certains caractères propres à le mettre en jeu. Or, dans le cas dont il s’agit ici, le révérend capucin était précisément l’homme de la circonstance. Il avait d’imagination tout ce qu’il faut pour être crédule, et tout ce qu’il faut d’esprit pour se créer des sophismes ; avec un jugement élastique et creux, plié aux controverses de la scolastique, préparé admirablement à raisonner le merveilleux et l’absurde. Du moment qu’il eut mis le pied dans le couvent, le bon père devint, à son insu, le provocateur des évènements sinistres qui allaient se développer. Son premier soin est de rassembler les religieuses, et, lorsqu’elles sont réunies sous l’autorité de sa parole, au lieu de les réprimander sur les fautes auxquelles elles se sont laissé entraîner, il les flatte, il les enorgueillit, il les encourage : « À quelles épreuves votre piété a-t-elle été réservée, mes sœurs ? Mais la providence vous défendra contre les abominables tentatives d’une malice infernale. Songez-y, mes sœurs, en comparaison de la vertu divine, toutes les forces de l’enfer ne sont que faiblesses, et les plus grands diables ne sont que des mouches. » Ce mot de mépris, lancé à dessein contre les puissances infernales, choqua l’esprit alarmé de l’une des religieuses qui étaient présentes à l’exhortation du père Esprit. La religieuse, dont il est question ici, était une pauvre fille très ignorante, d’un caractère faible, d’une intelligence bornée, et, de plus, malheureusement douée d’un penchant incurable à la sensualité qui l’obsédait d’imaginations impures et délirantes. Mathurin Picard l’avait fait entrer au monastère de Louviers, en qualité de sœur converse. Elle avait la tête déjà à demi tournée par la frayeur mortelle que les diables lui inspiraient, et lorsqu’elle fut témoin de l’espèce de défi ironique que leur lançait le révérend capucin, elle eut un mouvement de fureur désapprobatrice. « Ce sont des mouches ! s’écria-t-elle. Bien, bien ! dans peu de jours, on verra les mouches du père Esprit. » La pauvre fille ne songeait pas que cette parole imprudente, qui échappait à son effroi, allait servir de base à une terrible accusation dont elle-même serait la première victime. Il fallait, en effet, trouver des fauteurs à ces troubles extravagants, à ces désordres sacrilèges, qui bouleversaient la communauté. Les religieuses avaient à cœur de sauver leur réputation compromise ; il ne suffisait pas de rejeter tout le mal sur Satan : c’est une mauvaise tactique que de s’en prendre uniquement à un coupable qui échappe à toutes les confrontations, à tous les témoignages. Le diable, ici-bas, ne manque pas de truchements, et la réhabilitation devait être plus complète et plus sûre, si l’on pouvait en découvrir quelques-uns, et les livrer en pâture au scandale, en holocauste à la justice.

Madeleine venait s’offrir d’elle-même, comme une proie facile ; la calomnie n’hésita point à s’en saisir. Le lendemain de la fatale réplique, cinq religieuses parurent visiblement possédées, résultat triomphant de l’exhortation du père Esprit, et dont le dangereux honneur fut entièrement rapporté à Madeleine. Tout le couvent fut convaincu, en effet, que c’était la menace de cette fille qui avait attiré ces nouveaux désastres. On se ressouvint que, il y avait à peine un an, elle avait demandé des secours contre les diables qui la battaient dans sa cellule, parce qu’elle ne voulait pas consentir, disait-elle, à leurs desseins. On en conclut qu’elle devait avoir contracté une alliance intime avec eux, pour qu’ils fussent ainsi en droit de punir ou de récompenser sa fidélité plus ou moins parfaite. De ce moment, non seulement Madeleine entra en suspicion et fut signalée aux inquisitions de ses supérieurs, mais on ne se contraignit point pour l’accuser ouvertement. Les exorcismes commencèrent sous la direction de Monseigneur de Péricard, et, dès le premier jour, les démons, par l’organe des religieuses possédées, s’écrièrent tout d’une voix que la cause de leur envoi dans ce monastère était la magicienne Madeleine Bavent. On fit venir l’accusée dans le lieu des exorcismes, et trois des principaux diables : Léviathan, Encitif, Dagon, l’accueillirent avec toutes sortes d’acclamations, lui rappelèrent quelques-uns des services qu’elle leur avait rendus ; les tentatives qu’elle avait mises en usage pour parvenir à séduire ses compagnes, comme d’avoir présenté à l’une des religieuses une écorce de citron qui avait été posée sur le dos du Bouc, pendant une nuit du sabbat. Cela fut constaté par le témoignage de la religieuse qui avait refusé l’écorce maudite, laquelle devait être, à n’en pas douter, un charme d’un effet très pernicieux. Aux premiers mots de l’accusation inouïe dont elle était l’objet, Madeleine demeura interdite, éperdue, stupide ; elle ne sut proférer un seul mot pour sa défense. C’était un premier triomphe pour la bande de ces démons fourbes et malicieux. On renouvela plusieurs fois de semblables confrontations ; chacune d’elles amenait, sur les prétendus crimes de Madeleine, des découvertes plus prodigieusement absurdes. Madeleine essaya vainement de répliquer par quelques dénégations ; l’audace de ses accusateurs, la crédulité de ses juges, la déconcertèrent aussitôt. L’accord qui semblait exister dans tous les esprits qui avaient autorité sur le sien, pour admettre des inventions extravagantes, débitées avec une astucieuse emphase, troubla tellement sa pauvre tête égarée, que toute intelligence, toute conscience de la vérité s’éteignit en elle. « Je ne me souviens pas entièrement des choses dont on m’accuse ; mais je proteste que je suis prête à confesser mes mauvaises actions, à mesure que ce démon, dit-elle en désignant Léviathan, son principal accusateur, me les remettra en mémoire. » Peut-être espérait-elle que ces faux aveux lui obtiendraient l’indulgence de ses juges. Puis, elle essaie de donner le change à l’acharnement des accusations qui la poursuivent ; elle acquiesce à toutes les confessions qu’on lui suggère, mais elle rejette une partie de ses crimes sur son ancien bienfaiteur, Mathurin Picard. C’est lui, dit-elle, qui l’a initiée aux horribles secrets de la magie, lui qui l’a instruite à composer les charmes et les maléfices dont l’influence devait pervertir le monastère ; lui qui lui a appris à prononcer des blasphèmes, à commettre des sacrilèges, à souiller la chasteté, à renoncer à Dieu, à contracter alliance avec les diables, à profaner les choses saintes dans des emplois honteux, enfin, à se réjouir et à se délecter dans toutes les abominations du sabbat. L’excuse de Madeleine, ainsi échafaudée, fournit des appuis plus solides, offre une carrière plus vaste à l’accusation. Les démons possédants, ou, plutôt, les religieuses possédées, ne négligent pas ces nouveaux moyens de succès. Elles se hâtent de déclarer, dans leurs exorcismes, que le principal charme qui trouble le monastère, et empêche surtout les religieuses de s’approcher de la table sainte, est le corps de Mathurin Picard, enterré à la grille du chœur. Cette déclaration éveille l’inquiétude de l’autorité ecclésiastique. Comment délivrer le couvent d’un maléfice aussi funeste ? Procéder à l’exhumation du corps de Mathurin Picard, par les voies légales, c’est entamer un procès long et scandaleux, dont l’issue, d’ailleurs, est fort incertaine, et, cependant, les religieuses sont sous le coup d’un péril imminent. Dans cette circonstance délicate, Monseigneur de Péricard ne se croit point obligé d’écouter d’autres inspirations que le zèle de sa charité. Il donne des ordres pour que le corps de Mathurin Picard soit enlevé de sa tombe, et jeté au fond d’une espèce de caverne, voisine du couvent, appelée le Puits Crosnier. Le secret le plus absolu fut imposé, sous peine d’excommunication, à toutes les personnes qui avaient eu connaissance de ce fait. Mais les religieuses possédées en étaient instruites, et, suivant les exigences du rôle qu’elles s’étaient attribué, elles en font grand bruit dans l’intérieur du monastère. Aussi, l’opinion se répand peu à peu, au-dehors, que le Puits Crosnier recèle quelque chose de mystérieux. En regardant attentivement, on aperçoit un objet qui excite la curiosité générale ; quelqu’un descend au fond du puits, et en retire un cadavre, reconnu bientôt pour celui de Mathurin Picard. Le couvent de Sainte-Elisabeth est forcé de reprendre son dépôt mortuaire. Mais, à peine le corps de Mathurin Picard est-il replacé dans sa tombe, que de plus graves symptômes se manifestent parmi les religieuses possédées. Une possession, qui paraissait avoir cessé, se déclare de nouveau : Putiphar, prétendu démon de Picard, vient se loger chez la sœur Marie du Saint-Sacrement, la même qui avait reçu les visites nocturnes d’un faux ange, et l’une des deux religieuses qui acceptèrent les rôles les plus effrontés et les plus suspects parmi ceux que nous allons voir figurer. Les exorcismes sont repris avec ardeur ; Thomas Boullé, vicaire du Mesnil-Jourdain, est arrêté ; les révélations se poursuivent, soit par les accusations des démons, soit par les confessions de Madeleine Bavent. Ces inventions calomniatrices renchérissent les unes sur les autres, comme si toutes les infamies obscènes et puériles dont elles se composent, trouvaient, dans l’esprit de chacune de ces femmes égarées, un honteux écho ! Madeleine Bavent s’accuse d’avoir prostitué plusieurs fois son corps au diable, d’avoir été au sabbat deux fois par semaine, depuis quatre ans, presque toujours en compagnie de Mathurin Picard et de Thomas Boullé. Mathurin Picard, disait-elle, tenait ses pouvoirs magiques de David, premier directeur du monastère. Celui-ci, quelques jours avant sa mort, avait remis à Picard une feuille de papier, écrite de sa propre main, et de l’écriture du sabbat, qui contenait ses instructions. Depuis lors, Picard avait ajouté, comme consentement, sa signature à la suite de celle de David sur cet abominable papier, dont Madeleine affirme avoir entendu plusieurs fois la lecture au sabbat, pendant la célébration d’une messe exécrable, à laquelle ces formules magiques, tracées par un prêtre apostat, servaient de Canon.

Madeleine confesse aussi que Picard exigea d’elle qu’elle regarderait Thomas Boullé comme son successeur, et qu’elle lui accorderait, en conséquence, tous les droits que lui-même avait possédés sur sa personne ; enfin, qu’elle ne refuserait jamais d’accorder aussi son consentement à Boullé pour les opérations magiques à l’égard desquelles il réclamerait sa coopération.

Toutes les assertions calomniatrices, relatives à Boullé, furent appuyées par les prétendues possédées, qui déclarèrent que ce prêtre portait sur son corps une marque de magie. Des médecins furent appelés pour le visiter ; ils reconnurent que cette marque existait à la place indiquée, et constatèrent son insensibilité.

Madeleine et les religieuses possédées révélèrent aussi la composition des charmes, au moyen desquels on avait tenté de pervertir le monastère. La plupart de ces charmes, suivant ce qu’elles disaient, étaient composés avec des hosties mêlées de choses sales et honteuses : du poil du bouc qu’on adorait dans le sabbat, des parties internes des enfants nouveaux nés, ou même de quelques autres personnes qui avaient été immolées dans les cérémonies impies que les magiciens célébraient entr’eux. On appliquait les charmes sur un papier contenant une formule de blasphème ou de renonciation à Dieu ; le tout était entouré de ligatures de fil ou de soie. Les exorcismes firent connaître ensuite qu’il y avait eu six charmes principaux déposés dans le monastère : le premier avait été composé pour entretenir, parmi les religieuses, une dissension perpétuelle ; le second, à dessein d’exciter dans leur cœur une affection déréglée pour le magicien Picard et la magicienne Madeleine Bavent ; le troisième, pour combattre la chasteté ; le quatrième, pour inspirer des blasphèmes contre Dieu, et donner l’aversion de la foi, de l’espérance et de la charité ; le cinquième, pour susciter un violent désir de s’initier à la magie, et d’aller au sabbat ; le sixième, pour produire dans l’ame des religieuses le mépris et l’horreur de tous les sacrements, mais principalement de celui de l’adorable Eucharistie. Les démons s’exercèrent à décrire la composition précise de ces différents charmes, et Léviathan et Putiphar, c’est-à-dire sœur Anne de la Nativité et sœur Marie du Saint-Sacrement, promirent de les tirer du lieu où ils avaient été déposés, et de les livrer au public. Il fallait une ruse et des stratagèmes bien habiles pour réussir dans ce dessein, car tous les charmes devaient se trouver en des endroits séparés, à une grande profondeur dans la terre ; si bien qu’il eût été impossible d’y pratiquer des fouilles, sans que ce travail préparatoire eût été remarqué. Ajoutez à cela que les charmes n’étaient pas tirés par la main des religieuses, mais bien par un des ecclésiastiques qui étaient présents, et que la religieuse, qui dirigeait les recherches, se contentait d’indiquer, avec le bout d’une pique, l’endroit où il fallait fouiller. Quoi qu’il en soit, Léviathan et Putiphar obtinrent le plus honorable succès. D’après les indications qu’ils fournirent, douze larmes furent trouvés dans des fosses ayant dix ou douze pieds de profondeur. Une fois seulement, Léviathan se laissa surprendre avec le charme entre les doigts, tandis qu’on faisait au fond d’une fosse des recherches inutiles. Ce fait eût peut-être éveillé quelques soupçons parmi les personnes qui en étaient témoins, si le père Esprit ne se fût hâté d’en donner une explication satisfaisante. Depuis le commencement des exorcismes, le père Esprit semblait remplir, autour des religieuses possédées, le rôle affairé de la mouche du coche. Mais son aide, quoique peu sensible, venait quelquefois assez à propos pour être d’un utile secours. Dans la circonstance dont il s’agit, le père Esprit fit merveille, en insinuant que c’était le démon lui-même qui, pour faire douter de la possession les esprits faibles et incrédules, avait placé le charme entre les mains de la fille possédée.

Le premier charme avait été découvert au commencement de juin de l’année 1643 ; le dernier le fut dans les premiers jours de janvier 1644. C’est le vendredi saint de la même année que la sœur Marie du Saint-Sacrement fat délivrée de son démon Putiphar, et la sœur Louise de l’Ascension, d’Arphaxat, un des suivants de Putiphar. Les autres délivrances vinrent ensuite. C’est donc pendant les années 1643 et 1644 qu’eurent lieu les principaux exorcismes, sous la direction de Monseigneur l’évêque d’Évreux, assisté de son grand pénitencier de Langle, et de Monseigneur Charles de Montchal, archevêque de Toulouse. La reine avait aussi envoyé à Louviers une commission formée de plusieurs ecclésiastiques de Paris, de docteurs de Sorbonne et de quelques personnes de haut rang attachées à la maison royale. Il s’y trouvait aussi un jeune médecin, nommé Yvelin, qui eut le mérite de porter une vue exacte sur cette affaire, et d’en tirer un jugement sain et concluant. Mais son opinion fut victorieusement controversée par le sieur de Lampérière et le sieur Maignart, tous deux médecins à Rouen, assez aveugles dans leur art et assez entêtés du surnaturel, pour ne vouloir pas reconnaître qu’il n’y avait probablement de réel, ainsi que l’affirmait Yvelin, dans les tourments des religieuses, que l’hystérie à laquelle ces femmes étaient en proie.

Les religieuses possédées étaient au nombre de quinze, presque toutes très jeunes ; en sorte que, et c’est un trait de plus ajouté à l’effronterie du rôle calomniateur qu’elles s’étaient attribué, elles avaient à peine connu Picard, et elles étaient encore, comme l’a remarqué même un défenseur de la possession, aux bras de leurs nourrices, lorsque David gouvernait le monastère. N’omettons pas la liste des noms bizarres que ces filles avaient choisis pour distinguer les démons dont elles se disaient possédées : C’étaient Putiphar, Léviathan, Dagon, Encitif, Arphaxat, Bohémond, Ramond, Béerith, Grongad, Gonzague, Accaron, Phaéton, Asmodée, Calconix, Arcelat. Nous avons dit, en somme, quelles révélations avaient été obtenues par les exorcismes ; il ne nous reste plus, pour l’intelligence complète des faits, qu’à ajouter quelques détails sur la conduite des énergumènes, et sur les actions qu’elles produisaient comme preuves de leur possession. D’après les enseignements du Rituel, les mouvements du corps, surpassant les forces de la nature, doivent être regardés comme un des premiers signes d’une véritable possession. Or, les religieuses de Sainte-Élisabeth ne voulurent pas que ce témoignage leur fit défaut. Soit par l’effet de la maladie chez quelques-unes, de l’imitation chez les autres, ou d’une révolte intérieure de l’ame, dont la violence réagissait sur ces corps fragiles, les prétendues possédées se livraient à toutes sortes d’agitations et de convulsions extraordinaires. Il leur arrivait souvent de se plier le corps jusqu’à mettre la tête près des talons, la bouche contre la terre, et le ventre élevé en arcade. Elles se jetaient fréquemment à terre de toute leur hauteur sur le pavé, sans se faire, affirmait-on, aucune blessure, ni contusion. Plusieurs d’entr’elles, au sortir des exorcismes, essayèrent de se précipiter dans un puits, mais aucune d’elles ne tomba au fond, les unes se soutenant seulement par les épaules et le bout des pieds, d’autres par le pouce et les doigts.

Après l’action désordonnée des corps, la licence des paroles établissait une autre preuve de la possession. Aussi, était-ce à qui jurerait avec plus de verve, blasphémerait avec plus d’audace, à qui tournerait les choses saintes en ridicule avec plus d’effronterie, à qui vomirait plus d’infamies sacrilèges contre Dieu, l’Église, les sacrements, le saint ministère des prêtres. Ces femmes avaient-elles à se venger d’une longue et intolérante contrainte ? On ne sait, mais enfin, elles avaient brisé tout frein, écarté toute retenue ; leur corps avait divorcé avec la modestie, leur bouche avec le silence, leur esprit avec la soumission. Elles étalaient audacieusement une science subtile et moqueuse, en présence du conseil de leurs supérieurs, assemblé pour les juger. Le démon parlait par leur bouche, disait-on ; aussi fallait-il qu’elles fissent honneur à son éloquence, sans quoi on eût pu le renvoyer à l’école, et ses pauvres interprètes humiliés à la discipline. Mais il n’en fut pas ainsi ; tout principe d’exaltation, et le mal lui-même, a son génie. Chacune de ces filles, dont le naturel était une grande simplicité d’esprit, au dire, du moins, des défenseurs de la possession, se montra, en cette occasion, superbe d’éloquence, comme si Satan, en personne, lui eût soufflé le mot. Accaron parla une fois pendant trois heures entières, et toute l’assemblée demeura suspendue à ses lèvres, trouvant à son discours un charme dont les plus grands prédicateurs ne connaissent pas le secret. Léviathan et Grongad laissaient leurs auditeurs interdits et foudroyés. Enfin, une jeune fille de seize ans, oracle d’Asmodée, renouvela, avec une orgueilleuse assurance, les maximes dangereuses de l’hérésie des Pélagiens. Le conseil était ébloui par tant de belles paroles, tant de science merveilleuse ; car la perspicacité des jeunes possédées leur prêtait le don d’interpréter les langues. Elles répondaient, sans hésitation, à certaines demandes qui leur étaient faites en grec, en latin, voire même en hébreu. La persuasion du miracle était entrée dans tous les esprits ; aussi les exorcismes se continuaient-ils avec ardeur. Ils donnaient lieu aux scènes les plus étranges, et c’est un témoignage en faveur de la foi encore robuste de cette époque, que le scandale de ce spectacle impur et sacrilège n’ait pas rejailli sur la religion qui semblait l’autoriser, et sur les prêtres qui le provoquaient.

Imaginez, par exemple, la gravité et la solennité d’une messe à laquelle assistaient les énergumènes qu’on se préparait à faire communier ; car on n’avait pas jugé à propos de les priver des sacrements, même lorsqu’elles étaient dans leurs moments de fureur. L’une faisait des contorsions à se rompre le corps, à se paralyser les membres ; une autre demeurait à plat contre la terre dans un état d’immobilité complète ; une troisième exécutait des bonds prodigieux pour s’échapper des mains de ses surveillantes ; celle-ci causait familièrement à haute voix avec son démon, ou le faisait passer chez une de ses compagnes ; toutes les autres riaient, juraient, chantaient, blasphémaient, chacune suivant le caprice du moment. La messe se continuait accompagnée par cette bruyante cacophonie, jusqu’au moment où les possédées participaient, de gré ou de force, au corps du Sauveur.

Nous avons vu que les exorcismes furent couronnés d’un complet succès : les démons, malgré la violence de leurs protestations, s’apaisèrent peu à peu, et regagnèrent sournoisement les portes de l’enfer. Le rusé Putiphar, qui fut forcé le premier d’abandonner la sœur Marie du Saint-Sacrement, commit encore mille insolences au moment de son départ ; mais il fut contraint, à son grand dépit, de laisser, sur le corps de cette religieuse, une marque visible des grâces qu’elle avait reçues. C’était une admirable inscription portant ces mots : Vive Jésus sur la croix ! tracés sur le sein de la fille, en lettres rouges et vives, imprimées dans la chair blanche, à la place où l’on avait coutume d’appliquer les reliques pour conjurer les charmes qui s’attaquaient, plus particulièrement, à la personne de la sœur Marie. Plusieurs religieuses demeurèrent malades et comme paralysées à la suite de leur possession ; mais cette débilité se guérit en peu de temps. Seulement, la sœur Marie du Saint-Sacrement et la sœur Louise de l’Ascension furent contraintes d’adopter l’usage des béquilles durant une année ; et, comme tout était miraculeux dans cette affaire, elles furent guéries aussi par miracle, après de longues et ferventes neuvaines.

Les exorcismes terminés, l’action fut remise entre les mains de M. Routier, lieutenant criminel au Pont-de-l’Arche. Cependant, les parents et les amis de Picard ayant présenté requête au Conseil pour faire poursuivre le procès, il fut appelé devant le Parlement de Normandie, qui, après trois mois d’examen, rendit son arrêt suprême, le 21 août 1647.

Cet arrêt était ainsi conçu :

« Vu ce qui résulte des preuves du procès, la Cour a déclaré et déclare Mathurin Picard et Thomas Boullé duement atteints et convaincus des crimes de magie, sortilèges, sacrilèges, et autres impiétés et cas abominables, commis contre la majesté divine, mentionnés au procès, et la mémoire dudit Picard condamnée comme impie et détestable ; pour punition et réparation desquels crimes, ordonne que le corps dudit Picard et ledit Boullé seront, ce jourd’hui, délivrés à l’exécuteur des sentences criminelles, pour être traînés sur des claies, par les rues et lieux publics de cette ville (Rouen), et étant ledit Boullé devant la principale porte de l’église cathédrale Notre-Dame, faire amende honorable, tête, pieds nus, et en chemise, ayant la corde au cou, tenant une torche ardente du poids de deux livres, et là, demander pardon à Dieu, au roi et à la justice. Ce fait, être traînés en la Place du Vieux-Marché, et là, le corps dudit Boullé brûlé vif, et le corps dudit Picard mis au feu jusqu’à ce que lesdits corps soient réduits en cendres, lesquelles seront jetées au vent… etc. »

Par le même arrêt, Madeleine Bavent fut déclarée déchue de sa qualité de religieuse ; il fut ordonné qu’elle serait dépouillée du voile et de l’habit de sa profession, revêtue d’habits séculiers, et confinée, à perpétuité, dans un des cachots des prisons ecclésiastiques de l’officialité. Elle fut condamnée, de plus, à jeûner au pain et à l’eau, trois jours de la semaine, tout le temps de sa vie, savoir : les mercredi, vendredi et samedi de chaque semaine ; le geôlier étant chargé de lui faire observer ce jeûne, sous peine d’excommunication.

Le Parlement de Normandie s’était réservé, en outre, de procéder aux informations contre Simonne Gaugain (mère Françoise), alors supérieure des Hospitalières de Paris, et accusée de complicité avec David, pour le crime de magie. Malgré les nombreuses et puissantes protections dont elle était entourée, et tous les expédients habiles qu’on mit en usage pour anéantir ce fâcheux procès, Simonne Gaugain fut obligée de venir, par devant l’officialité de Paris, présenter sa défense contre l’accusation qu’on lui avait intentée. La procédure, tantôt suspendue et tantôt reprise, dura huit années, au bout desquelles la mère Françoise obtint un arrêt qui l’innocentait. Cependant, elle ne fut jamais replacée dans le grade élevé qu’elle avait occupé avant cette catastrophe ; humble et vouée désormais à l’oubli, elle ne vit point se raviver l’éclatante auréole de sa sainte renommée.

Tel fut le dénouement tragique de ces scandaleux débats. Madeleine Bavent, en s’associant à ses propres bourreaux, par ses lâches aveux et ses dénonciations mensongères, avait justement attiré sur elle la pénitence qui lui fut infligée. Quant à Thomas Boullé, il demeura inébranlable devant les fourberies infâmes de ses accusateurs et les préventions imbéciles de ses juges ; la torture brisa ses membres, sans ébranler son courage ; et le désaveu de son silence héroïque ne se démentit pas, même en présence des horreurs du bûcher. Frappés, malgré eux, de cette invincible constance, les partisans des religieuses s’efforcèrent d’en détruire l’impression, en publiant que Thomas Boullé, ainsi qu’il était arrivé à d’autres magiciens, en des situations analogues, avait été maintenu dans son opiniâtreté par le démon du silence. Il devait entrer non moins d’hypocrisie que de fausse croyance dans cette insinuation astucieuse, qui sut obtenir cependant quelque crédit sur les esprits superstitieux. Mais, de nos jours, Thomas Boullé sera compté, sans doute, au nombre de ces hommes dont la mort aurait des droits à une réhabilitation glorieuse, si l’humanité s’imposait des expiations solennelles en faveur des victimes de ses erreurs. N’est-il pas assez digne de la sublime auréole du martyre, celui qui dédaigne un allègement à ses souffrances, quand il faut l’obtenir au prix d’une confession impie et mensongère ; dont le courage, au contraire, luttant d’énergie avec les supplices, fait, de chaque torture de son agonie, une héroïque protestation de son innocence, et une manifestation imposante de la vérité ?

Au reste, comme la tombe des victimes, celle des accusateurs et des bourreaux garda bien son secret. Après la condamnation cruelle dont nous avons vu les suites, tout rentra dans le silence et la paix. Cependant, le monastère de Sainte-Élisabeth ne survécut pas aux scènes déplorables qui l’avaient profané. Par arrêt du Parlement, les religieuses furent remises à leurs parents ou transférées en d’autres communautés, et les bâtiments du couvent affectés à un autre usage.

Le dénouement sanglant du drame de Louviers avait occasionné une impression trop douloureuse pour qu’il n’en restât pas, dans l’esprit public, comme un ferment de remords, qui excita, par la suite, la défiance et même l’incrédulité au sujet des prétendues possessions. Toutefois, malgré cette réaction déjà marquée de l’opinion, le goût de l’extraordinaire, le besoin des émotions, l’esprit d’intrigue, l’instinct d’une personnalité ambitieuse et turbulente, en un mot, tous ces penchants vaniteux, désordonnés, qui ont tant d’empire sur certaines femmes, suscitèrent encore de zélées imitatrices des religieuses de Louviers. Ce fut d’abord une Marie des Vallées, de Coutances, qui voulut faire, du scandale de sa possession, un témoignage de sa propre sainteté. Cette fille avait réussi déjà à exciter au plus haut degré l’étonnement, et à occasionner beaucoup de rumeur, lorsqu’elle s’avisa, dans un de ses moments d’inspiration diabolique, d’accuser de sortilège un gentilhomme qui l’avait offensée par quelques moqueries irrévérencieuses. Celui-ci, effrayé des conséquences possibles d’une si noire calomnie, prit les devants, dénonça Marie des Vallées comme magicienne, au Parlement de Rouen. Le procès était engagé, et tout porte à croire que le bûcher en aurait été l’issue, s’il n’avait été dûment constaté que l’accusée portait une marque d’innocence qui la mettait au-dessus de tout soupçon. La doctrine des démonologues était, en effet, absolue en ce point : que la virginité est incompatible avec la magie et les sortilèges[2].

Marie Bucaille, autre prétendue sainte et prophétesse, eut un sort bien différent. Les juges de Valognes, tournant de bien en mal tous les miracles de la sainte, ne voulurent la considérer que comme possédée et sorcière, et l’ayant convaincue, en plus, d’inceste spirituel avec le cordelier Saulnier, son confesseur, la condamnèrent, ainsi que son complice, à la potence, avec amende honorable. Indignée de cet arrêt, Marie Bucaille fit appel au Parlement de Normandie. Mais le jugement du tribunal suprême fut plus navrant encore ; quoiqu’il ne reconnût qu’un seul crime évident parmi ceux dont on accusait la sainte, elle n’en fut pas moins condamnée, en expiation, à être fustigée et bannie. Cinq ans plus tard, à son lit de mort, Marie Bucaille eut la bonne foi de confesser que les clauses de ce dernier arrêt étaient parfaitement justes[3].

L’année 1720 vit éclore une nouvelle possession qui disposait, en apparence, de tous les moyens de succès. D’un côté, une troupe de possédées, recommandables par leur attitude et par leur nombre : rien moins, filles et femmes, que la totalité des habitantes de la paroisse de Bully ; puis, un directeur, l’abbé d’Esquinnemare, prieur et curé de Bully, habile à ébruiter le scandale, à exploiter l’extravagance, à souffler la calomnie ; enfin, de l’autre côté, et pour faire face à tous, un humble laboureur, Laurent Gaudouët, prétendu sorcier, destiné à servir de point de mire à toutes les accusations mensongères que peut inventer une haine aveugle, servie par un fanatisme ignorant et stupide. Malgré l’inégalité des deux parties qui invoquaient son autorité, le Parlement de Normandie, instruit par l’exemple du passé, sut tenir d’une main ferme et droite les balances de la justice. L’innocence de Gaudouët fut pleinement reconnue, l’abbé d’Esquinnemare, en punition de ses allégations calomnieuses, qui avaient trouvé un écho complaisant dans la bouche de chacune des prétendues possédées, alla subir une longue détention dans le prieuré de Bourg-Achard, prison ordinaire des prêtres et des moines du diocèse de Rouen[4].

On voit, par ce nouvel exemple, que le Parlement avait complètement réformé son ancienne méthode, lorsqu’il s’agissait de prononcer un jugement relatif aux possessions. Quant à la juridiction ecclésiastique, elle ne se montrait aussi, ni moins équitable, ni moins éclairée en semblable matière, comme il le sera prouvé au sujet des demoiselles de Leaupartie. Nous allons donner quelques détails sur cette possession, la dernière qui eut lieu dans notre province, et dont le récit nous paraît propre à servir de thème pour résumer les aperçus critiques que doivent suggérer de semblables évènements.

Vers le commencement de l’année 1723, la mort de M. Robert Le Guai, curé des Landes, laissa cette paroisse sans directeur. M. Le Vaillant de Leaupartie, qui était seigneur du pays, se mit à la recherche d’un nouveau pasteur, et jeta les yeux sur un nommé Jean Heurtin, obiticier d’Evrecy. Jean Heurtin avait déjà la réputation d’un illuminé, pour s’être constitué conseiller et protecteur d’une femme à visions, la fameuse Marie Létoc, autrement dite la sainte d’Evrecy. S’étant rendu coupable encore de quelques autres excès de zèle, dans certaines affaires délicates, il avait mérité d’être interdit par ses supérieurs. Malgré ces précédents peu favorables, Jean Heurtin, après avoir fait lever son interdiction, obtint, grâce aux prières de M. de Leaupartie, d’être intronisé dans la paroisse des Landes. Deux ans s’étaient à peine écoulés, lorsque Mademoiselle de Leaupartie l’aînée, alors âgée de onze ans, tomba dangereusement malade. Il n’était pas, à ce qu’il paraît, dans les habitudes de Jean Heurtin d’expliquer les effets en remontant aux causes les plus prochaines ; il voyait du surnaturel partout ; il crut en découvrir aussi dans la maladie de Mademoiselle de Leaupartie. Sans circonlocutions ni préambules, il déclara, de son propre chef, que cette jeune fille était possédée. En pasteur zélé, il aurait vivement souhaité de procéder lui-même aux exorcismes ; mais la permission lui en fut refusée par ses supérieurs. C’est pourquoi il confia sa brebis affligée aux bons soins et à la charité des capucins et des eudistes de Coutances. La jeune fille revint de sa retraite bien guérie et après avoir fait sa première communion. Cependant, l’accident arrivé à Mademoiselle de Leaupartie, et que l’on pourrait, jusqu’à un certain point, attribuer à l’inconséquente éducation que cette jeune fille avait reçue, ne corrigea en rien le zèle exagéré et mal habile de l’illuminé directeur. Au mois de mars de l’année 1732, la plus jeune des filles de M. de Leaupartie fut attaquée d’une violente fièvre qui dura huit jours. Cette enfant raconta que, pendant sa maladie, un jeune homme lui était apparu, et lui avait révélé qu’elle aurait beaucoup à souffrir ; qu’elle ne serait guérie que par les prières de l’église et les exorcismes. Quelque temps après, la jeune fille commença à proférer les blasphèmes, les jurements, les discours sacrilèges et injurieux, habituel langage des possédées. C’était un beau triomphe pour le curé des Landes, qui avait prédit la possession dès le commencement de la maladie. D’ailleurs, cette fois, il avait obtenu la permission de procéder lui-même aux exorcismes. Il se mit en besogne sur-le-champ ; mais jugez quel édifiant succès lui était réservé : non seulement la petite Claudine, comme on nommait la plus jeune des filles de M. de Leaupartie, continua de donner des marques de possession, mais, par une sorte de rétrogradation, Mlle des Landes, puis, Mlle de Leaupartie, ses deux aînées, se déclarèrent malades, avec les mêmes symptômes. Enfin, en moins d’un mois, on eut lieu de croire qu’un détachement de diables avait envahi la paroisse des Landes, car presque toutes les filles du voisinage se prirent à singer les excès des possédées.

Les scènes les plus grotesques s’organisèrent bientôt, et renouvelèrent le spectacle édifiant dont Louviers avait été le théâtre, près d’un siècle auparavant ; mêmes contorsions indécentes, même fureur insensée dans le lieu saint, et, en présence des objets du culte, même résistance impie à se soumettre aux exercices religieux, et, surtout, même abus sacrilège des sacrements de l’eucharistie et de la pénitence ; mais, cette fois, tout est mieux apprécié et défini dans la conduite des prétendues possédées. Les esprits solides y reconnaissent les effets d’une mélancolie engendrée par une dévotion outrée, et par l’excès de certains exercices de piété, non proportionnés à la faiblesse de l’âge et du sexe de celle à qui ils étaient imposés. Cette remarque s’applique particulièrement aux demoiselles de Leaupartie ; quant aux autres filles, si l’imitation eut quelque part à leur prétendue maladie, la ruse y fit davantage encore. Madame de Leaupartie affectait une grande commisération pour les personnes qui partageaient le triste état de ses filles, jusqu’au point de les admettre à sa table, malgré la distance de leur condition à la sienne. On conçoit que cet appât gagna des prosélytes au diable, et qu’aux yeux de quelques-unes de ces femmes, le commerce du sabbat était un métier qui rapportait, à la fois, honneur et profit.

Pour démontrer la réalité de la possession, on alléguait aussi la preuve indispensable tirée des mouvements corporels, dépassant les forces de la nature.

Un journal, où l’on avait consigné tous les miracles de cette espèce, qui s’étaient produits pendant le cours de la maladie des prétendues possédées, avait été envoyé à la Faculté de médecine de Paris. Après avoir mûrement examiné les faits nombreux qui leur étaient soumis, les docteurs de la Faculté en distinguèrent seulement quatre que les causes naturelles ne pouvaient expliquer. C’était : 1o  Que les personnes mentionnées, en tombant subitement de leur hauteur sur le pavé, s’étaient donné plusieurs fois des coups à s’enfoncer le crâne, sans qu’il leur en fût jamais arrivé aucun accident. 2o  Que souvent elles pesaient, dans le temps de leurs syncopes, le double de leur poids naturel, au point que deux hommes avaient quelquefois bien de la peine à porter une enfant de dix ans. 3o  Qu’il y avait une de ces prétendues possédées qui savait échapper à tous les liens, quelque industrie qu’on mit à l’attacher sur son lit ou dans son fauteuil. Parfois elle échappait à des ligatures très serrées, sans même en défaire les nœuds, ou, d’autres fois, les nœuds se trouvaient coupés, bien qu’elle eût été attachée assez fortement pour ne pouvoir remuer ni les bras, ni aucune autre partie du corps. 4o  Qu’il y en avait une autre qui, voulant se jeter par la fenêtre du second étage, demeura long-temps suspendue en l’air, sans aucun appui sous les pieds ; qu’elle s’était assise sur le bord d’un puits, les pieds pendants à l’intérieur, le corps penché dans le vide, et, de plus, qu’elle était en syncope durant tout le temps qu’elle demeura dans cette posture.

Les antagonistes de la possession ne disputèrent point avec la Faculté sur la nature de ces faits ; il leur suffit de les écarter, comme étant mal établis, presque toujours présentés sous la garantie d’un seul témoin ; encore ce témoin n’était-il souvent qu’un domestique. On citait, comme exemple de la sincérité apportée dans la relation de ces prétendus miracles, qu’on avait omis de mentionner que le puits sur lequel une des jeunes filles était assise, était comblé presque jusqu’au bord. Toutefois, si les diables des Landes ne se montraient point exempts de charlatanisme, au moins n’étaient-ils pas calomniateurs et traîtres comme ceux de Louviers. Ce fut en vain qu’on essaya de leur arracher quelque révélation sur les auteurs des maléfices qui avaient provoqué leur arrivée aux Landes. Ces pauvres diables témoignèrent beaucoup d’hésitation, amusèrent les auditeurs par de vaines paroles, mais ne surent rien inventer de positif. Cependant, à l’instigation de Jean Heurtin, on crut devoir procéder à des perquisitions chez un nommé Froger, à Caen. Grâces à la subtilité de son instinct prophétique, le curé des Landes avait pressenti un maléfice, caché, disait-il, entre deux poutres, dans le grenier du sieur Froger. On fit, à cet endroit, de minutieuses recherches qui ne donnèrent point gain de cause aux prévisions de notre illuminé. Sur ces entrefaites, l’évêque de Bayeux, M. de Luynes, sollicité de visiter les demoiselles de Leaupartie, les fit venir à Villers. Il les vit, leur parla, et reçut même, par leur entremise, un soufflet appliqué de la main du diable. On affirma que, après l’irrévérence d’un tel accueil, Monseigneur de Bayeux fut pleinement converti, et ne se trouva plus en droit de douter de la possession.

Les demoiselles de Leaupartie furent mandées à Caen, où elles durent subir un examen, en présence des docteurs des deux Facultés de théologie et de médecine, et des supérieurs des communautés de la province. La possession fut discutée, mais non reconnue, et l’assemblée se dispersa à la suite d’un incident assez ridicule : Une servante de M. de Leaupartie était au nombre des possédées. Cette fille se mettait toujours en évidence, et faisait grand bruit des miracles qui s’opéraient en sa personne. Elle affectait des syncopes pendant lesquelles elle demeurait dans un état complet d’insensibilité, endurant qu’on lui enfonçât des épingles dans la chair, sans témoigner aucune douleur. C’était sur cette fille que les médecins expérimentaient avec le plus de zèle et d’attention. Un jour qu’elle était dans ces syncopes habituelles, un des médecins présents lui présenta sous les narines un flacon de sel ammoniaque. Les larmes lui coulèrent aussitôt des yeux, et elle se réveilla fort courroucée. Cependant, comme elle ne voulait point avoir le démenti de sa supercherie, un instant après elle était retombée de nouveau en syncope ; mais, s’apercevant qu’on se préparait à lui administrer encore le même remède, elle se leva subitement et s’échappa des mains de ses persécuteurs, envoya les médecins à tous les diables, et les diables au fond de l’enfer, puis déserta la compagnie et retourna aux Landes. Ses compagnes, ne trouvant rien à faire de mieux, imitèrent son exemple.

L’évêque de Bayeux imagina cependant un nouveau moyen pour débarrasser les possédées. Il fit venir de Paris une espèce de thaumaturge fort en renom, le sieur Charpentier, qui se vantait de posséder le don des miracles. Celui-ci promit merveilles au sujet de la délivrance des possédées, et, cependant, deux mois s’écoulèrent encore en fausses manœuvres. Pendant ce temps, M. de Luynes avait achevé une tournée ecclésiastique dans son diocèse ; mieux éclairé à son retour, il chassa le fameux docteur hors du pays, et dispersa les possédées dans différentes communautés de femmes. Les diables mutins, se trouvant isolés les uns des autres, se déplurent de telle sorte qu’ils abandonnèrent leurs victimes ; grâces aux soins et aux bons exemples dont elles étaient entourées, celles-ci recouvrèrent bientôt la paix et la santé[5].

Les dénouements opposés de deux événements analogues, tels que ceux que nous venons de raconter, les jugements contradictoires portés par les contemporains sur deux faits de même nature, renouvelés à la distance d’un siècle, pourraient nous servir peut-être de points de comparaison, pour mesurer le progrès rationnel du temps. Mais, en signalant cette différence, nous ne prétendons pas en tirer une démonstration rigoureuse en faveur de la doctrine du progrès absolu. Le monde des idées n’est-il pas semblable à la mer, qui entreprend et ronge avec fureur un de ses rivages, tandis qu’il en est d’autres qu’elle néglige et dont elle semble se retirer avec dédain ? Son mouvement ne profite donc pas à son étendue ; seulement, il est nécessaire à la pureté et à la salubrité de ses ondes. De même, le mouvement des idées, s’il n’élargit pas les limites morales de l’esprit humain, en purifie, du moins, l’essence, parce qu’il s’oppose à ce que la corruption demeure stagnante et invétérée dans aucun endroit, en même temps qu’il renouvelle les principes de justice, de sagesse et de vérité, auxquels l’intelligence doit son éclat et sa vie.



  1. Nous avons consulté pour ce récit les ouvrages suivants : La Piété affligée, ou Discours hist. et théolog. de la possession des religieuses dites de Sainte-Élisabeth de Louviers, par le R. P. Esprit de Bosroger ; Rouen, 1652, in-4. — Traité des marques des possédés, et la preuve de la véritable possession des religieuses de Louviers, par P. M. Esc. D. en M. ; Rouen (1643), in-4, 94 pages. — La défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers, par Jean Lebreton, théologien ; Évreux, 1643, in-4, 27 pages. — Examen de la possession des religieuses de Louviers ; Paris, 1643, in-4, 11 pages. — Réponse à l’examen de la possession des religieuses de Louviers, à monsieur Levilin ; Évreux, in-4, 1643, 14 pages. — Apologie pour l’auteur de l’examen de la possession des religieuses de Louviers, à messieurs Lemperière et Maignart, médecins à Rouen ; Rouen, 1643, in-4, 30 pages. — Censure de l’examen de la possession des religieuses de Louviers ; 1643, in-4, 38 pages. — Réponse à l’examen de la possession des religieuses de Louviers ; in-4, 13 pages. — Lettre adressée à monsieur D. L. Y., médecin du Roi et doyen de la faculté de Paris, sur l’apologie du sieur Yvelin, médecin, par Maignart ; Rouen, 1644, in-4, 5 pages. — Récit véritable de ce qui s’est fait et passé à Louviers, touchant les religieuses possédées ; Paris, 1647, in-4, 8 pages. — Procès-verbal de Monsieur le Pénitencier d’Évreux de ce qui lui est arrivé dans la prison interrogeant et consolant Madelaine Bavent, magicienne, à une heureuse conversion et repentance ; Paris, 1643, in-4, 7 pages. — Floquet, Hist. du Parlement de Normandie, t. V, pages 625 et suivantes.
  2. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. V, p. 715.
  3. Idem, ibid., p. 730.
  4. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. V, p. 733.
  5. Le Pour et le Contre de la possession des filles de la paroisse des Landes, diocèse de Bayeux. À Antioche, chez les héritiers de la Bonne-Foi, à la Vérité, 1738, in-8. — Mémoire justificatif de la conduite du sieur Heurtin, curé des Landes, 1739, in-12.