La Nouvelle-Zélande et les petites îles australes adjacentes/05

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La Nouvelle-Zélande et les petites îles australes adjacentes
Revue des Deux Mondes3e période, tome 63 (p. 657-682).
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LA
NOUVELLE-ZÉLANDE
ET
LES PETITES ILES ADJACENTES

V.[1]
LES CONDITIONS DE LA NATURE. — LES ASPECTS DU PAYS, LA STRUCTURE DU SOL, LA VÉGÉTATION, LES ANIMAUX.

Après avoir suivi les événemens considérables et vraiment extraordinaires qui se sont accomplis à la Nouvelle-Zélande dans le cours d’un siècle, on portera volontiers le regard sur le théâtre même de tant de luttes acharnées. Par sa situation vers nos antipodes, le pays suscite l’intérêt de tous les esprits enclins aux contemplations de la nature. Entre les îles de l’hémisphère austral et les terres de l’hémisphère boréal des comparaisons infinies s’imposent à la pensée. Nous rechercherons si ces îles ne sont pas les débris d’un continent qui, à une époque lointaine, occupait un vaste espace sur l’Océan-Pacifique. A considérer la Nouvelle-Zélande dans son isolement, on s’inquiète de savoir si elle nourrit des êtres de types très particuliers, si elle n’offre pas dans sa végétation des ressemblances avec la grande terre la moins éloignée, l’Australie. On est conduit encore à se préoccuper d’analogies qui peuvent exister entre la flore et la faune d’une région australe et celles des contrées boréales. C’est à comparer aux grandes terres qui forment la Nouvelle-Zélande les petites îles qui en sont plus ou moins rapprochées que l’intérêt s’élève dans une étrange proportion, et à observer les ressemblances dans la structure du sol, dans la végétation, dans la faune, on assiste à une révélation du passé. Par l’étude on apprend que, dans un âge du monde, ancien selon l’histoire des hommes, presque récent selon les époques géologiques, il existait un vaste continent dans la région du Pacifique, où il ne reste de nos jours que des lambeaux et des parcelles.


I.

Lorsqu’on approche des côtes de la Nouvelle-Zélande, du pont du navire on aperçoit l’ensemble des terres sous l’aspect d’une immense chaîne de montagnes. Au nord, où de tièdes effluves sont habituels, les collines paraissent commencer aux roches qui surgissent de la mer; au sud, elles s’annoncent par les Snares, îlots abrupts que battent les furieuses tempêtes des régions antarctiques. Les îles Auckland se présentent comme les dépendances du même système de montagnes. Dès qu’aux yeux du navigateur se dessinent d’une façon nette les baies et les promontoires, les petites îles éparpillées et les îlots sans nombre formant une bordure à l’est et au nord de Te-Ika-Mawi, ou disséminés vers les détroits de Cook et de Foveaux, produisent à la fois une impression agréable et un étonnement. Quand on est à terre, la Nouvelle-Zélande séduit, en maint endroit, par les merveilleux aspects du pays, par le caractère grandiose des montagnes aux cimes neigeuses, affirme le voyageur qui a visité les contrées tropicales, plus surprenantes par le luxe de la végétation, plus éblouissantes par les effets de lumière. Sans doute, il y a de vastes espaces couverts de fougères, c’est une désolante monotonie, et si, comme aux alentours de la baie des Iles, au milieu des fougères, on aperçoit de rares bouquets d’arbres, on croirait qu’ils se dressent pour marquer davantage l’uniformité. Il existe, notamment, sur les côtes occidentales, des parties âpres, stériles, désolées ; mais de l’opposition naît un charme plus grand, pour les belles vues d’ensemble, pour les scènes gracieuses, pour les paysages romantiques <<ref> Nous avons sous les yeux une série de photographies des paysages de la Nouvelle-Zélande, qui nous a été communiquée par M. Filhol. </ef>.

La Nouvelle-Zélande, qui s’étend sur une longueur de 1,100 milles environ (1,900 kilomètres), est relativement étroite; au nord, elle est étranglée de façon à former un isthme. Divisée par deux canaux, elle se compose de trois îles : l’île du Nord, Te-Ika-a-Mawi des indigènes; l’île du Milieu ou Te-Wahi-Pounamou, séparée de la première par le détroit de Cook, et l’île du Sud, l’île Stewart, séparée de la seconde par le canal de Foveaux. Aujourd’hui on distingue plus volontiers les deux grandes terres sous les noms d’île du Nord et d’île du Sud; la plus australe, qui est de faible importance, est toujours appelée l’île Stewart. Sur une grande longueur de côtes, les terres néo-zélandaises sont profondément découpées. Des caps fort avancés limitent de vastes baies; il y a quantité de havres. Ces baies et ces havres, en général d’un effet charmant et pittoresque, ne présentent point, il est vrai, tous les avantages que recherchent les populations maritimes. Les eaux ne sont point assez profondes pour de grands bâtimens, et il existe à l’entrée des ports des barres souvent redoutables.

Il y a vingt-cinq ans, le naturaliste Ferdinand de Hochstetter, l’un des membres de l’expédition scientifique de la frégate autrichienne la Novara, s’assurait que les trois îles qui composent la Nouvelle-Zélande sont les parties d’un même système géologique, formant sur la mer du Sud une ligne d’élévation dirigée du sud-ouest au nord-est, et interrompue par une autre ligne courant à peu près du sud-est au nord-ouest. C’est la direction de la péninsule du nord, ainsi que des détroits de Cook et de Foveaux, qui, suivant l’observation déjà ancienne du savant Américain James Dana, répond à l’axe d’une grande dépression dans l’Océan-Pacifique. Considérant l’ensemble des terres, on voit une haute chaîne de montagnes allant de la partie la plus occidentale de l’île du Sud, la pointe Windsor, au cap Oriental, la pointe de l’île du Nord la plus avancée vers l’est. Cette puissante chaîne, d’une constitution géologique presque uniforme dans toute son étendue, apparaît comme une simple branche d’un prodigieux massif dont la partie occidentale a été détruite ou submergée.

En général, les sommets s’élèvent à de grandes hauteurs; les passages connus sont encore en très petit nombre, de sorte que, de l’est à l’ouest, la montagne semble opposer une barrière infranchissable. Pour se rendre de la province d’Otago dans la province de Canterbury, on ne rencontre guère que deux chemins et quelques sentiers suivis par des mineurs errans à la découverte.

Les monts Tongariro et Ruapehu, situés l’un près de l’autre vers le centre de l’île du Nord, sont des plus remarquables. La chaîne se dirige vers le sud et se bifurque, laissant un intervalle encore à peine connu. Vers le cap Oriental s’élève l’Hikurangi, une montagne rendue célèbre par une caverne que, dans les traditions des Maoris, on déclare hantée par les monstres les plus horribles. Sur la côte occidentale, dans le district de Taranaki, se dresse le mont Egmont, le pic énorme et superbe que le navigateur venant des rivages de l’Australie découvre à longue distance.

De même sur l’île de Te-Wahi-Pounamou, la grande chaîne s’étend dans la direction du nord au sud. En un point s’en détache une branche se portant vers l’est, où le mont Kaikohoura domine toute la côte. A entendre les marins qui ont navigué en ces parages, si l’on passe près des rives par une nuit qu’éclaire la lune, lorsque les sommets apparaissent, se voit dans une atmosphère limpide, au-dessus d’une ceinture de nuages, le blanc manteau de neige de ces pics scintillans, d’un éclat qui tranche violemment sur les masses sombres des montagnes descendant jusqu’à la mer; alors le spectacle est l’un des plus merveilleux que puisse rêver l’imagination humaine. Sa chaîne principale, s’inclinant à l’ouest et s’approchant plus ou moins de la côte, a des cimes qui sont à plus de 3,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le mont Cook, sur les confins du Canterbury et du Westland, atteint 4,000 mètres. Il est comme le géant des montagnes de la Nouvelle-Zélande. A tel point il dépasse tous les sommets qui l’entourent qu’on le distingue même de la côte orientale. Les artistes de la colonie, où maintenant s’épanouit la civilisation européenne, se plaisent à le choisir pour sujet de leurs tableaux; ses flancs, sillonnés de profonds ravins que forment les torrens qui s’écoulent des glaciers, offrent des oppositions d’ombre et de lumière du plus joli effet. On le compare volontiers au mont Cervin, le fameux Matterhorn du Valais. Il a paru juste d’attribuer à la majestueuse montagne de la Nouvelle-Zélande le nom de l’illustre navigateur qui, le premier, reconnut le pays avec un soin et une habileté dignes d’admiration. Au sud du mont Cook, il existe encore nombre de hautes montagnes couvertes de vastes glaciers. La région, assez facilement abordable en quelques endroits par les lacs des environs d’Otago, a des magnificences qui, chaque année, attirent des visiteurs. Depuis peu, elle a été explorée d’une manière scientifique.

Il n’est pas de contrée au monde mieux arrosée que la Nouvelle-Zélande; de chaque colline descend un ruisseau. On n’en tire pas cependant tout le profit qu’on croirait pouvoir en attendre. Le pays est étroit; les rivières n’ayant pas de longs parcours restent rapides, sans profondeur, et ainsi peu navigables. Dans l’île du Nord, le fleuve Waïkato a une importance exceptionnelle; il porte de petits bateaux à vapeur, mais le fond de sable fin et léger, formé de pierre ponce, se déplace, et des bancs qui, d’un jour à l’autre, surgissent comme au hasard, rendent la pratique pénible. Le Waïkato prend sa source au Tongariro et traverse le lac Taupo. A l’entrée, c’est un étroit et profond canal ; à la sortie, une large rivière parsemée d’îles. La Waïroa, qui se jette dans le havre de Kaïpara, est citée parmi les plus importans cours d’eau. La Wanganui, dont la source est voisine de celle du Waïkato, est maintenant la voie la plus fréquentée de la colonie. À la côte orientale, les rivières sont tellement nombreuses qu’on cesse de les compter ; plusieurs s’ouvrent dans l’estuaire de la Tamise. Dans l’île du Sud abondent les torrens rapides. Le principal cours d’eau est le Molyneux, fleuve superbe comme le Rhin et versant à la mer autant d’eau que le Nil, assurent les nouveaux habitans de la région. Le Molyneux, alimenté par les lacs de la province d’Otago, est accessible à de petits navires, mais les roches encombrent son lit en divers endroits. La violence du courant est extrême et ainsi la navigation fort dangereuse. La Mataura trace la limite orientale de la province du Southland. Depuis que se sont élevées des villes, certains cours d’eau ont acquis un renom. On sait aujourd’hui que la rivière Jacob coule au pied de Riverton, que Invercargill, la capitale du Southland, est située sur l’Oreti ou la Rivière-Nouvelle. Dans les contrées de l’ouest, on ne rencontre guère que des torrens ; sur les bords se sont bâties des cités, la découverte de l’or ayant attiré une assez nombreuse population.

Tout voyageur à la Nouvelle-Zélande par le des chutes d’eau et les cite comme des plus belles qu’il y ait au monde. Les chutes de Keri Keri, situées à deux milles de la station des missionnaires, sont renommées. Sur un rocher formé de colonnes basaltiques, l’eau, en une large nappe, tombe d’une hauteur d’environ 23 mètres dans un bassin circulaire pavé de grandes dalles en partie couvertes de mousses et d’herbes aquatiques. Sous le choc, s’élancent des jets d’écume blanche du plus saisissant effet par le contraste avec la couleur noire du basalte et les nuances sombres des pins et des laurinées ou d’autres essences. La scène est encadrée de façon à ravir les yeux des amans de la nature. Il y a diversité d’arbres et de buissons, et cette végétation, que l’humidité ne cesse d’envelopper, se montre toujours fraîche et pleine de vigueur. À quelques mètres du bassin, se voit dans une indentation du rocher une caverne profonde et d’aspect lugubre. Des familles autrefois l’avaient adoptée pour résidence. La Waiani-Waniwa (Water of the rainbow) fournit aussi des chutes remarquables.


II.

Tout dénonce la nature volcanique de la région : les scories amoncelées sur de vastes espaces, les pierres ponces charriées par les rivières et les torrens. Au nord, l’existence de volcans éteints se révèle à tous les regards et contribue à donner au paysage des effets pittoresques. De l’avis des savans les plus autorisés, l’isthme d’Auckland est une des plus remarquables contrées volcaniques du globe. Dans un rayon d’une dizaine de milles, on n’a pas reconnu moins de soixante cratères de proportions inégales. A Orana, près la baie des Iles, un cratère immense domine la campagne environnante. Au sommet, une sorte de bassin semble avoir été le principal centre d’éruption. Ce foyer ayant disparu, sur les côtés s’ouvrirent des bouches de moindre dimension qui, pendant un certain temps, furent plus ou moins actives. Peu à peu, elles se remplirent d’eau et ainsi se formèrent des étangs d’où partent des ruisseaux. Tout paraît éteint en ces lieux ; néanmoins, par des fissures, s’échappent encore des gaz qui rendent l’eau de quelques mares presque bouillante. Aux alentours, les boues autrefois rejetées par les cratères ont fait le sol fertile et une magnifique végétation s’est établie sur les pentes que brûlaient à une autre époque les laves incandescentes.

Dans la même province, on cite à Pakaraka un singulier cône aux flancs vitrifiés d’une hauteur de plus de 100 mètres, et près du fameux lac Mapere, la colline de Potaï, entièrement formée par les dépôts des sources qui existèrent en cet endroit. Sur une vaste étendue de pays, les actions ignées ont laissé des traces profondes, et ces actions s’exercent encore sur quelques points. Dans la baie d’Abondance, l’île Blanche, la Wakarari des indigènes, rejette sans cesse des vapeurs sulfureuses et de l’eau presque au degré d’ébullition. Tout auprès, le Montohora, cratère sortant de la mer, lance une épaisse fumée qu’on aperçoit de la pleine mer. De l’île Blanche à Rotorua et de là par le Taupo et le Tongariro jusqu’à Wanganui, c’est à travers l’île entière, une ligne continue où abondent les solfatares, les jets d’eau bouillante, les éruptions de matières boueuses, autant de spectacles qui ne manquent jamais d’exciter la curiosité des voyageurs. A Orœkokorako, sur la rivière Waïkato, les sources jaillissantes d’eau chaude sont en quantité prodigieuse; quelques-unes montant à une hauteur considérable, on se croirait au milieu des geysers de l’Islande. En ce lieu où des accidens sont toujours à craindre, se trouve un village. On s’étonne d’un pareil choix, mais les habitans vous apprendront de quel avantage ils jouissent. Pour les usages ordinaires de la vie, le feu est inutile ; on n’est donc pas obligé d’aller plus ou moins loin et avec grande fatigue chercher du bois. Enfin, dans la province de Wellington, se dresse une montagne haute de plus de 2,000 mètres ; c’est le dernier des grands volcans de la Nouvelle-Zélande qui demeure en pleine activité, le Tongariro.

Dans une région où se sont exercées de puissantes actions volcaniques, où d’énormes soulèvemens se sont effectués, certaines dépressions ont formé des bassins capables de retenir les eaux ; ainsi ont paru les lacs qui font la richesse et la gloire d’une contrée. Que l’on entretienne un colon de la Nouvelle-Zélande des beautés de son pays d’adoption, il ne manquera jamais de parler des lacs comme d’une merveille. Ces nappes d’eau sont nombreuses, quelques-unes de très grandes dimensions ; plusieurs d’aspect gracieux, charmant ou magnifique. Dans l’île du Nord, entre le Tongariro et la baie d’Abondance où se montre le volcan de l’île Blanche, elles se succèdent à de faibles intervalles ; c’est le district des lacs. Entre tous, le Taupo tient le premier rang. Fort large en divers endroits, il n’a pas moins d’une trentaine de milles de longueur. Vers le; centre, au-dessus des eaux bleues, s’élève une petite île : Motu Taiko, l’appellent les Maoris; un site enchanteur, disent les Européens. Le lac superbe porte témoignage de convulsions du sol à une date bien peu reculée ; sous ses eaux profondes se tiennent encore debout en foule les troncs d’arbres d’une vieille forêt. Sur le terrain d’alentour, les pierres rejetées par des cratères depuis longtemps éteints forment des couches d’une épaisseur qui dénote dans le passé l’intensité des forces volcaniques. Un spectacle étrange et plein d’intérêt est réservé aux explorateurs qui gravissent les pentes du voisinage : le mont Kakaramea. Du sommet, les yeux embrassent dans le même regard le Taupo, situé à une hauteur inférieure à 400 mètres au-dessus du niveau de la mer et l’un des lacs du Rotoaïra, que sépare la montagne placée à une élévation au moins une fois plus considérable. Malgré la proximité, sur les rives des deux lacs, le climat est tout autre. Près du Taupo, on est frappé de la richesse de la végétation, de sa misère autour du lac de Rotoaira.

Que l’on atteigne le pays où les nappes d’eau sont particulièrement rapprochées, le district de Rotorna, ce sont de nouvelles surprises. Le lac le plus voisin du village dont il porte le nom n’est pas le plus grand, il est le plus beau. Sa forme est circulaire comme s’il avait été dessiné par la main des hommes, et au milieu de ses eaux tranquilles on distingue une montagne d’aspect singulier, cratère éteint qui autrefois dut illuminer l’espace pendant les nuits sombres; c’est l’île Mokoia. Plus loin, on voit le plus vaste lac de la contrée, le Tarawera et, presque contigu, le Roto-Mahana, le lac chaud, une des merveilles du monde. Celui-ci a une longueur d’un mille environ et ses eaux ont une température constante de 32 degrés centigrades; on croirait un bassin préparé par la nature pour permettre de se baigner en toute saison. Près du cours de la rivière Waïkato, on remarque encore, pour leur étendue, le Waïkari et le Wangapo, qui sont à peine séparés l’un de l’autre. Sur la côte occidentale, au pied de la chaîne des monts Tarara, existe une série de lacs ininterrompue jusqu’au mont Egmont. On en attribue la formation à une suite d’affaissemens du sol survenus à une époque indéterminée entre les montagnes et la mer. En cette contrée, il y a des paysages d’un charme indéfinissable ; il en est ainsi dans d’autres parties de l’île, où se trouvent de petits lacs; on a va Mapere, près la baie des Iles, exciter la curiosité, l’intérêt, l’admiration des anciens voyageurs.

Comme l’île du Nord, l’île du Sud est parée de belles nappes d’eau. Dans les Alpes occidentales se trouve resserré entre les montagnes le lac Wakatipow, ayant une longueur de 60 à 70 milles. Naguère encore ses rives étaient solitaires, même à peu près inconnues; aujourd’hui, on y rencontre des groupes de population assez nombreux. La recherche de l’or y a fixé des hommes qui, longtemps, avaient erré au hasard. En ces régions alpestres, l’eau s’est accumulée dans des bassins semblables à de larges rigoles. Ce sont autant de lacs d’aspect agréable si longs et si étroits qu’on serait tenté de les prendre pour des fleuves, si l’on ne remarquait la tranquillité de la surface. Du côté de l’est, au nord des montagnes d’Akaroa, est l’Ellesmere, un grand lac qui suscite d’intéressantes observations. Par momens il s’élève avec une rapidité extraordinaire, et son étendue ayant considérablement diminué depuis les premiers jours de la colonisation, on en tire la preuve que, à une date bien peu éloignée, les plaines de Canterbury étaient sous les eaux.

La constitution géologique de la Nouvelle-Zélande, observée dans les traits généraux par Ferdinand de Hochstetter, a été depuis plusieurs années le sujet d’études locales. Ainsi, l’île du Sud, spécialement explorée par M. de Haast, se trouve aujourd’hui mieux connue que l’île du Nord. Partout, en examinant les profondes gorges des rivières, on s’assure que les assises du sol sont des roches granitiques avec des gneiss, de la syénite, des micaschistes où se mêlent des grenats : roches très variables, au reste, dans la composition et dans la texture. En certains endroits on y découvre des filons de serpentine, la néphrite, la fameuse pierre verte tant prisée des Maoris. Sur quelques points se rencontrent les dépôts des plus anciennes mers et des micaschistes argileux; à des ardoises, à des grès sont associés les restes fossiles d’animaux qui caractérisent le terrain silurien. Dans les couches inférieures existent des minerais d’argent, de cuivre, de cinabre, de galène. Ailleurs, au milieu de l’argile, des ardoises et des grès, on recueille les fossiles qui signalent le terrain dévonien[2].

La Nouvelle-Zélande a, sur les trois îles, des gisemens carbonifères, une richesse qui, au sein d’une colonie européenne, devait singulièrement contribuer aux progrès de l’industrie et de la navigation. Dans le pays ont été reconnues les différentes formations successives des temps secondaires. C’est le terrain permien, parfois couvert de porphyre ; puis, la série des couches du trias, du lias et de l’oolithe, avec les coquilles des mollusques qui vivaient en ces âges du monde.

Le terrain crétacé s’étend sur d’assez vastes espaces. Tandis qu’il se déposait, des roches lancées des cratères se répandaient au hasard. Alors, comme en d’autres parties du monde, les rivages étaient habités par de gigantesques reptiles : des plésiosaures et des ichtyosaures. M. James Hector en a recueilli de nombreux ossemens dans le lit d’une rivière tributaire de la Waïpara, au nord des plaines de la province de Canterbury. La série des terrains de l’époque tertiaire a été déterminée. Les différentes couches renferment des coquilles caractéristiques, et nombre d’entre elles appartiennent à des espèces qui vivent encore dans l’Océan-Pacifique. Pendant la période tertiaire, souvent se renouvelèrent les bouleversemens du sol occasionnés par l’activité volcanique, et il y eut de remarquables extensions de glaciers, au moins sur les montagnes de l’île du Sud. Enfin sont venues les alluvions, les dépôts quaternaires, dans la langue des géologues; dépôts qui ne cessent de se former depuis un temps fort lointain et où l’on recueille les restes des oiseaux gigantesques, les moas, qui peuplèrent autrefois la Nouvelle-Zélande.

Dans une région toute volcanique, il n’est pas rare que le sol frémisse. A plus ou moins longue distance des côtes, les secousses du fond de la mer se manifestent parfois avec assez d’intensité pour répandre une sorte d’effroi parmi les navigateurs, que troublent des impressions d’un caractère singulier. En de tels momens, on s’attendrait à voir la terre s’effondrer, les roches sous-marines surgir au-dessus des eaux. Alors, on ne doute plus qu’à diverses reprises se soient accomplis de pareils phénomènes. Depuis trente à quarante années, les observateurs s’appliquent à constater les effets des tremblemens, à en suivre l’extension. Ces accidens, toujours redoutables pour les populations, sont d’un puissant intérêt scientifique; ils conduisent à mieux apprécier les événemens géologiques qui se sont effectués dans les âges antérieurs, à prévoir les changemens dans la configuration des terres et des mers qui pourront se réaliser dans l’avenir.

Sur divers points, des faits très notables ont été reconnus. En 1848, et plus encore en 1850, la ville de Wellington se trouva sérieusement atteinte. A la suite de dépressions et d’élévations alternatives, sur une grande longueur, la ligne de côtes resta de plus d’un mètre au-dessus de son niveau antérieur. Aux environs de la ville d’Auckland, s’étendaient des plaines marécageuses. Pour en tirer parti, des opérations de drainage coûteuses eussent été nécessaires ; on avait reculé devant la dépense. Survint un tremblement de terre, une élévation du sol demeura sensible; l’eau s’était écoulée, les marécages ainsi desséchés acquirent une valeur inattendue et bientôt l’espace se couvrait de différentes cultures. Quelques années après, vers les embouchures de la Houraki comme du Waikato, on s’aperçut que la marée ne parvenait plus aux limites qu’elle atteignait auparavant. Des botanistes cherchaient inutilement les plantes qui ne croissent jamais que sur les plages et s’étonnaient de les retrouver assez loin du littoral où elles continuaient à végéter, grâce à l’imprégnation saline du terrain désormais abandonné par la mer.

Le 15 août 1868, sur toute la côte, des secousses répétées inquiétèrent les habitans. On observait des vagues d’un caractère extraordinaire, qui répondaient à des soulèvemens du fond de la mer. On parla beaucoup alors d’un volcan sous-marin vu dans la partie australe du Pacifique, dont les explosions avaient été formidables. Pendant les journées du 14 au 18 août, les oscillations se succédèrent dans la province de Wellington. En 1877, un naturaliste de la Nouvelle-Zélande, s’appliquant à réunir les preuves de changemens survenus dans le district de Waïkato, constatait une élévation du sol. La rivière, près de l’embouchure, avait été rejetée de son lit et s’écoulait dans une gorge située à un niveau inférieur.

Si les Européens qui séjournent à la Nouvelle-Zélande demeurent charmés par les beaux sites, plus touchés encore par les avantages du climat, ils s’écrient : Merveilleux pays! la chaleur n’y est jamais excessive, le froid jamais rigoureux. Notre savant météorologiste, M. Renou, qui a réuni les élémens de comparaison à l’égard des températures dans les différentes contrées du globe, retrouve au nord le climat du Portugal, à l’extrémité sud celui des îles Shetland avec tous les intermédiaires. Entre les côtes orientales, baignées par une branche du grand courant équatorial et les côtes occidentales battues par un courant antarctique, s’accusent de très remarquables contrastes. Des orages se forment sous l’influence des vents du sud-ouest et l’atmosphère se charge d’épaisses vapeurs; ainsi, la pluie tombe en proportion fort inégale suivant les localités. Dans l’île du Sud, les montagnes opposent une barrière aux vents les plus impétueux. La quantité d’eau répandue dans l’est compte seulement pour le tiers, le quart ou même le cinquième de la masse versée dans la région occidentale.

III.

Chaque jour, à la Nouvelle-Zélande, tendent à s’effacer davantage les traits caractéristiques de la nature vivante ; le feu a passé sur de grandes surfaces. Où croissaient les fougères en masses touffues, où se dressaient des palmiers, où se montraient des arbres et des broussailles étranges aux yeux de l’explorateur, à l’heure actuelle s’étendent des champs cultivés pareils à ceux qu’on voit en Europe, apparaissent des vergers analogues à ceux de l’ancien monde. Dans les forêts superbes qui excitèrent l’admiration du capitaine Cook et des naturalistes Banks et Solander, qui émerveillèrent encore les navigateurs de la première période de notre siècle, la cognée a largement fait son œuvre; des routes ont été ouvertes; les arbres, puissans lorsqu’ils se trouvaient rapprochés, meurent, là où il n’y a plus d’ombre. Il reste néanmoins des vestiges de l’état originel du pays, et, avec un léger effort d’esprit, on aperçoit, comme en une sorte de rêve, les tableaux retracés à une époque déjà ancienne.

Dans son ensemble, la flore de la Nouvelle-Zélande présente une physionomie très particulière. Si, du nord au sud, on observe des différences qui répondent au climat, partout le même caractère général persiste. Après avoir parcouru le monde, un observateur se voit entouré d’une végétation presque entièrement nouvelle, où bientôt, cependant, il découvre en quantité appréciable des plantes de l’Amérique et de l’Australie. Au milieu de cette nature assez étrange, peu d’espèces néanmoins se font remarquer soit par une extrême singularité, soit par des beautés saisissantes. Nous avons à ce sujet les impressions du botaniste Joseph Hooker, qui visitait les régions australes il y a une quarantaine d’années. Au premier abord, le regard portant au loin, on ne distinguait que la fougère, la forêt, l’herbe. Avant l’occupation des Européens, particulièrement sur l’île du Nord, les fougères s’étalaient sur toutes les collines dans une profusion extraordinaire et il y en avait une multitude d’espèces : les unes, propres à la contrée, les autres répandues également sur d’autres terres. C’était monotone, triste, sombre, mais d’un aspect qui étonnait le voyageur. Les fougères en arbres couronnant les collines produisaient le plus charmant effet ; autrefois on s’en trouvait très frappé lorsqu’on entrait dans la baie des Iles. Dans les lieux frais et humides, le tapis de verdure est égayé par les adiantes aux grêles tiges d’ébène, supportant un délicat feuillage pâle d’une suprême élégance. Ailleurs, les lycopodes forment d’épais gazons; d’un groupe de plantes mignonnes, ils sont les plus beaux du monde, les plus grands, les plus apparentés aux espèces de la période carbonifère. Au temps passé, la Nouvelle-Zélande possédait en palmiers une sorte de richesse; c’était une ressource alimentaire. Sous le climat très tempéré, même froid et humide, le paysage, en divers endroits, tournait la pensée au souvenir des régions tropicales. Les groupes de palmiers se détachant sur la végétation d’alentour formaient des contrastes à ravir les yeux d’un artiste. On en voyait non-seulement à l’île du Nord, mais également à l’île du Sud, au-delà du 44e degré de latitude; ils abondaient sur la péninsule de Banks. On n’en comptait, il est vrai, que d’une seule espèce[3]. Maintenant, les groupes sont épars; de rares échantillons de l’arbre qui, à certains jours de l’année, se pare de fleurs empourprées, sont les derniers témoins d’une ancienne splendeur. Les plantes de la famille des liliacées occupent une place importante dans la flore. C’est d’abord un type tout spécial et ainsi bien caractéristique, le phormium[4], la plante fameuse dont on tire la belle matière textile qualifiée de lin de la Nouvelle-Zélande, qui excita d’ardentes convoitises parmi les Européens. A la vue de la fibre brillante et soyeuse que les Maoris tiraient de la plante, fort commune sur les trois îles, les spéculateurs anglais qui, les premiers, se jetèrent sur la Nouvelle-Zélande, espéraient en obtenir d’incalculables richesses, il y eut d’immenses déceptions. D’autres liliacées remarquables font l’ornement du pays; les cordylines, souvent en masses pressées, attirent les regards par l’aspect singulier et par la beauté des fleurs. Une belle couleur jaune les dénonce à grande distance.

Jusqu’à l’époque de la grande invasion du nord de la Nouvelle-Zélande par les colonies anglaises, le voyageur, indifférent, et le navigateur, préoccupé des qualités de la mâture de son navire, semblent regretter de n’avoir pas de termes assez vifs pour dire la surprise, pour rendre l’émotion profonde qu’ils ont éprouvée en parcourant une forêt. C’est étrange, grandiose, superbe, et comme les conifères dominent, en toute saison c’est verdoyant. Les essences sont variées. Voici le pin rouge et le totara ou le pin noir[5], arbres d’un beau port, qui fournissent d’excellentes charpentes, puis des espèces assez voisines des cèdres[6], dont il existe des analogues dans l’Amérique occidentale; à côté, surtout dans les terrains marécageux, s’enchevêtrent des conifères de moindre dimension, des phylloclades d’espèces variées[7] ; en certains endroits, sur la teinte d’un vert foncé de la masse de la végétation, se détachent des thuyas au feuillage pâle[8]. La merveille d’un tel ensemble peut encore être effacée par des arbres de proportions colossales. Des troncs s’élèvent droits jusqu’à une hauteur de plus de 30 mètres sans un seul rameau; au sommet, les branches, régulièrement étalées, forment un couronnement presque incomparable. L’arbre, magnifique entre tous les autres, est une sorte de pin, unique dans son genre, le kauri des aborigènes, le dammara austral des botanistes[9]. Le kauri n’existe que dans le nord de la Nouvelle-Zélande ; il cesse de croître au sud de la baie Mercure. À ces végétaux du groupe des conifères se mêlent, outre des pittospores et des laurinées, d’autres arbres qui rappellent un peu la physionomie de nos peupliers, mais ils sont d’un genre tout particulier et d’une famille qui n’a pas de représentans en Europe (Protéacées)[10]. Aux flancs des collines se pressent d’élégans arbrisseaux du type des myrtes[11], des pomaderris, de la même famille que nos nerpruns. En beaucoup d’endroits apparaissent des arbres ou des arbustes dont on reconnaît la parenté avec les tilleuls[12], des légumineuses des plus intéressantes aux yeux du botaniste, telles une gracieuse forme du fameux genre sophora[13], dont on cultive en nos jardins diverses espèces apportées de l’Asie ou de l’Amérique, et les carmichelies, plantes singulières, d’un type tout à fait propre à la Nouvelle-Zélande. On observe encore une sorte de magnolia[14] qui compte parmi les plus jolis végétaux du pays, des poivriers, qui semblent être, comme les palmiers et les fougères, les vestiges d’une flore tropicale. Tout au nord, la végétation du littoral se compose surtout de pittospores de plusieurs espèces, d’une belle myrtacée du genre metrosideros[15], d’un énorme gatilier[16]

La flore, dans sa plus grande richesse vers le nord, perd déjà quelques-uns de ses traits les plus remarquables dans le sud. Les conifères de l’hémisphère austral ne prospèrent point, en général, sous le climat froid, comme la plupart des essences de l’hémisphère boréal. Un peu au-delà du 36e degré de latitude, le kauri n’est plus le principal ornement des forêts. Plusieurs types de plantes ont disparu ; une espèce de ce beau genre hibiscus, qui, dans les contrées tropicales, se montre sous une multitude de formes, est propre à la Nouvelle-Zélande, mais on la rencontre seulement au nord [17].

Sur les falaises de Wangaroa, et en quelques autres endroits, le regard est attiré par ses fleurs d’un pourpre éclatant. Aux mêmes lieux croissent de remarquables arbrisseaux que des botanistes rapportent à la famille dont les violettes représentent une des formes les mieux connues.[18].

En descendant vers le détroit de Cook, on arrive dans les plaines qui, du côté oriental, s’étendent jusqu’à Wanganoï et à la baie de Hawke. Aux deux rives du détroit de Cook, pareille est la végétation, mais lorsqu’on avance vers le sud, l’influence d’un climat plus froid se manifeste. Certaines plantes du Nord ont cessé de croître à une limite que jamais elles ne dépassent ; d’autres espèces des mêmes genres les remplacent ; des types qu’on croirait empruntés à la flore de l’Europe tempérée se présentent en plus grand nombre. Dans l’île du Sud, les conditions de l’atmosphère varient beaucoup sous les mêmes parallèles. À l’ouest, on s’en souvient, la pluie tombe en quantité infiniment plus considérable que dans la partie située à l’est des hautes montagnes ; ainsi changent les aspects de la végétation. Près des rivages abondent les véroniques formant d’épais buissons, les oliviers, les hêtres, les arbres de la famille des myrtes, de l’espèce que les colons appellent le bois de fer, dont les branches tordues attestent la violence des ouragans. La partie montagneuse jusque à la hauteur de 800 mètres est couverte de forêts où se pressent les conifères[19], où s’étalent les grandes légumineuses, les tiliacées et les myrtacées[20]. Au-dessus de 300 à 400 mètres, les pins rouges et blancs diminuent et le phylloclade des Alpes se montre en abondance. À cette altitude, on est frappé de la profusion des cryptogames ; tout arbre, tout buisson est chargé de lichens, de mousses et de champignons. Dans les hautes vallées, les bouquets d’oliviers, les buissons de véroniques, les taillis de certaines plantes de la famille des composées, les cassinies, occupent la plus grande partie du terrain. La flore sous-alpine est d’un extrême intérêt ; on y voit un charmant arbrisseau qui, dans la saison printanière, se charge de jolies fleurs blanches[21], de magnifiques bruyères d’un genre particulier[22], une étonnante diversité de ces plantes basses aux fleurs composées de pétales multiples, comme les séneçons, la millefeuille et les marguerites. Plus haut, c’est la zone alpine où se plaisent les violettes, les euphrasies, les épilobes.

À l’est des montagnes, on se trouve en un pays presque aride ; les mousses, les lichens, les champignons ont disparu : l’herbe s’étend d’une manière uniforme sur les plaines plus ou moins parsemées d’ombellifères[23]. Des arbustes épineux appartenant au même groupe végétal que nos nerpruns[24], en diverses localités forment des massifs, et le phormium, d’épaisses broussailles. Dans le centre et les parties orientales de l’île, les forêts ont été brûlées ; sur le sol où s’élevaient autrefois de grands arbres, se sont répandues, outre les véroniques, des campanules, une multitude de composées, différentes gentianes, de superbes renoncules. Les vestiges des anciennes forêts sont rares ; pourtant, aux alentours de la ville de Dunedin, il existe encore quelques beaux groupes de pins. Dans le district d’Otago, les fougères n’ont pas été détruites, on y voit jusqu’à présent des échantillons des espèces arborescentes. Tout au sud, dominent dans la végétation, les bruyères, les aralias[25] au feuillage glauque, les rubiacées du genre coprosma.


IV.

Sur les terres reconnues par le capitaine Cook et sur les îles voisines, le monde animal doit arrêter l’attention. On doute s’il existe un seul mammifère terrestre, mais les oiseaux sont en certain nombre, et parmi eux, il est des types tellement remarquables qu’ils impriment un caractère tout spécial à la région. Si les insectes, en général, ne frappent point comme ceux des tropiques, soit par la singularité des formes, soit par l’éclat des couleurs, ils portent néanmoins le cachet d’une patrie indépendante de toute autre contrée du globe.

Dans les pays chauds et jusque dans notre Europe, en la belle saison, la vie animale se manifeste sous les aspects les plus divers avec une vigueur incomparable. Du lever au coucher du soleil, au milieu des campagnes un peu sauvages ou dans les clairières des bois, il n’y a repos ni pour les yeux ni pour les oreilles. Les hyménoptères bourdonnent, les cigales et les sauterelles chantent, les mouches mêlent des sous aigus aux notes plus graves que font entendre les abeilles solitaires, les papillons voltigent, en montrant des ailes diaprées de vives nuances. Aux jours de printemps ou d’été, lorsque sont épanouies les fleurs des aubépines, des chardons, des fenouils, des molènes, l’incroyable activité d’une foule d’insectes est un spectacle curieux et d’un attrait singulier. A la Nouvelle-Zélande, sur de vastes espaces, on ne perçoit aucun bruit; les insectes, pour la plupart, sont silencieux. Ce n’est qu’en peu d’endroits que se trouvent en quantité les espèces bruyantes; les papillons diurnes sont assez rares.

Tout d’abord, on a la pensée de comparer les insectes de la Nouvelle-Zélande à ceux des terres les moins éloignées, aux espèces de la Tasmanie et du sud de l’Amérique : c’est un autre monde. On n’y voit pas, comme dans la végétation, des espèces américaines ou australiennes, à l’exception de quelques papillons diurnes. A l’égard de la dissémination, entre les végétaux, dont les semences peuvent être apportées de loin, et les animaux, attachés au sol, la différence est énorme. Dans l’étude de l’histoire de la terre, il importe d’en tenir grand compte.

Des insectes de la Nouvelle-Zélande ont une physionomie un peu étrange ; ils se rapportent à des genres ayant une certaine affinité avec des types répandus soit en Australie, soit dans les archipels de l’Océan-Pacifique ; le plus grand nombre appartient à des formes qui ont des représentans dans l’hémisphère boréal. Dans l’ensemble, les insectes et les arachnides trahissent les conditions du climat ; ils ont l’aspect triste de la plupart des espèces de l’Europe centrale. Voici pourtant un petit scarabée qui a l’éclat de l’or et de l’émeraude : le pyronote, fort abondant sur les deux îles ; mais sa taille est exiguë. Au nord principalement, au milieu des forêts, courent sur les plus des capricornes comme il n’en existe nulle part ailleurs ; c’est dans les troncs de ces arbres que vivent les coléoptères aux longues antennes[26]. Au sud, disparaissent les formes les plus remarquables de la famille des capricornes et de la famille des scarabéides. Les charançons et les sombres coléoptères carnassiers prédominent. Les insectes de l’île Stewart et surtout des îles Auckland rappellent la physionomie des espèces de la Scandinavie et de la Laponie. Sur les deux îles, vers la fin de l’été, dans les champs ou dans les prairies, errent de grosses sauterelles vraiment singulières par les proportions énormes de la tête et des mandibules[27]. Les papillons de jour ressemblent à ceux de l’Europe centrale, mais ils sont beaucoup moins variés. On en a observé seulement quatorze espèces; en France, il en existe près d’une centaine. Dans ce chiffre de quatorze espèces on n’en compte pas plus de sept qui soient particulières au pays ; les autres sont venues d’Australie ou des archipels de la Polynésie, sans doute à la faveur de vents propices. Les lépidoptères nocturnes sont infiniment plus nombreux que les diurnes ; on regrette qu’ils n’aient pas encore été bien recherchés. Sur les terres néo-zélandaises, il y a des insectes diptères, et l’un d’eux s’est tout de suite fait connaître des voyageurs: c’est une mouche piquante, la mouche des sables, comme on l’appelle, une petite espèce de la famille des taons. Sur certaines plages, elle cause à l’homme de véritables tourmens, et le passant s’étonne, car il a lu qu’en cette partie du globe on n’a point à redouter de bêtes malfaisantes. Il y a quantité d’araignées, en général fort inoffensives, et si l’une d’elles est réputée dangereuse, les idées qui règnent chez divers peuples apprennent qu’il faut se défier de l’assertion. On rencontre une de ces curieuses araignées maçonnes qui construisent dans le sol des demeures que les naturalistes citent à juste titre parmi les chefs-d’œuvre de l’industrie animale. En Europe, vit une araignée aquatique habile à tisser une cloche à plongeur, qu’elle assujettit entre les herbes des ruisseaux ou des étangs. Fait plus extraordinaire encore, unique même, à la Nouvelle-Zélande, une araignée habite la mer.

Une température très modérée et même faible, une humidité très persistante, sont des conditions favorables à la vie des mollusques terrestres. Aussi, escargots ou limaçons abondent-ils à la Nouvelle-Zélande; quelques-uns d’entre eux, d’une taille supérieure à notre escargot des vignes, portent une fort belle coquille. Plusieurs de ces mollusques appartiennent à des genres qu’on trouve, soit en Australie, soit à la Nouvelle-Calédonie, mais toutes les espèces ont été reconnues absolument distinctes par les naturalistes spéciaux. Une semblable constatation à l’égard d’animaux qui ne peuvent être transportés d’un rivage maritime à l’autre que d’une façon bien accidentelle a une portée considérable. Dans les eaux douces : étangs, lacs ou rivières, il y a des mollusques en certain nombre ; quant aux poissons, c’est la misère : on ne pêche que des anguilles d’une espèce qui fréquente également les fleuves de l’Australie[28]. Longtemps on affirma qu’aucun batracien ne vivait à la Nouvelle-Zélande. Un jour pourtant, un naturaliste rencontra une grenouille dans la province d’Auckland ; on prétendit que le batracien était d’importation étrangère, mais l’auteur de la découverte en repoussa l’idée avec une extrême énergie, s’appuyant sur le caractère très particulier de l’animal trouvé dans le pays[29]. Sur ces îles fameuses dont le capitaine Cook a tracé la configuration, n’habitent ni tortues, ni crocodiles, ni serpens ; les seuls reptiles qu’on observe sont de gracieux lézards du type des geckos ou du groupe des scinques.

À la Nouvelle-Zélande, il n’existe point de mammifères terrestres. On parlait autrefois d’une sorte de rat qui, à défaut d’autre gibier, faisait les délices des habitans. Le petit rat indigène a disparu ; les gros rats noirs et les surmulots que les navires ont amenés d’Europe l’ont exterminé. Des Maoris signalaient un animal d’assez forte taille qui se tenait dans certains lacs ; à la description, on crut reconnaître une loutre. Il y a une quinzaine d’années, M. Julius Haast, naturaliste distingué, résidant à Canterbury, assurait avoir aperçu une loutre au pelage brun dans les lacs et les rivières de l’île du Sud ; il l’avait observée en particulier dans le cours supérieur de la rivière Ashburton, à 1,000 ou 1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer. L’existence d’un mammifère de ce genre est demeurée absolument problématique.

Sur terre, retirées le jour dans les trous des rochers, le soir sillonnant l’air d’un vol rapide, se rencontrent seulement deux petites espèces de chauves-souris. Les autres mammifères appartiennent au monde marin ; ce sont les phoques et les otaries. Longtemps les pauvres bêtes avaient vécu et multiplié dans une paix profonde ; elles étaient dans une abondance extraordinaire au fond de toutes les criques et autour des îlots. Du pont du navire qui passait à peu de distante des rivages, c’était parfois un spectacle curieux et amusant ; on voyait les fameux amphibies tantôt se précipiter à l’envi sur des poissons, où se livrer dans l’eau à tous les jeux, à tous les ébats imaginables, tantôt se reposer ou dormir sur les grèves et au milieu des taillis dans les clairières. À la fin du siècle dernier et au commencement du siècle actuel, lorsque les bateaux de pêche de l’Angleterre et des États-Unis vinrent opérer dans la mer du Sud on en fit un effroyable carnage ; à chaque campagne, on les tuait par milliers. À l’heure présente, ces grands mammifères marins sont devenus si rares, qu’on présage leur extinction dans un avenir peu éloigné. Des baleines d’espèces distinctes de celles de l’hémisphère boréal erraient en nombre dans les eaux de la Nouvelle-Zélande, et les maîtres de pêche faisaient vite fortune ; ils ont à peu près anéanti les baleines. Des dauphins semblent maintenant représenter seuls en ces parages les mammifères qui ont le même séjour que les poissons.

En approchant des côtes ou des petites îles qui en sont plus ou moins voisines, principalement sous les plus hautes latitudes, l’intérêt d’un observateur est tenu en éveil par la foule des oiseaux de mer. Nulles créatures ne paraissent au même degré en possession de la vie, tant elles s’agitent, tant elles étonnent par l’agilité, l’énergie, la rapidité de leurs mouvemens, tant elles font vibrer l’air de leurs cris. Le vacarme, parfois assourdissant, qui retentit sur divers points du littoral contraste singulièrement avec le silence qui règne en plus d’un endroit de l’intérieur des terres. Si, en la saison printanière, on met le pied sur une rive inhabitée par les hommes ou sur les îlots battus des violentes tempêtes des mers australes, on observe souvent par légions les oiseaux de mer qui construisent leurs nids dans les creux des rochers ou des falaises. En réalité, ces oiseaux ne sont pas du pays ; ils ont pour domaine au moins l’Océan-Pacifique, plusieurs tout l’hémisphère sud, quelques-uns la circonférence entière du globe.

Dans les détroits de Cook et de Foveaux, aux îles Auckland, à Campbell et à Macquarie, on ne remarque pas seulement les tourbillons des bêtes emplumées qui traversent les airs, il y a encore les oiseaux nageurs, les manchots. Chez ces créatures, les ailes sont des rames et les plumes qui les couvrent ont pris l’aspect d’écailles. Voici le grand manchot à aigrette d’or[30] ; haut de plus de 0m, 60, il a les parties supérieures du corps d’un noir bleu, et les parties inférieures d’un blanc d’argent, avec deux raies jaunes sur la tête. Les navigateurs l’ont rencontré bien au-delà du cercle antarctique, tantôt à la nage, tantôt dressé sur quelque glaçon. Deux autres espèces de moins fortes proportions fréquentent aussi les côtes des Iles néo-zélandaises. À terre, où les manchots établissent les berceaux de leur postérité, on les trouve parfois réunis en troupes nombreuses ; ils viennent sans crainte près de l’homme et semblent de la voix et de l’attitude chercher à lui dire qu’ils l’accueillent dans leur compagnie.

Que le regard se porte vers le ciel, on est à certains jours frappé de la multitude des mouettes, les unes semblables à relier d’Europe, les autres à peine différentes par quelques signes extérieurs. Au commencement de la belle saison, elles s’emparent des trous de rochers ou se fixent sur des grèves désertes, et de brins d’herbe confectionnent des nids grossiers. Les sternes, partout connus sous le nom d’hirondelles de mer, plus sveltes et plus mignonnes que les mouettes, se répandent aux mêmes lieux. Une de ces sternes ne se distingue en aucune façon d’une espèce européenne et asiatique[31], tandis que les autres se rencontrent d’une manière exclusive dans le Pacifique. Il y a tout un monde de pétrels, les fameux oiseaux des tempêtes ; les naturalistes de la Nouvelle-Zélande n’en reconnaissent pas moins de neuf ou dix parfaitement distincts. Le fou est représenté par l’espèce qui fréquente l’Australie[32], l’albatros, l’oiseau mouton, ainsi que l’appellent les marins, abonde encore dans l’Océan-Pacifique. Au mois de novembre, qui répond à notre mois d’avril, sur les îlots, sur les côtes désertes de Té-Wahi-Pounamou, sur les îles Auckland, règne une étonnante animation; les oiseaux de mer sont en pleine fête amoureuse. Dans les anfractuosités des roches ou des falaises et sur des monticules, les albatros, d’herbes et de feuilles enchevêtrées, bâtissent d’énormes nids pour l’œuf unique que dépose la femelle. Tous les cormorans du globe paraissent s’être rassemblés sur les côtes des terres néo-zélandaises; on y voit même le cormoran d’Europe.

Sur les lacs vivent différens canards au plumage bigarré; deux ou trois espèces semblent n’avoir pas d’autre patrie, tandis que la plupart habitent également d’autres contrées. Il en est de même pour les hérons et les pluviers. Les espèces du groupe des raies et des poules d’eau sont assez variées ; les unes se trouvent également répandues à la Nouvelle-Hollande et dans les archipels du Pacifique, les autres n’existent que sur les terres néo-zélandaises, comme les ocydromes, incapables de voler à raison de leurs ailes presque rudimentaires. Le gibier le plus ordinaire des Maoris était l’ocydrome austral, oiseau de belle taille, fort agile à la course. Aujourd’hui, l’animal encore abondant sur les plateaux et dans les bois des alpes de l’île du Sud ainsi qu’à l’île Stewart[33], devient rare dans l’île du Nord. L’ocydrome est accusé de beaucoup de méfaits; c’est, dit-on, un voleur qui pénètre dans les poulaillers, et de son bec pique les œufs afin d’en humer le contenu; séduit comme les pies par tout ce qui brille, il emporte et cache les objets en métal[34]. Une poule sultane, qu’on rencontre d’ailleurs en Australie et à la Nouvelle-Calédonie, fréquente les endroits marécageux[35]. Des ossemens d’un oiseau de la même famille avaient été recueillis ; on supposait l’espèce éteinte, lorsqu’un jour, à la baie Dusky, on en prit deux individus vivans : bêtes magnifiques au bec rouge de corail et au plumage bleu, à reflets métalliques[36] ; selon toute apparence, ils étaient les derniers de leur race.

Assez peu nombreuses paraissent les espèces d’oiseaux terrestres, si la pensée se porte sur les contrées qui ont reçu de la nature les plus grandes faveurs. En quelques lieux, on est égayé par le ramage des chanteurs des bois, mais il y a des solitudes où le silence est absolu. La vie semble éteinte ; c’est lugubre et l’on en éprouve une sorte d’oppression. Les oiseaux terrestres de la Nouvelle-Zélande commandent l’attention au plus haut degré ; plusieurs d’entre eux se distinguent par des formes très particulières ; à merveille ils caractérisent la région qu’ils habitent. La famille des gallinacés n’est représentée que par une caille propre au pays. Il y a un demi-siècle, les navigateurs la voyaient par légions ; à l’heure actuelle, on annonce son extinction prochaine. Le même danger ne menace pas encore le seul pigeon de la contrée, un oiseau superbe[37]. Des coucous, au vol soutenu, viennent en la belle saison bâtir leurs nids, et, en compagnie des jeunes sujets, aux approches de l’hiver, s’éloignent à tire-d’aile dans la direction de la zone tropicale. On ne rencontre aucune espèce de la famille des pics, mais on remarque sur les bords des rivières et sur les plages un brillant martin-pêcheur qui rase la surface de l’eau à la poursuite des insectes, plonge pour saisir quelque bête aquatique, se montre et disparaît entre les roseaux ou s’enfonce dans une retraite bien dissimulée. Les fringillidés, en quantité très notable, ont des espèces qui se rattachent aux groupes des corbeaux, des étourneaux, des mésanges, des merles et surtout des fauvettes; les unes dispersées sur les grandes terres néo-zélandaises, les autres plus ou moins cantonnées dans certains endroits. Comme dans tous les pays qui s’étendent sous une longue suite de degrés de latitude, des espèces de mêmes genres habitent seulement ou la région la plus chaude, ou la région la plus froide; ainsi, sous les divers climats, plusieurs d’entre elles semblent se remplacer. Deux oiseaux du type des corbeaux[38], deux merles[39], des fauvettes en offrent l’exemple. Dans ce petit monde, il y a des chanteurs merveilleux, des artistes d’un talent qui surpasse, dit-on, celui de nos plus gracieux merles, de nos plus savans rossignols. Sur les terres où le silence est à peine troublé par les créatures vivantes, il est impossible de ne pas prendre un plaisir extrême à écouter sous la futaie le ramage des oiseaux. On se souvient du ravissement du capitaine Cook et de ses compagnons, lorsque, à l’aube, dans l’air calme, se faisait entendre jusque sur le pont du navire, le mélodieux concert des habiles musiciens de la forêt voisine. Tous les navigateurs ont célébré à l’envi les mérites des oiseaux chanteurs de la Nouvelle-Zélande, qui ne s’effrayaient point alors de la présence de l’homme : « Dès qu’on s’arrête en quelque partie d’un bois, rapporte Dumont d’Urville, étant à la baie Tasman, on est sûr de voir paraître une ou deux moucherolles; elles vous considèrent en silence et comme avec crainte, et si vous restez immobile, prenant confiance, elles s’enhardissent jusqu’à venir se percher sur votre épaule. » A l’île Auckland, le docteur Holme trouve la forêt remplie de petits oiseaux, et, quand il s’assied, Il en voit arriver à ses côtés ou se poser sur son chapeau. Partout, le voyageur, errant à travers les grands bois, s’arrête surpris par un chant incomparable ; c’est le tui, ainsi que le nomment les Maoris, une sorte d’étourneau dont le plumage est d’un vert métallique et chatoyant, avec des reflets d’un bleu pourpre aux épaules et aux pennes des ailes[40]. Sur ce riche vêtement, le tui porte une collerette ayant deux touffes blanches qui retombent sur la gorge; les premiers colons se plaisaient à comparer cette parure aux bandes blanches du rabat des chapelains. Un autre chant d’une puissance extraordinaire éclate dans les bois où le tui se manifeste dans sa gloire. D’un peu loin, une note se détache et retentit à l’oreille comme un coup de clochette : c’est la grosse fauvette au plumage vert olive, qui faisait les délices des navigateurs d’autrefois; c’est l’anthornis à queue noire[41], le mako des Maoris, l’oiseau clochette (Bell Bird) des colons anglais. Il y a seulement une trentaine d’années, sur les rives du Waïkato, de la Waïroa, de la Wanganui, dans chaque buisson frétillait l’oiseau clochette. De nos jours, il est extrêmement rare et l’on attribue sa disparition aux abeilles introduites par les Européens, qui, en butinant sur les fleurs, inquiètent l’oiseau méliphage. Avec plus de raison sans doute, on accuse les rats d’être les destructeurs des nids.

De temps à autre, une petite fauvette venant d’Australie[42] apparaît en troupes; tout à coup, elle abandonne le pays où elle semblait s’être établie par préférence. Un souvenir d’Europe s’éveille en apercevant sur les chemins et dans les prés une alouette. La pensée d’une terre étrangère revient lorsqu’on découvre un oiseau d’un type tout spécial, n’ayant de ressemblance étroite avec aucune autre forme connue[43]. Les rapaces ne sont pas nombreux; on observe un petit faucon, maintenant d’une certaine rareté; on voit assez fréquemment dans les plaines un aigle de marais qui construit son nid sur le sol, au bord des eaux et fait une chasse active aux animaux de basse-cour[44]. Dans les lieux solitaires, on remarque des chouettes peu différentes de celles d’Europe et l’on en distingue deux espèces.

Charmant et d’un intérêt exceptionnel est le groupe des perroquets de la Nouvelle-Zélande. Voici des perruches aux formes élégantes, aux fraîches teintes vertes, rehaussées de bleu, de rouge ou de jaune. Elles sont d’un genre dont les représentans sont disséminés sur les terres de l’Océan-Pacifique. Dans les clairières des forêts, dans les endroits découverts plus ou moins parsemés d’arbres et de buissons, se plaît une de ces gracieuses perruches. Celle-ci est d’une superbe nuance verte, avec des marques rouges aux ailes et une parure cramoisie sur la tête. Au milieu d’un site pittoresque, lorsque brille le soleil, l’effet de bandes d’individus aux allures vives, sans cesse en mouvement, est des plus curieux. Au printemps, ces oiseaux construisent sans beaucoup d’art des nids dans les trous des vieux arbres, et, plus que jamais, ils font retentir l’air de cris perçans. La perruche de la Nouvelle-Zélande est répandue sur les grandes terres jusque sur les hauteurs boisées de l’île du Sud, de même qu’aux îles Auckland ; nous la retrouverons ailleurs. Dans les districts du ord, elle offre une variété qui se distingue par une taille rn peu plus petite et surtout par le plumage d’or qui couvre la tête[45]. Il existe en ce pays de gros perroquets qui ne ressemblent point à ceux des autres parties du monde : les nestors, ainsi qu’on les désigne depuis les voyages du capitaine Cook. Ils ont un bec qu’on croirait emprunté aux aigles, tant la mandibule supérieure est longue, courbée, aiguë. Le nestor le plus ordinaire a le plumage mélangé de brun et de vert un peu gris, mais la coloration est variable dans une assez large mesure et chez certains individus une couleur verte, métallique, chatoyante, apparaît comme un riche manteau jeté sur le corps. Sous les ailes, des taches rouges, jaunes et bleues se dénoncent lorsque l’oiseau s’envole. Les nestors, les êtres les plus bruyans entre tous les hôtes des forêts, deviennent silencieux pendant la chaleur du jour ; ils font entendre leurs cris sauvages par le temps couvert ou dans l’ombre, et vers la fin de la nuit, avertissent les voyageurs endormis sous la tente que le lever de l’aurore est proche. Pourvus à l’extrémité de la langue de papilles formant une sorte de brosse, on les voit lécher avec délice le nectar des fleurs de phormium et de metrosideros. En captivité, ils se montrent aimables compagnons, toujours gais, mais un peu trop bavards. Autrefois, les nestors étaient en grande abondance ; il faut aujourd’hui bien chercher pour en découvrir quelques-uns. On ne les aperçoit plus au nord de la ville d’Auckland et aux environs de la baie des lies que dans des circonstances assez rares. Sur les hautes montagnes de l’île du Sud vivent des nestors que des naturalistes croient pouvoir distinguer de l’espèce commune.

Un oiseau vraiment extraordinaire est le perroquet nocturne, le seul qui soit au monde le perroquet-hibou, le kakapo des Maoris, le strygops des naturalistes[46]. Le connaissent toutes les personnes qui ont visité les musées d’histoire naturelle de Paris, de Londres ou de Vienne. Gros comme une poule, d’un vert pâle et terne, moucheté de taches sombres, l’oiseau a l’aspect triste des créatures qui fuient la lumière. Les perroquets en général aiment l’éclat du jour, la nature les a vêtus pour briller; par exception, il en est un qui doit quand les autres veillent et se complaît dans la nuit; contraste dont les oiseaux de proie offrent l’exemple le plus connu. Les strygops se creusent des terriers entre les racines des arbres ou prennent domicile dans des trous entre les rochers. Au soir, ils sortent de leur retraite, d’ordinaire allant deux à deux, mangeant les mousses, qui sont à profusion sur le sol ou sur les troncs d’arbres, et consommant en quantité les fruits d’une plante fort répandue[47]. Autrefois, les strygops n’étaient rares dans presque aucune partie de la Nouvelle-Zélande; mais c’était un bon gibier, à la fois recherché pour la chair et pour les plumes. Les Maoris, habiles à reconnaître les sentiers que forme le passage habituel des oiseaux nocturnes, prenaient les kakapos avec des lacets, ou, chassant avec des torches de façon à les éblouir, ils parvenaient facilement à les saisir. Maintenant, c’est à l’aide des chiens qu’on s’empare de l’oiseau, qui ne sait faire usage de ses ailes pour voler. Le strygops, bien près d’être détruit dans l’île du Nord, n’a pas disparu, assure-t-on, vers le centre, par exemple, au district de Taupo. Dans l’île du Sud, on le rencontre dans la province d’Otago et mieux au fond des fiords qui découpent la côte méridionale, établi sur de petites collines ou sur les berges des rivières, en des endroits où le sol est dégarni de fougères et de buissons. Quelques années encore et, selon toute probabilité, sera éteinte une des races les plus remarquables du monde des oiseaux.

Un type de ce monde des bêtes emplumées apparaît à tous les yeux comme une forme spéciale, exceptionnelle, extraordinaire. Qu’on se figure des oiseaux coureurs du groupe des autruches et des casoars, réduits à la taille d’une grosse poule et pourvus d’un bec qui, par ses proportions, rappelle celui des courlis; on a donné le nom d’aptéryx à ces créatures privées d’ailes, les kiwi dans l’idiome des Maoris. Ils habitent les deux grandes îles, et on en compte quatre espèces[48] Les kiwi creusent des terriers ou prennent domicile dans des excavations naturelles. Endormis pendant le jour, au crépuscule, ils sortent de leur retraite, cherchent les vers de terre, poursuivent les limaçons et les insectes, dont ils font leur nourriture. Leur fécondité est très restreinte; chaque femelle ne pond qu’un seul œuf, de dimension énorme, à d’assez longs intervalles. Au temps où ces êtres n’avaient point d’ennemis à redouter, leur propagation était suffisante. Depuis l’introduction des chiens dans le pays, ils ont été chassés sans miséricorde. On n’a pas réussi à les faire vivre en captivité ; bientôt on n’aura plus que les descriptions, les images et les dépouilles conservées dans les musées pour garder le souvenir des aptéryx.

Les oiseaux les plus remarquables de la Nouvelle-Zélande ont cessé d’exister. C’étaient des coureurs du type des autruches et des casoars, certains d’entre eux ayant à peu près la taille de la girafe. Les premiers habitans des terres dont le capitaine Cook a tracé la première carte, les ont connus et les ont appelés du nom de moas. La tradition a gardé le souvenir de ces êtres extraordinaires, et le nom est demeuré dans la langue des Maoris. Au cours de l’année 1839, un voyageur à la Nouvelle-Zélande, qui devait à son père un nom honoré dans la science, M. Mantell, découvrait, en explorant certaines cavernes, les os d’un oiseau gigantesque enfouis au milieu de stalagmites. Ces pièces, envoyées en Angleterre à M. Richard Owen, devinrent l’objet d’une étude attentive de la part de l’éminent naturaliste, et bientôt on vit, dressé dans une salle du collège des chirurgiens de Londres, le squelette de l’énorme oiseau qui reçut la dénomination de Dinornis géant. — Le squelette d’une autruche, placé pour offrir un terme de comparaison, faisait ressortir la taille de son voisin. Depuis, on a tiré de différentes grottes, d’excavations ouvertes dans les rochers qui bordent la mer, de foyers des anciens Maoris, du fond des torrens, de la vase de quelques marais, de nombreux ossemens des grands oiseaux coureurs. M. Richard Owen a pu reconstituer les squelettes de plusieurs espèces de proportions inégales qu’il a classées dans les genres dinornis et palapteryx.

On s’est considérablement préoccupé de l’époque de l’extinction des fameux Moas ; si un investigateur, M. Haast, put concevoir l’idée que ces oiseaux avaient déjà disparu au temps de la dernière invasion des Maoris, et que les ossemens répandus dans les plaines de Canterbury gisaient sur le sol à une date antérieure à la migration de Hawaïki, des preuves manifestes d’une extinction récente ont frappé la plupart des observateurs. Le docteur Hector avait découvert dans la province d’Otago le squelette d’un embryon de moa avec la coquille qui le contenait, ainsi que les vertèbres cervicales d’un individu de grande taille, conservant la peau, en partie couverte de plumes, attachées par les muscles et les ligamens; ailleurs, un sujet très parfait encore garni à diverses places de tendons, de peau et de plumes. Aussi, pense l’auteur, cette intéressante découverte montre combien il est probable que les oiseaux géans ont vécu tant que les plaines et les collines d’Otago ont gardé une luxuriante végétation d’herbes et de buissons. Il est impossible, ajoute-t-il, d’imaginer la profusion des os qui furent trouvés dans cette contrée, à la surface du sol, enfouis dans les alluvions, au voisinage des torrens et des rivières. Une fouille du marais de Glenmark, situé près de la rivière Waïpara, dans la province de Wellington, permit à M. Julius Haast de recueillir les os de cent soixante et onze individus.

Les recherches avaient amené la découverte de débris de moas sur presque toute l’étendue de la Nouvelle-Zélande. Longtemps, on affirma que les grands oiseaux n’avaient jamais vécu dans le Nord ; on croyait même pouvoir fixer une ligne tirée de la baie d’Abondance au lac de Waïkati, sur la côte ouest, comme la limite extrême habitée par les dinornis. Après un hiver très pluvieux, au voisinage du cap Campbell, un lac ayant rongé ses rives, on vit quantité de restes de moas. Une autre surprise était réservée ; sur la partie tout étroite de la Nouvelle-Zélande, au nord de la ville d’Auckland, près des sources de la Wangari, une masse énorme d’os de moas fut mise au jour. Des foyers, reconnaissables à la présence de fragmens de charbon et de sable calcinés, contenaient des outils de pierre et d’obsidienne.

Comme on supposait l’extinction de ces oiseaux très récente, l’espoir de trouver vivans en des lieux solitaires des dinornis ou des palapteryx a persisté parmi les naturalistes jusqu’à nos jours. Des chasseurs, errant à travers les alpes de l’île du Sud, se sont même persuadé qu’ils avaient vu les empreintes des pas ou entendu le cri sonore de quelque moa, mais toujours, disent-ils, l’animal s’est dérobé. A l’époque où les gigantesques oiseaux coureurs dominaient sur les terres néo-zélandaises, existaient des oiseaux de divers types qui sont également éteints. On a exhumé les débris d’une espèce fort étrange qui a été comparée au dronte de l’île Maurice[49] et d’un rapace de proportions colossales[50]. Un grand appauvrissement de la faune est survenu à une date peu reculée; il conviendra d’en rechercher les causes.


EMILE BLANCHARD.

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1878, du 15 décembre 1879, du 1er septembre 1881, du 15 janvier 1882.
  2. Dans un ouvrage sur l’île Campbell qui doit paraître prochainement, M. Henri Filhol a résumé les observations des géologues de la Nouvelle-Zélande sur l’île du Sud, nous en tirons avantage pour notre rapide aperçu.
  3. Areca sapida.
  4. Phormium tenax.
  5. Podocarpus ferruginea, Podocarpus totara et quelques autres.
  6. Libocedrus.
  7. Phyllocladus.
  8. Dacrydium cupressifolium.
  9. Dammara australis.
  10. Knightia.
  11. Des espèces variées des genres Leptospermum et Metrosideros.
  12. Les genres Elœocarpus et Aristotelia.
  13. Sophora tetraptera.
  14. Drimys axillaris.
  15. Metrosideros tomentosa.
  16. Vitex littoralis.
  17. Hibiscus trionum.
  18. Hymenanthera crassifolia, Hypomene tuberculata.
  19. les conifères les plus répandus dans l’ile du Sud sont le Podocarpus-spicata et le Podocarpus dacrylioïdes.
  20. Des genres Metrosideros et Leptospermum.
  21. Plagianthus Lyallii de la famille des maivacées.
  22. Le genre Dracophyllum.
  23. Aciphylla Colensoi et A. squarrosa.
  24. Discaria tomentosa.
  25. Les genres Aralia, Stilbocarpa, Panax, de la famille des araliacées.
  26. Les genres Prionoplus, Coptomma, Navosoma, etc.
  27. Les espèces du genre Dinacrida.
  28. Anguilla australis et, selon toute apparence, une simple variété de celle-ci, nommée Anguilla Dieffenhachii.
  29. Liopelma Hectori Aitken.
  30. Aptenodytes chrysoconusi. Les manchots sont ordinairement confondus avec les pingouins par les navigateurs.
  31. Sterna caspia.
  32. Sulas errator.
  33. M. Filhol a rencontré sur l’Ile Stewart la plupart des oiseaux observés sur l’île du Sud.
  34. Deux autres espèces du même genre habitent la Nouvelle Zélande.
  35. Porphyrio melanotus.
  36. Notornis Mantelli Owen.
  37. Carpophaga New-Zelandiœ.
  38. Glaucopis Wilsonii sur l’île du Nord, Glaucopis cinerea sur l’Ile du Sud.
  39. Turnagra crassirostris sur l’île du Sud, Turnagra Hectori seulement dans les parties les plus chaudes de l’île du Nord.
  40. Prosthemadera Novos-Zelandiœ.
  41. Anthornis melanura.
  42. Zosterops lateralis.
  43. Heteralocha acutirostris.
  44. Circus Gouldii répandu en Australie et dans les archipels de la Polynésie.
  45. Platycercus Novœ-Zelandiœ et variété. Pl. auriceps.
  46. Strygops habroptilus.
  47. Coriaria ruscifolia ou C. sarmentosa.
  48. Aptéryx Mantelli Bartett, le plus grand, sur l’Ile du Nord. Aptéryx australis Shaw de l’Ile du Sud. Aptéryx Oweni Gould, le plus petit, dans les bois de l’ile du Sud. Aptéryx Haasti Bullcr, des hauteurs, au-dessus de Karita, montagnes de la côte ouest de l’île du Sud.
  49. Le genre Aptornis.
  50. Harpagornis Moorei Haast