La Phénicie d’après les dernières découvertes archéologiques

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La Phénicie d’après les dernières découvertes archéologiques
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 12 (p. 783-815).
LA PHENICIE
D'APRES LES DERNIERES DECOUVERTES ARCHEOLOGIQUES

Ernest Renan, Mission de Phénicie, 1 vol. in-4o de texte et 1 vol. in-folio de planches, Paris 1874.

’œuvre de l’homme est si vaine sur la terre, les monumens qu’il élève pour l’éternité tombent si vite en poudre, les arts, les religions et les littératures, enfans de son génie, vivent si peu de jours, que le voyageur qui parcourt aujourd’hui la côte syrienne du Carmel à l’Oronte pour voir les lieux où furent Tyr, Sidon, Byblios, Aradus, villes saintes où le monde se rendait en pèlerinage, reines des mers aussi fières, aussi puissantes qu’Albion, ne retrouve ni temples, ni cités, ni inscriptions antiques, rien que des débris émiettes, des nécropoles violées et des cendres sans nom. C’est au pays de Canaan que doit aller celui qui veut se donner le spectacle de l’universelle caducité ; Là, au pied des alpes fleuries qu’on nomme le Liban, sur un sol arrosé par les plus belles eaux de la terre, parmi les campagnes, les vergers, les jardins les plus délicieux, sous les bénédictions du ciel, par les travaux de l’homme, s’élevèrent les villes fortes des Hittites, des Amorrhéens, des Girgaséens, des Hivites ; sur la côte, c’étaient les états des Sidoniens, des Giblites, d’Arka, de Sinna, de Simyra et d’Hamath.

Les Cananéens habitaient-ils déjà le pays lorsqu’un pharaon de la sixième dynastie, Papi, vingt-huit siècles avant notre ère, repoussa les tribus de la Syrie du sud ? Au dire d’Ouna, qui conduisait les armées d’Égypte, elles firent brèche dans des enceintes fortifiées, coupèrent les figuiers et les vignes, incendièrent des champs de blé. C’est dans la même contrée qu’un peu plus tard, sous la douzième dynastie, un transfuge égyptien vint à la cour du roi de Tennou et reçut de ce chef un bon pays nommé Aa : « il a des figues et du raisin, et produit plus de vin qu’il n’a d’eau. Le miel y est en quantité, ainsi que les oliviers, les plantations et les arbres. » Voilà la terre de promission, arrosée de lait et de miel, où, plus de mille ans après, les éclaireurs de Josué cueillirent les raisins, les figues et les grenades qu’ils montrèrent aux Israélites. Un des bas-reliefs du tombeau de Noumhotep, à Beni-Hassan, nous montre les costumes et les armes de ces Sémites asiatiques à l’époque dont nous parlons, sous la douzième dynastie : ils sont armés de lances et de haches de bronze, d’arcs de grande dimension, de carquois portés au dos et de massues, vêtus de tuniques descendant jusqu’aux genoux et laissant les bras nus, ou de pagnes étroits bridant sur la hanche ; les robes des femmes tombent plus bas ; elles sont chaussées de bottines rouges, les hommes de sandales ; les étoffes bariolées aux couleurs éclatantes ont de longues franges. L’un des Asiatiques joue en marchant d’un instrument à cordes qui avait rappelé à Champollion les lyres de vieux style grec. L’art de tisser et de teindre paraît donc avoir été déjà fort avancé en dehors de l’Égypte à une époque où les villes phéniciennes n’existaient pas ou n’étaient que de simples bourgades.

Les Cananéens, peuple au teint d’un brun rouge, que les Ioniens devaient un jour pour cette raison appeler Phéniciens, avaient été précédés par les Araméens dans les grandes migrations qui, du sud au nord et de l’est à l’ouest, poussèrent les différentes familles sémitiques de la Babylonie, où elles semblent avoir séjourné de longs siècles, dans les diverses régions de la Syrie et de l’Asie-Mineure. Les Hébreux à leur tour suivirent les Cananéens dans la vallée du Jourdain, où déjà étaient parvenues des tribus de même sang. La dernière migration fut celle des Assyriens. Tous ces peuples sémitiques de l’Asie occidentale constituent un groupe nettement défini, distinct à quelques égards, notamment quant à la langue et aux idées religieuses, des Sémites de l’Arabie et de l’Ethiopie, bien qu’Araméens, Cananéens, Hébreux et Assyriens soient tous sortis du berceau de la race, l’Arabie centrale et septentrionale. Le Bas-Euphrate, la Chaldée, Babylone et les vallées fertiles de la Mésopotamie ont été la grande étape de ces peuplés. Un événement inconnu, quelque invasion étrangère sans doute, força les Cananéens établis sur les bords et dans les îles du Golfe-Persique de venir chercher une nouvelle patrie sur les côtes de la Méditerranée. Ils retrouvèrent en Syrie les Araméens ; nul doute que ces peuples, unis aux Arabes et aux tribus issues de Tharé, l’ancêtre mythique des Hébreux, n’aient envahi l’Égypte et dominé dans la vallée du Nil de 2200 à 1700 avant notre ère, c’est-à-dire pendant cinq siècles.

Si, avant cette invasion, les populations sémitiques de la Syrie avaient eu déjà des rapports hostiles ou amicaux avec les Égyptiens, la pénétration et le commerce des deux races devinrent bien plus étroits durant la domination des Hyksos ou Hak-Sasu, c’est-à-dire des cheiks de Sémites nomades. D’ailleurs, quoi qu’on en ait dit, aucune antipathie insurmontable n’existait entre les deux peuples. Sans parler des affinités linguistiques et religieuses, qui permettent de considérer les Égyptiens comme des Protosémites, on retrouve partout, en Égypte et eh Syrie, les marques de profondes influences réciproques. Presque de tout temps il y a eu des Sémites dans la Basse-Égypte : leurs descendans existent encore à l’orient du Delta, sur les bords du lac Menzaleh. De tout temps aussi les Égyptiens ont tenu en singulière estime les services des esclaves sémites. Aux bazars de Memphis et de Thèbes, à côté du classique « Syrien, » coureur et porteur de litière, on rencontrait des esclaves de choix, des sujets rares et de haut goût, véritables objets de luxe. Souvent l’habile Cananéen, d’esprit ingénieux et subtil, souple et rampant devant le maître, dur et impitoyable aux serviteurs, faisait, comme Joseph, un bon administrateur de domaines. Les dieux et les déesses d’Aram, de Canaan, de Judée, d’Assyrie, étaient adorés en Égypte comme le dieu Bas et la déesse Bast, divinité éponyme de la ville de Bubast. Même influence des idiomes de Syrie sur la langue des Égyptiens. De la XVIIIe à la XXe dynastie, on relève des mots sémitiques sur tous les documens écrits ; les enfans dans la maison, les fonctionnaires royaux à la cour, reçoivent des noms asiatiques. C’était le temps où, selon la piquante remarque de M. Maspero, les raffinés de Thèbes et de Memphis trouvaient autant de plaisir à sémitiser que nos élégans à semer la langue française de mots anglais mal prononcés. Le commerce phénicien, le plus riche, le plus varié, le plus étendu qui ait existé dans l’antiquité, approvisionnait des denrées du monde entier les comptoirs des villes du Delta. Dans les eaux orientales de la Méditerranée, on ne voyait que vaisseaux phéniciens faisant voile pour l’Égypte et navires égyptiens voguant vers Tyr, Sidon, Aradus.

Avant d’étudier, à la suite du dernier explorateur de la Phénicie, M. Ernest Renan, ce qui reste aujourd’hui d’une des plus importantes familles de Canaan, il était nécessaire d’interroger les antiques annales de l’Égypte, au moins pour les hautes époques, les Phéniciens eux-mêmes ne nous ayant rien appris sur les origines de leur nation, de leurs arts et de leurs religions. S’ils avaient écrit leur histoire, comme on n’en saurait douter, car leur littérature était des plus riches, rien n’en est venu jusqu’à nous en un texte authentique. C’est dans quelques pages de deuxième et de troisième main qu’on lit les fragmens des annales de Ménandre d’Éphèse et de l’Histoire phénicienne de Sanchoniathon. Quant aux mots mêmes de la langue, les noms propres, les gloses, les légendes monétaires, des vers puniques du Pœnulus de Plaute en ont seuls conservé un certain nombre, qu’augmentent chaque jour les découvertes et le déchiffrement des textes épigraphiques. On en sait assez pour reconnaître, avec quelques bons juges antiques, l’unité fondamentale de la langue des Cananéens et des Hébreux. Ces deux idiomes sémitiques dérivent d’une seule et même langue plus ancienne, appartenant au groupe des Sémites du nord : le phénicien et l’hébreu sont sortis comme deux rameaux du vieux tronc cananéen.

A dire vrai, ce n’est qu’au temps du nouvel empire, sous la dix-huitième dynastie, au XVIIe siècle avant notre ère, que la contrée maritime de Kefa ou Kefta, la Phénicie, est expressément désignée dans les textes hiéroglyphiques. Jusqu’à cette époque, les scribes ne désignaient point les peuples par les noms qu’ils se donnaient eux-mêmes : sous les Ramsès seulement la langue de l’Égypte admit un certain nombre de ces noms d’origine étrangère. Et cependant Sidon était alors à l’apogée de sa puissance ; reine des villes phéniciennes de la côte, bien que vassale des Égyptiens, elle fournissait à Thotmès III les flottes sur lesquelles ce pharaon, le plus grand qui fut jamais, conquit Chypre et la Crète, les îles méridionales de l’Archipel, les côtes de la Grèce et de l’Asie-Mineure. Les Aradiens, rebelles endurcis, qui toujours ont formé un petit monde à part en Phénicie, exportaient en Égypte des bois de construction, comme plus tard les Tyriens à Jérusalem ; ils fabriquaient des barques qu’on appelait « phéniciennes » aux bords du Nil. Dans les peintures du tombeau de Rekhmara, à Thèbes, où les chefs de la Phénicie et des îles viennent apporter des présens à Thotmès III, ce n’est plus deux bouquetins qu’ils offrent, comme au bas-relief du tombeau de Noumhotep, ce sont de magnifiques vases de métal, aux formes élégantes et puissantes, des colliers de grains oblongs alternant avec de petits grains ronds, des pierres précieuses, de l’or en anneaux, des parfums, des dents d’éléphant, bref tous les produits que l’opulente Sidon vendait au monde entier, et qui attestent dès lors son commerce avec l’Inde, l’Arabie et l’Afrique.


I. — LE PAYS.

C’est par le nord que M. Renan commença les quatre campagnes de fouilles dont la mission de Phénicie devait se composer. Ces quatre grandes explorations, correspondant aux centres principaux de la civilisation phénicienne, sont celles de Ruad (Aradus), de Gébeil (Byblos), de Saïda (Sidon) et de Sour (Tyr).

L’île de Ruad, qui porte encore comme au dixième chapitre de la Genèse son nom antique, et rappelle avec Tyr les deux plus anciens sanctuaires de la patrie primitive des Cananéens sur le Golfe-Persique, Tylos et Aradus, n’est qu’un écueil d’environ 800 mètres de long sur 500 mètres de large : le roc est à vif dans la plus grande partie. L’île est encore couverte d’habitations séparées par des ruelles étroites comme au temps de Strabon ; les maisons de la cité insulaire y avaient alors un grand nombre d’étages. Ainsi qu’aux jours lointains de la dix-huitième dynastie, les Aradiens forment un petit monde à part, une population distincte à bien des égards des autres populations de la Syrie, et comme une sorte de république indépendante. Quand tous les fois de la terre et des îles se courbaient sous la sandale des pharaons ou devant le sceptre de fer des farouches conquérans d’Assour, les Cananéens d’Arad inclinaient à peine leur nuque d’airain. Point de coalition contre les grands empires dans laquelle ils ne soient entrés : avec les Rotennou sous Thotmès III, avec les peuples de la Syrie du nord, de l’Asie-Mineure et des îles de la Grèce sous Ramsès II et sous Ramsès III ; ils ne subirent pas plus docilement le joug des Salmanasar et des Assour-ban-habal. Toujours vaincus, jamais domptés ; tel de leurs rois aima mieux se tuer de sa propre main que recevoir l’aman du vainqueur. Ce rocher, battu des flots, a causé quelques heures de déplaisir aux maîtres du monde, voilà tout. Les destinées historiques de l’humanité n’en ont pas autrement souffert. Le manque d’intelligence politique, le fanatisme et l’étroitesse d’esprit peuvent servir de caractéristique au peuple d’Aradus et à quelques autres familles sémitiques : Tyr et Jérusalem ont péri par le même vice.

Il semble que la bizarrerie des habitans, aujourd’hui exclusivement musulmans, ait survécu à toutes les révolutions des empires. La mission rencontra à Ruad des difficultés extraordinaires. Voici ce que M. Renan raconte des dispositions des insulaires quand les marins du Colbert débarquèrent pour procéder aux fouilles :

« Les jardins où nous devions faire des excavations, et dont les propriétaires avaient déjà reçu un salaire, se trouvèrent fermés ; les possesseurs des inscriptions refusèrent de les laisser enlever. Tous s’excusèrent en disant qu’ils avaient reçu défense, sous les menaces les plus graves, de contribuer à nos travaux. Cette défense ne venait pas assurément de l’autorité turque, représentée à Ruad par un infortuné mudhir qui n’a pas sous ses ordres un seul zaptié, et qui d’ailleurs nous livrait tous ses pouvoirs avec une largeur presque exagérée. On m’avoua enfin que la défense venait du bazar, c’est-à-dire de quelques fanatiques. Ces insensés, groupés autour de la mosquée et du bazar, font l’opinion ou plutôt la conduisent par la crainte de l’incendie et de l’assassinat à tous les excès. Par antipathie pour la France et par suite de cette haine instinctive pour la science qui est au fond de tout musulman, ils menaçaient, après notre départ, des avanies les plus graves quiconque favoriserait en quoi que ce soit notre dessein. Un ouvrier dont nous eûmes besoin nous avoua qu’il nous servirait volontiers, mais il demandait qu’on lui donnât quelques coups devant la foule pour bien constater qu’il ne nous obéissait que par nécessité. »

Les marins de Ruad sont en possession de tout le cabotage des côtes voisines ; celles-ci, couvertes d’un vaste amas de ruines sur une ligne continue de 3 ou 4 lieues, sont désertes et malsaines : là, pressées et nombreuses, étaient ces filles d’Arvad, Paltus, Balanée, Carné, Enhydra, Marathus, Antaradus, où s’épanouissait tout ce qui eût été trop à l’étroit dans l’île. De ces villes, Antaradus et Marathus, aujourd’hui Tortose et Amrit, ont été déblayées par la mission et ont livré des monumens d’un haut intérêt pour l’histoire de l’art et de la civilisation arvadite. La plaine d’Amrit surtout offre l’aspect d’une profonde désolation. Sur ce sol dénudé où perce le rocher stérile, sur les bords solitaires du Nahr-Amrit et du Nahr-el-Kublé, où le brigand Ansarié dresse sa tente, dans ces marais pestilentiels où errent quelques troupeaux de buffles, les bourgeois opulens d’Aradus avaient leurs maisons des champs, leurs exploitations agricoles, leurs fabriques, leurs magasins et leurs caveaux funéraires.

Byblos et toute la région du Liban qui domine la côte semblent un autre monde. Le grand écrivain, dont le génie est fait de tristesse sereine et de profonde sympathie, s’est ici senti tout pénétré de l’esprit des vieilles religions de Syrie, il a chanté ces alpes riantes, fleuries et parfumées, pleines de grâce et de majesté, où se dressaient les « hauts-lieux » à l’ombre séculaire des cèdres, des pins et des cyprès, il a retrouvé sur la montagne et dans la vallée les saints sépulcres d’Adonis, il a vu le sang du dieu rougir encore les eaux du fleuve sacré, il s’est livré au démon antique des anciens cultes du Liban, aux émotions douces et tristes d’une mélancolie pénétrante, il a connu la volupté des larmes qui débordent du cœur aux heures d’enivrement mystique et de tendresse funèbre. « Le charme infini de la nature, dit M. Renan en parlant du Liban, y conduit sans cesse à la pensée de la mort, conçue non comme cruelle, mais comme une sorte d’attrait dangereux où l’on se laisse aller et où l’on s’endort. Les émotions religieuses y flottent ainsi entre la volupté, le sommeil et les larmes. Encore aujourd’hui les hymnes syriaques que j’ai entendu chanter en l’honneur de la Vierge sont une sorte de soupir larmoyant, un sanglot étrange. »

Si la nature est presque encore aujourd’hui ce qu’elle était au temps où cette contrée était une terre sainte, visitée chaque année par des pèlerins venus de tous les points de la terre, il n’en est pas ainsi de la Gebal antique, que des légendes appellent la ville la plus ancienne du monde : Byblos a expié la supériorité de son caractère presque exclusivement religieux. Comme les autres villes de Canaan, elle n’a pas seulement disparu sous l’action dissolvante de l’hellénisme, par la conquête des musulmans et des croisés, par l’effet du génie iconoclaste des habitans ou d’un goût récent, souvent peu éclairé, pour les antiquités phéniciennes ; Byblos a servi de carrière pour les constructions modernes de Beyrouth ou d’Amschit, mais la vraie cause de son anéantissement a été le christianisme. C’est avec une sorte de fureur sacrée que les adorateurs de Jésus ont porté le marteau sur les temples d’Adonis et de Baalath, dont le culte avait refleuri avec un éclat incomparable au temps des Antonins. Les colonnes des temples, toutes brisées sans exception et brisées à dessein, se comptent encore par centaines. Il n’y a peut-être pas d’exemple d’une antiquité aussi complètement broyée. On sent que l’œuvre de destruction a été ici une œuvre pie et que la religion seule pouvait faire de telles ruines.

En dépit d’une totale substitution de races, de langues et de religion qui a eu lieu dans cette partie de la Syrie, parmi les Maronites, les Grecs, les Métualis, les Druses, les Musulmans, les Arabes et les Turcomans, on distingue encore les restes de l’ancienne race libaniote et giblite, race vive, éveillée, bonne, sensuelle, qui parfois présente des types qu’on croirait d’un autre monde. « J’ai vu une de ces femmes appartenant à une ancienne famille de la montagne, écrit M. Renan ; on eût dit Jézabel ressuscitée. Quoique jeune, elle était arrivée à une taille colossale. La beauté de ces femmes, incomparable durant un an ou deux, tourne très vite à l’obésité et à un développement de la gorge presque monstrueux. » Ces bonnes et simples populations, par une illusion fort commune dans l’histoire, sont convaincues à un point qu’on ne saurait imaginer d’avoir été chrétiennes dès les temps apostoliques ; toute conscience de leurs vieux cultes nationaux s’est évanouie, et elles ne se doutent même pas que leurs chapelles actuelles ont simplement succédé aux temples antiques. Le fin et judicieux voyageur les observa à loisir durant ses longues courses dans la montagne, alors qu’il copiait ces innombrables inscriptions d’Adrien semées dans toute la région du Haut-Liban, entre le Sannin et le col des cèdres, ainsi que dans la région moyenne de Toula jusqu’à Sémar-Gébeil. Bien que l’existence de ces inscriptions ait été connue de quelques voyageurs antérieurs, le curieux problème épigraphique qu’elles posent était presque resté inaperçu. Elles consistent toutes en la mention de l’empereur Adrien, imperalor Hadrianus Augustus, suivie de formules qui varient, mais dont voici la plus fréquente : arborum genera IV cetera privata. Dans quelle intention ces textes ont-ils été gravés, au nombre d’au moins huit cents, tantôt sur les sommets les plus élevés, où la neige dure jusqu’au mois de juin et où ne poussent que des buissons rampans, tantôt parmi des rochers à pic presque inaccessibles, dans des grottes où, comme celle d’Ayyoub, on ne parvient qu’en s’aidant des arbustes suspendus au-dessus du fleuve Adonis ? Faut-il y voir un règlement affiché en quelque sorte dans cette région du Liban, couverte d’arbres à l’époque romaine, et par lequel on faisait la distinction des essences réservées à l’état et de celles abandonnées aux coupes des particuliers ? Un texte de Végèce dit expressément que quatre essences sont propres à construire les navires : le cyprès, le pin, le mélèze et le sapin ; voilà les arborum IV genera qui étaient réservés pour la flotte romaine.

Toute la vallée du fleuve Adonis (Nahr-lbrahim), avec ses monumens du culte antique des adonies, est peut-être le coin du monde où la poésie de la nature s’unit de la façon la plus extraordinaire à la poésie de la religion et du passé. Point de terre sainte plus romantique que cette vallée, « si bien faite pour pleurer. » Maschnaka, où se trouvait un des tombeaux d’Adonis, est environnée de montagnes aux contours étranges, dominées à l’horizon par les sommets neigeux d’Aphaca. De l’autre côté du fleuve, au monument de Ghineb, dont les sculptures rappellent le drame divin de la mort d’Adonis et des pleurs de Vénus, on a devant soi le Djebel-Mousa, « hérissé de forêts et encore peuplé de bêtes fauves. » Le plus célèbre des sanctuaires de la déesse de Byblos, celui d’Aphaca, aujourd’hui Afka, est à la source même du fleuve, qui sort d’un vaste cirque de rochers et se précipite, de cascades en cascades, parmi des noyers gigantesques, à d’effrayantes profondeurs. « L’enivrante et bizarre nature qui se déploie à ces hauteurs, dit M. Renan, explique que l’homme, dans ce monde fantastique, ait donné cours à tous ses rêves. »

A quelques heures de Beyrouth et de sa forêt de pins, d’où la ville, ce semble, tire son nom, on arrive devant une ville moderne construite de débris antiques : c’est Sidon, aujourd’hui Saïda, « Le premier-né » de Canaan. Comme toutes les anciennes cités de la Phénicie, — Tyr, Byblos, Botrys, Acre, Jaffa, — elle se présente de loin en promontoire. Les ports phéniciens étaient de préférence situés sur des caps. « Il semble qu’on recherchait plutôt des reconnaissances susceptibles d’être vues de loin que de vrais abris. La navigation d’alors consistait à voguer de cap en cap ; le soir, on tirait la barque sur la grève. La Phénicie n’a vraiment qu’un seul mouillage, qui est Ruad. Ce que les Phéniciens recherchaient dans leurs ports, c’était le voisinage d’une île, ainsi qu’on le voit à Aradus, à Tripoli, à Sidon, à Tyr, et jusqu’à un certain point à Byblos. » N’était sa nécropole et ses jardins, mine inépuisable de petits objets antiques, Sidon ne présenterait presque plus aucun vestige de son passé phénicien. Cette fidèle vassale des Thotmès et des Ramsès, dominatrice des cités de Canaan, des îles et des rivages de la Méditerranée du XVIIe au XIIIe siècle, cette mère vénérée de la civilisation de l’Occident, ce grand entrepôt où s’entassaient les produits et les marchandises de l’Inde, de la Bactriane, de la Chaldée, de l’Arabie, des régions du Caucase, de l’Afrique, de l’Espagne et des îles de l’Etain, — fut trop souvent ruinée et miss à sac par les pirates d’Ascalon, par les Sin-akhé-irib et les Assour-akhé-idin, même par un pharaon, Ouhabrâ, pour qu’on s’étonne qu’elle n’ait point survécu à la conquête musulmane et à la civilisation moderne. Il est remarquable que la plupart de ces maux furent attirés par un manque de tact politique qui surprend chez des armateurs et des négocians aussi avisés que les Sidoniens. Pour ne point payer au grand empire de la vallée du Tigre et de l’Euphrate un misérable tribut, des rois comme Loulii et Abdimilikouth ont causé la ruine de leur patrie, les massacres des familles nobles sidoniennes, la transportation en masse des habitans en Assyrie que remplacèrent des colons venus de la Chaldée et de la Susiane.

Aujourd’hui c’est l’élément musulman dans toute sa sécheresse qui domine à Saïda. Et pourtant, ici comme à Byblos, la vieille population indigène a encore une gaîté, une élégance, une légèreté tout antiques : dans les rues, on rencontre des enfans du type égyptien le plus pur, gracieux et doux ; mais la gloire de Saïda, ce sont ses jardins. Nulle part peut-être, si ce n’est à Damas, ce paradis dont les visions poursuivent jusqu’au désert le maigre Arabe nomade, on ne voit tant d’arbres chargés de grenades, d’oranges, de figues, d’amandes, de citrons, de prunes, de poires, d’abricots, de pêches, de cerises et de bananes. Ainsi qu’aux jours anciens, Sidon est toujours « Sidon la fleurie. »

Le site de Tyr, avec sa chaussée construite par Alexandre, a rappelé à M. Renan Saint-Malo, et son sillon. Ce qui reste des ruines de cette ville bâtie avec des ruines est l’ouvrage des croisés et des Sarrasins. Autant vaudrait chercher à Marseille la cité primitive des Phocéens que prétendre retrouver à Sour l’immense ruche industrielle qui bourdonna quelque temps sur ce rocher, puis s’est tue pour l’éternité. Héritière de Sidon détruite au XIIIe siècle par les Philistins, Tyr continua dans le monde la mission civilisatrice de la cité « mère en Canaan ; » elle acheva la colonisation des côtes et des îles de l’Occident ; mille ans et plus avant notre ère, au temps où le roi Hiram était l’allié et l’ami de Salomon, avec ses sanctuaires reconstruits, ses ports magnifiques, son palais royal, ses arsenaux, ses agrandissemens, elle était sans conteste une des plus opulentes villes de l’univers. Ce n’est pas qu’elle fût grande, cette Tyr insulaire, qui, comme Aradus, déborda sur la côte voisine où s’éleva une autre Tyr, une Tyr continentale (Palétyr). Il n’y eut jamais plus de 25,000 habitans dans cette métropole commerciale du monde entier. Les maisons, entassées les unes sur les autres, n’étaient ni moins hautes ni moins enchevêtrées que celles de la Rome des césars ; Strabon parle avec étonnement du nombre des étages. Ainsi que le remarque M. Renan, la place occupée par chaque individu dans une ville antique était beaucoup moindre qu’aujourd’hui. Chaque année, à l’époque des pèlerinages, les Tyriens, venus de tous les points de la terre pour visiter le temple de Melkarth, se pressaient dans les rues étroites et populeuses, infectées par l’odeur des teintureries de pourpre, avant d’affluer dans les enceintes, les cours et les portiques du sanctuaire. Au temps même de sa plus grande prospérité, Tyr livrait en tribut aux monarques d’Assyrie de l’or, de l’étain, du bronze, des étoffes teintes de pourpre et de safran, du bois de santal et de l’ébène. Les armateurs, les manufacturiers, les marchands, pour avares et âpres au gain qu’ils aient été, n’en goûtaient pas moins le repos à certains jours, dans leurs belles villas de la côte, au milieu de leurs exploitations agricoles, à l’ombre des vignes et des figuiers, où volontiers ils se faisaient enterrer. Plus tard la cité oublia les saines traditions politiques qu’elle avait reçues de Si de ri ; en proie à d’épouvantables guerres civiles, à des révolutions de palais et de harem et finalement à une démagogie sauvage, Tyr perdit le sentiment des réalités, refusa le tribut séculaire aux maîtres du monde, et se fit assiéger, ruiner, détruire pierre à pierre par Salmanasar V, Saryoukin, Sin-akhé-irib, Assour-ban-habal, Nabou-koudour-oussour, Alexandre de Macédoine.

Qu’importe que cette île ait résisté treize ans ou treize mois aux blocus, et que parfois ses flottes aient coulé bas quelques navires de Byblos ou de Sidon montés par des Assyriens ? Vaincue d’avance, Tyr provoquait follement le destin. Qu’aurait gagné le monde à sa victoire ? Mais Tyr ne s’appartenait plus depuis longtemps ; les mercenaires et les esclaves, cent fois plus nombreux que les citoyens, étaient les maîtres véritables de la cité de Melkarth. Aux heures troubles de la rébellion ou de quelque danger public, les Libyens et les Lydiens, les marins du port, parcouraient les rues en armes, tandis que des fabriques, des usines et des comptoirs sortaient, comme des fourmilières, de noires multitudes d’esclaves éternellement en guerre contre le genre humain. Cette tourbe sans nom, conduite par quelques fanatiques, ne se souciait certes pas de la puissance maritime, coloniale et commerciale de Tyr : elle bravait l’Assyrien comme elle eût fait Baal lui-même, avec le cynisme des populaces, avec cette insouciance hébétée, ce rictus sardonique, qu’on prend parfois pour de l’héroïsme et qui n’est que de l’inconscience obtuse ou de la frénésie de meurtre et d’incendie. Ces sortes de folies terribles sévissent comme des épidémies, à certains momens de l’histoire, dans tous les grands centres de population industrielle. C’est que le prolétaire et l’esclave font peu de cas de cette vie et applaudissent volontiers à toutes les ruines. Après la prise de Tyr par le héros macédonien, tout ce qui n’avait pas été tué fut vendu ; des 30,000 individus exposés sur les marchés d’esclaves, la plupart appartenaient déjà à cette classe de misérables ; au lieu de travailler dans les teintureries ou dans les verreries de Tyr, ils servirent des marchands du Pirée où des potiers de Corinthe. S’ils n’avaient rien gagné, ils ne perdaient rien, et il y avait toujours dans le monde une grande ville de moins.


II. — L’ART.

Rechercher les monumens, les objets d’art, les inscriptions que ces villes en poudre peuvent avoir conservés, telle était la tâche difficile de la mission. Ce n’est pas que la Phénicie tienne une grande place dans l’histoire de l’art. Si par ce mot on entend une manière propre de réaliser dans une certaine mesure l’idéal esthétique d’une race d’après un type fixé une fois pour toutes et selon des lois de développement organique, comme l’art égyptien, l’art assyrien ou l’art grec, on peut affirmer hardiment qu’il n’y a point d’art phénicien. Ainsi que les nations vouées au commerce et à l’industrie, les Phéniciens n’ont jamais vu dans l’art que l’utile et l’agréable ; ils ne l’ont point distingué de la mode. Pendant mille ans, de l’invasion des Hyksos dans la Basse-Égypte jusqu’à la XXe dynastie et bien plus tard encore, les ouvriers cananéens allèrent à l’école des fils de Misraïm. Ce n’est point seulement sous le rapport politique et religieux que la Phénicie des Thotmès et des Ramsès fut une province de l’Égypte : c’est aussi sous celui de l’art. Les symboles et les formes de l’architecture phénicienne ont été importés des bords du Nil avec le costume et les rites funéraires. Quand les durs conquérans de Ninive, de Babylone et de Suse répandirent jusqu’en Syrie et en Asie-Mineure la civilisation chaldéo-assyrienne, Tyr et Sidon sacrifièrent aux modes asiatiques. Dès 400, avant Alexandre, l’art grec a déjà conquis toute la Phénicie. Puis vient l’époque romaine, et au IIe et au IIIe siècle le pays se couvre de monumens conformes au goût du temps. Les temples du Liban en particulier, les sanctuaires vénérés d’Adonis et de Baalath, furent tous rebâtis en style grec ou gréco-romain. Rien ne montre mieux que ces éternelles variations du goût et de la mode l’absence complète d’un art indigène. M. Renan en a très judicieusement fait la remarque, l’Égypte n’adopta jamais les ordres grecs. Si les temples et les monumens des cités phéniciennes avaient été comparables à ceux des acropoles de l’Hellade, ils auraient résisté à l’envahissement des modes étrangères.

L’infériorité absolue des Phéniciens dans les choses de l’art est aujourd’hui démontrée. La population de la côte de Syrie, éminemment douée pour le commerce, est encore la moins artiste du monde. Il semble étrange de refuser tout génie propre en architecture au peuple qui a peut-être le plus contribué à répandre dans toute l’Asie occidentale et en Grèce les procédés de l’art de construire. Si c’est à l’Assyrie, par l’intermédiaire de l’Asie-Mineure, que les Hellènes, en particulier les Ioniens, doivent les premiers modèles de cet art, il serait injuste d’oublier ce que les vieilles écoles doriennes ont reçu des Phéniciens. Et cependant il est certain que, lorsque Hiram envoyait des maçons et des fondeurs à Jérusalem pour y élever un temple, c’était là une entreprise industrielle et commerciale au moins autant que politique. Le fameux temple hébreu fut construit sur le modèle des sanctuaires de l’Égypte uniquement parce que le style égyptien était alors à la mode, et que les ingénieurs cananéens n’en connaissaient point d’autre. Leur science n’était pas moins un objet d’exportation que l’industrie de leurs ouvriers, les belles pierres toutes taillées, les poutres colossales, les colonnes de bronze avec leurs chapiteaux, les bois précieux et les plaques de métal. D’ailleurs aucun souci de la beauté ni de la durée : les calculs étroits et intéressés de l’industrie, la lésinerie sur le choix des matériaux, le manque de sincérité, la recherche de l’effet et de l’ostentation ; voilà ce qui explique que le peuple qui a le plus construit n’a pas laissé debout un seul monument. De même le peuple qui a inventé notre écriture et l’a « exportée » dans le monde entier est de tous celui qui a le moins écrit pour la postérité.

A dire le vrai, le génie de l’homme n’est pas tout dans la création de l’œuvre d’art ; la nature des matériaux décide souvent des formes et de la destinée de l’œuvre. « La destinée de la Grèce, en fait d’art, dit M. Renan, était écrite dans sa géologie. » Il en fut ainsi pour la Phénicie ; le calcaire de la côte de Syrie, composé de particules très inégalement résistantes, d’un aspect rugueux et granuleux, ne comportait pas les fines ciselures des marbres de la Grèce. Aussi ne se peut-il rien imaginer de plus contraire au principe du style hellénique, la colonne, que le principe même de l’architecture phénicienne, le roc taillé et le monolithisme. Les habitations primitives des Cananéens de Syrie ont été des trous naturels, des cavernes plus ou moins façonnées et dégrossies par des ouvriers qui tiraient parti des creux et des saillies du rocher. De même, quand plus tard les maçons de Byblos ou d’Aradus élevèrent de vastes murs aux assises colossales, les blocs énormes sortaient tout faits de la carrière et s’imposaient en quelque sorte à l’architecte ; loin de subordonner les matériaux à l’œuvre, c’est l’œuvre qui, conçue sans idéal, se modifiait avec la pierre. L’architecture sur le roc vif qu’on rencontre à chaque pas en Phénicie, à Jérusalem, en Lycie, en Phrygie, est demeurée presque étrangère aux Hellènes. Il en faut dire autant des revêtemens et des placages en bois et en métal qui dissimulaient l’œuvre même de l’architecte, l’ordonnance, la taille, et les joints des matériaux, à tel point que la plus haute marque de magnificence dans un édifice était que « la pierre ne s’y vît nulle part » (I Rois, VI, 18).

Il faut que les constructeurs phéniciens aient mis beaucoup de négligence ou bien peu de prévoyance dans leurs monumens pour qu’il n’en subsiste presque rien. Nous n’avons garde d’oublier que, durant les époques grecque, romaine, byzantine, musulmane, la population très dense de la Syrie n’a cessé d’y bâtir, c’est-à-dire de débiter en moellons les gros blocs des anciens édifices, devenus de véritables carrières ; nous savons quelles gigantesques murailles de pierres les templiers, les hospitaliers, l’ordre teutonique, en ont tirées ; nous reconnaissons que le christianisme a démoli les temples[1], que l’islamisme a brisé les statues, et que la race actuelle, chrétienne ou musulmane, n’est pas moins iconoclaste d’instinct. Enfin nous constatons, avec tous les voyageurs, les ravages effroyables des chercheurs de trésors. Malgré tout, nous estimons avec M. Renan que, quand même l’art grec se fût trouvé dans des conditions semblables, le génie grec se décèlerait encore. Les véritables causes de cette caducité sont ailleurs. Si l’architecture est le critérium le plus sûr de l’honnêteté, du sérieux, du jugement d’une nation, si l’historien peut juger les peuples et les époques par la solidité et la beauté des édifices qu’ils ont laissés, c’est seulement par le défaut de ces qualités chez les Phéniciens qu’on peut s’expliquer le néant de leur œuvre d’architecture. « Condamnation éternelle du moyen âge et des temps modernes ! s’écrie M. Renan avec une admirable éloquence, qui n’a vu, il y a quelques années, en passant sur le pont Royal, ces honteux murs des Tuileries, formés de deux revêtemens menteurs, dissimulant un ignoble blocage composé de boue et de gravois ? Et nos constructions du moyen âge ! quel manque de soin et de jugement ! Quand on a la volonté de bâtir un temple digne de la Divinité, comment se contenter d’aussi misérables matériaux ? Aucune pierre du Parthénon n’a moins de la taille voulue par sa situation ; toutes, même celles qu’on ne voit pas, sont du marbre le plus parfait. Et quel soin dans le détail ! Pour le gothique, le détail n’a rien de précieux ; pour l’artiste grec, chaque détail a sa valeur et exigeait un ouvrier excellent. Ce sont des merveilles à leur manière que les tombeaux musulmans et les mosquées du Caire ; le dessin en est admirable, le plan sur le papier semble tout de génie ; dix ou vingt ans, elles ont été charmantes, autant qu’un crépissage et un visage fardé peuvent être charmans : aujourd’hui ce sont de sales ruines, un amas de poutres, de lattes et de torchis, trahissant les voleries de l’entrepreneur, l’esprit superficiel du constructeur. Dans mille ans, elles n’existeront pas plus qu’il n’existera une église gothique, et, dans mille ans, le Parthénon, les temples de Pœstum, si on ne les démolit pas, seront dans l’état où ils sont aujourd’hui. En art comme en littérature, comme en religion, comme en politique, la maxime « malheur aux vaincus ! » est vraie au bout de plusieurs siècles. Pour durer, il faut être vrai ; ce que le temps renverse a toujours en son principe quelque chose de défectueux. »

Quelque pauvre et chétive que soit l’archéologie phénicienne, elle existe pourtant ; une vue d’ensemble sur les monumens et sur les objets d’art décrits dans la Mission de Phénicie, tout en soumettant à une sorte de vérification expérimentale les idées générales qui précèdent, permettra d’acquérir une notion plus exacte de ce qu’a été cette manière d’art, issu du troglodytisme, essentiellement imitateur et avant tout industriel.

L’île de Ruad a livré quelques spécimens curieux de l’art arvadite antérieur à l’époque grecque. Ces objets, éminemment phéniciens, sont un mélange d’élémens égyptiens et assyriens ou persans. On remarque entre autres deux dalles d’albâtre : l’une représente un sphinx ailé, coiffé du pschent, sans doute un roi d’Aradus, l’autre deux griffons affrontés, appuyés contre une sorte de plante sacrée. D’autres objets, une statuette naophore égyptienne de l’époque saïte (analogue à celle trouvée à Byblos), avec inscription hiéroglyphique, et un fragment de basalte également couvert d’écriture égyptienne, ont été apportés tout faits des bords du Nil, comme le célèbre sarcophage du roi de Sidon Eschmounazar ; mais à l’ouest et au sud de l’île se dressent encore les restes les plus grandioses et les plus authentiques de l’ancienne Phénicie ; une partie du mur qui ceignait autrefois toute l’île domine à pic une eau profonde : ce sont des blocs quadrangulaires de 3 mètres de hauteur sur Il ou 5 mètres de long, inégaux, superposés assez irrégulièrement, sans ciment, de petites pierres fermant les vides et opérant les jointemens. « L’idée dominante des constructeurs a été d’utiliser le mieux possible les beaux blocs. Apporté sur place de la carrière voisine, le bloc a en quelque sorte commandé sa place. On lui a fait le lit le plus avantageux sans lui demander aucun sacrifice de sa masse, et l’on a fermé autour de lui avec de moindres matériaux. »

Même principe de construction à Amrit, ville foncièrement cananéenne, « trésor des monumens phéniciens. » L’édifice appelé avec raison par les gens du pays El-Maabed, « le temple, » est le plus ancien et presque le seul sanctuaire qui subsiste de la race sémitique. Ni à Paphos, ni à Malte, ni à l’ancienne Gaulos, on ne pénètre si bien dans les habitudes du culte syro-phénicien. Au milieu d’une vaste cour carrée, évidée dans le rocher, s’élève sur un cube de pierre une sorte de tabernacle ou cella fermée de trois côtés ; une énorme dalle monolithe, en forme de toit, fait saillie sur le devant et était probablement soutenue par des colonnes de métal. Des banquettes règnent de chaque côté de la chambre ; divers trous carrés, des rainures, semblent avoir été destinés à recevoir soit la base d’une colonne en bois, soit un candélabre, soit une tringle le long de laquelle courait une courtine destinée à cacher l’intérieur du sanctuaire et les objets sacrés qui s’y trouvaient, — peut-être les stèles ou plaques de métal sur lesquelles étaient écrites les lois religieuses, les tables de la loi. « Je suppose, en tout cas, écrit M. Renan, que ces sortes de cellœ s’appelaient chez les Phéniciens, de même que chez les Hébreux, théba, « arche, » d’autant plus que ce mot paraît, ainsi que l’objet lui-même, d’origine égyptienne. » La Kaaba de La Mecque est également un édifice de forme cubique. Les parois du rocher qui sert de base au Maabed sont rongées au tiers inférieur, à la manière des pierres qui ont longtemps séjourné dans l’eau. Une source s’échappe encore de l’enceinte. On n’en saurait douter : cette cour était un vaste bassin, un lac sacré, et l’arche, le saint des saints, surgissait des eaux. Depuis Pococke, il n’est plus permis d’hésiter sur l’aspect tout égyptien de ce temple phénicien.

Non moins égyptiens sont les débris de deux autres petits temples ou naos peu éloignés l’un de l’autre que M. Renan a découverts sous des buissons épais, dans un marais de lauriers-roses situé près de la source appelée Ain-el-Hayât, « la Fontaine des serpens. » Ces deux naos, portés chacun sur un bloc cubique, posé lui-même sur une assise en retraite, s’élevaient au-dessus de l’eau ; des deux côtés de l’un et de l’autre sanctuaire, on voit encore la trace de petits escaliers extérieurs conduisant à la plate-forme. L’une des celles, tout à fait monolithe, était couronnée d’une belle frise composée d’une série d’uraeus[2] ; à la voûte étaient sculptées deux vastes paires d’ailes, faisant saillir à leur centre, l’une peut-être la tête d’un aigle, l’autre un globe entouré d’aspics et muni d’une queue d’oiseau de proie. Un excellent dessin de M. Thobois, attaché à la mission en qualité d’architecte, présente une restauration de cet édifice où il n’est entré aucun élément conjectural. M. E. Lockroy, dont le crayon vigoureux a dessiné aussi pour la mission plus d’un site et plus d’un monument, a vu en Égypte, à Philœ, un naos absolument semblable.

Amrit possède encore sur son sol plusieurs pyramides sépulcrales qu’on aperçoit au loin de la haute mer. Les gens du pays appellent ces monumens El Awâmid-el-Meghâzil, « les colonnes-fuseaux ; » tous s’élèvent au-dessus de caveaux funéraires déblayés par la mission, ils sont placés à quelques mètres de l’entrée et de l’escalier par lequel on descend dans les chambres à fours. La nécropole de l’antique Marathus comptait sans doute bien d’autres meghâzil, M. Renan y voit ces horaboth, ces pyramides fastueuses qu’à l’époque où le poème de Job fut écrit les riches avaient accoutumé de faire dresser sur leurs tombes. L’un de ces monumens consiste en un soubassement rond, flanqué de quatre lions d’un grand effet, mais grossièrement sculptés, et d’un cylindre surmonté d’un hémisphère constituant un monolithe de 7 mètres de haut ; deux couronnes saillantes, formées de grands denticules et de découpures pyramidales à gradins, entourent le cylindre. Ce motif très ancien, dont l’usage se conserva surtout à Byblos jusqu’à la fin du paganisme, est imité des tours crénelées des remparts assyriens : tout le monde l’a pu voir au Louvre dans les fragmens des bas-reliefs du palais de Koyoundjik. Les autres meghâzil sont terminés, non par une demi-sphère, mais par de véritables petites pyramides ; de même pour l’énorme mausolée d’Amrit nommé Burdj-el-Bezzâk, « la tour du Limaçon, » qui n’est plus qu’un cube surmonté d’une corniche, construit par assises horizontales, sans ciment, en pierres de cinq mètres au moins.

A Byblos, l’ancienne Gebal cananéenne, M. Renan, guidé par un sentiment très sûr de l’emplacement où devaient avoir été situés les grands sanctuaires de cette ville, fit ouvrir une tranchée sur la colline que laisse à sa gauche le voyageur venant de Beyrouth, en quittant le bord de la mer et en s’avançant vers le khan de la petite ville actuelle. Les fouilles confirmèrent au-delà de tout espoir les prévisions de l’éminent antiquaire. Elles mirent à découvert une construction carrée en pierres colossales, un chapiteau en dehors du style classique, trois dalles d’albâtre où l’on remarque l’ornement à gradins d’origine assyrienne, et surtout un fragment de bas-relief représentant un lion aux formes d’une puissance extraordinaire, aux muscles saillans, et qu’on dirait détaché des murailles de quelque palais de Ninive, Non loin de là fut trouvé un bloc calcaire orné d’un bas-relief qui a nécessairement décoré un édifice d’une grande dimension : on y voit un roi, l’uræus dressé sur le front, recevant l’accolade d’une Isis ou d’une Hathor coiffée du disque lunaire et des cornes de vache ; de l’inscription hiéroglyphique égyptienne qui accompagnait ces sculptures, un seul mot est venu jusqu’à nous : « éternellement. » La finesse du contour et la suprême élégance du dessin portaient M. de Rougé à voir en ce monument une œuvre de l’époque des Saïtes.

Le chef de la mission n’a jamais hésité sur la nature de l’édifice dont on venait d’exhumer ces ruines : là était le grand temple de la cité sainte, le sanctuaire de Baalath et d’Adonis, que les pèlerins apercevaient de la mer et où se passaient les cérémonies et les spectacles des adonies. Peut-être la figure de cet édifice nous a-t-elle été conservée sur deux monnaies frappées sous Macrin, où se lit le nom de la « sainte Byblos. » La construction en pierres énormes dont nous avons parlé aurait été le socle de la pyramide représentée sur les monnaies, entourée de colonnes, rattachée à une vaste cour sacrée et à un temple aux assises colossales. Ce qui ne permet plus aucun doute sur la justesse de cette intuition, c’est la découverte qu’on a faite naguère devant une maison dont l’endroit est indiqué, sur la planche XIX de la Mission, comme présentant des « vestiges de constructions anciennes. » Je veux parler de la stèle phénicienne de Yehawmelek, roi de Gebal, et des deux lions de style archaïque trouvés auprès ; cette pierre a sûrement appartenu au grand temple de la déesse de Byblos. Le registre supérieur nous montre, gravée au trait, une déesse assise sur un trône, la longue robe collante, les cheveux retenus sur le front par un bandeau, la tête coiffée du disque solaire flanqué de deux cornes de vache, posé sur un oiseau à la queue déployée sur la nuque et la tête dressée sur son front ; la main droite, levée, s’ouvre pour protéger ou bénir ; la gauche tient un long sceptre de papyrus. C’est le costume, l’attitude, les attributs d’une Isis-Hathor. Le style et le procédé sont égyptiens. Un personnage vêtu comme un roi de Perse, le roi phénicien Yehawmelek, la barbe longue et frisée, la tiare basse et cylindrique, la longue tunique relevée dans la ceinture, ainsi qu’aux bas-reliefs de Persépolis, se tient debout devant la déesse et lui offre une libation. Le disque égyptien, aux ailes inclinées, surmonte cette stèle ; le globe solaire et les deux uræus étaient en métal ; on le reconnaît encore aux traces des clous et à l’encastrement primitif. Le registre inférieur, dont une cassure ancienne a fait disparaître en partie les six dernières lignes, se compose d’une inscription phénicienne de quinze lignes.

Si ce texte épigraphique, presque aussi célèbre aujourd’hui que ceux de la stèle de Méscha et de l’inscription funéraire d’Eschmounazar, n’a pas été rendu à la lumière par la mission, c’est qu’il était presque engagé sous une maison particulière à laquelle on ne pouvait toucher. En plantant quelques arbres devant l’entrée de sa maison, le paysan qui l’habite, un musulman, découvrit une sorte de porte : au seuil se dressait la stèle entre deux lions, la gueule ouverte. Lions et stèle ont été tirés des carrières de calcaire qui avoisinent l’antique Byblos. De là les grandes difficultés de lecture que présente ce texte assez fruste. M. le comte de Vogué, le premier qui ait lu les parties essentielles de l’inscription, en a souvent triomphé de la manière la plus heureuse. Depuis, ce texte a servi aux leçons d’épigraphie sémitique du cours de M. Renan au Collège de France ; voici la traduction du savant professeur :


« C’est moi, Yehawmelek, roi de Gebal, fils de Ieharbaal, petit-fils d’Adommelek, roi de Gebal, que la dame Baalath Gebal, la reine, a fait (roi) sur Gebal.

« J’invoque ma dame Baalath Gebal (car elle m’a toujours exaucé), et j’offre à ma dame Baalath Gebal cet autel de bronze qui est dans (l’atrium), et la porte d’or qui est en face de (l’entrée), et l’urœus d’or qui est au milieu du (pyramidion) placé au-dessus de ladite porte d’or. Ce portique, avec ses colonnes et les (chapiteaux) qui sont sur elles, et avec sa toiture, c’est aussi moi, Yehawmelek, roi de Gebal, qui l’ai fait pour ma dame Baalath Gebal, conformément à l’invocation que je lui ai faite, car elle a écouté ma voix, et elle m’a fait du bien.

« Que Baalath Gebal bénisse Yehawmelek, roi de Gebal ; qu’elle le fasse vivre, qu’elle prolonge ses jours et ses années sur Gebal, car c’est un roi juste, et que la dame Baalath Gebal lui donne faveur aux yeux des dieux et devant le peuple de cette terre, et la faveur du peuple de cette terre (sera toujours avec lui).

« Tout homme de race royale ou simple particulier qui se permettra de faire un ouvrage quelconque sur cet autel d’airain, et sur cette porte d’or, et sur ce portique où moi, Yehawmelek… et de faire cet ouvrage soit… soit… et sur ce lieu-ci… que la dame Baalath Gebal maudisse cet homme-là et sa postérité. »


Ce n’est pas le lieu d’insister sur les mots nouveaux, les formes grammaticales et les particularités épigraphiques que présente ce texte. De toutes les inscriptions phéniciennes, aucune ne se rapproche plus de l’hébreu. Peut-être faut-il y voir la confirmation d’une hypothèse de Movers, l’illustre auteur des Phéniciens, hypothèse adoptée par le savant géographe Karl Ritter, d’après laquelle les Giblites auraient formé, au milieu des autres populations phéniciennes, un petit monde à part, plus analogue que le reste des Cananéens avec le peuple juif. La paléographie seule assigne à cette stèle une date comprise entre le VIe et le IVe siècle. Les trois rois de Byblos dont ce monument nous fait connaître les noms appartenaient à une de ces petites dynasties locales qui, sous la suzeraineté des rois de Perse, comme sous la domination des pharaons d’Égypte ou des monarques assyriens, continuèrent de régner sur l’antique cité phénicienne. La numismatique et surtout la nature des sculptures de la stèle, où les élémens égyptiens et perses sont évidens, peuvent aider à résoudre le problème. En effet, les noms des derniers rois de Byblos conservés sur les monnaies sont ceux des Og, des Azbaal, des Aïnel ; celui-ci ayant été détrôné par Alexandre, les dynastes de la stèle de Byblos sont antérieurs : c’est donc à une époque encore voisine de la domination égyptienne, bien que postérieure à la conquête de Cyrus, c’est-à-dire dans la première moitié du Ve siècle, qu’il convient de les placer.

La seconde phrase de l’inscription de Yehawmelek fournit quelques indications précieuses sur la disposition même du grand temple de la déesse de Byblos. Rapprochées des figures des monnaies frappées sous Macrin, elles permettent de se représenter assez nettement l’économie du sanctuaire. L’édifice dominait la ville et s’apercevait sans doute de la mer. Le sanctuaire même était précédé bu entouré d’une enceinte sacrée, au milieu de laquelle était un autel de bronze ; on y avait accès par une porte d’or accompagnée de portiques à colonnes ; une petite pyramide s’élevait au-dessus de la porte d’or. Des portes d’or, c’est-à-dire en bois doré, brillaient aussi à l’entrée du parvis du temple d’Hiérapolis, si bien décrit par l’auteur de la Déesse syrienne. Le fauve éclat de l’or resplendissait partout, aux voûtes du sanctuaire comme sur les symboles et les vêtemens des dieux ; enfin il est fait mention d’un grand autel d’airain qui s’élevait au dehors.

Dans la région du Liban au-dessus de Byblos et dans la vallée du fleuve Adonis, les monumens qui subsistent sont de basse et de très basse époque ; tout est du style grec et romain des premiers siècles de notre ère ; le grec et le latin sont aussi les langues épigraphiques du Liban. A Maschnaka, une cour sacrée où se voient les débris d’un édicule aux chapiteaux corinthiens demeuré inachevé semble avoir été un des « tombeaux d’Adonis. » Les sculptures taillées dans le roc, d’un caractère évidemment religieux, de Irapta, de Maschnaka, de Ghineh, sont tout aussi modernes. Celle de Irapta, sans doute plus ancienne, représente un sacrifice : la beauté des attitudes, la noble simplicité des draperies, étonnent et charment un moment ; mais je ne sais rien de moins propre à entretenir l’illusion sur les vieux cultes du Liban qu’une Baalath en pleurs dans une cella d’ordre ionique et un Adonis costumé en empereur romain.

A Sidon, comme à Tyr, ce n’est plus sur le sol, c’est au sein de la terre qu’il faut rechercher quelques vestiges de leur passé phénicien. Nous ne pouvons insister sur les petits objets, scarabées, statuettes, amulettes, bijoux, presque tous de provenance égyptienne, exhumés des jardins de Saïda. De très bonne heure, avant Alexandre même (dès 400 à peu près), Sidon s’hellénisa. Elle eut des rois philhellènes. Ses bourgeois opulens voulaient reposer après leur vie dans des grottes champêtres, aux murs couverts de fines et élégantes peintures, retraçant, comme à la nécropole de Halalié, parmi les oiseaux et les fleurs, le gracieux mythe de Psyché[3]. Au IIIe et au IIe siècle, des Sidoniens prirent part aux concours et aux jeux de la Grèce. L’un d’eux, Diotime, vainqueur à Némée, avait voulu transmettre à la postérité sa statue et son éloge : celui-ci seul a été retrouvé dans un jardin de Saïda gravé en dialecte dorien sur un beau bloc de marbre des îles grecques. M. Egger, qui, par son profond savoir d’antiquaire et de philologue, a tant contribué à la publication et à l’interprétation des textes grecs de la Mission de Phénicie, a restitué avec M. Miller l’inscription métrique de Diotime ; on peut la traduire ainsi :


« Le jour où dans les stades argoliques les braves se sont disputé la victoire de la course des chars, ce jour, Diotime, la terre phoronide t’a décerné un bel honneur, et tu as ceint des couronnes immortelles, car, le premier de tes compatriotes, tu as remporté de l’Hellade dans la maison des nobles Agénorides la gloire hippique. La sainte ville de Thèbes cadméide se réjouit aussi en voyant sa métropole illustrée par des victoires. La ville de Sidon célébrera des fêtes en l’honneur de ton père Dionysios, parce que l’Hellade a fait retentir cette clameur éclatante : « ce n’est pas seulement par tes navires aux flancs recourbés que tu excelles, tu remportes aussi des victoires avec les chars attelés. »


Peu de textes, il le faut reconnaître, donneraient autant à réfléchir. Ce pastiche de commande, mais non sans agrément, montre à quel point était déjà avancé au me siècle le mélange de races et d’idées d’où devait sortir, avec l’adoption des modes et des arts de la Grèce en Phénicie, le syncrétisme historique et religieux du livre de Sanchoniathon. Tout en rappelant fièrement son titre de métropole de l’Hellade, prétention assez justifiée, mais non comme l’entend Diotime, la Phénicie met désormais sa gloire à se rattacher aux traditions grecques. Le sculpteur Timocharis d’Éleutherna, qui a signé le bloc de marbre, paraît s’être établi à Rhodes : c’est en cette île sans doute, où de si bonne heure les Cananéens s’étaient établis avec leurs dieux, que l’épigramme fut composée par quelque poète de profession. Si l’on songe que les Phéniciens étaient les frères de ces Juifs de Jérusalem qui ne comprirent jamais rien à la culture hellénique, et qui se détournaient avec horreur des palestres et des gymnases grecs du grand-prêtre Jason[4], on admirera la souplesse du génie de Canaan, cette merveilleuse puissance d’adaptation aux temps et aux milieux que seuls les Israélites exilés et dispersés par le monde devaient un jour surpasser.

La Sidon souterraine, je veux dire l’immense nécropole de la ville où fut trouvé en 1855, dans la « caverne d’Apollon, » Mughâret Abloun, le sarcophage d’Eschmounazar, a livré quelques beaux monumens funéraires. Les tombeaux sont les meilleurs legs archéologiques laissés par les Phéniciens. Le tombeau est la « maison éternelle » des peuples sémitiques. Ce ne sont pas seulement les Égyptiens qui parlaient ainsi, le mot se lit dans un auteur hébreu[5]. Les Cananéens enterrèrent d’abord leurs morts dans des cavernes naturelles ; plus tard, ils creusèrent dans le roc des caveaux rectangulaires, à forme de puits, qui s’ouvraient latéralement sur des chambres sépulcrales : ce type est certainement le plus ancien, il est tout égyptien. Le cadavre était de même traité selon les pratiques des bords du Nil : l’usage de mettre des feuilles d’or à toutes les ouvertures du corps, surtout aux yeux, paraît aussi avoir été général en Phénicie. La bouche toujours béante du puits où l’on descendait le cadavre est cette gueule dévorante, insatiable, du schéôl, qui faisait dire aux Hébreux pour signifier la mort : « la bouche du puits l’a dévoré. « De lourdes dalles recouvertes de terre végétale fermaient le puits à une certaine hauteur. Couché dans son sarcophage, seul en sa chambre sépulcrale plongeant aux entrailles de la terre, le mort reposait pour l’éternité. Peut-être un édicule s’élevait-il, ainsi qu’en Égypte, sur les caveaux à puits ; les caveaux à escaliers, moins anciens, avaient au-dessus, comme à Amrit, des pyramides ou meghâzil.

Dans la caverne d’Apollon, on rapprocha les curieux fragmens d’un sarcophage à tête sculptée qui, au lieu d’être comme d’ordinaire une gaîne surmontée d’une tête, rappelle par le travail des bras, des mains et de la draperie, les procédés de sculpture de l’art assyrien et de l’art, grec archaïque. Deux sarcophages phéniciens trouvés près de Palerme au XVIIe et au XVIIIe siècle ressemblent presque de tous points à celui de Sidon : ils ont du moins pu échapper à la funèbre industrie des spoliateurs de sépultures, qui ne fleurit pas moins chez les chrétiens actuels de Syrie que dans la vieille Égypte pharaonique. A la lettre, on ne retire plus des nécropoles un sarcophage qui n’ait été violé ; le couvercle est-il trop lourd, les voleurs percent la cuve et ramènent avec un crochet les objets qui s’y trouvent, — petites idoles de travail égyptien, œil symbolique, bijoux, mouches d’or, feuilles d’or en forme de lunettes, etc. Le plus ancien d’entre les sarcophages à gaîne et à tête sculptée exhumés de la nécropole de Saïda et rapportés par la mission est une vraie momie de marbre, aux formes trapues et aplaties, « où l’on croit par momens voir encore sourire une bonne figure juive de nos jours. » Aurait-on là enfin un monument cananéen d’une haute antiquité ? Bien qu’essentiellement phéniciens, ces sarcophages anthropoïdes sont imités de l’Égypte ; il convient donc, pour en déterminer la date, de les rapprocher de leurs types. Interrogé par M. Renan, M. Mariette a répondu que ces sarcophages sidoniens, y compris celui d’Eschmounazar, apporté d’Égypte tout taillé, ne remontent pas plus haut que la XXVIe dynastie, et partant sont contemporains de la dynastie saïte. Si le plus archaïque de ces sarcophages est peut-être de l’an 800 ou 900 avant notre ère, les autres ne sont guère antérieurs au ne siècle ; l’art grec avait définitivement triomphé en Syrie, et l’on s’en aperçoit à la sculpture des têtes déjà presqu’en ronde bosse. Les sarcophages phéniciens sont des copies en marbre des cercueils en bois des momies égyptiennes. Il faut se les représenter également couverts de peintures. La forme était empruntée à l’Égypte, la matière aux îles de la Grèce, car le marbre ne se rencontre pas en Syrie. Point d’inscriptions ; qui les aurait été lire au fond des puits ? Hors de Phénicie, les Phéniciens écrivaient volontiers sur les cippes funéraires qu’ils trouvaient en usage : Athènes et le Pirée ont donné jusqu’ici plus d’épitaphes phéniciennes que tout le pays de Canaan. Ainsi, même en sa nécropole, l’antique Sidon a péri ou se dérobe avec mystère. Aux hommes de notre âge, elle ne livre que quelques débris des époques assyrienne, persane et gréco-romaine. Déjà, en ces siècles qui nous paraissent si lointains, elle avait vécu et n’était plus qu’un vain nom.

Dans la plaine de Tyr, le déblaiement du « tombeau d’Hiram, » Kabr-Hiram, a été complet : il est demeuré aussi muet que les nécropoles tyriennes de Maschouk et d’El-Anwatiw. Ce n’est certes pas un monument phénicien que la mosaïque dite de Kabr-Hiram, œuvre de la seconde moitié du IIe siècle avant notre ère, découverte sur l’emplacement d’une petite église byzantine consacrée à saint Christophe ; le dessin en est excellent, les couleurs délicates et riches, encore que l’exécution soit défectueuse et grossière. Si nous mentionnons ce beau pavé, c’est que le dallage en mosaïque, très ancien chez les Hébreux, paraît avoir été un art d’origine tyrienne. Au Ouadi-Aschour, près de l’antique Cana, on voit la plus importante sculpture sur le roc qu’il y ait dans tout le pays de Tyr : c’est une cella située au-dessous d’une grande caverne taillée ; les personnages sculptés sont coiffés du pschent et le globe ailé domine cette œuvre égypto-phénicienne. L’une des grottes voisines du village métuali de Vastha, outre des graffiti, quelques lettres phéniciennes et certains signes dont nous parlerons, contient une inscription grecque votive du IIIe siècle avant notre ère. Le décret de Diotime n’ayant pas été gravé en Phénicie, ce texte reste le plus ancien spécimen connu de lettres grecques tracées en Phénicie.

Les ruines d’Oum-el-Awamid, « la mère des colonnes, » avaient éveillé dans l’esprit du chef de la mission de grandes et hardies espérances qui peut-être ne se sont pas toutes réalisées. Certes les débris de cette Laodicée grecque, qui s’appela sans doute à l’origine « ville des Tyriens, » appartiennent bien à l’époque achéménide ou à l’époque hellénique : ils sont vierges, en tout cas, de la lourdeur et de la banalité de l’époque romaine. Quand la Syrie devint province romaine, cette ville n’était déjà plus. Les têtes et quelques poitrines ou croupes de sphinx qu’on y a trouvées rappellent à M. Renan les sphinx de l’allée du Sérapéum de Memphis, qui sont du temps de Psammétique. On connaît désormais la forme particulière que ces animaux fantastiques, désignés sous le nom de cherub, avaient prise en Phénicie. La construction égyptienne du centre de la ville paraît à l’auteur le plus vieux monument d’Oum-el-Awamid. Il ne la tient pas toutefois pour un témoin de l’époque d’Hiram, non plus que pour une œuvre postérieure au temps d’Alexandre ; elle lui paraît contemporaine de la domination perse. Les trois inscriptions phéniciennes qui furent découvertes à Oum-el-Awamid sont aujourd’hui célèbres. La première, qui est de l’an 132 avant notre ère, atteste que sous les successeurs d’Alexandre les vieux cultes nationaux étaient conservés et que l’idiome de Canaan était encore très pur, sans influence sensible de l’araméen. Voici quelle serait, selon M. Renan, la traduction de cette inscription : « Au seigneur Baal des cieux, vœu fait par Abdélim, fils de Mattan, fils d’Abdélim, fils de Baalschamar, dans le district de Laodicée. J’ai construit cette porte et les battans qui sont à l’entrée de la cella de ma maison sépulcrale, l’an 280 du maître des rois, l’an 143 du peuple de Tyr, pour qu’ils me soient en souvenir et en bonne renommée, sous les pieds de mon seigneur Baal des cieux, pour l’éternité. Qu’il me bénisse ! » La seconde inscription est fort courte ; la troisième se lit sur un segment de gnomon dédié à un dieu[6].

Bien qu’elle existe, l’épigraphie sémitique de la Phénicie n’est guère plus riche, on le voit, que l’archéologie. Les monumens publics, les tombeaux, les sarcophages les plus grandioses de Tyr et de Sidon, paraissent être restés anépigraphes jusqu’à l’époque grecque ; cette circonstance peut même servir de critérium à l’antiquaire. Les Cananéens et les Hébreux n’ont beaucoup écrit que sur les pierres précieuses. La Bible ne mentionne pas une seule inscription, et, n’était les stèles de Méscha et de Yehawmelek, on eût pu douter que l’épigraphie fût dans l’usage de ces peuples. L’inscription et le sarcophage d’Eschmounazar demeuraient à bon droit une exception ; en tout cas, le tour gauche, pénible, fastidieux de ce texte témoignait assez que les Sidoniens n’avaient point l’habitude d’écrire sur la pierre. Les inscriptions lapidaires en Phénicie ne datent presque toutes que de l’époque romaine. De toute antiquité, les Sémites de Canaan ont écrit sur des plaques de métal ; ainsi le fameux traité conclu entre le prince syrien de Khêta et Ramsès II avait été gravé sur une lame d’argent. Aux époques phénicienne et persane, ce fut aussi sur des plaques de métal qu’on grava les traités publics, les tabularia ou recueils d’archives, les lois religieuses, les rituels, les enseignemens sacrés et les tarifs des temples[7]. Les cadres où étaient placées les inscriptions et les traces des moyens employés pour les fixer se voient encore, par exemple sur les jambages des portes des temples. Or c’est un axiome en archéologie que les inscriptions sur métal, toutes choses égales, ont infiniment moins de chance de durée que les autres. La matière sur laquelle elles sont gravées explique assez qu’on les recherche pour les fondre. La Phénicie était le dernier pays du monde qui pût faire exception à cette loi.

Si l’âme des vieilles populations de Canaan est encore présente sur la terre, c’est dans les menus objets d’art, c’est surtout dans les gigantesques travaux d’exploitation industrielle et agricole qu’on rencontre de Ruad à Tyr, sur toute la côte. Par un sentiment très élevé de sa mission, M. Renan s’est surtout attaché à explorer les sites et les localités historiques qui pouvaient livrer quelques débris de l’antique civilisation phénicienne ; il a pensé avec raison que la recherche des petits objets, à laquelle suffit l’industrie privée, ne saurait être le but des grandes fouilles régulièrement entreprises par un état. Un nombre considérable de ces petits objets antiques, aujourd’hui au Louvre, est pourtant sorti de la nécropole de Sidon, lors de la seconde campagne de fouilles dirigées par M. le docteur Gaillardot, le plus infatigable, le plus dévoué des collaborateurs de la mission. Celles de ces œuvres d’art qui sont antérieures à l’influence grecque peuvent paraître lourdes et d’un goût contestable ; elles sont d’ailleurs presque toujours imitées de l’Égypte. Et cependant on se souvient avec reconnaissance que, du moins pour notre Occident, toute culture industrielle a pour ancêtres les tisserands, les céramistes, les verriers, les orfèvres, les joailliers, les bijoutiers et les ivoiriers de Tyr et de Sidon ; on se rappelle leur habileté dans le travail des métaux, la fonte des chapiteaux d’airain, les formes élégantes et puissantes des vases de bronze qu’ils apportaient en tribut à l’Égypte, les fines ciselures des coupes et des armes qu’ils vendaient aux Grecs de l’époque homérique. Bien qu’aux tombes égyptiennes de la IVe et de la Ve dynastie on voie déjà des verriers soufflant leurs manchons, il est permis de douter qu’on ait jamais égalé la légèreté, la grâce et les charmans irisages des objets de verre de fabrique sidonienne.

Les innombrables cuves creusées dans le roc sur toute la côte, les silos destinés à conserver les grains, les piscines, les citernes, les pressoirs monolithes à vin et à huile, les meules énormes éparses dans les champs, tout cet outillage industriel et agricole, aux proportions colossales, révèle le génie propre de la vieille Phénicie. Là seulement, à Ruad, à Byblos, dans la baie de Kesrouan, à Beyrouth, à Sarba, au pays de Tyr, surtout à Oum-el-Aâmed, au sein de ses teintureries, de ses fermes et de ses métairies, elle n’est ni égyptienne, ni assyrienne, ni persane, ni grecque, ni romaine ; elle est la Phénicie. « La Phénicie, a écrit M. Renan, est le seul pays du monde où l’industrie ait laissé des restes grandioses. Un pressoir y ressemble à un arc de triomphe. Les Phéniciens construisaient un pressoir, une piscine, pour l’éternité. »

Les images et les souvenirs bibliques reviennent en foule à l’esprit devant ces ruines champêtres. On songe au père de famille de l’Évangile, qui planta une vigne, l’environna d’une haie, y creusa une cuve à pressoir. Avec le bruit des meules qui dès l’aurore remplissait les bourgs et les petites villes de la Phénicie, toute industrie a cessé, toute vie s’est retirée de ces villages, et l’outil a duré plus que l’artisan. N’importe, il n’a point manqué à sa tâche, le rude et sombre ouvrier ; jamais il ne fut si dur aux autres qu’à lui-même ; trapu et ramassé, il pétrissait ou tordait la matière en révolte ; la vaste plaine marine et les blocs énormes de la carrière furent toujours pour lui une sorte de chaos qu’il traita en démiurge.


III. — LA RELIGION.

C’est le propre de toutes les grandes explorations archéologiques d’augmenter ou de renouveler notre connaissance générale de la vie intellectuelle et morale de telle ou telle famille de l’humanité. Uniquement occupé en apparence à déblayer des nécropoles, à dessiner des bas-reliefs, à mesurer des sarcophages et à estamper des inscriptions, le savant digne de ce nom sait retrouver sous la cendre des civilisations les plus lointaines quelques étincelles du feu sacré, certains vestiges des choses saintes à jamais évanouies. Le succès d’une mission archéologique peut même se mesurer au nombre ou à l’importance des découvertes de cette nature. Ce n’est certes point pour en extraire des blocs de pierre sculptés qu’on remue en tout sens le sein de la terre : c’est pour rendre à la lumière l’idée humaine qui s’y est empreinte.

La plus haute de ces idées, l’idée religieuse, a laissé en Phénicie des monumens d’une importance capitale. La foi et les symboles de Canaan ont sans doute souffert plus qu’on ne saurait dire de l’irrémédiable désastre des antiquités de ce peuple ; on en sait assez cependant pour affirmer que de très bonne heure, au point de vue religieux comme à tous autres égards, la Phénicie fut une province de l’Égypte. Toutefois il arriva en ce pays ce que nous savons être arrivé chez les Hébreux : c’est moins l’essence de la religion que sa forme extérieure, souvent tout officielle, l’économie des sanctuaires, les costumes et les rites sacerdotaux, les menus objets de piété, qui ont subi cette influence. Une réelle affinité de race et de langue rapprochait, nous l’avons dit, les habitans de la vallée du Nil des Sémites de l’Asie occidentale. Dès une époque très reculée, plusieurs divinités semblent avoir été communes aux uns et aux autres. Ainsi le dieu révélateur phénicien Taaut est le Thoth égyptien ; ce dieu, confondu plus tard avec Eschmoun et Kadmus, paraît même sur la plus ancienne des intailles phéniciennes connues, sur un scarabée en agate, peut-être du VIIIe siècle, qui a été décrit par M. de Vogué : l’Egyptien Thoth à tête d’ibis porte en sa main un rouleau de papyrus ; en face, le dieu Khons tient un sceptre à tête de cucupha ; la croix ansée est entre les deux divinités ; au-dessus le soleil et la lune. Le style des figures est tout égyptien ; nulle trace encore d’influence assyrienne. Le mythe d’Isis et d’Osiris fut d’autant plus facilement adopté par les Phéniciens, par ceux de Byblos en particulier, qu’il est impossible d’en méconnaître la parenté, sinon l’identité primordiale, avec celui de Baalath et d’Adonis. Un curieux fragment égyptien en basalte vert, sorti des fouilles de Tortose, présente sur la base une inscription hiéroglyphique qui fait mention du temple de la déesse Bast. Ainsi que l’a judicieusement remarqué M. H. Brugsch, ce ne peut être par hasard que ce fragment a été trouvé sur le territoire d’Aradus. Bast avait un temple à Memphis, où les Phéniciens habitaient un quartier[8]. « Il y a là un rapport de cultes, ajoute le savant égyptologue, et l’on a toute raison de supposer que la déesse Astarté, révérée à Aradus, était identique avec la déesse Bast du quartier de Memphis nommé Anch-ta. » Nous croyons que ce n’est pas d’Astarté qu’il convient de rapprocher Bast ; à en juger par le caractère sensuel et bienfaisant de la déesse égyptienne, la grande divinité d’Aradus était plutôt une sœur de la Baalath de Byblos.

Le Maabed d’Amrit, le plus ancien et presque le seul temple qui subsiste de la race sémitique, s’élevait au-dessus d’un lac sacré ainsi que les deux naos de la « Fontaine des serpents. » L’idée du sanctuaire s’élevant au milieu des eaux est propre au groupe des religions de la Chaldée, de l’Assyrie, de la Phénicie et du Yémen. Au temple fameux d’Hiérapolis de Syrie, l’auteur de la Déesse syrienne vit la cella du dieu qui semblait flotter sur le lac. Près du grand sanctuaire de Baalath, à Aphaca, était aussi un étang sacré : les sources qui sortent des assises du temple sont encore tous les jours entourées d’offrandes. Cette coutume nous paraît tenir au dogme sémitique de l’origine des choses dans le principe humide[9]. Suivant les vieilles cosmogonies de Babylone et de la Phénicie, l’univers est sorti des flots du sombre abîme primordial ; au sein de ces eaux s’engendrèrent spontanément les premiers êtres, les dieux ichthyomorphes, les animaux monstrueux, puis Bel, le dieu cosmique, le soleil organisateur du monde, fils et époux de sa mère, la Bilit Tihamti ou « Bilit Mer » de Babylone, le chaos. La déesse de Byblos, la Baalath du Liban, est aussi la mer qui reçoit en son sein les eaux du fleuve Adonis : ce n’est pas le seul trait qui trahit son affinité avec la mère des dieux.

En général, la mythologie cananéenne ne saurait non plus être étudiée à part que les mythologies grecque ou germanique. Les mythes phéniciens appartiennent à l’ensemble des religions euphratico-syriennes comme les mythes de l’Hellade au groupe des religions aryennes. Dans la nature comme dans l’histoire, la méthode comparative a renouvelé toutes les notions anciennes et substitué à la catégorie de l’être celle du devenir. Une religion n’est pas plus isolée qu’une plante ou un animal ; on ne la comprend bien qu’en remontant la série des formes antérieures. Voilà pourquoi presque toutes les divinités du panthéon phénicien peuvent être rapprochées, ainsi que de leurs types, des dieux de la Chaldée et de la Babylonie. Autant vaudrait étudier la religion romaine dans Varron que la religion phénicienne dans Philon de Byblos. Les livres même relativement anciens des Hébreux, qui, comme celui de Jérémie, nous parlent des divinités de Canaan, sont déjà d’une époque de fusion. Depuis bien des siècles, Araméens, Cananéens, Hébreux et Assyriens n’avaient plus conscience des origines et de la nature véritable de leurs religions.

Ces origines, nous n’avons pas à les rechercher ici, et une telle enquête pourrait paraître d’ailleurs un peu prématurée. Il suffira de rappeler qu’avec le système des nombres et des poids et mesures, avec la division de l’année et de la semaine, avec le rhythme et certaines figures poétiques, les notions de l’arbre de vie, du déluge, du schéôl (enfer) et du péché, — les Sémites sortis de la Babylonie ont emporté de leur long séjour en cette contrée la plupart de leurs cultes et de leurs dieux. L’opinion qui tend aujourd’hui à dominer dans la science[10] considère le panthéon des Sémites de l’Asie occidentale, — opposés toujours avec raison aux Sémites de l’Arabie, — comme fortement pénétré d’élémens mythiques empruntés à une autre race, longtemps supérieure quant aux arts et à l’industrie, en tout cas plus ancienne que les Sémites en Chaldée, je veux dire à la race accadienne ou protochaldéenne non sémitique : il est encore difficile de la désigner avec une entière exactitude, mais elle parlait sûrement une langue agglutinative et avait inventé l’écriture cunéiforme.

Les dieux et les déesses de la Phénicie ne présentent pas la belle ordonnance du panthéon assyrien avec ses douze grands dieux. Dans leur migration au nord et à l’ouest, ces dieux ont parfois été essentiellement modifiés, voire transformés ; mais on les retrouve dans la nomenclature divine des peuples de Syrie, dans les noms des villes, des montagnes et des fleuves. M. Renan a fort bien vu que, pour la Phénicie en particulier, il fallait renoncer à l’idée d’une religion phénicienne unique. « Chaque ville, chaque canton, avait son culte, qui souvent ne différait des cultes voisins que par les mots ; mais ces mots avaient leur importance, nulle part il ne fut plus nécessaire qu’ici de redire l’axiome : nomina numina. » Ainsi que chez les Hébreux, les noms divins à Byblos étaient El, Adonaï et peut-être Shaddaï. Si l’on songe que les Giblites avaient un temple portatif traîné par des bœufs comme l’arche d’Israël, et que « la ville des mystères, » comme s’exprime un document égyptien de la XIXe dynastie, n’était pas moins une ville sainte et de pèlerinage que Jérusalem, on inclinera à voir, avec Movers, dans cette famille cananéenne, celle de toutes qui présente le plus d’affinité avec les Hébreux. »

Le Liban est encore une terre sainte comme aux jours où Sidon était la reine des mers : seulement saint George, saint Elie et le prophète Jonas ont remplacé Baal, Adonis ou Élioun, et les chapelles chrétiennes n’ont plus en commun avec les temples et les « hauts-lieux » anciens que les matériaux dont elles sont construites ; mais les temples maronites, bâtis sur l’emplacement des anciens, couronnent toujours les sommets ombreux et fleuris de la montagne. Toujours un caroubier séculaire, souvent un petit bois de chênes ou de lauriers, derniers descendans de l’ancien bois sacré, abritent les dieux nouveaux. À la dédicace de la chapelle, on reconnaît sans peine le dieu antique dépossédé ; l’inscription du temple forme d’ordinaire le linteau de la porte actuelle, l’autel est le bomos cananéen avec son inscription, les cippes et des débris de sculptures figurent souvent sur l’autel. Tout au plus les globes ailés flanqués d’uræus sont-ils quelquefois martelés. Il n’y a pas jusqu’au dieu des bons prêtres maronites, lesquels n’admettent pas que le Liban ait jamais connu l’idolâtrie, — qui ne soit toujours ce très-haut dont le nom se lit à chaque pas en ce pays. Aux jours antiques, ce très-haut était El comme à Babylone, c’était l’Élioun d’Arka, Adonis ou Tammouz, divinité solaire, le dieu mari de sa mère, qui meurt et ressuscite chaque année sous les baisers des femmes. M. Renan croit pouvoir distinguer entre Adonis et Tammouz ; il lui répugne visiblement d’admettre qu’on ait célébré le Très-Haut par des orgies qui paraissent aujourd’hui monstrueuses ; mais c’est le cas de ne point juger les vieilles religions de l’humanité avec nos raffinemens de moralistes modernes. D’ailleurs les dernières découvertes dans le domaine de l’assyriologie ne permettent plus de douter que Tammouz, qui donna son nom à un des mois du calendrier commun aux Assyro-Babyloniens, aux Syriens et aux Juifs, ne soit le nom accadien ou protochaldéen d’Adonis. La signification primitive de son nom est : « fils de la vie ; » en Chaldée comme en Syrie, il était l’époux d’Astarté.

Les monumens du culte d’Adonis qui se retrouvent encore dans la vallée du fleuve Adonis sont tous de très basse époque. Bien que l’opinion commune plaçât à Byblos le tombeau du dieu, il existait certainement nombre de cénotaphes d’Adonis dans le pays, analogues aux saints-sépulcres artificiels des villes catholiques du moyen âge. Les sculptures de Maschnaka et de Ghineh nous le montrent vêtu de la tunique courte des chasseurs de la montagne, une lance à la main, suivi de ses chiens, aux prises avec une bête sauvage, un ours du Liban, qui le doit blesser mortellement ; en face, une femme couverte de longs voiles est assise dans l’attitude de la douleur, et des larmes semblent couler de ses yeux. Voilà ce qu’était devenu, à l’époque romaine, le mythe d’Adonis et de la grande déesse de Byblos. Aujourd’hui les populations de cette partie du Liban désignent par le nom du roi Berdis ou Berjis le héros des sculptures de Ghineh ; la femme assise serait la reine-épouse de Berdis : nul doute qu’on ait ici le nom arabe d’une divinité planétaire. Près de Ghineh sont des ruines du nom significatif de Cabaal ; non loin, des arasemens de constructions antiques s’appellent, dit-on, Elioun ; vis-à-vis de Maschnaka ou Ouadi-Fedar est aussi un Kefr-Baab. Le fleuve enfin demeure le plus vivant témoin des saints mystères de la montagne. Le sang du dieu mourant rougit encore les eaux du Nahr-Ibrahim. « De la hauteur d’Amschit, rapporte M. Renan, au commencement de février, je vis se produire le phénomène du sang d’Adonis. À la suite de pluies très fortes et subites, tous les torrens versaient dans la mer des flots d’eau rougeâtre. » Un phénomène analogue a lieu en septembre ou dans les premiers jours d’octobre aux puits du Ras-el-Aïn, près de Tyr ; la grande fête que célèbrent alors les habitans est un curieux vestige des adonies.

C’est sur la stèle du roi de Gebal qu’on a rencontré pour la première fois le nom authentique de l’amante d’Adonis, la grande déesse de Byblos, Baalath. On savait que c’était la forme féminine de Baal. La Baalath Gebal était l’épouse du dieu de la cité sainte, Adonis ou Tammouz, un des frères divins du Baal Tsour, du Baal Tsidon, du Baal Tars et de tant d’autres Baalim que les Hébreux et les Cananéens adoraient sur les collines et sous les arbres verts. À Byblos, le couple divin était Adonis et Baalath, comme Baal Tsidon et Astarté à Sidon, Elioun et Berouth à Arka. Le Baal de Byblos avait sa Baalath ainsi que le dieu El la déesse Elath ; M. Waddington a retrouvé en Syrie les inscriptions et les monumens de cette déesse lunaire, dont la présence dans la composition des noms propres étudiés par M. de Vogué à Palmyre, dans le Haouran et la Nabatène, atteste l’étendue du culte. Rien n’est mieux prouvé que l’existence de déesses sémitiques. Le nom même de « déesse » est dans les langues de cette race très régulièrement dérivé du mot dieu. Aussi bien il y a longtemps que, dans le premier vers punique du Pœnulus de Plaute, les déesses figurent à côté des dieux, alonim valonouth, « les dieux et les déesses. » Il reste toutefois à déterminer leur nature propre, leur rapport aux divinités mâles dont elles sont les parèdres. Sous l’influence de préjugés théologiques peut-être inconsciens, des érudits de peu de philosophie n’ont point manqué de voir en elles des « hypostases féminines du dieu primordial, » si bien que dans tout couple divin d’un Baal et d’une Baalath, comme celui de Byblos, ils croient avoir découvert on ne sait quel « reflet de l’unité divine primitive. »

Ce langage métaphysique, à propos des conceptions de la race la moins douée pour la philosophie qui ait jamais existé, paraîtra déjà peu heureux aux esprits les moins prévenus. La vieille thèse d’un monothéisme primordial, succédanée de celle d’une révélation primitive, compte encore, nous ne l’ignorons pas, d’illustres partisans. Si elle était fondée, sur la vérité, c’est-à-dire sur des faits, sur l’existence de monumens littéraires ou épigraphiques d’une haute antiquité, chez n’importe quelle race d’hommes, nous n’aurions rien à objecter, car le monothéisme n’est qu’une forme plus raffinée du polythéisme, une abstraction d’abstractions ; mais, à le bien prendre, il n’existe pas un seul texte vraiment antique qui témoigne de ce degré avancé de spéculation. La linguistique et la mythologie comparées attestent au contraire que, comme il est naturel, l’homme alla du concret à l’abstrait, de l’adjectif au substantif, de la notion des qualités à celle de l’être. Avant d’imaginer en ce monde ou au-delà des êtres incorporels, partant doués de raison et de volonté, il ne vit d’abord dans tous les objets qui frappaient ses sens étonnés que des êtres comme lui, capables de sentimens et d’action, terribles ou bienfaisans, implacables ou apitoyables par des dons et des sacrifices, et ce ne fut qu’assez tard que la naïve illusion s’évanouit de son esprit plus réfléchi, — qu’il retira son âme des choses. Dès lors elles lui apparurent ce qu’elles sont ; le règne de l’observation et de l’expérience commença ; il ne vit plus dans l’univers que des transformations de substances, des particules solides ou atomes s’agrégeant et se désagrégeant sans fin ni raison, bref, de la matière en mouvement, soumise aux seules lois de la mécanique, et n’arrivant parfois à une conscience plus ou moins obscure que chez quelques êtres éphémères, faunes et flores, d’une imperceptible durée dans l’éternité.

En face de l’île de Tyr et dominant la plaine s’élève le rocher de Maschouk, que l’on a considéré comme la colline sacrée de Palétyr. Les eaux du Ras-el-Aïn y étaient amenées, et des aqueducs encore en partie subsistant les conduisaient à la ville insulaire. Au sommet de ce rocher a pu être le temple continental de Melkarth. Il faut se réjouir qu’il n’y ait pas eu d’église entre le temple antique et le wély musulman actuel ; le mythe antique y vit encore dans la conscience populaire. Après Movers et Ritter, M. Renan estime qu’avec « ses coupoles et ses légendes, ce lieu est encore aujourd’hui comme le centre de ce qui survit de la vieille Tyr païenne. » Maschouk est une façon abrégée de dire : « la colline de l’amant. » Le mythe des amours de Melkarth et d’Astarté s’y était sûrement localisé. Dans le wély, on montre le tombeau du prétendu Maschouk, qui ne pouvait manquer de devenir un saint musulman, avec le titre de néby ou de cheik ; c’est un coffre de bois peu ancien. M. Renan incline aussi à croire que le mythe de Didon, sorte d’Astarté céleste, dont le nom signifie « son amante, » l’amante de Baal, a ici quelque point d’attache.

Ce n’est pas le seul mythe cananéen qui, avec les cultes et les usages antiques, ait survécu. Toutes les légendes dorées de la Syrie qui ont la prétention d’indiquer où Jonas fut déposé par la baleine sont de vieilles fables relatives à Persée et à Andromède, ou viennent de bas-reliefs figurant le dieu sémitique Dagon. Qu’on songe en effet aux sculptures assyriennes de ce dieu représentant un homme revêtu, comme d’une chape, d’une peau de poisson : il semble sortir des vastes flancs et de la gueule d’un monstre marin. C’est ainsi que l’imagination naïve des populations chrétiennes se représentait le récit biblique, certainement d’origine babylonienne. A en juger par les localités du nom de Beth Dagon connues des Hébreux, les sanctuaires du dieu ichthyomorphe de la Chaldée étaient fort nombreux en Syrie : aujourd’hui ces lieux portent le nom du prophète Jonas, Néby-Younès. Le culte des poissons, si ancien et si populaire en Syrie, comme chez tous les sémites de l’Asie occidentale, est encore observé en maints endroits, particulièrement dans une petite mosquée musulmane de Tripoli. Telle borne milliaire est consacrée comme un bétyle (maison de El) par les habitans : on l’oint d’huile ainsi qu’aux temps d’Abraham et de Jacob. Souvent, le soir venu, on allume une lampe aux rameaux supérieurs d’un vieil arbre -cheik ; les longues épines de ses branches sont couvertes d’étoffes et de guenilles qu’on y accroche comme ex-voto. Outre le culte des poissons et des végétaux, les noms des fleuves et des montagnes sont des témoins éternels de la religion naturaliste des ancêtres. Ce n’est pas seulement le fleuve Adonis qui porte le vocable d’un dieu, mais aussi le Bélus, l’Asclépius, le Damour, le Nahr-Zaharani. Quant aux montagnes, la prétendue grotte d’Êlie sur le Carmel marque sans doute le centre du culte antique de ce dieu si célèbre encore à l’époque romaine. Au petit village de Halalié, à Sidon, un Baal de la montagne, Ζεύς όρειος, figure sur les inscriptions des linteaux de porte de l’église : à la suite d’un rêve et comme acte de piété, on lui avait dédié deux lions ; ce Baal est un frère divin des dieux syriens de l’Hermon, du Liban, du Carmel et du Casius.

Le nom ancien qui reparaît peut-être le plus souvent sous les noms de lieux actuels de la Phénicie, le culte dont les vestiges sont de beaucoup le moins rares et le plus significatifs, c’est le nom et c’est le culte d’Astarté, la grande déesse de Sidon, de Tyr, puis de Carthage, la « reine du ciel, » implacable et froide comme la lune, la vierge armée et sinistre, aussi farouche que la Baalath de Byblos, l’Aschéra de Judée, était molle et sensuelle. Ce n’est pas que les deux déesses appartiennent, comme on l’a dit, à deux races différentes : Astarté et Baalath répondent exactement aux deux formes bien connues d’Istar, divinité assyro-babylonienne. A l’époque où, grâce aux progrès de l’astronomie, les Chaldéens préposèrent une divinité à chaque planète, Astarté devint la déesse de Vénus à son lever, Baalath celle de Vénus à son coucher. « L’étoile de Vénus au soleil levant ; dit un syllabaire assyrien, c’est Istar parmi les dieux ; l’étoile de Vénus au soleil couchant est Bilit parmi les dieux. »

Les « hauts-lieux » d’Aschera, les cavernes d’Astarté où avaient lieu les prostitutions sacrées, se voient encore à Sarba, à Sayyidet-el-Mantara, à Moghâret-el-Magdoura, aux grottes de la Casmie et d’Adloun, à Belat. Sur la hauteur de Belat gisent les ruines pittoresques d’un temple dédié à quelque Baalath, peut-être à cette déesse céleste dont M. Renan a lu le nom sur un précieux monument, ou à la déesse de Syrie assise sur un siège orné de deux lions. Quoi qu’il en soit, le sanctuaire de cette « Notre-Dame » est le plus bel exemple de « haut-lieu » cananéen. Le petit bois de laurier fleurit encore : c’est à l’ombre de ces arbres verts que les prêtresses de la bonne déesse dressaient leurs tentes peintes. Près de Djouni, au village de Sarba, qui est sûrement une ancienne localité cananéenne, existe une « grotte de Saint-George, » sorte de salle au niveau de la mer, où les femmes viennent se baigner dans l’espoir de devenir mères. Le rituel veut qu’avant de s’éloigner elles offrent une pièce de monnaie à saint George. On peut y voir, avec M. Renan, un reste des anciens tarifs phéniciens pour les sacrifices, ainsi qu’un souvenir éloigné du rachat de la prostitution sacrée. « Je ne doute pas, écrit ce savant, que la grotte de Saint-George n’ait abrité les rites que nous savons avoir été pratiqués à Babylone, à Byblos, à Aphaca, et qui venaient d’une idée répandue chez certaines races de la haute antiquité, idée d’après laquelle la prostitution à l’étranger, loin d’être honteuse, était considérée comme un acte religieux. Des traces de cette idée se retrouvent encore en certains pays orientaux et en Algérie. » A Sayyidet-el-Mantara, « Notre-Dame de la Garde, » est une chapelle de la Vierge qui fut à l’origine une grotte cananéenne d’Astarté. La « Caverne de la possédée, » Moghâret-el-Magdoura, au village de Magdousché, présente sur la paroi de gauche une hideuse figure de femme sculptée. La plus authentique de ces cavernes à prostitution se trouve près de la Casmie : on voit à l’intérieur des sortes de sièges et une niche pour la statue de la déesse ; à l’entrée, qu’une porte fermait, on distingue nettement, comme au temps d’Hérodote, ainsi qu’à Byblos, à El-Biadh, à Adloun, le naïf symbole du sein divin d’où sont sortis les hommes et les dieux.


JULES SOURY.

  1. Un tableau excellent de la destruction des temples du Liban a été tracé par M. Amédée Thierry, d’après Jean Chrysostome, dans la Revue du 15 juin 1869 et du 1er janvier 1870.
  2. Cf., p. 366-367, un très curieux petit objet, vraiment phénicien, de tous points analogue, trouvé à Saïda.
  3. Mission, p. 395 ; cf. ce que M. Renan rapporte des jolies chambres peintes de Néby-Younès, p. 510.
  4. II Makk., IV, 14-15.
  5. Ecclésiaste, XII, 7.
  6. On doit à M. le colonel Laussedat une savante restitution de cet instrument.
  7. Cf. I Makh VIII, 22 ; XIV, 18, 26, 48-49,
  8. « Le camp des Tyriens. » Hérodote, II, 112.
  9. Fr. Lenormant, Essai de commentaire des fragmens cosmog. de Bérose, p. 222.
  10. Voyez le beau travail de M. E. Schrader, Semitismus und Babylonismus, dans les Jahrbücher für protest. Théologie. Iena 1875.