La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P1/1636-1686

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Gauthier-Villars et fils (1p. 6-35).

I. 1636-1638. — Fontana.

L’astronome napolitain publia ses observations dans un ouvrage intitulé : Novæ cœlestium terrestriumque rerum observationes, Naples, 1655. Nous avons cet ouvrage sous les yeux, et nous sommes heureux d’en offrir les curiosités principales à nos lecteurs[1].

Voici les deux plus anciens dessins de Mars, faits par cet astronome-opticien, le premier en 1636 (il n’indique pas le jour), le second le 24 août 1638. On lit en légende :

1636 : Martis figura perfecte spherica distincte atque clare conspiciebatur. Item in medio atrum habebat conum instar nigerrimæ pilulæ.

Fig. 1. Fig. 2.
Premier dessin du disque de Mars. Fontana, 1636 Deuxième dessin de Mars, fait par Fontana, en 1638

Martis circulus discolor, sed in concava parte ignitus deprehendebatur.

Sole excepto, reliquis aliis planetis, semper Mars candentior demonstratur.

Ce que nous pouvons traduire ainsi :

1636 : La figure de Mars a été observée parfaitement sphérique. Elle avait en son milieu un cône sombre en forme de pilule très noire.

Le disque était de diverses couleurs, mais paraissait enflammé dans la partie concave.

À l’exception du Soleil, Mars est plus le ardent de tous les astres.

Voici la seconde observation :

Die 24 augusti, anno 1638. — Martis pilula, vel niger conus, intuebatur distincte ad circuli, ipsum ambientis, deliquium, proportionaliter deficere : quod fortarse Martis gyrationem circa proprium centrum significat.

« La pilule de Mars, ou le cône noir, se montrait distinctement, avec une phase

proportionnelle à celle du disque, ce qui peut-être signifie un mouvement de rotation de Mars autour de son centre. » (Nous avouons ne pas bien comprendre cette phrase : veut-elle dire que la tache était proportionnellement déplacée ?)

Cette pilula ou « petite boule », vue au centre du disque de Mars, est la première tache qu’on ait jamais vue et dessinée. Ce sont là Les deux premiers dessins de la planète, et nous les offrons à nos lecteurs, dans leur aspect naïf, comme curiosité historique.

La phase de la seconde figure est très exagérée. Jamais Mars n’en arrive là. Nous avons vu au Chapitre préliminaire quelle est la valeur exacte de cette phase. Mais on n’en doit pas moins à Fontana la découverte des phases de Mars. Quant à la tache, pour nous, elle n’a rien de réel : elle doit provenir d’une réflexion, d’une sorte d’extinction de rayons dans le jeu des lentilles de la lunette de Fontana.

Fig. 3. Fig. 4.
Dessin de Vénus par Fontana, en 1645. Dessin de Vénus par Fontana, en 1646.

Tout concorde en faveur de cette interprétation : 1o  la position de cette tache ronde au milieu du disque dans la première observation ; 2o  la phase correspondante à celle de la planète dans la seconde observation ; 3o  des effets analogues dans ses dessins de Vénus, dont nous reproduisons deux ici comme curiosité, du 11 novembre 1645 et du 22 janvier 1646, et dans la description desquels il signale en mêmes termes la « pilule » de Vénus. Ces figures de Vénus n’ont d’intéressant que la phase.

Mais, tels qu’ils sont, il n’était pas sans intérêt de publier, pour être conservés, les deux premiers dessins qui aient été faits de notre planète.

Fontana commence son livre par une étude historique sur l’inventeur de la lunette d’approche. Il pense que les anciens la connaissaient (mais on sait aujourd’hui que c’étaient là des tubes sans verres). Il rappelle ce que dit Porta du miroir de Ptolémée, qui permettait de voir les navires à sept cents milles de distance. Il ajoute qu’il n’a pu trouver l’origine de la redécouverte des instruments d’optique, et pense que Porta est pour beaucoup dans cette invention. Voici, en effet, un passage qu’il cite de la Magie naturelle de cet auteur, imprimée en 1589, Livre XVII chap. X :

Les lentilles concaves font voir très clairement les objets lointains, et les convexes les proches. On peut s’en servir commodément pour l’usage des yeux. (Il s’agit évidemment ici de ce que nous appelons aujourd’hui des lorgnons de presbytes et de myopes : ces lentilles sont en usage depuis le XIIe siècle, et elles étaient connues depuis longtemps, quoique fort rares, puisque pour suivre les jeux du cirque, Néron, qui était myope, se servait d’une émeraude taillée en verre concave). Mais Porta ajoute ensuite :

« Concavo, longe parva vides, sed perspicua : convexo propinqua majora, sed turbida : si utramque lentem recte componere noveris, et longinqua, et proxima Majora, et clara videbis. Non parum multis amicis auxilii prœstitimus, qui et longinqua obsoleta et proxima turbida conspiciebant, ut omnia perfectissime cernerent ».

Il y a là, sans contredit, l’invention, au moins théorique, de la lunette d’approche.

On peut lire dans Roger Bacon (mort en 1292) des expressions montrant que les bésicles étaient en usage de son temps. Il est probable que l’on a combiné la disposition des verres entre le XIIIe siècle et l’an 1570, car, dans un ouvrage publié en 1570 (Euclid’s Elements), un auteur anglais, Dee, recommande aux commandants d’armée l’usage des « verres perspectives », et un ouvrage de Digges, Pantometria, publié en 1571, dit que « par la combinaison de miroirs concaves et convexes et de lentilles transparentes on peut rapprocher de beaucoup les objets ». Ces appareils devaient être rares. Ce n’est qu’en 1590 ou même en 1606 que les deux opticiens de Middelbourg construisirent les premières lunettes réellement pratiques.

Fontana ajoute : « On attribue aussi l’invention à Galilée, mais, à mon jugement, ou Galilée a simplement mis en pratique la théorie de Porta ou il a perfectionné une invention allemande. »

Pour lui, Fontana, il a construit lui-même ses instruments, et assure que c’est dès l’année 1608. Il les a considérablement perfectionnés d’année en année, surtout à dater de l’année 1611, marquée par l’ouvrage de Kepler sur la dioptrique. Le premier dessin qu’il publia fut celui de la Lune, le 31 octobre 1629. Nous le reproduisons ici comme curiosité historique, c’est, croyons-nous, le premier dessin de la Lune qui ait été fait (ceux de Galilée ne sont que des croquis). Nos lecteurs y reconnaîtront les bandes qui irradient Fig. 5.

Le plus ancien dessin télescopique de la Lune.
de Tycho, ce cirque (C) et celui de Copernic en D. Cette figure fait apprécier l’état rudimentaire de ces premières lunettes.

L’ouvrage de Fontana est orné d’un élégant frontispice que nous offrons à nos lecteurs comme curiosité bibliographique et astronomique. Autour de la fontaine de Vérité sont groupées la Géométrie, les Mathématiques, la Cosmographie, la Poésie, la Philosophie, l’Architecture et l’Astrologie. Sur la droite, l’Astronomie porte la Lune de la main droite et l’ouvrage de Ptolémée sous son bras gauche.

Ce livre porte la date de 1646. L’année précédente, en 1645, le capucin Schyrle de Rheita avait publié, à Anvers, son livre bizarre intitulé Oculus Enoch et Eliæ, dont nous parlons plus loin, dans lequel il expose la même invention dans les termes suivants :

En l’an 1609, un opticien batave nommé Joanne Lippensum de Zélande, ayant réuni par hasard un verre convexe et un verre concave, vit avec admiration que Fig. 6.

Frontispice de l’ouvrage de Fontana (Naples, 1616)
cette combinaison faisait paraître les objets plus gros et plus voisins. Ayant donc placé ces deux lentilles dans un tube à la distance la plus convenable, il faisait voir aux passants le coq du clocher. Le bruit de cette invention s’étant répandu, les curieux vinrent en foule pour admirer ce prodige ; le marquis de Spinola acheta la lunette et en fit présent à l’archiduc Albert. Les magistrats ayant mandé l’opticien, lui payèrent assez chèrement une lunette pareille, mais à la condition singulière, qu’il n’en vendrait, ni même n’en ferait aucune autre ; ce qui explique, nous dit Rheita, comment une invention si fortuite et si admirable est restée assez longtemps inconnue. Elle se répandit enfin ; elle fut perfectionnée, et Galilée, par ses découvertes, lui donna la plus grande célébrité.

Cette lunette, cependant, était assez incommode, parce qu’elle avait trop peu de champ. Rheita sentit l’utilité de mettre en pratique les idées de Kepler ; il assembla deux lentilles convexes ; mais, comme tout a ses inconvénients, les objets se montraient renversés, ce qui, au reste, ne lui parut pas un grand mal. Il y remédia depuis, en ajoutant un second oculaire. Il est incroyable, nous dit-il encore, combien le champ fut augmenté : on pouvait apercevoir à la fois et compter de 40 à 50 étoiles, parce que le champ était devenu cent fois plus grand que celui de Galilée. Animé par ce succès, il chercha si, en réunissant deux lunettes pour les deux yeux, il ne verrait pas encore mieux : et il y réussit. Le Gentil, qui a renouvelé l’épreuve au siècle dernier, en parle dans le même sens ; cependant les lunettes binoculaires sont restées inusitées ; elles ne peuvent convenir d’ailleurs qu’aux observateurs qui ont les deux yeux parfaitement égaux, ce qui est assez rare.

Rheita explique ensuite la manière de tailler et de polir les verres, et de leur donner la forme hyperbolique, suivant les idées de Descartes. Il est aussi l’auteur des mots objectif et oculaire, qui sont restés.

Le livre de Rheita est de 1645. Cependant, les recherches de M. Govi ont montré qu’en fait, les premières lunettes binoculaires ou jumelles ont été présentées au roi Louis XIII par un opticien de Paris, nommé Chorez, dès l’année 1620.

Mais continuons notre exposé chronologique des observations de Mars.

II. 1640-1644. — Riccioli.

Ce fécond auteur a publié en 1651 son grand ouvrage Almagestum novum, que nous avons également sous les yeux. L’auteur reproduit (p. 486) les deux dessins de Fontana réduits d’un tiers. Il ajoute que le P. Zucchi, son confrère en la Compagnie de Jésus, a observé Mars le 23 mai 1640 et n’y a pu distinguer aucune tache, ni noire ni rouge : « sine macula seu nigra seu rubra. » Le P. Bartoli, son érudit et éloquent confrère de Naples, a observé Mars le 24 décembre 1644 et a vu deux taches dans la partie inférieure du disque. Il ajoute que la postérité en verra bien davantage, si Dieu le permet : « Multa itaque observando supersunt, nobis aut vobis, o posteri ! » Il ne croit pas aux satellites de Mars observés par Rheita : c’étaient, en effet, des étoiles fixes.

III. 1643. — Hirzgarter.

Dans son ouvrage Detectio dioptrica corporum planetarum verarum (Francfort, 1643), écrit en allemand, cet auteur parle longuement des planètes ; Mais il ne donne que de mauvaises observations. Il présente un dessin de Mars, qui paraît être une caricature du second dessin de Fontana. Nous ne le signalons que pour n’omettre personne.

IV.Schyrle de Rheita.

Ce savant était un religieux, livré avec ferveur à l’étude des sciences, auxquelles il mariait la théologie de son époque. On trouve dans son livre bizarre, Oculus Enoch et Eliæ, sive radius sydereomysticus (Anvers, 1645), dédié à Jésus-Christ, un chapitre non moins bizarre sur la planète Mars et un dessin plus bizarre encore, dans le genre du précédent et dénué d’ailleurs de toute valeur intrinsèque. Ce capucin pourtant était un homme relativement instruit, et avait construit lui-même de bonnes lunettes d’approche, comme nous l’avons vu tout à l’heure. Nous ne reproduirons pas le dessin de Rheita, qui est absolument fantaisiste.

V. 1645. — Hévélius.

Astronome laborieux, observateur habile, Hévélius a consacré dans son grand ouvrage Selenographia, sive Lunæ descriptio, etc. (Gedani, 1647) un petit chapitre à la planète Mars et surtout à ses phases (p. 66-68). Il rapporte une observation qu’il a faite lui-même le 26 mars 1645, à 7h du soir, ainsi que le 28 du même mois. La phase qu’il reproduit par une figure (Pl. 6, fig. D) est considérablement exagérée. C’est presque la Lune en quadrature, le huitième jour de la lunaison. Le diamètre du cercle est de 46mm et la largeur de ce quartier est de 26mm seulement. Jamais Mars n’atteint cette phase. L’auteur parle du calcul de Kepler sur les phases de Mars, des observations de Fontana et du traité d’Hirzgarter.

VI. 1656. — Huygens.

L’astronome hollandais rapporte, dans son Systema Saturnium[2], que dans ses observations de l’année 1656[3] il vit une fois le globe de Mars enveloppé d’une large ceinture, bande sombre offusquant la moitié du disque, et il en donne le dessin que nous reproduisons ici en fac-similé. Cet astronome Fig. 7.

Dessin de Mars fait par Huygens en 1656.
est un observateur éminent. Toutefois ce dessin n’a, lui aussi, qu’un intérêt purement historique. Cet aspect de Mars peut avoir été dû à un effet des taches polaires. — Huygens s’était construit lui-même, comme Galilée et Fontana, les lunettes dont il se servait et à l’aide desquelles il découvrit le principal satellite de Saturne en 1655 et l’anneau en 1656.

(Nous remarquons, en passant, dans ces œuvres de Huygens, le charmant Fig. 8.

Médaillon des œuvres de Huygens.
médaillon de la feuille de titre, que nous offrons par circonstance à ceux d’entre nos lecteurs qui aiment les curiosités bibliographiques.)

Huygens a fait d’autres observations et de plus importants dessins de la planète en 1659, 1672, 1683 et 1694. Ces croquis, faits à la plume, ont été conservés à la bibliothèque de l’Université de Leyde où M. Terby, astronome belge, les a examinés et collationnés avec les dessins modernes et sur lesquels on peut reconnaître, pour la première fois les principales taches dessinées aujourd’hui sur nos Cartes. Si le croquis de l’année 1656 montre le disque sillonné par une large bande sombre, qui n’a rien de caractéristique, il n’en est pas de même des suivants, que nous allons examiner tout à l’heure.

VII. 1651-1657. — Riccioli.

Le P. Riccioli expose à la page 372 de son ouvrage Astronomia reformata,, etc. (Bononiæ, 1665) qu’il a observé des taches sur la planète Mars, en compagnie du P. Grimaldi, les 4, 5, 6, 18 avril, 29 mai 1651, juillet 1653, juillet et août 1655, septembre, octobre et novembre 1657. Il rappelle les observations de Fontana et de Bartoli, dont nous avons parlé plus haut. Pas de figures.

Ces origines de l’étude physique de la planète Mars sont, comme on le voit, on ne peut plus rudimentaires. Mais nous allons entrer, avec Huygens et Cassini, dans une période plus importante.

VIII. 1659. — Huygens.

En 1659, notamment le 28 novembre et le 1er  décembre, Huygens a fait des observations de Mars et esquissé quatre dessins.

Nous reproduisons ici, d’après M. Terby,[4], le croquis du 28 novembre 1659 (7h du soir). La tache qu’il représente est devenue, comme on le verra plus loin, pour les observations modernes, une tache tout à fait caractéristique de la géographie de Mars. En voyant cette tache se déplacer, il écrivait sur son journal, à la date du 1er  décembre 1659 : « Debet Martis conversio fieri spatio circiter diurno, sive 24 horarum nostrarum quemadmodum item Telluris. » « La rotation de Mars paraît s’effectuer comme celle de la Terre en 24 de nos heures. »

Quelque temps après, comme nous allons le voir, en 1666, Cassini découvrait, indépendamment, ce mouvement de rotation, duquel, fait assez bizarre, Huygens douta ensuite, comme s’il avait attribué trop d’importance à ces variations d’aspects, doute qu’il consignait sur son registre à la date du 9 avril 1683 : « Mars maculis aliter distinctus quam biduo ante, unde de conversione 24 horarum quam Cassinus prodidit dubito[5] ». L’illustre philosophe ne conserva certainement pas, ces doutes, car on lit dans son Cosmotheoros, description des terres célestes et de leur habitabilité, ouvrage posthume, publié en 1698, que la rotation de Jupiter et de Mars est prouvée avec Fig. 9

Croquis de Mars par Huygens, le 28 novembre 1659.
certitude[6], et que les habitants de cette dernière planète ont des jours et des nuits peu différents des nôtres[7].

Huygens a fait un certain nombre d’observations de Mars, notamment en 1672, 1683 et 1694 et a tracé d’autres croquis rudimentaires. Nous y reviendrons à leurs dates.

IX. 1666. — Cassini.

Le brillant astronome italien (il était du comté de Nice, mais d’un tempérament plus italien que français) a consigné ses observations de Mars dans deux Mémoires ayant pour titre : Martis circa proprium axem revolubilis observationes Bononiæ habitæ (Bononiæ, 1666), et Dissertatio apologetica de maculis Jovis et Martis (Bononiæ, 1666), ainsi que dans le Journal des Savants du 31 mai 1666 et dans les Philosophical Transactions du 2 juillet de la même année[8].

Nous avons ces quatre publications sous les yeux. La première est la plus intéressante pour nous au point de vue de l’originalité des dessins, dont les figures publiées par le Journal des Savants et les Philosophical Transactions ne sont que des copies sensiblement différentes, accusant beaucoup trop fortement les esquisses de Cassini. Nous reproduirons ici en fac-similés ces dessins originaux.

Jean Dominique Cassini, qui allait être appelé en France par Louis XIV pour être le premier directeur de l’Observatoire de Paris, alors en construction, était à Bologne, astronome du pape, et déjà célèbre par son tracé de la méridienne de Bologne et par un grand nombre d’observations brillantes. Le mémoire de Cassini est exactement résumé comme il suit par le Journal des Savants du 31 mai 1656.

Ces observations comprennent une nouvelle découverte dans la planète de Mars, qui n’est pas moins curieuse que celle qu’on fit l’année dernière dans Jupiter, de laquelle nous avons parlé dans le journal du 22 février, et dont les savants ont tant fait d’estime.

M. Cassini, astronome de Bologne (le rédacteur écrit Boulogne), ayant observé au commencement de cette année 1666 avec des lunettes de 25 palmes ou de 16 pieds et demi, faites de la façon du Sr Campani, a reconnu que Mars tourne sur son axe, et a remarqué qu’il y a plusieurs taches différentes dans les deux faces ou hémisphères de cette planète qui paraissent successivement dans cette révolution.

Dès le 6 février au matin, il commença à voir deux taches obscures dans la première face, et le 24 février au soir il aperçut dans la seconde face deux autres taches semblables à celles de la première, mais plus grandes. Depuis, ayant continué ses observations, il a vu les taches de ces deux faces tourner peu à peu d’Orient en Occident et revenir enfin à la même situation dans laquelle il avait commencé de les voir. Le Sr Campani, ayant aussi observé à Rome avec des lunettes de 50 palmes ou de 35 pieds, a remarqué dans cette planète les mêmes phénomènes. M. Cassini a fait graver plusieurs figures qui représentent les diverses positions.

La fig. A (voy. fig. 10) représente une des faces de Mars comme M. Cassini l’a observée à Bologne le troisième jour du mois de mars au soir, avec une lunette de 25 palmes ou de 16 pieds et demi.

La fig. B représente l’autre face comme il l’a vue le 24 février au soir.

La fig. C représente la première face de cette planète, comme le Sr Campani l’a vue à Rome le troisième jour du mois de mars au soir, avec une lunette de 50 palmes ou de 25 pieds.

La fig. D représente la seconde face comme le Sr Campani l’a observée le 28 mars au soir.

À ces figures M. Cassini ajoute plusieurs remarques. Premièrement, il dit que quelquefois il a vu pendant la même nuit les deux faces de Mars, l’une le soir et l’autre le matin.

Il remarque que le mouvement de ces taches dans la partie inférieure de l’hémisphère apparent de Mars va d’Orient en Occident comme celui de tous les autres corps célestes et se fait par des parallèles qui déclinent beaucoup de l’équateur et peu de l’écliptique.

Il assure que ces taches reviennent le lendemain dans la même situation 40 minutes plus tard que le jour précédent, de manière que tous les 36 ou 37 jours environ et à la même heure elles reviennent à la même place.

Il promet de donner dans peu de temps des Tables particulières de ce mouvement et de ses inégalités avec des éphémérides, comme il a déjà fait du mouvement de Jupiter.

Quelques autres astronomes ont aussi publié à Rome les observations qu’ils ont faites depuis le 24 mars jusqu’au 30 avec des lunettes de 25 et de 45 palmes travaillées par le sieur Divini. De la manière qu’ils représentent ces taches, elles sont peu différentes de celles de la première face de Mars dont nous avons ci-devant rapporté la figure. Ils ajoutent seulement que Mars fait son tour environ en 13 heures.

Mais M. Cassini prétend qu’ils se sont trompés dans leurs observations, car ils assurent que les taches qu’ils ont vues dans cette planète le 30 mars étaient petites, fort distantes l’une de l’autre, éloignées du milieu du disque, et que la tache orientale était plus petite que l’occidentale, comme elles sont représentées dans la figure marquée E qui semble être celle de la première face de Mars. Cependant M. Cassini trouve, par les observations qu’il a faites en même temps à Bologne, que ce même jour et à la même heure ces taches étaient fort larges, proches l’une de l’autre, dans le milieu du disque, et que la tache orientale était plus grande que l’occidentale, comme on voit dans la figure marquée F, qui est celle de la seconde face de cette planète. De plus, il estime que c’est aller bien vite que de déterminer sur cinq ou six observations en combien de temps Mars achève son tour, et il ne demeure pas d’accord qu’il le fasse environ en 13 heures. Quoiqu’il ait observé bien longtemps, il n’ose assurer si Mars ne fait qu’un tour en 24 heures 40 minutes ou s’il en fait deux, et il dit que tout ce qu’il sait de certain, c’est qu’après 24 heures 40 minutes Mars paraît de la même façon que le jour précédent.

Mais, depuis ces premières observations, M. Cassini a publié un autre écrit, dans lequel il conclut par plusieurs raisons que Mars ne fait son tour sur son axe qu’en 24 heures 40 minutes et qu’il faut que ceux qui ont assuré que cette planète fait son tour en 13 heures n’en ayant pas bien distingué les deux faces, mais qu’ayant vu la seconde face, ils l’aient prise pour la première. Il avertit aussi que, lorsqu’il définit le temps de la révolution de Mars, il n’entend pas parler de la révolution moyenne, mais seulement de celle qu’il a observée pendant que Mars était opposé au Soleil, laquelle est la plus petite de toutes. Il en donnera la réduction dans des Tables particulières qu’il fait espérer.

Cet exposé est un résumé complet des deux mémoires de Cassini dont nous avons donné le titre plus haut[9]. Nous offrons à nos lecteurs (fig. 10) un fac-similé (même grandeur) de la page du Journal des Savants contenant les Fig. 10.

Dessins de la planète Mars, faits en février et mars 1666. Cassini et observateurs de Rome, (Journal des Savants du 31 mai 1066).
six figures auxquelles renvoie le texte précédent.

Voici maintenant (fig. 11) les dessins originaux de Cassini, reproduits également en fac-similé, d’après son Mémoire Martis circa proprium axem revolubilis observationes (Bologne, 1666).

On trouve aussi dans le recueil des écrits de Cassini renfermant la « Dissertation » dont nous venons de parler (Bibliothèque de l’Observatoire de Paris, C. 7, 15) deux éditions, sous deux titres différents, d’un même opuscule, la première ayant pour titre : De planetarum facie, maculis et revolutione ;

Fig. 11. — Configuration caractéristique des deux hémisphères de Mars, d’après les observations de Cassini en février, mars et avril 1666
(la rangée de gauche et la fig. H représentent un hémisphère, la rangée de droite et la fig. G l’hémisphère opposé).
Le changement dû à la rotation est bien visible sur la série de gauche.
la seconde : Nuncii syderei interpres. C’est une réponse au Nuncius sidereus de Galilée. Il y a quinze chapitres : les trois premiers sont différents dans les deux mémoires, et les douze suivants sont les mêmes. Dans les trois premiers chapitres de l’édition qui a pour titre : De planetarum maculis, Cassini compare les planètes à la Terre, montre que notre globe, vu de loin dans l’espace, ressemble aux autres planètes, que les mers doivent paraître foncées à cause de l’absorption de la lumière solaire, tandis que les continents doivent paraître clairs[10] ; que les variétés du sol doivent donner naissance à des variétés d’aspect correspondantes, que la figure de la Terre change suivant que le rayon visuel arrive aux régions polaires ou aux régions équatoriales, que l’obliquité de l’éclairement solaire, les nuages et leurs ombres, les chaînes de Montagnes et leurs ombres, sont autant de causes de variations dans l’aspect de notre planète vue de loin, et qu’il doit en être de même pour l’aspect de la Lune et des planètes vues de la Terre. Ensuite il passe aux analogies que les autres planètes présentent avec celle que nous habitons et considère l’observation astronomique au point de vue philosophique.

Il expose que les irrégularités du sol de la planète Vénus ont été soupçonnées par Fontana dès le 22 janvier 1643 et observées par lui, Cassini, à Rome, avec les frères Campana, dans leur excellent télescope — sans doute en 1666.

Pour Mars, il expose que le 7 février (1666), pendant l’aurore, ainsi que les 17 et 18 du même mois, également pendant l’aurore, il a distingué sur le disque de Mars, près du cercle terminateur de la phase, une tache blanche s’avançant dans la partie obscure et représentant sans doute, comme celles de la Lune, une aspérité, une irrégularité de la surface.

Il parle ensuite des bandes de Jupiter, observées dès 1630 par Fontana, et de l’aplatissement de cette planète. Il compare les zones foncées de Jupiter à des chaînes de montagnes.

Le reste de l’opuscule est consacré aux mouvements des satellites de Jupiter. Cet ouvrage ne paraît pas avoir été terminé, car les deux éditions finissent par une moitié de mot coupé à la dernière ligne de la dernière page (LXIII).

X. Même année 1666. — Salvatore Serra.

Pendant que Cassini faisait à Bologne les observations qui viennent d’être exposées, Salvatore Serra en faisait d’analogues à Rome, et les publiait au mois de mai 1666 sous le titre de : Martis revolubilis observationes romanæ ab affictis erroribus vindicatæ. Roma. Ex castro Sancti Gregorii. Calendes de juin 1666 : « Observations romaines de la rotation de Mars vengées des erreurs Fig. 12.

Dessin de Mars, par Salvatore Serra, 30 mars 1666.
imaginées ». C’est une réponse à la déclaration de Cassini, qui assurait que la rotation est de 24h 40m et non pas de 13 heures comme l’avaient conclu « des observateurs romains ».

Cette réponse est accompagnée du dessin que nous venons de reproduire (fig. 12).

L’original de ce dessin existe à la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris (C. 7, 3). Comme on le lit par la légende, ce dessin représente la vue télescopique de la planète prise à Rome, à l’aide d’une lunette de 25 palmes de Divini, par les frères Serra, le 30 mars 1666, à 2 heures (de la nuit), le même aspect ayant été observé du 24 mars au 30, et conduisant à une période de rotation de 13 heures.

La querelle a été très vive entre Cassini et Serra, comme on le voit dans l’ouvrage de Cassini signalé plus haut et intitulé : Dissertationes astronomicæ apologeticæ, recueil comprenant un mémoire de 1665 (sur l’ombre des satellites de Jupiter dont on lui contestait la découverte) et un de 1666 sur les taches et rotation de Mars et de Jupiter. Dans celui-ci, il combat les prétentions de Salvatore Serra et met en doute l’authenticité de ses observations. Il expose que Fontana, Hévélius, Gassendi, Riccioli et Sirsalis ont vu avant lui les taches de Mars, mais que c’est lui, Cassini, qui le premier a reconnu la rotation, et, par une longue discussion sur les positions des taches observées en février et mars 1666, prouve que la rotation ne peut pas être voisine de 12 ou 13 heures, comme le disait Serra, mais doit être fixée à 24h 40m.

On trouve dans ce mémoire une petite esquisse de Mars, assez rudimentaire Fig. 13.

Croquis de Mars, par Cassini, 24 mars 1666, vers 7 heures.
d’ailleurs, du 24 mars au soir, ayant pour but de montrer que, contrairement aux assertions de Serra, la planète ne présentait à l’observation terrestre ni la première face ni la seconde des dessins de Cassini publiés plus haut, mais un autre côté… « aliam quemdam maculam semilunaremqualem nos eodum die hora 1 noctis observavimus ». Cassini ajoute qu’il l’avait déjà remarquée le 22 février, à 6 heures de la nuit, « ce qui correspond à un retard de 40 minutes ».

Cassini parle ensuite des observations de Mars faites le 3 mars à Rome par Campani et concordant avec les siennes faites à Bologne.

On Voit par la fig. 11, surtout par la rangée de gauche, le déplacement des taches dû à la rotation de la planète. Les fig. 12 et 14 s’expliquent également par le texte qui les accompagne. Le dessin supérieur de cette dernière planche est une reproduction, faite par Cassini, du dessin des frères Salvatore et François de Serra. Le premier des petits dessins a été fait par Cassini le même jour (30 mars) et à la même heure.

Les observations de Serra se rattachent de très près à celles de Cassini[11].

Fig. 14. — Comparaison faite par Cassini de ses dessins (tous les petits) avec le dessin des observateurs de Rome.

Des observations de Cassini on peut conclure qu’il a découvert la durée de la rotation de Mars (elle est de 24h37m22s,6), et nous concluerons aussi que l’on peut découvrir la rotation d’une planète sans reconnaître la forme exacte des taches.

En effet, à mesure que nous avancerons dans la connaissance de ce monde, nous nous verrons obligés de constater que les dessins de Cassini (publiés ici en originaux) ne ressemblent pas du tout à la configuration géographique de la planète. Devrions-nous penser que, depuis plus de deux siècles que ces observations sont faites, Mars a changé d’aspect à ce point ? Non, car en cette même année 1666, l’astronome Hooke a fait, comme nous allons le constater, des dessins qui se rapprochent davantage de la réalité, et dès 1659 nous avons vu que Huygens en avait obtenu qui peuvent encore être utilisés aujourd’hui. Les yeux distinguent et apprécient différemment les choses plus ou moins vagues qui sont à la limite de la visibilité.

On a vu plus haut que les premières observations de Mars faites par Cassini sont des 6 et 24 février 1666. En même temps que cet astronome et d’autres observaient en Italie, l’astronome anglais Hooke observait à Londres et découvrait aussi le mouvement des taches et la rotation.

Mars brillait alors en une opposition peu favorable, presque en aphélie ; l’attention générale dont il devint l’objet avait pour cause le perfectionnement des lunettes. De plus, on venait précisément de découvrir les taches de Jupiter et sa rotation et l’on espérait obtenir le même résultat pour Mars. La première notification des observations de l’astronome anglais est une note publiée dans le numéro du 2 avril (p. 198), des Philosophical Transactions, annonçant l’existence des taches de Mars et la rotation. Le numéro suivant du 7 mai renferme le mémoire et les dessins. Voici ces observations :

XI. Même année 1666. — Hooke.

L’astronome anglais Hooke, contemporain et rival de Newton, a publié ses observations de la planète Mars dans les Philosophical Transactions de 1666 sous le titre The particulars of those observations of the planet Mars, formerly intimated to have been made at London in the months of february and mars anni 16665/6[12]. Nous constatons que ce mémoire a été traduit textuellement dans le Journal des Savants du 23 août suivant, et nous donnons ici cette traduction du temps, qui ne manque pas de parfum pour les bibliographes. Les observations ont été faites à l’aide d’un télescope de 36 pieds ; nous reproduisons les dessins, non d’après la copie réduite qu’en donna le Journal des Savants, mais d’après les originaux eux-mêmes, publiés dans les Philosophical Transactions. Voici cet exposé :

M. Hooke, ayant observé les taches de Mars et leur mouvement avec une lunette de 36 pieds, en a écrit le 29 mars à la Société Royale d’Angleterre en ces termes :

« Ayant une grande passion d’observer le corps de Mars durant qu’il serait achronique et rétrograde, parce que j’avais ci-devant remarqué avec une lunette d’environ 14 pieds quelques espèces de taches dans sa face, quoique à présent il ne soit point dans le périhélie de son orbe, mais proche de son aphélie, néanmoins j’ai trouvé avec un oculaire qu’une lunette de 36 pieds dont je me servais porte fort bien, que sa face, quand il était proche de son opposition au Soleil, paraissait quasi aussi grande que celle de la Lune paraît quand on la regarde sans lunette, ce que je remarquai en le comparant avec la Pleine Lune qui était tout auprès de lui le 10 du mois de mars.

« Mais la disposition de l’air a été telle pendant quelques nuits que de plus de vingt observations que j’en ai faites depuis qu’il est rétrograde, je n’ai pu être satisfait d’aucune, quoique je crusse souvent voir des taches, car les veines inflectives de l’air, s’il est permis d’appeler ainsi ces parties qui étant espacées çà et là en haut et en bas, peuvent causer une plus grande ou une plus petite réfraction que ne fait l’air contigu avec lequel elles sont mêlées, rendaient la chose si confuse que je n’en pouvais rien conclure de certain.

« Le 3 du mois de mars, quoique l’air ne fût pas fort commode, je ne laissai pas de remarquer que le corps de Mars paraissait comme la fig. A (voy. fig. 15), laquelle je dessinai suffisamment et, environ 10 minutes après, je dessinai avec toute l’exactitude imaginable ce que je voyais avec la lunette, comme il est représenté dans la fig. B, et je fus alors entièrement persuadé, après avoir mis mon œil en diverses positions, que ce que je voyais ne pouvait être autre chose que des taches et des parties plus obscures que les autres dans la face de cette planète.

« Le 10 mars, trouvant l’air fort mal disposé, je me servis d’un oculaire plus faible, ne voyant rien avec un oculaire plus fort, et le corps de Mars me parut tel qu’il est représenté dans la fig. C (voy. fig. 16), mais je crus que ce pouvait être la même représentation des taches précédentes, regardées avec un oculaire plus faible. Le même matin, sur les 3 heures, l’air étant fort incommode (quoiqu’il fît très clair en apparence, qu’on vît toutes les étoiles briller, et que les plus petites parussent assez grosses), son corps parut comme il est représenté par la fig. D et je supposai que c’était la représentation des mêmes taches regardées au travers d’un air plus confus et plus brouillé.

« Observant le 21 mars, je fus surpris de trouver l’air extraordinairement transparent (quoiqu’il ne le fût pas assez pour voir les petites étoiles) et la face de Mars si bien arrondie et si bien distincte que je remarquai fort nettement qu’il était, sur les 9 heures et demie du soir, justement comme il est représenté dans la fig. E. La tache triangulaire du côté droit renversée (comme elle l’était par la lunette, à cause que toutes les figures précédentes ont été tracées comme Fig. 15.

Dessins de la planète Mars faits par Hooke à Londres, dans la nuit du 12 au 13 mars 1666, à minuit 20 et à minuit 40.
on les voyait) paraissait fort noire et distincte, et l’autre qui était vers le côté gauche, semblait plus obscure, mais toutes deux pourtant assez nettes et assez bien terminées. Je l’observai, la même nuit, avec le même verre, environ un quart d’heure avant minuit, et le trouvai justement comme il est représenté dans la fig. F, et je crus que la première tache triangulaire se mouvait ; mais ayant dessein Fig. 16.

Dessins de la planète Mars faits par Hooke à Londres, du 20 mars au 7 avril.
de l’observer encore le même matin, sur les trois heures, j’en fus empêché parce que le temps fut couvert de nuées.

« Toutefois, le 22 mars, sur les 8 heures et demie du soir, trouvant les mêmes taches dans la même situation, je conclus que la précédente observation n’était rien autre chose que l’apparence des mêmes taches dans une autre hauteur et épaisseur de l’air, et je me confirmai dans cette opinion quand je les trouvai presque dans la même situation le 23 mars, sur les 9 heures et demie, quoique l’air ne fût pas si favorable qu’auparavant.

« Et quoique j’eusse dessein de faire des observations tous les matins, de ce jour-là il survint toujours quelque chose qui m’en empêcha jusqu’au 28 mars, vers les 3 heures, que l’air se trouvant léger en poids, quoiqu’il fût humide et un peu brouillé, je vis qu’il était justement de la forme représentée dans la fig. 1, ce qui ne se peut accorder avec les autres apparences, si ce n’est que nous admettions un mouvement de Mars sur son centre. Si cela était, nous pourrions, par les remarques des 21, 22 et 28 mars, conjecturer que ce mouvement se fait une ou deux fois en 24 heures, si ce n’est qu’il ait quelque espèce de mouvement de libration, ce qui ne semble pas si vraisemblable. J’observerai à l’avenir, autant qu’il me sera possible, si cela est véritablement ainsi, oui ou non. »

Explication des figures dont il est parlé dans le précédent discours.

« A. — La figure que j’ai observée le 3 mars, à 6h20m au matin, l’air étant pesant comme on le reconnut par le baromètre à roue et ayant plusieurs parties inflectives (c’est-à-dire qui faisaient réfraction) dispersées en haut et en bas.

« B. — L’autre figure que j’ai tirée de l’observation que je fis le même matin, environ dix minutes après. Ces deux remarques ont été faites avec des oculaires fort convexes.

« C. — Le 10 mars, 0h20m au matin, l’air étant pesant et plein de parties inflectives, je me servis d’un oculaire assez faible.

« D. — Le 10 mars, 3h0m au matin, l’air étant pesant et plein de parties inflectives, ce qui le rendait plus rayonnant et plus confus qu’il n’était à 3 heures ou environ auparavant, je me servis d’un oculaire faible.

« E. — Le 21 mars, 9 heures et demie du soir, l’air étant léger et clair, sans parties inflectives, sa face paraissait distinctement de cette forme : je me servis d’un oculaire faible.

« F. — Le 22 mars, 11 heures trois quarts du soir, l’air continua d’être léger et clair, sans vapeurs inflectives, l’oculaire était faible.

« G. — Le 21 mars, 8 heures et demie du soir, l’air était clair avec quelque peu de veines inflectives et indifféremment léger. L’oculaire était faible.

« H. — Le 23 mars, 9 heures et demie du soir, l’air était assez léger, mais humide et en quelque façon épais, mais il paraissait avoir peu de parties inflectives.

« I. — Le 28 mars, 3 heures du matin, l’air était à peu près comme le 23, humide, brumeux avec des veines. »

Cet exposé des observations de l’astronome anglais est une traduction à peu près textuelle de sa communication à la Société Royale de Londres, le 28 mars 1666. Nous avons reproduit ici, par la photogravure, en fac-similés authentiques, sans retouche aucune et de même dimensions que les originaux, les neuf dessins de Hooke. Les dates des observations doivent être augmentées de 10 jours, parce que la réforme du calendrier adoptée en Italie dès l’an 1582 n’a été adoptée en Angleterre qu’en 1752. Le 3 mars correspond donc au 13.

La même planche des Philosophical Transactions, d’où nous reproduisons ces dessins, renferme aussi les dessins de Cassini et des observateurs italiens, mais quelque peu exagérés, notamment le grand dessin de tête de la fig. 14 sur lequel les deux taches sont si massives que l’on pourrait prendre cet aspect pour celui d’une haltère de fonte !

Ici nous pouvons faire une pause d’un instant et nous demander si nous avons déjà une première conclusion à tirer de cet ensemble de croquis primitifs.

Bien primitifs, en effet. Il faut croire que les lunettes ne possédaient pas à cette époque une grande puissance de définition, car il est à peu près impossible de reconnaître sur aucun de ces dessins les configurations géographiques qui existent réellement sur le globe de Mars. Trois dessins seuls permettent une identification certaine, il est vrai, mais assez vague : ce sont les dessins de Huygens, 28 novembre 1659 (fig. 9, p. 16), et Hooke, 13 mars 1666, à 0h20m et 0h40m (fig. 15). Pour commencer dès maintenant notre connaissance de la géographie martienne, je reproduirai ici (fig. 17) une photographie du globe de Mars que j’ai construit, il y a quelques années, sur l’ensemble des observations. Un hémisphère, le plus caractéristique, suffit ici. La nomenclature adoptée sur ce globe est celle de la Carte générale de la planète construite par M. Green en 1877 et publiée par la Société Royale Astronomique de Londres, à l’exception des noms de « mer du Sablier », appelée aussi « mer de Kaiser » et de la baie du Méridien appelée aussi « baie de Dawes ». (Nous avons conservé le nom de mer du Sablier à cette mer triangulaire si caractéristique parce que 1o  elle est depuis très longtemps désignée sous ce nom « the hour-glass sea », que 2o  ce nom est bien approprié à sa forme, et que 3o  cette tache a véritablement servi de sablier pour déterminer la durée de la rotation de Mars, car c’est par son passage au méridien central et son retour, et par la comparaison des dates de ses anciens dessins à celles des modernes que l’on a exactement mesuré le temps martien.)

Cette projection nous montre le globe de Mars vu perpendiculairement à son axe, le pôle sud en haut, le pôle nord en bas. Ce globe ne se présente pas souvent juste perpendiculaire, comme on le voit ici, mais légèrement incliné, nous offrant tantôt son pôle sud, tantôt son pôle nord. Mais cette projection perpendiculaire suffit actuellement pour nous orienter. Nous nous occuperons des autres aspects un peu plus loin.

Les trois dessins dont nous venons de parler représentent cette mer du Sablier. Que le lecteur veuille bien les comparer à notre fig. 17, et il constatera comme nous que le premier montre cette mer très élargie et plus vague, que le second la montre plus étroite, rattachée en haut à la mer Flammarion et en bas à la mer Delambre. Il en est de même du troisième dessin. Ce n’est pas précis, ce n’est pas net, c’est vu de très loin, à l’aide d’instruments imparfaits, mais c’est bien cette configuration, et le calcul le prouve, attendu que la rotation martienne de 24h 37m 22s,6 a bien réellement fait passer cette mer en ces méridiens aux dates précises des observations.

À cette carte-figure, nous ajouterons une petite vue de la planète prise à Fig.17.

Le globe de Mars avec la mer du Sablier au centre.
l’aide d’une petite lunette (lunette de 75mm) pour montrer que les configurations les plus étendues sont perceptibles dans ces modestes instruments, pourvu qu’ils soient bons, qu’on ait un œil excellent et qu’on sache observer. Les lunettes actuelles de cette dimension sont tout à fait comparables, pour les images qu’elles donnent, aux grands instruments primitifs dont se servaient Hooke et Cassini. Quels progrès ! Un instrument de cet ordre ne coûte pas 200fr aujourd’hui. Ne devrait-on pas en posséder au moins un par département, un par école primaire ? Les citoyens de la Terre auraient au moins une notion des réalités de l’Univers. Mais, en France même, il n’y a certainement pas un humain sur mille qui ait jamais vu une seule des merveilles célestes, ou plutôt pas un sur dix mille, peut-être à peine un sur cent mille !

Cette vue de Mars a été prise le 18 février 1884. Elle est satisfaisante. Le ciel était nuageux, mais, en affaiblissant l’éclat de la planète, ces nuages ne nuisaient pas à l’observation, au contraire.

On remarque sur le disque (heure de l’observation : 9h35m) une tache grise rappelant la forme d’une coupe à champagne, s’évasant considérablement par le haut, de sorte qu’on croirait voir les ailes étendues d’un oiseau de mer. Cette tache allongée est la mer du Sablier dont nous venons de parler à propos des deux dessins de Hooke du 12 mars 1666. À elle seule, cette observation suffirait pour prouver la permanence des taches de la planète Fig. 18.

Petit dessin de Mars, obtenu en 1884, à l’aide d’une petite lunette de 75mm.
Mars. Le pôle nord est très marqué sur le bord inférieur du disque par la neige polaire qui y forme une tache blanche circulaire.

Quant aux autres dessins de Hooke, ainsi qu’à tous ceux de Cassini, Serra, etc., nous avouons n’y rien reconnaître, n’y rien pouvoir identifier. La surface de Mars était-elle alors très masquée par des nuages ? Les instruments manquaient-ils de définition ? Pourtant ces taches ont servi à déterminer la rotation. Elles existaient donc réellement : elles ont été plus ou moins précisées, plus ou moins bien exactement dessinées ; mais ce ne sont pas de fausses images, puisque la rotation déterminée par elles est exacte.

De ces premières observations, comme on vient de le voir, Cassini avait déjà pu conclure, dès 1666, la rotation de la planète à 24h 40m environ (sans tenir compte du déplacement de la Terre). Pourtant, cette opposition de 1666 est loin d’être l’une des plus favorables ; elle a eu lieu le 18 mars, c’est-à-dire une époque où la planète est fort éloignée de la Terre et vers son aphélie. Cette opposition est analogue à celle de 1886.

Continuons notre étude.

XII. 1672. — Huygens.

Nous avons déjà signalé une observation de cet astronome faite vers 1656 et quatre de l’année 1659 ; plusieurs autres dessins, dont deux de 1662, sont Fig. 19.

Dessin de Mars fait par Huygens, le 13 août 1072, à 10h 30m.
conservés aussi à l’Université de Leyde, l’un du 6, l’autre du 13 août. Le premier ne montre aucune tache sombre, mais seulement la tache blanche polaire méridionale ; le second montre ce pôle et, dans la partie inférieure du disque, la mer du Sablier. Nous reproduisons ici ce second dessin, d’après le fac-similé qu’en a publié M. Terby.

En 1672, Mars passait en une opposition périhélie, c’est-à-dire dans la Fig. 20.

Le globe de Mars nous présentant son pôle supérieur (Oppositions périhéliques).
1672-1689-1704-1719-1734-1731-1766-1783-1798-1813-1830-1845-1860-1877-1892.
plus favorable de toutes. Il y revient tous les 15 ans environ. Les années 1689, 1704, 1719 ont été dans le même cas. Alors la planète se présente à nous inclinée, avec le pôle supérieur visible et la mer du Sablier très basse. Le dessin de Huygens peut être parfaitement identifié avec la réalité, comme on peut s’en rendre compte par la projection ci-dessus.

XIII. Même année 1672. — Flamsteed.

Le premier Directeur de l’Observatoire royal d’Angleterre, fondé en 1676, avait observé, notamment le 11 octobre 1672, la planète dont nous écrivons l’histoire. Cet astronome, voulant prendre la position de la planète Mars, fit la remarque suivante :

« Planetæ semper circa medium obscuritas aliqua apparuit, quam ut potui in figura adumbravi. » C’est tout ce qu’il dit sur notre planète. L’esquisse qu’il en a tracée montre simplement dans l’intérieur du disque, vers la région centrale, « l’obscurité » dont il parle, c’est-à-dire une tache irrégulière environnée d’une large pénombre. Cette figure nous paraît peu intéressante à reproduire[13].

Cette même opposition a été observée par Laurentiis[14], sans résultat utile pour le progrès de la connaissance physique de Mars.

XIV. 1683. — Huygens.

Aux observations de Huygens signalées plus haut, nous devons adjoindre Fig. 21.

Esquisse de Mars par Huygens, le 17 mai 1683, à 10h 3m.
ici celles qu’il a faites en 1683, les 7 et 9 avril, 7, 13, 17 et 23 mai. Ces six observations, accompagnées d’autant de dessins, ne donnent encore que de vagues esquisses, analogues à celles du même astronome, de 1659 et de 1672 ; mais ces esquisses permettent de reconnaître notamment la mer caractéristique du Sablier avec laquelle nous avons déjà fait connaissance. Nous signalerons entre autres le croquis du 17 mai, à 10h 30m, fait à la plume comme tous les autres, et qui dessine bien cette forme. Mars était alors fort éloigné de la Terre, tandis qu’en 1672 il était passé en opposition vers son périhélie. Huygens a encore fait, le 4 février 1694, une esquisse du même ordre.

On en était là de l’étude de Mars lorsque Fontenelle publia ses Entretiens sur la pluralité des Mondes. Remarque assez curieuse, Mars était passé très près de la Terre en 1672, et on ne l’avait observé qu’au point de vue de l’astronomie de position : la connaissance de sa constitution physique n’a pas fait un seul pas, si ce n’est la constatation de la tache polaire australe par Huygens.

XV. 1686. — Fontenelle.

Le spirituel auteur des Entretiens sur la pluralité des Mondes[15] s’occupe de toutes les planètes, du Soleil et des étoiles fixes, et nous expose dans le plus élégant des langages ce que l’on en savait à son époque. Quoiqu’il parle assez longuement de Vénus, de sa rotation, de ses années, de ses climats et même de ses montagnes, il semble dédaigner quelque peu la planète qui nous occupe ici. « Mars, dit-il, n’a rien de curieux que je sache ; ses jours sont de plus d’une demi-heure plus longs que les nôtres, et ses années valent deux de nos années, à un mois près. Il est cinq fois plus petit que la Terre, il voit le Soleil un peu moins grand et moins vif que nous ne le voyons ; enfin Mars ne vaut pas trop la peine qu’on s’y arrête. Mais la jolie chose que Jupiter avec ses quatre lunes ou satellites ! »

C’est tout ce qu’il dit de Mars. Il y revient un peu plus loin à propos de « l’absence de satellites », qu’il regrette infiniment au point de vue de la logique. « On ne peut pas nous le dissimuler, répond-il à la marquise, il n’en a point, et il faut qu’il ait pour ses nuits des ressources que nous ne savons point. Vous avez vu des phosphores, de ces matières liquides ou sèches, qui, en recevant la lumière du Soleil, s’en imbibent et s’en pénètrent, et ensuite jettent un assez grand éclat dans l’obscurité. Peut-être Mars a-t-il de grands rochers fort élevés, qui sont des phosphores naturels, et qui prennent pendant le jour une provision de lumière qu’ils rendent pendant la nuit. Vous ne sauriez nier que ce ne fût un spectacle assez agréable de voir tous ces rochers s’allumer de toutes parts dès que le Soleil serait couché, et faire sans aucun art des illuminations magnifiques, qui ne pourraient incommoder par leur chaleur. Vous savez encore qu’il y a en Amérique des oiseaux qui sont si lumineux dans les ténèbres qu’on s’en peut servir pour lire. Que savons-nous si Mars n’a pas un grand nombre de ces oiseaux, qui, dès que la nuit est venue, se dispersent de tous côtés et vont répandre un nouveau jour ? »

C’est charmant. Si Fontenelle n’avance pas l’étude technique que nous faisons en ce moment, du moins nous y intéresse-t-il et nous convie-t-il à aller plus loin.

Les deux satellites de Mars ont été découverts 191 ans plus tard.

Le dix-septième siècle se couche quelques années après la divulgation du livre de Fontenelle, qui marque une ère nouvelle dans l’histoire de la littérature scientifique ou, pour mieux dire, qui ouvre cette ère. Le dix-huitième siècle s’ouvre au point de vue du sujet qui nous occupe ici par les recherches de Maraldi (neveu de Cassini) à l’Observatoire de Paris.

  1. Nous reproduirons ici par la photogravure, et sans retouches de dessinateurs ou de graveurs, toutes les fois que cela sera possible, tous les dessins de Mars que nous nous proposons de réunir. Ce procédé nous permettra de conserver dans cette monographie, les dessins authentiques, exacts, tels qu’ils ont été faits par leurs auteurs ; cette fidélité absolue nous paraît indispensable pour identifier aussi sûrement que possible les dessins modernes aux anciens et pour juger ensuite de la permanence des configurations géographiques de la planète ou de leur variabilité. Ce sera là, nous semble-t-il, la principale valeur scientifique du travail que nous entreprenons ici. Nous possédons la plupart des ouvrages et documents qui vont être analysés, dans la Bibliothèque que nous avons longuement formée pour notre Observatoire de Juvisy. Mais, pour certaines pièces anciennes et rares, nous avons dû recourir à la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris. Nous adressons à ce sujet nos plus vifs remerciements à M. l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire, et à M. Fraissinet, bibliothécaire, dont l‘obligeance a déjà rendu tant d’appréciés services aux savants et aux bibliophiles.
  2. Christiani Hugenii a Zulichem Opera Varia, tome II, Hagæ Comitum, 1724, p. 540.
  3. Ce ne doit pas être en 1656, mais plutôt en 1655 ou 1657. En 1656, Mars était dans la région de son orbite la plus éloignée de la Terre. Nous respectons toutefois la date de l’auteur. Pourrait être en janvier ou décembre.
  4. Terby, Aréographie (Académie de Belgique, 1875), p. 8.
  5. Terby, Aréographie (Académie de Belgique, 1875), p. 9.
  6. Huygens, Cosmotheoros, 1698, p. 16.
  7. Ibid., 1698, p. 96.
  8. Journal des Savants, 2e année, 1666, p. 316. Cette publication s’est perpétuée jusqu’à nos jours, comme on le sait. Mais, remarque assez singulière, elle est scientifiquement beaucoup moins intéressante actuellement qu’il y a deux cents ans. Du moins les auteurs scientifiques y sont-ils beaucoup plus rares, et, quant aux observations astronomiques, il n’en est presque plus jamais question.
  9. Ces observations sont toutes de l’année 1666. Il est donc surprenant de lire dans le Cosmos de Humboldt, généralement si bien informé, l’assertion suivante :

    « La première observation faite par Cassini sur la rotation d’une tache de Mars paraît avoir eu lieu peu de temps après l’année 1670. » (Cosmos, t. III, p. 719).

    Humboldt renvoie à Delambre, Histoire de l’Astronomie, t. II, p. 694, pour cette assertion. Mais Delambre est muet sur ce point.

  10. C’est ce que Galilée avait dit, dès 1632, dans son Dialogo interno ai due massimi sistemi del mondo. Œuvres complètes, édition de 1842, p. 72.
  11. On trouve dans les manuscrits de Cassini, conservés à l’Observatoire de Paris, plusieurs lettres de Salvatore Serra sur ce même sujet, écrites en latin et en italien. Dans la première, du 27 février 1666 (Rome), il est dit que Serra a observé les taches de Mars avec une lunette de 25 palmes et que le tube de 50 palmes est incommode.

    Dans une autre, du 24 mars, on lit la phrase à laquelle Cassini vient de répondre : « Maculas aliquot quarum una cœteris nigrior aliquantulum jam superarat diei medium » ; dans une autre du 27 mars, on trouve des observations analogues ; dans la dernière, du 10 avril, il discute si la rotation est de 12 ou 24 heures. Le même recueil (C., 7, 3) renferme une lettre de Campani du 3 mars : « A observé les taches de Mars et a reconnu le mouvement de rotation. »

  12. Philosophical Transactions, giving some accompt of the present undertaking studies… of the world. Vol. 1, 1665-1666, p. 239.
  13. On la trouvera Historia Cœlestis, 1725, tome I, p. 17, fig. 35.
  14. Joannis Francisci de Laurentiis Observationes Saturni et Martis Pisaurienses. In-fol. — Pisauri, 1672.
  15. Première édition ; Paris, 1656.