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La Plante/Partie II, chapitre VI

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Charles Delagrave (p. 311-325).
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Partie II.
VI. — Fleurs et insectes

VI
Fleurs et insectes.

Transport du pollen par le vent. — Observation de Bernard de Jussieu. — Conditions favorables au transport du pollen. — Pollen des conifères. — Étamines et pistils des graminées. — Transport du pollen par les insectes. — Utilité de la fertilisation par le pollen venu d’une autre fleur. — Nectar. — Points voyants. — Le Muflier. — L’Iris. — L’Aristoloche siphon. — L’Eupomatie laurine. — Mouvements spontanés des étamines. — La Rue, l’Épine-vinette, la Pariétaire, le Figuier de Barbarie. — Maintien de l’espèce. — Hybrides. — Retour aux formes primitives.

Le transport du pollen ne s’effectue pas simplement des anthères sur le pistil d’une même fleur ; il a lieu encore d’une fleur à l’autre, d’une plante à l’autre, et quelquefois à de grandes distances. Dans les végétaux soit monoïques soit dioïques, les grains de pollen qui vivifient un ovaire arrivent toujours d’une fleur étrangère ; dans les autres végétaux, le concours d’un pollen venu d’ailleurs est tout aussi fréquent que celui du pollen de la fleur même. Les agents de transport sont les vents et les insectes.

Des innombrables faits que l’on pourrait citer à l’appui de l’envoi du pollen à distance, bornons-nous à celui-ci. Le Jardin botanique de Paris possédait depuis longtemps deux pistachiers à pistils,
Fig. 156. Chatons ou fleurs staminées du Noisetier.
qui chaque année se couvraient de fleurs sans jamais produire de fruits ; il leur manquait, pour fructifier, le concours de la poussière pollinique. Aussi l’étonnement fut grand lorsque, sans motif connu, on les vit, une année, nouer et mûrir parfaitement leurs ovaires. Bernard de Jussieu conjectura qu’il devait se trouver dans le voisinage quelque pistachier d’où était parvenu le pollen. Des recherches furent faites et on trouva qu’en effet, dans une pépinière des environs, un pistachier à étamines avait, à la même époque, fleuri pour la première fois. Apporté par le vent, au-dessus des édifices d’une partie de Paris, son pollen était venu fertiliser les deux pistachiers jusque-là stériles.

Sur la fin de l’hiver, lorsque leurs innombrables chatons sont épanouis, secouons un pin, un cyprès, un noisetier ; nous verrons s’envoler de l’arbre comme une fumée, que la moindre agitation de l’air emporte au loin. Cette fumée, cette poussière pollinique, livrée aux hasards de l’atmosphère, rencontrera peut-être, dans sa chute, les inflorescences à pistils d’autres pins, d’autres cyprès, d’autres noisetiers, et éveillera la vie dans leurs ovules à plusieurs lieues de son point de départ. Dans une prairie, dans un champ de blé en floraison, chaque souffle d’air qui agite les foins et les chaumes soulève pareillement une fine nuée pollinique,
Fig. 157. Chatons et fleurs pistillées du Châtaignier.
dont la poussière, arrêtée au passage par les stigmates, fertilise les fleurs de même espèce qui la reçoivent.

Certaines conditions sont indispensables pour que le vent ait un rôle efficace. Le pollen doit être très-abondant à cause de son énorme déperdition à travers les étendues parcourues au hasard. Sur un tourbillon de poussière staminale qu’un coup de vent balaie, combien de grains arriveront-ils à destination ? Très-peu sans doute, et point peut-être. Aussi la quantité doit-elle compenser les innombrables chances défavorables. Le pollen doit être aussi très-fin, sec, aride, pour obéir au premier souffle et se disperser aisément. Ces conditions d’abondance, de finesse, d’aridité, se trouvent réalisées dans les arbres à chatons, notamment dans les conifères, qui abandonnent à l’air des nuages de pollen. Ces nuages de poussière jaune, semblable à de la fleur de soufre, sont parfois transportés par la tempête à des distances considérables, et en retombant soit seuls, soit mélangés aux pluies d’orage,
Fig. 158. Fleur du Blé.

e, étamines : st, stigmates ; sq, enveloppes florales.
suscitent de puériles terreurs parmi les populations ignorantes, qui croient voir tomber du ciel une averse de soufre.

Les graminées, avec leurs trois anthères pendantes hors de la fleur et très-mobiles à l’extrémité de longs filets, se prêtent également à la dispersion facile du pollen par le vent. Ces anthères que rien n’abrite, que la plus légère agitation de l’air secoue vivement, livrent leur poussière pollinique aux caprices de l’atmosphère dès que leurs loges s’ouvrent. Pour arrêter au passage les grains de pollen que la brise promène à travers les sommités des chaumes et des gazons, les stigmates sont découpés en longues houppes plumeuses, qui tamisent l’air dans leur duvet. Enfin le secours du vent est nécessaire à la plupart des végétaux dont les fleurs, n’ayant pour périanthe que des écailles sans éclat, sans coloris, sans parfum, sans nectar, sont dépourvues de tout ce qui pourrait leur attirer la visite des insectes.

Les insectes sont, par excellence, les auxiliaires de la fleur ; mouches, guêpes, abeilles, bourdons, scarabées, papillons, tous, à qui mieux mieux, lui viennent en aide pour transporter le pollen des étamines sur le stigmate. Ils plongent dans la fleur, affriandés par une goutte mielleuse expressément préparée au fond de la corolle. Dans leurs efforts pour l’atteindre, ils secouent les étamines et se barbouillent de pollen, qu’ils transportent d’une fleur à l’autre. Qui n’a vu les abeilles et les bourdons sortir enfarinés du sein des fleurs ? Leur corps velu, poudré de pollen, n’a qu’à toucher en passant un stigmate pour lui communiquer la vie.

Les fleurs à qui l’insecte est nécessaire possèdent, au fond de leur corolle, une goutte de liqueur sucrée, appelée nectar. Cette liqueur entre dans la composition du miel des abeilles. Pour la puiser dans les corolles façonnées en profond entonnoir, les papillons ont une longue trompe roulée en spirale, pendant le repos ; ils la déroulent et la plongent dans la fleur à la manière d’une sonde quand il faut atteindre le délicieux breuvage. Mais les insectes dépourvus d’un tel siphon, et ce sont les plus nombreux, descendent eux-mêmes, avec effort, au fond du tube, secouent les anthères en se démenant et font tomber le pollen sur leur passage, puis ressortent à reculons couverts de poussière staminale. Ces visites affairées ont inévitablement pour résultat la fertilisation de l’ovaire, soit que l’insecte, en sortant, effleure de sa toison poudreuse la tête du pistil, soit que les étamines ébranlées laissent directement tomber le pollen sur le stigmate.

Plus fréquemment encore peut-être, il y a échange d’une fleur à l’autre, sur la même plante ou sur des plantes différentes mais de même espèce. Tout jauni de pollen, l’insecte sort d’une première fleur et va butiner sur une seconde, qui reçoit ainsi la poussière pollinique étrangère et fournit elle-même la sienne pour une troisième ; de cette manière, en très-peu de temps, toutes les fleurs épanouies d’une même grappe, d’une même plante, sont fertilisées l’une par l’autre. Cet échange de pollen, délicate répartition que l’insecte seul peut accomplir par son nombre et son activité, est d’une haute importance, car il prévient les causes de dépérissement dans les générations successives, où le moindre trouble vital irait s’aggravant par une hérédité que nul secours étranger ne viendrait interrompre.
Fig. 159. Primevère.
Il est reconnu, en effet, que fertilisée par son propre pollen, une fleur donne des semences en général moins robustes que lorsque la poussière vivifiante lui vient d’une autre fleur. Au moyen de ce concours, la plante qui fournit le pollen associe ses propres énergies aux énergies de la plante qui fournit l’ovule, et la vitalité de la descendance se maintient indéfiniment vigoureuse. À ce point de vue, l’insecte est le distributeur par excellence du pollen.

Si vous déchirez en deux une fleur de narcisse, de primevère, de chèvrefeuille et d’une foule d’autres plantes, vous trouverez, du bout de la langue, au fond de la corolle, un liquide sucré qu’on appelle nectar. Tel est l’appât qui allèche les insectes et les attire sur les fleurs. Tantôt le nectar consiste en une faible exsudation qui humecte simplement la base de l’ovaire, tantôt il s’amasse en une gouttelette semblable à une larme de rosée.
Fig. 160. Fritillaire couronne impériale.
Ce liquide suinte d’organes variables suivant les familles, les genres, les espèces. Il transpire du calyce dans la capucine, de l’onglet des pétales dans les renoncules, de la base des étamines dans les plombaginées, du pourtour de l’ovaire dans les jacinthes. Dans la fritillaire que la disposition de ses fleurs fait vulgairement nommer couronne impériale, les six pièces du périanthe sont creusées, à la base, d’une fossette glanduleuse qui sécrète le nectar. Des réservoirs sont parfois ménagés pour le dépôt de la liqueur sucrée : ce sont en général des bosses, des éperons, des sachets, des fossettes, que l’on remarque à la base soit des sépales soit des pétales. Ainsi les crucifères ont pour organes producteurs du nectar les supports glanduleux des deux courtes étamines, et pour récipients les sachets ou bosses des deux sépales opposés à ces étamines. La capucine amasse son nectar au fond de l’éperon unique du calyce, et l’ancolie dans les cinq éperons de sa corolle. La sécrétion de cette liqueur rarement commence avant que la fleur soit épanouie ; elle se fait avec le plus d’abondance à l’époque de l’émission du pollen, précisément lorsque la plante a besoin du concours des insectes ; elle cesse dès que le fruit commence à se développer : la source sucrée tarit du moment qu’elle est inutile.
Fig. 161. Le Muflier.
Fleur et fruit.

Une goutte de nectar, expressément distillée dans ce but, attire les insectes au fond de la corolle ; un point-voyant leur indique la route à suivre pour atteindre la liqueur sucrée en frôlant les étamines. On nomme point-voyant une tache de coloration vive, fréquemment jaune ou orangée, c’est-à-dire de la teinte douée du plus grand pouvoir lumineux. Cette tache se trouve à l’entrée de la corolle, au voisinage immédiat des anthères ; elle frappe la vue par son éclat et certainement guide les insectes dans leurs recherches. Ce point indicateur, qui amène l’abeille et le bourdon précisément là où ils sont nécessaires, c’est-à-dire aux anthères, est surtout remarquable dans les fleurs closes. Citons-en une paire d’exemples.

La corolle du muflier ou gueule-de-loup est exactement fermée, ses deux lèvres rapprochées ne laissent aucun passage libre. Sa couleur est d’un rouge violet uniforme, mais tout au milieu de la lèvre inférieure se trouve une tache d’un jaune très-vif. Or surveillons un bourdon tandis qu’il butine sur un muflier, nous le verrons toujours s’abattre sur la tache jaune et jamais ailleurs. Forcée par le poids de l’insecte, la lèvre s’abaisse et la gorge de la corolle bâille ; l’insecte entre, brosse en passant les anthères de son dos velu, se poudre de pollen, lèche le nectar et va sur d’autres fleurs distribuer, à son insu, la poussière staminale de sa toison.

La fleur de l’iris est encore plus remarquable. Son périanthe comprend six pièces, trois étalées en dehors et courbées en arc, trois relevées et se rassemblant dans le haut en un dôme. Ces dernières sont d’un bleu violet uniforme ; les autres ont, au milieu, une large bande hérissée de papilles et semblable à un grossier velours jaune. Ces bandes, qui par leur teinte safranée tranchent vivement sur le fond violet du reste de la fleur, sont les points-voyants qui mènent aux étamines, invisibles de l’extérieur et difficiles à trouver pour un œil inexpérimenté. Au centre de la fleur sont trois larges lames violettes, ayant toute l’apparence de pétales ; mais l’apparence est trompeuse car ces lames sont en réalité les styles du pistil. Chacune d’elles se courbe en une voûte et vient s’appliquer contre un pétale à bande jaune, de manière que les deux pièces forment, par leur assemblage, une chambre close. Dans chaque chambre est placée une étamine, dont l’anthère s’applique étroitement contre la voûte, et dont les deux loges, par une exception peu commune, mais ici nécessaire, s’ouvrent par la face extérieure au lieu de s’ouvrir, suivant la règle générale, par la face intérieure. Enfin, à l’entrée même de la chambre, la lame pétaloïde du style se double d’un étroit rebord membraneux. Ce rebord, c’est le stigmate, c’est le point où le pollen doit parvenir.

Complétez par la vue de la fleur elle-même ce que la parole est impuissante à rendre et vous verrez que, sans le secours d’un aide, il est absolument impossible au pollen d’arriver sur le stigmate. L’anthère est située au fond d’une chambre, à l’abri des agitations de l’air ; le stigmate est placé au dehors, à l’entrée. Si le pollen tombe, sa chute se fera sur le plancher de la cavité et non sur le rebord stigmatique, situé à l’extérieur. Mais qu’un insecte survienne et la difficulté disparaît pour faire place à d’admirables combinaisons. Le point-voyant, la bande de velours jaune, est la voie qui mène à l’entrée de la chambre ;
Fig. 162. Iris.
c’est là que se posent invariablement abeilles, mouches et bourdons à la recherche du nectar ; aucun ne se méprend sur la route à suivre dans la fleur qui, par ses étamines cachées et ses styles pétaloïdes, trompe notre propre regard. L’insecte soulève la lame du style, entre et de son dos velu brosse la voûte où est appliquée l’anthère, ouvrant ses loges par la face externe ; il s’avance jusqu’au fond de l’étroite galerie, boit le nectar et sort poudré de pollen. Suivons-le sur une autre fleur. Maintenant le rebord stigmatique de l’entrée agit comme un râteau sur le dos de l’insecte pénétrant dans la chambre, et cueille du pollen sur sa toison. Qui ne reconnaîtrait dans ces merveilleuses harmonies entre la fleur et son auxiliaire, l’insecte, des arrangements combinés par l’éternelle Raison !

Encore quelques mots pour terminer ces curieuses études sur les rapports entre l’insecte et la fleur. Je vous ai fait déjà connaître l’aristoloche siphon, dont la fleur, lavée de jaune et de rouge noir, a la forme d’un fourneau de pipe. Les étamines sont placées de manière à ne pouvoir que très-difficilement laisser parvenir leur pollen sur le stigmate. Or une mouche à forme svelte, une tipule, pénètre dans le tube de la fleur, tube garni de poils dirigés de haut en bas et cédant ainsi aisément devant le moucheron qui entre. Mais lorsqu’il veut sortir de la fleur, l’insecte est arrêté par ces mêmes poils, qui maintenant lui présentent leur pointe et forment palissade infranchissable ; il s’agite, se débat pour recouvrer la liberté, et disperse le pollen, qui tombe sur le stigmate. Bientôt le tube floral se flétrit ; les poils, devenus flasques, pendent le long de la paroi, et le prisonnier s’échappe sans obstacle.

D’après l’un des observateurs les plus exacts et les plus profonds de notre époque, Robert Brown, les fleurs d’un arbre exotique, l’eupomatie laurine, sont organisées de telle sorte que, sans le secours des insectes, l’arrivée du pollen sur les stigmates ne pourrait jamais avoir lieu. Dans ces fleurs, les rangées intérieures d’étamines sont stériles et transformées en pétales étroitement serrés l’un contre l’autre et couvrant le stigmate d’une impénétrable enveloppe. Ainsi séparé des étamines extérieures, seules fertiles, le pistil jamais ne recevrait du pollen si la fleur était abandonnée à ses propres moyens. Mais des insectes surviennent qui rongent les pétales intérieurs et détruisent la voûte recouvrant les pistils, sans toucher ni à ceux-ci ni aux étamines fertiles. Désormais l’accès du pollen aux stigmates n’a plus d’entraves.

Pour assurer l’arrivée du pollen sur le stigmate, bien des plantes, au moment de la floraison, animent leurs étamines de mouvements spontanés, semblables à ceux que nous avons déjà reconnus dans certaines feuilles. La rue, plante nauséabonde des collines arides, a des fleurs tantôt à quatre, tantôt à cinq pétales, et des étamines au nombre soit de huit soit de dix, opposées par moitié aux pétales et par moitié aux intervalles qui séparent ces derniers. Dans la fleur récemment épanouie, toutes les étamines sont étalées horizontalement, et couchées les unes dans la cavité du pétale correspondant, les autres dans les intervalles. Bientôt, d’un mouvement lent, insensible, une étamine se dresse debout, infléchit son filet et vient appliquer son anthère sur le stigmate. Pendant ce contact, longtemps prolongé, les loges anthériques s’ouvrent et abandonnent leur pollen. Cela fait, l’étamine lentement se retire et vient se recoucher dans sa position première, la position horizontale ; mais celle qui lui succède dans l’ordre spiral du verticille se redresse en même temps, et la remplace sur le stigmate. Une troisième succède à celle-ci, et ainsi de suite, l’une après l’autre, jusqu’à ce que toutes les étamines aient déposé sur le pistil leur tribut de pollen. La fleur alors se fane : le rôle de ses enveloppes florales et de ses étamines est fini. À cause de la lenteur des mouvements, un examen soutenu des jours entiers peut seul constater dans leur ensemble ces faits si curieux ; mais un simple coup d’œil suffit pour reconnaître le redressement des étamines une à une, car on voit toujours, dans les fleurs de la rue, une seule étamine appliquer son anthère sur le stigmate, tandis que les autres sont couchées horizontalement.

D’autres fois l’élan est soudain. Dans l’épine-vinette, chaque filet d’étamine est saisi à la base entre deux fines glandes situées sur l’onglet du pétale opposé. Celui-ci, en s’étalant, entraîne donc l’étamine, captive dans son frein, et la force à s’étaler avec lui. Mais bientôt, sous les rayons du soleil, le filet s’amincit par l’évaporation, et les glandes qui le retiennent se dégonflent un peu. Alors l’étamine, abandonnée à sa propre élasticité, revient brusquement à sa position première ainsi que le ferait un ressort tendu, et se jette sur le pistil en lançant un petit nuage de pollen. On peut artificiellement provoquer cette détente : il suffit de gratter le filet avec la pointe d’une épingle, ou bien d’agiter le rameau. À la moindre secousse, au plus léger contact, le délicat équilibre est rompu, les étamines échappent à leur frein glanduleux et s’abattent sur le pistil.

L’ortie et la pariétaire ont les filets staminaux enroulés dans les folioles du périanthe. Effleurons ces filets très-légèrement de la pointe d’une aiguille ; nous les verrons soudain se dérouler, se redresser et secouer leurs anthères, d’où s’échappe un jet de poussière pollinique. Dans les grandes fleurs jaunes de la plante grasse vulgairement nommée figuier de Barbarie, les étamines sont au nombre de quelques centaines. En l’état d’épanouissement, elles sont étalées à peu près à angle droit avec l’axe de la fleur. Qu’un insecte en passant vienne à les effleurer, qu’un léger choc les ébranle, qu’un nuage intercepte tout à coup la lumière du soleil, et aussitôt elles se relèvent en tumulte entrechoquant leurs anthères d’où vole le pollen, elles se recourbent et se rejoignent en une voûte serrée au-dessus du pistil. La tranquillité revenue, elles s’étalent de nouveau pour se rassembler encore au moindre accident. Chaque fois, une pluie de pollen tombe sur le stigmate.

Les vents en balayant une prairie où croissent les plantes les plus variées, les insectes en butinant d’une fleur à l’autre sans distinction d’espèces, amènent nécessairement sur les stigmates des grains de pollen de toute nature. Le sainfoin reçoit le pollen du trèfle, le trèfle reçoit le pollen du froment. Que résulte-t-il de ces échanges entre les végétaux les plus disparates ? Il n’en résulte absolument rien : le pollen d’une espèce végétale est sans effet aucun sur les fleurs d’une autre espèce. Vainement, par exemple, on déposerait sur le stigmate du lis la poussière pollinique de la rose, ou sur le stigmate de la rose celle du lis ; si chaque fleur ne reçoit pas son propre pollen ou celui d’une fleur de même espèce, l’ovaire se fanera sans donner des semences fertiles.

Il faut à chaque espèce le pollen de son espèce, tout autre pollen reste aussi inactif que la poussière du grand chemin. Les recherches expérimentales les plus concluantes ont mis en pleine lumière l’inflexibilité de cette grande loi, qui sauvegarde les espèces contre toute profonde altération et les maintient aujourd’hui telles qu’elles étaient au début, telles qu’elles seront dans un avenir indéfini. L’action du pollen ne se borne pas, en effet, à éveiller la vie dans les ovules ; elle imprime aussi aux graines les caractères de la plante qui a fourni l’anthère. Le pistil et l’étamine, chacun à sa manière, communiquent à la semence les traits devant se révéler dans le végétal qui en proviendra ; ils contribuent l’un et l’autre à déterminer, dans la plante née de la graine, la ressemblance avec la plante d’où provient soit l’ovule soit le pollen. Qu’adviendrait-il donc si le stigmate était indifféremment influencé par la poussière d’une anthère quelconque ? Les graines issues d’un tel mélange ne reproduiraient pas les plantes primitives, mais donneraient de nouvelles formes rappelant par certains caractères la plante origine du pollen, et par certains autres la plante origine des ovules ; l’espèce ne se maintiendrait pas fixe ; la végétation présente ne serait pas la pareille de la végétation passée ; chaque année verrait apparaître des formes inconnues, étranges, que rien d’analogue ne précéderait, à qui rien de semblable ne succéderait ; enfin toujours plus mélangé, plus bizarrement défiguré, le monde végétal perdrait l’ordre harmonieux qui préside à sa distribution et s’éteindrait dans un stérile chaos. Tout se maintient, au contraire, dans une immuable régularité et le semblable succède toujours au semblable, du moment que chaque espèce n’est influencée que par son propre pollen.

Néanmoins, lorsque deux espèces sont extrêmement voisines par leur organisation, le pollen de l’une peut agir sur les ovules de l’autre. Les graines issues de cette association donnent des plantes qui ne sont exactement, pour les divers caractères, ni la plante d’où vient l’ovule, ni celle d’où vient le pollen. Intermédiaires entre les deux, elles ont avec l’une et l’autre des ressemblances et des dissemblances. Ces végétaux à double origine sont qualifiés d’hybrides.

L’hybridation, c’est-à-dire le dépôt artificiel d’un pollen étranger sur le stigmate d’une fleur, est fréquemment utilisée en horticulture pour obtenir de nouvelles variétés de coloration, de port, de feuillage, de fruits ; c’est une des plus puissantes ressources pour l’amélioration des plantes en vue de nos usages. En dehors des soins de l’homme, elle s’effectue quelquefois, par le concours des insectes et des vents, entre végétaux croissant ensemble et d’organisation aussi semblable que possible. La plupart du temps les hybrides sont stériles ; leurs fleurs, quoique pourvues d’étamines et de pistils, ne peuvent produire des semences aptes à germer. La nature met ainsi brusquement fin, par un arrêt infranchissable, à l’altération de l’espèce qu’une première association avait ébauchée. Pour conserver ces formes hybrides, quand elles ont de la valeur, nous avons les ressources de la greffe, de la bouture, de la marcotte ; mais le semis s’y refuse absolument. Plus rarement, les hybrides sont fertiles, ainsi que leur descendance ; leurs graines germent et donnent des plantes également aptes à produire des semences fécondes. Néanmoins la forme nouvelle est loin d’être stable : d’une génération à l’autre, les traits mixtes s’effacent, le mélange de caractères est moins accusé, tandis que les caractères primitifs s’affirment davantage ; enfin, tôt ou tard, le semis donne, par proportions variables, d’une part la plante qui a fourni les ovules au début, et d’autre part la plante qui a fourni le pollen, sans aucun intermédiaire entre les deux. Séparant ce que l’hybridation avait associé, la plante revient d’elle-même à ses origines premières et nous donne ainsi le plus frappant exemple de l’inflexible puissance préposée par le Créateur au maintien des espèces.