La Pointe-du-Lac/02/b

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Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 21-25).

b — Coffin et Montour

À la suite d’on ne sait quelles affaires malheureuses, Thomas Coffin, qui avait fait des largesses à l’Église, des politesses dis­pendieuses aux visiteurs et aussi de la politique, est mis en li­quidation par Robert Grant, marchand de Londres, en 1795.

Le shérif Antoine-Isidore Badeaux, après trois jours d’en­chères, adjuge à Nicolas Montour tous ses droits et propriétés : manoir, moulins, maisons d’employés et magasins de farine et de blé, pour 3,740 livres anglaises, à peu près 18,000 $.

Qui était ce seigneur Montour ? Descendant de Louis Couc dit Montour, marié à une sauvagesse socokie en 1683 ; né probablement au Détroit où l’un de ces Montour est exécuté en 1709 pour avoir dirigé les Sauvages et leurs pelleteries du côté des Anglais ; porté vers tout ce qui n’était pas canadien, Nicolas Montour épouse une anglaise catholique Geneviève Wills, et il vit et meurt protestant. Il a fait son argent, une centaine de mille piastres, avec la Compagnie du Nord-Ouest, et il veut se payer une belle vie. Il sera député à trois élections, pas brillant, et pas souvent du bon côté, mais député ! Pour se payer le luxe anglais d’aller à cheval, il engage l’arpenteur Le gendre, qui lui prépare un rond de course dans l’érablière du moulin. Pour augmenter la chute d’eau, il creuse six milles de canaux qui amènent le courant, de la rivière-aux-Loutres et de la rivière-aux-Sables.

Il bâtit un nouveau manoir à quatre étages, multiplie les réceptions et traite royalement son monde. Il meurt, en 1808, juge de paix aux Trois-Rivières, laissant ses biens à sa femme qui meurt en 1832, suivie bientôt de son fils Horatio, célibataire. L’héritage va en tiers indivis aux trois filles : Caroline, Julie-Élise et Mélinda.

L’aînée, Mélinda, restera en tutelle toute sa vie, (1801-1872) enfermée dans une chambre du Manoir : elle est folle. Son tiers d’héritage passe à des demoiselles MacPherson, nièces de Madame Montour par leur mère, née Wills.

Caroline, restée veuve de Louis-Edouard Kimber, de Nicolet, après quatre ans de ménage, était revenue demeurer avec sa mère. Le garçon de ferme, Toussaint Biron, se sentait gêné devant elle, et la gentille veuve prenait plaisir à monter avec lui en charrette, à lui donner des messages et des rafraîchissements. Mais on n’était pas au siècle de l’inconvenance, et voilà qu’un matin, Biron annonce qu’il va partir, qu’il ne peut plus travailler là.

— Pourquoi ? demande-t-elle, portée à la démocratie.

— Le brave garçon regarde ailleurs, tourne sa tuque, rougit, bégaie et se livre enfin :

— Il faut bien que je m’en aille : je vous aime !

Il arriva ce que vous pensez ; comme disait l’enfant d’école : le futur du verbe aimer, c’est se marier. La seigneuresse-mère, qui n’est peut-être pas contente, les expédie sur une terre qui sera l’héritage d’un neveu, Honoré Biron, que l’on appellera le petit-seigneur, et qui la transmet à un neveu Guay, l’actuel occupant.

La troisième demoiselle Montour épouse le docteur Charles Mailhot, qui ouvre son bureau devant l’église, en bas.

Il y a deux frères Mailhot, médecins tous deux, qui ont eu affaire chez nous, les deux fils de l’hon. F.-X. Mailhot, député de Surrey (Verchères), puis conseiller législatif en 1832. Le mari de Julie-Élise Montour est l’hon. docteur Charles, conseiller législatif pour la division de Shawinigan, de 1862 à 1867, alors qu’il devient sénateur pour la division de La Vallière. En mourant, il lègue son tiers d’héritage à son frère, le docteur Adolphe. Les corps de la seigneuresse Montour et de son fils Horatio, des époux Mailhot et de leurs neuf enfants, reposent dans la chapelle funéraire, au centre du cimetière, où les jeunes gens allaient jadis faire une visite, les soirs d’automne, pour faire leur preuve de courage.

Les descendants du deuxième docteur Mailhot gardèrent les droits sur un tiers, et achetèrent du cousin MacPherson-Lemoine, le tiers reçu de l’irresponsable Mélinda, en 1883, celui du Seigneur Biron par l’entremise de M. Charles-Borromée Biron, qui avait lui-même acquis ou obtenu le désistement des autres cousins héritiers : Onésime, Hercule, Hector, Pierre, Arthémis, Edmond etc.

Après l’abolition de la tenure seigneuriale, en 1854, cet héritage ne consiste plus que dans un titre et dans le revenu des cens et rentes, qui s’élève à moins de 700, $ par année.

L’évaluation officielle et définitive du Commissaire Norbert Dumas, en 1858, fixe ainsi la valeur totale des divers droits et biens lucratifs de la dite Seigneurie :

Valeur des Cens et Rentes
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$ 11,213.66
Valeur des Lods et Ventes
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4,681.66
Valeur du Moulin Banal
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3,600.00
Valeur des Manoir et Domaine Seigneuriaux
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6,800.00
 
$ 26,295.32

Les cens et rentes sont basées sur le placement à 6% d’un capital de 11,213.66. $

Madame Paquin (née Henriette Héroux), l’actuelle seigneuresse et détentrice de ces droits, se dit bien prête à les vendre à qui voudra devenir seigneur. Avis aux intéressés !

Le vieux moulin et le Manoir sont propriété privée depuis 1876. M. Olivier Duplessis achète le moulin, l’étang et quelques lopins. Il continue, après un M. Piché, venu de Berthier, la meunerie et la scierie ; puis, quand se crée le mouvement d’Industrie laitière, il fonde une beurrerie qui apportera des « enveloppes » généreuses aux fournisseurs de lait. En 1903, tout est vendu à M. Thomas Garceau, fils de meunier à l’Acadie, et meunier lui-même aux Petites-Terres. En 1925, les Frères adjoignent le moulin au bocage qu’ils occupent déjà : voici comment.

M. le curé Paradis qui a mission de vendre le Manoir, dispendieux et sans revenu, réussit en 1879 à le passer à M. Piret, ingénieur-minier de Charrier La Prugne (département de l’Allier, France), dont la femme était riche. M. Piret avait enfoui de l’argent dans des mines chimériques ; il vend son domaine à réméré à son beau-frère, M. Waters, de Londres, puis le reprend au bout de cinq ans, au même prix de 1,700. $, plus les intérêts et « les loyaux frais ». L’on aperçoit, de façon intermittente, ce vieux couple bizarre, qui vit en anachorète dans ce vaste ermitage entouré d’une immense clôture, espèce de muraille de Chine. Quand il n’y a personne, les enfants d’école se risquent à pénétrer dans le parc pour gauler des noix et des glands, ou pour gravir les galeries branlantes et jeter un œil entre les volets. Les souvenirs confus de grandeur et de folies passées, les ronces qui donnent au château des airs de roman, les oiseaux effarouchés, les couleuvres et les crapauds qui se tapissent là comme chez eux secouent d’un petit frisson pas trop désagréable, — et l’on se sauve comme des coupables de profanation.

Le vieillard repose dans notre cimetière, mais le chien a eu les honneurs d’un embaumement, d’une petite tombe et du retour en Angleterre avec sa maîtresse inconsolée.

Le Moulin
La côte de l’église

Un Chartreux canadien, jadis l’abbé Chapdelaine, du diocèse, incite sa communauté à se porter acquéreur de la propriété, en vue d’une chartreuse possible. On achète mais on ne vient pas voir, on ne fonde rien. Deux paroissiens, MM. Adolphe Biron et Napoléon Duval, acquièrent le domaine, font chantier à même les pins centenaires, et revendent en 1911 aux Frères de l’Instruction Chrétienne, qui agrandissent l’habitation et se taillent un bijou de parc, romantique à la 1830, avec son étang, son vieux moulin, ses pins vigoureux, ses allées sinueuses, ses statues qui montent la garde et présentent les hommages de la terre.