La Politique conservatrice de Casimir Perier, 1831-1832

La bibliothèque libre.
La Politique conservatrice de Casimir Perier, 1831-1832
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 3 (p. 387-422).
LA
POLITIQUE CONSERVATRICE
DE CASIMIR PERIER
— 1831 — 1832 —

S’il est une étude historique qui mérite de fixer aujourd’hui l’attention des conservateurs de toutes nuances, monarchistes ou républicains, c’est assurément celle du ministère de Casimir Perier, à qui l’histoire a décerné le titre glorieux de grand ministre de l’ordre public. Dans les temps troublés où nous sommes, on est assuré, quelle que soit la diversité des circonstances, de trouver dans cette étude les plus graves sujets de réflexion, et des leçons pleines d’autorité qui doivent profiter à tous, — gouvernement ou partis. Comment nier l’autorité de ces leçons quand on considère les succès inespérés du système politique et des procédés ministériels de Casimir Perier, en les mettant en regard du désordre matériel et moral qu’il avait à vaincre et de la violence des passions anarchiques, nées avant son ministère, qui l’assaillirent plus violemment encore jusqu’à son dernier jour ? Plus le danger était immense et la défaite menaçante, plus le système et les procédés qui les ont conjurés se recommandent à la conscience des bons citoyens et aux méditations du gouvernement. Au reste, la justice de l’histoire se fit pressentir dès les premières explications du président du conseil aux tribunes des chambres ; elle éclata même bientôt dans un sentiment public qui se généralisa de plus en plus à mesure que sa politique passa des paroles aux actes. Cependant, depuis le jour où Louis-Philippe l’avait placé à la tête de son conseil, aucune amertume, aucune attaque n’avaient été épargnées à Casimir Perier : impitoyables calomnies, violences dans la rue, dans la presse, à la chambre des députés, tout était bon aux passions hostiles pour le condamner à des luttes incessantes qui usèrent les forces de son corps sans éteindre l’énergie de son âme. Il mourut bientôt à la peine, mais la mort lui apporta, avec la paix du tombeau, une gloire qui devait s’élever chaque jour plus universelle et plus pure. Aussi était-ce la voix même de la France qui parlait par la bouche de Royer-Collard lorsque, sur la tombe encore ouverte de Casimir Perier, il prononçait ces paroles : « La gloire de M. Casimir Perier est pure et inattaquable. Sortie comme un météore de ces jours nébuleux où il semble qu’autour de nous tout s’obscurcit et s’affaisse, elle sera durable, car elle n’est point l’œuvre artificielle et passagère d’un parti qu’il avait servi ; il n’a servi que la cause de la justice, de la civilisation et de la vraie liberté dans le monde entier. »

Plus de quarante ans ont passé, et l’on peut dire que cet hommage rendu à la mémoire de Casimir Perier est devenu l’arrêt même de la postérité, de telle sorte que, si l’on en excepte un petit nombre d’esprits dominés par des préjugés étroits ou des passions implacables, il n’est pas un parti respectable et sincère, même parmi « eux qu’il a le plus énergiquement combattus, qui ne soit prêt à s’honorer en parlant dignement de Casimir Perier.

Comment tant de gloire incontestée a-t-elle succédé à tant d’accusations, à de si violentes attaques ? Comment la société a-t-elle été sauvée de tant de péril par une politique si calomniée jusqu’au jour où on a pu dire de Casimir Perier ce que lord Castlereagh a dit de M. Pitt, que sa politique avait triomphé sur sa tombe ? La réponse est tout entière dans les principes et dans les procédés de cette politique.


I

Témoin et acteur des drames si cruellement agités de 1831 et 1832, honoré comme collègue de toute la confiance de Casimir Perier[1], l’auteur de cette étude pourrait répondre à cette question en faisant uniquement appel à ses souvenirs, il sait d’avance qu’il serait cru. Cependant, pour faire revivre tout entière cette époque presque, contemporaine, dont on parle tant et qu’on se rappelle si peu, il entend se séparer en quelque sorte de son passé pour demander surtout ses preuves et ses conclusions aux actes publics, au Bulletin des lois, au Moniteur officiel, à ces témoins sans entrailles qui portent en eux, sans le savoir, l’éloge, la justification ou la condamnation des régimes politiques dont ils reçoivent les ineffaçables empreintes. C’est ainsi que Casimir Perier lui-même entendait être jugé. Un jour, plusieurs amis insistaient auprès de lui sur la nécessité de créer un journal destiné à le défendre contre les attaqués incessantes d’une presse acharnée ; il leur fit cette fière et simple réponse : « J’ai le Moniteur pour enregistrer mes actes, la tribune des chambres pour les expliquer et l’avenir pour les juger. »

Mais avant d’entrer dans le vif de la carrière politique de Casimir Perier, il importe à qui veut la juger en pleine connaissance de cause de se rendre un compte exact des circonstances qui ont précédé son avènement à la présidence du conseil des ministres et l’ont rendu nécessaire. Il faut donc jeter un coup d’œil rapide sur la situation de la France depuis la proclamation de la royauté du 9 août jusqu’au jour où Louis-Philippe fit appel à l’énergie de Casimir Perier pour la défense de la politique si patriotiquement libérale et si profondément humaine qui avait pris place avec lui sur le trône.

La contre-révolution, qui avait jeté soudainement à la France l’audacieux et funeste défi des ordonnances royales du 25 juillet 1830, s’était brisée contre une résistance armée qu’elle avait rendue légitime ; mais sa tentative seule et sa défaite elle-même avaient eu pour effet de surexciter toutes les passions et de bouleverser tous les intérêts. La résolution ne manqua pas plus que la rapidité pour conjurer le péril qui menaçait la société tout entière. Par un élan général et populaire, devenu irrésistible jusque dans les départemens les plus dévoués à la restauration, le drapeau des principes de 1789 et de l’indépendance nationale fut partout arboré. Un prince patriote, dont l’opposition de 1814 à 1830 était restée constamment libérale sans jamais devenir factieuse, fut presque en même temps porté au trône. Enfin ce grand mouvement reçut sa consécration par l’envoi de milliers de députations de la garde nationale apportant à la royauté de juillet le suffrage presque unanime de plus de 30,000 communes, non avec des bulletins de vote, mais en venant tout armées lui demander une organisation et de nouvelles armes pour la défendre. Dans les sphères les plus élevées de la politique, à la vue de l’abîme entr’ouvert par les fatales ordonnances du 25 juillet, les bons citoyens, même les plus opposés de sentimens et d’opinion, n’hésitèrent pas à donner leur concours à l’établissement de ce gouvernement d’ordre et de salut.

En un mot, dans les premiers momens, qui durèrent bien peu, un sentiment patriotique qui entraînait M. de Lafayette, devant lequel s’inclinait le duc de Fitz-James avec une sagesse trop rare aujourd’hui[2], apportait son concours à la royauté nouvelle pour l’établissement d’un gouvernement capable de résister aux dangers que porte en elle toute révolution, quelque légitime qu’elle soit ; mais la tentative contre-révolutionnaire et insensée du roi Charles X venait de semer le germe de l’anarchie sur le sol de la France, toujours trop bien préparé pour elle, et ce germe ne tarda pas à se développer de toutes parts avec ses fruits les plus amers. Le ministère du 9 août 1830 contenait d’ailleurs en lui-même des causes de faiblesse et d’impuissance qui devaient profiter à ce développement en paralysant l’action du gouvernement. Les divers groupes de l’opposition libérale sous la restauration y avaient tout naturellement pris place et y étaient représentés par leurs chefs principaux. Tous siégeaient dans les conseils de la royauté nouvelle avec l’intention la plus sincère de la soutenir loyalement, mais aussi avec des vues très différentes sur la marche à imprimer à l’administration et à la politique du gouvernement. De là des défiances et des tiraillemens intérieurs qui se traduisirent presque aussitôt au dehors en agitation des esprits et en désordres publics.

C’est ainsi qu’à peine constitué le gouvernement fut impuissant à contenir les passions populaires, dont le coupable aveuglément s’en prit tout d’abord aux choses sacrées, sous l’influence d’une réaction aveugle contre le déplorable système qui, pendant la restauration, avait de plus en plus compromis le clergé en mêlant à tous les degrés la religion à la politique. A Reims, la ville du sacre de Charles X voit ses croix renversées et l’archevêque[3] outragé en présence de la garde nationale inerte et partageant en grande partie les passions qu’elle devait réprimer ; à Nancy, une foule en délire profane les objets sacrés, se porte sur l’évêché et menace la vie de l’évêque[4], qui ne trouva son salut que dans la fuite ; à Orléans, à Chartres, à Nevers, à Bourges, à Niort, à Narbonne, à Toulouse, on retrouve les mêmes scènes anarchiques et irréligieuses, qui devaient se reproduire quelques mois plus tard à Paris sous le coup d’une regrettable provocation légitimiste. Sous les yeux mêmes du gouvernement, fatalement embarrassé dans son action, de nombreux clubs populaires s’étaient ouverts où des orateurs fougueux faisaient entendre les doctrines les plus subversives. « Remarquez, disait à ce sujet à la chambre des députés M. Guizot, ministre de l’intérieur, remarquez qu’il ne s’agit pas de vagues théories, ni de simples discussions philosophiques ; ce n’est pas telle ou telle vérité qui est mise en question ; ce sont les choses elles-mêmes, ce sont les faits constitutifs de la société, la distribution des fortunes, des propriétés ; c’est votre révolution, c’est le gouvernement qu’on agite dans ces sociétés. Enfin c’est l’appel continuel au trouble, à la force et à la violence. » Le gouvernement, poussé par l’opinion publique, s’adressait-il enfin aux tribunaux, les accusés portaient par leurs paroles jusque dans l’enceinte de la justice la révolte qu’ils venaient de faire éclater dans les rues, et n’y rencontraient pas moins d’hésitation et de faiblesse. Écoutons par exemple l’accusé Hubert, l’un des présidens et des principaux orateurs de la Société des amis du peuple, la plus audacieuse de toutes à cette époque, apostrophant les juges du tribunal de première instance de la Seine : « Juges de Charles X, récusez-vous ! le peuple vous a dépouillés de la toge en rendant la liberté à vos victimes… Si, à défaut de justice, un sentiment de pudeur ne vous porte pas à vous abstenir, condamnez-moi ;… mais je ne puis me dégrader jusqu’à vous soumettre ma justification, que vos antécédens vous mettent hors d’état de comprendre. » Que répond à ce langage la justice outragée ? Le tribunal prononce une peine sans importance pour le fait de la poursuite, et laisse passer l’insulte sans la punir. Cette faiblesse, qu’on cherchait en vain à décorer du nom de dédain, était un puissant encouragement pour le désordre moral et matériel qui se reproduisait sans cesse et sous toutes les formes à mesure qu’on se rapprochait de l’époque du procès des ministres de Charles X. Tous les jours, sur un point ou sur un autre, des bandes parcouraient Paris en vociférant les cris sinistres de mort à Polignac ! — la tête des ministres ! — à bas la chambre des pairs ! — et bientôt, s’enhardissant, elles se réunirent le 17 octobre et firent tout à coup une tentative sur Vincennes pour en arracher les anciens ministres, et sur le Palais-Royal pour exiger du roi leur renvoi à quelque juridiction improvisée moins suspecte que celle de la chambre des pairs, et dont on pût prévoir avec certitude l’implacable arrêt. Le désaccord profond des opinions dans le ministère et le défaut absolu d’unité qui en résultait dans l’action du gouvernement laissaient le champ libre à l’anarchie, et faisaient dès ce moment apparaître de toutes parts la mesure des immenses difficultés qui attendaient Casimir Perier.

C’est alors que M. Guizot, ministre de l’intérieur, frappé plus que personne des dangers de cette situation, craignant qu’elle ne devînt irrémédiable en se prolongeant, pensa que le moment était venu de la modifier par la retraite de plusieurs ministres trop suspects aux préjugés populaires. C’était constituer au moins par là dans le ministère, à défaut d’autre, l’unité de la popularité, unité la plus propre à faire traverser le terrible défilé du procès des ministres de Charles X.

Avec une abnégation et une liberté d’esprit dignes d’admiration, M. Guizot et M. le duc de Broglie, malgré leur dédain naturel pour la popularité, dédain inspiré par une philosophie disposée peut-être à ne pas tenir assez de compte des préjuges et même des sentimens du pays, comprirent qu’il y avait là une force de circonstance qu’ils ne pouvaient apporter eux-mêmes. Ils se décidèrent dès lors à la retraite, en même temps que plusieurs ministres de nuances intermédiaires, tels que MM. Casimir Perier, Molé, Louis et Dupin, laissant aux deux ministres les plus populaires, MM. Laffitte et Dupont de l’Eure, le soin de former un cabinet d’une résistance moins suspecte, dont les soutiens en dehors du conseil seraient le général Lafayette et M. Odilon Barrot, et qui recevrait dans son sein de jeunes ministres[5] dont la notoriété, appartenant tout entière à l’époque nouvelle, devait contribuer à désarmer les préjugés passionnés de la population parisienne. Le principal mérite de ce cabinet, présidé par M. Laffitte, était d’être le résultat d’une nécessité reconnue même par les hommes éminens qui se retiraient ; mais c’était celui d’un expédient de circonstance bien plus que d’une solution durable, et l’on pouvait prévoir dès les premiers jours que le succès même de la mission du ministère Laffitte ferait reparaître avec plus de gravité les dangers qu’avaient déjà fait naître, dans un cabinet plus riche en talens divers et en expérience gouvernementale, le défaut de cohésion et les divisions des partis politiques.

Quoi qu’il en soit, il est permis à l’auteur de cette étude de rappeler, avec l’émotion d’un impérissable souvenir, que le jour de terrible responsabilité où fut rendu le mémorable arrêt de la cour des pairs vit s’accomplir, pure de toute tache, au milieu même du débordement des passions les plus odieuses, la mission d’humanité, d’honneur et de justice à laquelle le roi Louis-Philippe avait ouvert la voie, dès les premiers jours, en réclamant incessamment des chambres et de son ministère l’abolition de la peine de mort. Ce fut un beau jour, mais une simple éclaircie entre les orages de la veille et ceux non moins violens du lendemain. La fin même de ce jour remit aux prises, dans le ministère Laffitte, les tendances diverses qui le divisaient profondément. D’un autre côté, la majorité de la chambre des députés, en proie à des incertitudes fatales, hésitait à se prononcer entre elles avec quelque décision, et se contentait d’approuver dans les ministres les plus modérés le courage résigné qui les maintenait au poste de la défense sociale. Ils eurent ce courage pendant deux mois d’incessans efforts jusqu’au jour où il leur fut permis de concourir à l’avènement d’un ministère fort et uni ; mais à travers quelles circonstances menaçantes et quelles douloureuses alternatives ! Tantôt c’est l’artillerie de la garde nationale, où règne l’influence des sociétés secrètes, qu’il faut frapper de dissolution ; tantôt c’est la société « Aide-toi, le ciel t’aidera, » qui cherche à s’installer à l’Hôtel de Ville et à laquelle il faut interdire cette dangereuse hospitalité ; tantôt c’est le préfet de la Seine, Odilon Barrot, qu’il faut mettre en demeure de rétracter ces paroles subversives de toute autorité, qui n’avaient même pas la vérité pour excuse : « On n’a pas osé rompre avec les idées que je représente ; » tantôt ce sont les élèves des écoles se réunissant pour signer une déclaration insultante et factieuse en réponse aux remercîmens que la chambre des députés venait de leur adresser au nom de la France avec l’approbation de M. Laffitte. « Nous serions heureux et fiers, disaient-ils, des remercîmens de la France ; mais dans la chambre nous cherchons la France et nous ne la trouvons pas. » Bientôt après, des troubles sérieux eurent lieu à la Sorbonne. Le ministre de l’instruction publique s’y rend accompagné du procureur-général à la cour de Paris ; le ministre est insulté, le procureur-général est blessé, les portes sont enfoncées, l’établissement envahi, les meubles brisés et les registres lacérés. Enfin de déplorables désordres se succèdent à Paris, à Lyon, à Metz, à Nîmes et sur quelques autres points où les passions démagogiques trouvent des complices jusque parmi les magistrats municipaux chargés de les contenir.

Telles étaient les tentatives coupables contre lesquelles le gouvernement et la société avaient à lutter presque tous les jours lorsqu’un événement plus grave encore vint jeter une sombre lumière sur la profondeur du mal. Ce fut en effet un jour à jamais néfaste que celui qui vit la dévastation de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, le sac de l’archevêché de Paris, la destruction de sa précieuse bibliothèque et la profanation des objets sacrés. Quelle ineffable douleur pour les amis de l’ordre et surtout pour le gouvernement, à qui l’on pouvait reprocher de s’être laissé surprendre, et qui était condamné à une désespérante impuissance par les passions surexcitées jusqu’à l’aveuglement de la plus grande partie des bons citoyens, sur lesquels il croyait pouvoir compter ; mais à côté de la barbarie de la destruction quelle anarchie morale ! Écoutons sur la physionomie navrante de ces événemens les paroles de M. Guizot. « Ces ruines soudaines, dit-il, cette nudité désolée des lieux saints, étaient un spectacle hideux, moins hideux cependant que la joie brutale des destructeurs et l’indifférence moqueuse d’une foule de spectateurs. De toutes les orgies, celles de l’impiété populaire sont les pires, car c’est là qu’éclate la révolte des âmes contre leur vrai souverain, et je ne sais en vérité lesquels sont les plus insensés de ceux qui s’y livrent avec fureur ou de ceux qui sourient en les regardant. »

Ces saturnales impies eurent leurs contre-coups dans un grand nombre de départemens. A Lille, à Dijon, à Nîmes, à Arles, à Perpignan, à Angoulême notamment, elles éclatèrent avec le même mélange de haines politiques et de passions odieuses, de sorte qu’on peut dire qu’à cette époque la société semblait marcher vers une désorganisation entière. Cette sombre prévision paraissait d’autant plus vraisemblable que le pouvoir qui la représentait était trop souvent abandonné par ses défenseurs naturels. C’est ainsi que la garde nationale s’associait elle-même aux fureurs qui poursuivaient dans les monumens, en les mutilant, tout ce qui retraçait l’image du gouvernement qu’elle avait renversé, — fleurs de lis et bas-reliefs, — et condamnait le roi à la douleur de sacrifier les armes mêmes de sa famille, donnant par là, sous l’inspiration d’un faux patriotisme et d’une haine aveugle, un funeste encouragement à l’anarchie.

C’est au milieu de ces déplorables scènes, de plus en plus menaçantes pour l’ordre social, qu’apparaît la grande figure de Casimir Perier.


II

Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, M. Guizot a donné leur véritable nom à l’ensemble des scènes qui précèdent quand il a intitulé son douzième chapitre : Casimir Perier et l’anarchie. C’était bien l’anarchie, hélas ! Nous ne nous serions pas imposé la tâche douloureuse d’en rappeler les souvenirs et d’en constater la réalité, si des paroles prononcées naguère à la tribune de l’assemblée nationale ne pouvaient avoir pour effet de dénaturer jusqu’à un certain point les luttes de 1831 et 1832, et d’en nier, d’en affaiblir tout au moins l’immense gravité politique et sociale. Ce serait, bien involontairement sans doute de la part de leur auteur[6], diminuer la vraie gloire de Casimir Perier, et affaiblir l’autorité des leçons de sa politique conservatrice demandant uniquement à sa confiance dans la raison publique, au droit commun et aux institutions libérales, des armes pour vaincre ses adversaires et pour contenir en même temps, ce qui est plus difficile encore, les impatiences et les passions d’un grand nombre de ses amis.

C’est seulement à cette politique hardie et libérale des temps troublés qu’ont été dus les temps calmes et réguliers dont on a parlé et qui sont venus plus tard. Le calme, la paix et la régularité ont été l’effet et non la cause du succès de cette politique ; ils ont été le fruit de l’arbre cultivé par une main puissante et non l’arbre lui-même.

Le drame anarchique que nous avons dû rappeler eut du moins le mérite de précipiter la seule mesure de salut qui pût être efficace, c’est-à-dire le rétablissement de l’unité dans le gouvernement. D’ailleurs le moment en fut encore rapproché par l’éclat[7] qui eut lieu à la tribune de la chambre des députés entre le ministre de l’intérieur et le préfet de la Seine au sujet des abominables scènes de Saint-Germain-l’Auxerrois et de l’archevêché. A la suite de cet éclat, le ministre n’hésita pas à mettre le conseil en demeure de choisir entre sa démission ou l’éloignement de M. Odilon Barrot de la préfecture de la Seine. Cette démission fut d’abord acceptée, mais le soir même, sous l’influence de l’impression produite dans « les chambres, le ministre de l’intérieur était rappelé et M. Barrot quittait l’Hôtel de Ville malgré l’opposition de M. Laffitte, qui se contenta, comme transaction, de l’entrée de M. Barrot au conseil d’état. Cette transaction permit à M. Laffitte de conserver la présidence du conseil, mais il était évident que le ministère était frappé à mort et n’existait plus pour ainsi dire comme gouvernement. Aussi quelques jours après, dans une réunion tenue chez M. Laffitte, le ministre de l’intérieur crut de son devoir de poser la question ministérielle et de provoquer une séparation définitive ; elle fut bientôt acceptée des deux parts, et il ne resta plus au roi qu’à faire son choix entre M. Laffitte et M. Casimir Perier.

Dès le 8 mars, le roi fit appeler Casimir Perier au Palais-Royal. Louis-Philippe se séparait à regret d’un vieil ami, d’un ministre commode ; mais la haute raison du roi n’hésitait pas. Elle le poussait invinciblement, au nom de l’intérêt de la France et malgré l’absence de toute intimité antérieure, vers un ministre dont il différait autant par le caractère que par les habitudes de l’esprit, et dont il connaissait comme tout le monde l’indépendance un peu hautaine et la liberté de langage, souvent empreinte d’une certaine rudesse.

Le choc de ces deux natures absolument diverses rompit plus d’une fois les négociations qui précédèrent la formation du ministère Perier ; mais, par une juste appréciation des forces complémentaires qu’ils s’apportaient réciproquement, le roi constitutionnel et le futur président de son conseil se trouvaient incessamment ramenés l’un vers l’autre, et finirent par contracter une union de raison, devenue chaque jour politiquement plus confiante, si ce n’est personnellement plus intime. C’est à cette union que la monarchie de juillet a dû, pendant les temps les plus troublés de son établissement ; de donner le grand spectacle d’une double victoire remportée sur les passions de la démagogie ; elle triomphe de ses agitations à l’intérieur, comme de ses appels à la propagande et à la guerre à l’extérieur, sans recourir à une seule loi d’exception, sans employer d’autres armes que celles du droit commun.

Casimir Perier avait longtemps résisté aux instances de ses amis politiques avant de se décider à accepter le fardeau du pouvoir que rendait si lourd pour lui non-seulement la gravité des circonstances, mais aussi l’état de sa santé profondément altérée. Quand il rentrait dans son intérieur, il y retrouvait les prières de sa femme et d’une partie de sa famille, lui rappelant avec une sollicitude pleine d’angoisse ses souffrances et l’arrêt des médecins, qui ne leur reconnaissaient qu’un remède, le calme et la libre disposition de ses journées ; de ses distractions et de ses travaux ; mais le sentiment d’un grand devoir à remplir compensait largement dans son âme les pronostics menaçans de la science. De toutes parts en effet, au dedans comme au dehors, il ne voyait que difficultés, sans se faire illusion sur aucuns périls : il ne se faisait même pas illusion sur le sort qui l’attendait. « Vous le voulez, nous avait-il dit un jour que nous le pressions instamment d’entrer au ministère, vous le voulez, mais rappelez-vous que, si j’y entre, j’en sortirai les pieds les premiers. » Le 12 mars 1831, il nous répéta ces paroles, et le 13 il entrait au ministère. Tel se montra Casimir Perier le jour où il succédait à M. Laffitte : c’était, on peut le dire, un Romain qui se jetait dans le gouffre pour sauver Rome.

Toutefois, cédant en partie aux conseils de ses médecins et de sa famille, il avait accepté d’abord la pensée de ménager ses forces en se bornant à la présidence du cabinet sans portefeuille ; mais le ministre auquel cette combinaison laissait le portefeuille de l’intérieur n’eut pas de peine à lui démontrer qu’une administration qui comprenait la garde nationale, le personnel des préfets, la police, le télégraphe et le droit de réquisition de toute force armée, était à elle seule le gouvernement presque tout entier, et que dès lors cette partie essentielle du ministère de l’intérieur devait être remise aux mains de la présidence dans l’intérêt même de l’unité et de l’action du pouvoir. Casimir Perier accepta courageusement cette solution en demandant au roi de confier à son jeune prédécesseur le ministère de l’instruction publique et des cultes, poste dans lequel l’auteur de cette étude resta à ses côtés pendant toute la durée de sa présidence.

Casimir Perier avait toujours regardé l’unité des vues dans le gouvernement comme la première et la plus indispensable des forces. Aussi, avant de se laisser enchaîner à l’honneur et à la peine, il tint avant tout à s’assurer de la conformité des volontés dont le parfait accord pouvait seul créer l’unité dans toute sa puissance : il s’en était expliqué dès le premier jour de son appel au Palais-Royal avec cette franchise et cette loyauté qui étaient comme un besoin de sa nature même : il n’avait pas hésité en effet à demander au roi quelques modifications aux relations de la royauté avec le président de son conseil, avec les ministres, avec le Moniteur, organe officiel du gouvernement. D’après les principes exposés au roi par Casimir Perier avec une insistance résolue, mais toujours empreinte, quoi qu’on ait dit, des formes de la plus respectueuse déférence, la présidence du conseil ne devait plus être un simple titre comme au temps de M. Laffitte. Le président du conseil ne devait être étranger à aucune des affaires destinées à être soumises à la haute décision et à la signature royale ; dès lors, avant d’arriver à une dernière délibération, à un conseil tenu au Palais-Royal, toutes les questions seraient préalablement portées à des réunions purement ministérielles, tenues à l’hôtel de la présidence, et dont le Moniteur ferait mention comme des conseils tenus au Palais-Royal : pour les affaires même qui ne seraient pas de nature à motiver la réunion du cabinet, les ministres en conféreraient avec le président du conseil ayant de les soumettre à la signature du roi. Enfin aucun article ne pourrait être inséré au Moniteur qu’avec le visa du président du conseil, sans excepter de cette règle ceux qui seraient adressés directement à la feuille officielle par le cabinet du roi. Ces procédés constitutionnels avaient été absolument négligés sous la présidence insouciante et presque inactive de M. Laffitte. Le roi et les collègues de M. Laffitte avaient été ainsi habitués à un régime commode qui donnait à ces procédés si nécessaires à l’action efficace du pouvoir un air de nouveauté et de défiance dont le roi dut être un instant inquiet ; mais les explications de Casimir Perier, l’exposé de l’influence que l’oubli de ces règles avait pu avoir sur les difficultés du passé, ne tardèrent pas à convaincre le roi et à lui faire accepter pleinement le programme de son futur président du conseil. Cet accord important une fois établi, Casimir Perier s’occupa de le fortifier et de compléter l’unité dans le gouvernement, en examinant avec ses futurs collègues la situation générale des affaires dans une réunion tenue au Palais-Royal en présence du roi, et en demandant spécialement à chacun son adhésion au programme convenu sur les droits et les devoirs de la présidence du conseil des ministres.

Sur ce dernier point, l’entente était faite d’avance avec la plupart des ministres par leurs antécédens connus. MM. Barthe, d’Argout et Montalivet s’étaient notoirement séparés de M. Laffitte à cause du défaut d’unité de vues dans le ministère et d’action dans la présidence. Le baron Louis, ministre désigné pour les finances par son incontestable autorité en ces matières autant que par son dévoûment à Casimir Perier, amenait avec lui, comme futur ministre de la marine, son neveu, le vice-amiral Rigny, l’un des vainqueurs de Navarin, dont il répondait comme de lui-même. Le général Sébastiani, diplomate à l’intérieur autant qu’à l’extérieur, Sébastiani, qui avait toujours visé à se faire la situation presque inamovible d’un ministre spécial, n’avait pas participé à l’éclat qui avait brisé le ministère Laffitte ; mais, s’il ne s’était pas séparé ostensiblement de son collègue Laffitte, il avait toujours secrètement désiré l’avènement de son ancien ami Casimir Perier. Un seul ministre, dont la situation était assez considérable pour avoir suggéré à plusieurs de ses amis le rêve d’une dictature militaire à l’époque où le procès des ministres de Charles X répandait partout une sorte de terreur, l’illustre maréchal Soult, avait écouté avec un trouble visible l’exposé de Casimir Perier concernant les relations des ministres avec la présidence du conseil : il se taisait, hésitant à répondre. « Dites toute votre pensée, monsieur le maréchal, s’écria Casimir Perier, vous pouvez me donner des regrets, mais non des embarras ; veuillez vous décider, sinon je vais écrire au maréchal Jourdan : j’ai sa parole. » Ces mots firent immédiatement leur effet, et furent suivis d’une réponse catégorique qui permit au maréchal Soult de rester ministre de la guerre à la grande satisfaction de l’armée et au grand profit de la France.

Quant à l’état général des affaires, ce fut l’objet de deux réunions des futurs ministres au Palais-Royal le 12 et le 13 mars. La première fut consacrée à l’examen de la situation financière. M. Laffitte, malgré sa démission acceptée, eut la courtoisie d’y assister et de faire un exposé financier complet dont la conclusion était la nécessité d’un emprunt destiné surtout à mettre l’armée, son matériel et ses approvisionnemens sur le pied le plus respectable, au moment où l’Europe se trouvait si profondément troublée sur tant de points et si agitée sur tous. Cette conclusion était d’avance celle du patriotisme de Casimir Perier. Ministre responsable d’une politique qui entendait protéger énergiquement la paix contre les tentatives d’une propagande insensée, mais qui était non moins résolue à défendre au besoin par les armes l’honneur de la France et son droit de disposer d’elle-même, Casimir Perier, avant d’accepter la mission de former un ministère, s’était d’abord assuré, dans la pensée d’un emprunt, du concours des maisons les plus puissantes de la place de Paris.

La seconde réunion eut pour objet une enquête sur la situation générale des affaires publiques et sur les difficultés principales avec lesquelles la nouvelle administration se trouvait aux prises. Avant d’engager sa responsabilité dans la lutte dont il comprenait la gravité et les périls, Casimir Perier désirait, pour lui-même comme pour ses collègues, jeter le plus de clarté possible sur le fond des choses en les appelant à mettre en commun, ce qu’ils avaient à peine fait jusque-là, leurs appréciations et leurs renseignemens personnels. Ce devait être de plus pour lui, une fois cette situation précisée, l’occasion de faire connaître à ses collègues ses vues sur le système à suivre et de juger jusqu’à quel point il trouverait des convictions dévouées pour le faire triompher.

Cette réunion eut le double résultat voulu par Casimir Perier. La situation y fut exposée sans détour avec toutes les difficultés qu’elle portait ; elle s’était douloureusement aggravée avec le temps. A l’extérieur, la révolution de Belgique, toujours menacée par la Hollande, la Pologne expirant sous la main de fer de la Russie, les divers états de l’Italie livrés à des insurrections ou menacés d’une intervention autrichienne, imposaient à la France le devoir de veiller en armes sur ses frontières du nord et de l’est, et de se préparer à la guerre tout en désirant la paix. Le contre-coup à l’intérieur de ces drames profondément émouvans, les souvenirs d’une ancienne confraternité militaire, la communauté de certaines idées, le danger que des contre-révolutions imposées autour de nous par l’absolutisme feraient courir à la révolution de 1830, n’étaient que trop propres à faire perdre au pays le calme et le sang-froid nécessaires pour faire la part de l’influence et de l’honneur de la France, sans risquer une guerre générale qui aurait réuni l’Europe tout entière, amené d’inévitables catastrophes et perdu en même temps la cause des peuples voisins, dont l’indépendance constituait pour nous un intérêt presque national. Les passions politiques s’étaient hâtées d’exploiter cette situation fertile en émotions populaires en faisant appel à des sentimens, à une générosité et à un patriotisme irréfléchis qui doublaient leurs forces révolutionnaires et les difficultés du gouvernement. C’est ainsi que prenait naissance une grande association, dite nationale, destinée, disaient ses promoteurs, à surveiller le gouvernement et à suppléer, s’il y avait lieu, à l’insuffisance de ses efforts pour défendre l’honneur et les intérêts de la France. Cette association recevait des adhésions de toutes parts, offrant sa formule vague et habilement indéterminée à toutes les hostilités, à tous les mécontentemens, comme à toutes les ardeurs les plus sincères. Elle avait ainsi fait pénétrer partout avec elle, sous l’influence de sentimens très divers, un désordre moral qui grandissait chaque jour dans l’armée, dans la garde nationale, dans l’administration et dans les chambres elles-mêmes. Pendant ce temps, une formule constitutionnelle, qu’on appelait le programme de l’Hôtel de Ville, était devenue le mot d’ordre de l’opposition, avec la prétention de se substituer au texte formel de la charte, en l’interprétant dans un sens tout autre que la pensée même de ses auteurs : formule non moins vague, et par cela même non moins dangereuse que celle de a l’association nationale, » toute prête de son côté à se substituer à l’action légale du gouvernement.

Cette puissance nouvelle, élevée en dehors des conditions les plus élémentaires d’un état régulier et de l’ordre public, empruntait malheureusement une grande force au patronage de personnages éminens, tels que le général Lafayette, le général Lamarque, Dupont de l’Eure et Odilon Barrot ; leur influence en effet entraînait à sa suite, avec les ennemis implacables de l’ordre nouveau, dont ils étaient cependant si loin de partager les passions, une foule de bons et honnêtes citoyens, parmi lesquels on pouvait compter jusqu’à des aides-de-camp du roi. Nous ne saurions entrer ici dans tous les détails de l’exposé complet, fait le 13 mars en présence du roi et de Casimir Perier ; mais nous négligerions des points trop importans dans ce douloureux tableau, si nous n’ajoutions que le socialisme, qui avait fait son apparition dans les clubs politiques dès le mois de septembre 1830, continuait et développait son œuvre sous des noms divers, saint-simoniens, phalanstériens, fouriéristes, icariens, etc., — que le parti républicain commençait à se retrancher dans des sociétés secrètes, — que le parti légitimiste d’action se préparait à la lutte à Paris, dans l’ouest et dans le midi, sous la direction d’un certain nombre de comités, et y préludait par une avant-garde de réfractaires qui faisaient déjà parler d’eux dans plusieurs départemens, — que le parti bonapartiste lui-même commençait à se montrer et avait déjà un organe dans la presse ; — si nous ne signalions enfin la déplorable mollesse, de la répression judiciaire en face de si grands désordres de tout genre.

Ce tableau, quelque sombre qu’il fût, ne pouvait faire reculer Casimir Perier. Ministre ou président de la chambre des députés, il ne s’était dissimulé à aucun moment le danger suprême de la situation. Bien plus, c’est ce danger même qui avait tenté son énergie et son patriotisme : aujourd’hui il le connaissait dans ses détails, dans son ensemble et dans sa profondeur ; il tenait en main la réalité. C’était à la fois une satisfaction pour son esprit avide de clarté, un point de départ assuré pour le système et les procédés de gouvernement sur lesquels, après s’en être expliqué d’abord avec le roi et séparément ensuite avec la plupart d’entre nous, il avait voulu avoir en présence de tous une explication solennelle et définitive.

Suivons, nous dit-il, suivons à tous les degrés et publiquement le procédé d’explications complètes dont le roi nous a permis d’user avec lui, et que nous avons employé entre nous. Les graves complications qui ont surgi de toutes parts à l’extérieur doivent tout d’abord attirer notre attention. Prenons contre elles toutes les précautions que doit nous suggérer l’intérêt national, comme l’organisation d’une armée puissante et l’armement de la garde nationale ; mais surtout expliquons-nous nettement non-seulement avec l’étranger dans nos négociations, mais encore avec la France elle-même dans les discussions parlementaires. Disons hardiment à la tribune des chambres quels sont nos sentimens, quelles sont nos intentions. Disons, par exemple, que nous ne permettrons jamais ni une contre-révolution en Belgique, ni une intervention quelconque sur l’une de nos frontières, disons que nous nous réservons d’apprécier suivant les circonstances toute intervention étrangère dans l’Italie centrale ; reconnaissons enfin avec douleur l’impuissance où nous sommes de tendre la main de la France à la malheureuse Pologne, trop éloignée d’elle, mais proclamons en même temps la stricte observation pour nous-mêmes du principe de non-intervention, excepté dans les cas publiquement réservés. Nous détruirons, ainsi dans certains gouvernemens l’appréhension des arrière-pensées révolutionnaires qu’ils nous prêtent, et nous les forcerons du même coup à dévoiler leurs arrière-pensées contre-révolutionnaires, si elles existent ; pendant ce temps, cette netteté d’explications réagira de la manière la plus favorable sur notre situation intérieure, et calmera les esprits en portant la lumière au milieu des ombres qui permettent aux passions hostiles d’égarer le patriotisme d’une foule de bons citoyens. C’est qu’en effet il n’est pas de meilleur moyen, de pacification, au dedans comme au dehors, que la multiplicité et surtout la franchise absolue des explications, — ne les refusons à personne ; bien plus, prenons les devans avec les chambres, c’est-à-dire avec la France elle-même, qui nous écoute tout entière ; — qu’elle sache que nous sommes les amis de la lumière en toutes choses, les ennemis déclarés de l’équivoque et des arrière-pensées, et qu’elle nous retrouvera fidèles à tous les principes que nous avons défendus dans l’opposition. Disons-lui bien haut que, défenseurs d’une révolution nationale légitimée par la violation de la loi jurée, nous sommes résolus à ne puiser que dans le droit commun les armes dont nous ne sommes pas moins résolus à faire un usage énergique contre toute atteinte à la paix publique. Opposons à la confusion des idées et des sentimens, qui est le plus grand danger de la situation, le système aussi simple que clair d’une légalité absolue, de la confiance dans le pays, du respect des adversaires et de la conciliation à côté de la répression. C’est ainsi qu’avec l’aide d’une pratique loyale, patiente et résignée aux calomnies, nous parviendrons à isoler de plus en plus les véritables ennemis de notre révolution et de l’ordre social, à leur enlever le concours d’une foule de bons citoyens égarés au milieu des ténèbres de la situation, à établir dans le parti conservateur de gauche et de droite l’unité que nous avons déjà rétablie au sein même du gouvernement, et enfin à ne trouver en face de nous que de véritables ennemis le jour douloureux et suprême d’une lutte, si jamais il doit se lever pour nous.

Telles furent en résumé les explications de Casimir Perier, approuvées d’une voix unanime et résolue. À ce moment, Casimir Perier se déclara prêt, et le roi, qui avait reconnu sa propre politique tout entière dans le langage de son futur président du conseil, signa les ordonnances de nomination du nouveau ministère avec la plus confiante satisfaction ; mais que de tentations, pour en sortir, Casimir Perier ne devait-il pas rencontrer sur la pénible route où il s’engageait et où l’attendaient dès les premiers pas les calomnies de la presse, les défiances et les accusations de la tribune, les violences de la rue, les défaillances de la justice, et jusqu’aux provocations réactionnaires de ses propres amis ! En passant des paroles de la veille aux paroles et aux actes du lendemain, ce programme est-il resté intact, complet, inébranlable ? C’est à l’histoire de répondre.

La première considération qui s’offre à quiconque veut juger Casimir Perier est celle de l’unité qu’il avait mise dans sa propre vie, et de la force qu’il y avait trouvée pour lui-même : aussi comment s’étonner qu’à son arrivée au pouvoir il se soit appliqué avant tout à donner cette force à tous les élémens de la vie active et politique de la nation ? C’était comme le premier article de son programme qu’il venait d’accomplir dans le gouvernement, et qu’il allait faire pénétrer partout, dans l’administration, dans l’armée, dans la magistrature, non par des épurations et des révocations systématiques, mais surtout par un appel confiant à la conscience et à la loyauté de tous les dépositaires de l’autorité et de la force publique, comme aussi des conservateurs de toutes les nuances.

L’unité de la carrière politique de Casimir Perier peut se résumer en deux mots : énergie et modération. Il dépensait une partie de cette énergie sur lui-même pour rester imperturbablement modéré ; il faisait appel à toute cette modération pour dominer son énergie. Qui n’a connu l’ardeur et la fougue de sa nature ; mais qui n’a admiré en même temps le calme de sa raison ? On peut dire de lui que son tempérament avait des nerfs, mais que sa politique n’en avait pas. Quand on le considère au pouvoir après l’avoir étudié dans l’opposition, on est frappé de voir combien dans les deux situations il a été fidèle à lui-même. Député de Paris en 1817, il siégea sur les bancs de la gauche pendant tout le cours de la restauration. Il prit la parole sur toutes les grandes questions ; mais il ne se laissa entraîner à aucun acte, à aucune déclaration, qui ne fussent un hommage à la légalité la plus scrupuleuse. Pendant que plusieurs de ses amis se laissaient aller à des alliances compromettantes et dangereuses pour la paix publique, il sut résister à toutes les obsessions et à la tentation d’une popularité facile, s’efforçant seulement, dans son opposition, d’arrêter le gouvernement sur la pente des réactions aveugles, auxquelles ces imprudences servaient trop souvent de prétexte ; cependant sa popularité n’en souffrit pas : tout au contraire elle se dégagea plus solide et plus durable des épreuves qu’elle eut à subir, surtout de 1820 à 1823, au milieu des violences de la place publique et des conspirations, dans lesquelles le gouvernement s’efforçait d’impliquer certains membres éminens de la gauche, tels que MM. de Lafayette, Manuel et Voyer-d’Argenson. Il resta le défenseur énergique des libertés constitutionnelles sans jamais en dépasser les limites légales ; aussi beaucoup de ses adversaires, parmi ceux-là même qu’il attaquait le plus vivement, rendaient hautement hommage à sa loyauté parfaite. L’un des plus éminens, M. de Villèle, en a témoigné dans une circonstance dont nous ne nous rappelons pas qu’il ait encore été parlé. Élevé à la pairie en 1828 après la chute de son ministère, M. de Villèle y trouvait, avec la récompense de ses longs services monarchiques, son affranchissement de la domination du côté droit de la chambre des députés, dont il avait subi l’influence plus souvent qu’il ne lui avait imposé la sienne. — Plus modéré que la politique même qu’il pratiquait, M. de Villèle avait plus d’une fois déploré, tout en y cédant, les exigences du parti ultra-royaliste. Aussi, après la chute du ministère Martignac, il fut de ceux qui firent les plus grands efforts pour détourner le roi Charles X de la formation d’un ministère Polignac, dont il connaissait mieux que personne la signification fatale. Il eut alors l’idée hardie, mais salutaire, de former un cabinet où seraient représentées les nuances les plus modérées de la gauche en même temps que celles de la droite ; ce cabinet se serait formé sous sa présidence, qui lui semblait suffire à donner au roi toutes les garanties nécessaires. — C’était, dans sa pensée, la continuation du ministère Martignac sur une base plus large. Casimir Perier était pour M. de Villèle l’élément indispensable du côté gauche ; il n’hésita pas à lui faire des ouvertures, et chargea M. Berryer de cette négociation délicate. Casimir Perier ne repoussa pas de prime abord la combinaison qui lui était offerte, mais il posa immédiatement, comme condition, l’entrée au ministère du général Sébastiani pour y représenter la gauche avec lui, le maintien de quelques membres du ministère Martignac et la présentation de diverses lois libérales. Ces conditions, rapportées à M. de Villèle, ne rompirent pas les négociations, qui n’avaient pas perdu, paraît-il, toute chance d’aboutir, lorsque Charles X, qui avait paru hésiter un instant, se rejeta tout à coup éperdument du côté de Polignàc et de la cour, et des funestes arrière-pensées dont on lui promettait le triomphe[8]. Inutile tentative qui fait du moins honneur à la raison et au dévoûment éclairé de M. de Villèle, en même temps qu’à la profonde estime qu’inspirait, dans Casimir Perier, un libéralisme qui pouvait exiger des satisfactions dans l’intérêt de ses principes, mais qui était incapable de trahir la confiance qu’on auait placée en lui ! Les ordonnances de juillet avaient mis à une nouvelle épreuve cette énergie mêlée de modération qui s’était consacrée tout entière à la défense des libertés légales : alors, ainsi qu’à toutes les époques de sa vie, il sut rester maître de lui-même. Les ordonnances de juillet avaient excité son indignation comme celle de tous les bons citoyens ; mais pendant deux journées il s’était efforcé de laisser la retraite ouverte au gouvernement en soutenant dans les réunions de l’opposition que la révolution, dont l’accomplissement semblait fatalement inévitable, ne serait forte et durable qu’à la condition d’avoir été imposée, par la violation de la loi, à la France libérale avec une évidence qui ne pût être niée par personne. De là, dans son opinion, la nécessité d’une mise en demeure adressée directement et en face à M. de Polignac par la réunion des députés présens à Paris. Après beaucoup d’hésitation de la part des plus animés, cette proposition fut acceptée et une commission nommée. La commission, composée de Casimir Perier, Laffitte, Mauguin, Lobau et Gérard, se rendit aux Tuileries, à travers mille dangers, afin d’y promettre de tout faire pour rétablir l’ordre aux conditions suivantes : rapport des ordonnances, renvoi des ministres et convocation des chambres le 3 août. Le duc de Raguse répondit qu’il était militaire et ne pouvait qu’obéir ; M. de Polignac fit répondre que toute conférence était inutile, et que les ordonnances seraient maintenues. Le sort en était donc jeté : l’énergie de Casimir Perier avait trouvé sa voie légale et se manifesta dans toute sa liberté par ces paroles, adressées un instant après à son compatriote dauphinois, M. Baude, l’un des acteurs les plus ardens et les plus honorables de ces grands événemens : « tout a été dit, la résistance est devenue la loi ; — j’appartiens donc tout entier à la résistance. »

Le besoin de tout dire était tellement une partie même de la nature de Casimir Perier, que, trouvant un jour l’occasion, un an après son entrée au pouvoir, de s’expliquer sur l’opinion qu’il avait professée et suivie pendant les journées de juillet 1830, il n’hésita point à le faire. « Cette opposition nationale de quinze ans dont on vous a parlé, dit-il, ne reconnaissait pas sans doute le principe de la charte octroyée. Elle prétendait, et avec raison, que la charte devait être un contrat passé avec le pays, elle a toujours combattu le droit divin par lequel on prétendait nous imposer la charte comme charte octroyée ; mais cela n’a pas empêché l’opposition de se soumettre à la charte, ce n’en était pas moins le pacte auquel nous avions tous, et le général Lafayette lui-même, juré d’être fidèles. Je dirai plus, c’est que, si le pouvoir n’avait pas violé les sermens qu’il avait faits comme nous, s’il n’avait pas détruit cette charte, il est probable que l’honorable général serait encore député sous l’empire de cette charte, comme il l’était à cette époque[9]. »

La franchise des explications, la netteté des actes, la haine de toute équivoque et de toute arrière-pensée, étaient, dans l’opinion de Casimir Perier, le meilleur système de gouverner dans des temps de troubles matériels et de désordre moral ; il croyait que le gouvernement avait pour premier devoir de ne pas épaissir les ombres de la conscience publique par celles de sa politique, et de ne pas ajouter à la confusion des idées celle de ses explications et de ses principes. Aussi trois jours à peine s’étaient passés depuis sa nomination à la présidence du conseil des ministres qu’il montait sans provocation à la tribune pour donner des explications sur tous les sujets de la politique intérieure et extérieure, et pour appeler la lumière au secours des consciences hésitantes et inquiètes.


III

C’est le 18 mars 1831 que le président du conseil fit à la chambre des députés sa première exposition de principes à l’occasion d’une demande de quatre douzièmes provisoires rendus nécessaires par l’absence d’un budget régulièrement voté. Après avoir posé tout d’abord la question de confiance, Casimir Perier expose à la chambre ce qu’il a fait pour se présenter devant elle avec un ministère ayant au moins la force que donne une parfaite unité et ce qu’il compte faire pour la compléter à tous les degrés. Puis, passant à l’exposé de son système, il s’y montre partout fidèle aux principes du programme que nous avons fait connaître ; mais écoutons les paroles mêmes de Casimir Perier sur la nécessité de la plus entière franchise. « Nous avons confiance dans la fortune de la France, et, pour qu’elle ait confiance en elle-même, il faut que nous, qui répondons de ses plus grands intérêts, nous lui disions tout haut ce qui se dit tout bas ; la vérité est bonne à dire aux nations comme aux rois[10]. » S’expliquant alors sur l’attitude de la France à l’égard des nations étrangères et de leurs gouvernemens : « Jamais nous ne nous défendrons, dit-il, d’une vive sympathie pour les progrès des sociétés européennes ; mais leurs destinées sont dans leurs mains et la liberté doit toujours être nationale : toute provocation étrangère lui nuit et la compromet. La France n’exhortera le monde à la liberté que par l’exemple pacifique du développement régulier de ses institutions et de son respect pour les droits de tous.

« Mais, si l’Europe méconnaissait jamais la loyauté de notre politique, si nos frontières étaient menacées, si la moindre atteinte était portée à la dignité de la France, assurez-vous, messieurs, que la France serait aussitôt défendue et vengée[11]. » Sur la situation intérieure, le premier mot de Casimir Perier est le mot de sa nature même, comme de sa politique, le mot action, « Que demande avant tout la France à son gouvernement ? s’écrie-t-il, c’est de l’action, » mot rassurant et pacifique dans la bouche de Casimir Perier, qui ne comprend et ne veut qu’une action légale, rien que légale et ennemie de toute guerre à l’intérieur. Voyez avec quelle netteté mêlée d’ironie il s’en est déjà expliqué en répondant à M. Mauguin, qui dès la fin de septembre 1830 attaquait violemment le ministère d’alors, dont Casimir Perier faisait partie : « Assurément le ministère, pour avoir provoqué cette déclaration de guerre au bout de deux mois, doit avoir commis des actes coupables, et proclamé des doctrines menaçantes ou réactionnaires ? Examinons, dit-il en s’adressant à M. Mauguin, examinons vos reproches et nos actes, vos soupçons et notre conscience, et faisons cet examen de sang-froid, car nous ne nous croyons en guerre ni avec la France, ni même avec vous[12] ! »

Six mois après, Casimir Perier reprend la parole comme président du conseil, et définit l’action du gouvernement telle qu’il la veut, telle qu’elle sera. « C’est d’ordre légal, dit-il, et de pouvoir que la société a besoin, car c’est faute d’ordre et de pouvoir qu’elle se laisse gagner par la défiance, source unique des embarras et des périls du moment.

« En effet le mal est dans les esprits. Inquiets et divisés, ils accueillent toutes les craintes et tous les soupçons. De là des alternatives d’irritation et de découragement, l’indécision de quelques autorités, de là le ralentissement de cette activité productive qui fait le repos et la richesse de la société, de là enfin cette détresse des intérêts privés qui menace la prospérité publique. Ainsi la société prend l’alarme. L’habileté des factions accroît et exploite cette sorte de terreur artificielle qui seule peut leur ouvrir des chances de succès et favoriser leurs efforts.

« La confiance est communicative ; qu’elle règne enfin ! Sachons nous honorer même en nous divisant, et résistons à ce besoin de haïr et de soupçonner qui envenime tout et qui dégrade calomnieusement jusqu’aux plus nobles caractères, jusqu’aux plus pures renommées. Le ministère n’aspire point à dominer les opinions, mais il réclame le secours des bons citoyens pour tirer la France de cette incertitude qui la désole, pour gagner en paix le jour où la raison publique, par la voix des électeurs, jugera sa conduite et décidera de son sort[13]. »

Si la clarté des explications, si la netteté des idées brillaient dans l’exposé de Casimir Perier, il n’en était pas de même du côté de ses adversaires, retranchés plus que jamais dans les ombres du « programme de l’Hôtel de Ville, » et dans les sous-entendus et les arrière-pensées de l’association dite nationale. Aussi Casimir Perier saisit la première occasion de marcher tout droit sur ces institutions bâtardes inventées et exploitées par des passions aveugles ou intéressées, mais derrière lesquelles on pouvait reconnaître une foule de sentimens généreux et abusés qu’une discussion loyalement complète devait suffire à ramener à une juste appréciation de leurs devoirs de citoyens. Dès le 30 mars, sans attendre ni se faire adresser une interpellation, il prend l’initiative d’une lutte au grand jour, ce procédé favori et presque habituel de sa politique conservatrice. Voyez comme il annonce sa volonté de tout dire, comme il la défie de la part de ses adversaires ! « Devant l’étranger, comme devant le pays, nous expliquons ouvertement notre politique. Nous l’expliquons aux fonctionnaires comme aux chambres. Cette franchise est à nos yeux le premier besoin de l’époque ; elle met tout le monde à l’aise, elle évite à tous aussi de se mettre dans leur tort ; c’est la première garantie pour les peuples et pour le pouvoir sur tout, qui, après des déclarations si franches, ne craint pas que des promesses faites au dehors, ni des programmes réservés au dedans, puissent le compromettre jamais aux yeux de la France ni de l’Europe[14]. »

Après avoir prononcé ces paroles, qu’on ne saurait trop méditer, Casimir Perier prend corps à corps le programme dit de l’Hôtel de Ville, et, s’adressant aux patrons de ce programme dans la chambre, les somme de suivre son exemple et de déchirer tous les voiles : « Accoutumés depuis quinze ans, leur dit-il, à savoir ce que nous voulons, nous devons souhaiter que tous les hommes d’état ou hommes de parti expliquent aussi clairement ce qu’ils veulent.

« Toutes les opinions sont honorables dès qu’elles sont avouées. Ce que je viens donc demander, c’est qu’on les avoue, qu’on les explique, qu’on les définisse[15]/ » Le programme de l’Hôtel de Ville ne résista pas à la discussion provoquée par Casimir Perier, et c’est à peine s’il trouva encore pendant quelques semaines un mot d’apologie dans la bouche respectable du général Lafayette, qui avait accepté d’en être le parrain.

La question de l’association nationale était tout autrement grave. Le cercle de cette association était très étendu ; les mots toujours chers à la France, — dévoûment à la patrie en danger, — défense des opprimés, — maintien de l’indépendance et de la souveraineté nationale, — habilement groupés dans ses programmes, lui servaient de frontispice et de parure, et y avaient attiré un grand nombre de députés et de fonctionnaires civils et militaires. Elle était par là même l’obstacle le plus redoutable à cette unité de tous les degrés dans laquelle Casimir Perier voyait avec tant de raison la seule force capable de lutter avec quelque chance de succès contre le désordre moral et matériel qui continuait à grandir de toutes parts.

Casimir Perier ne trouva dans cette grave et délicate situation que l’occasion de manifester avec plus d’éclat l’énergie calme et maîtresse d’elle-même de sa politique conservatrice. Adversaire naturel de toute loi de circonstance et d’exception, ami passionné du droit commun au milieu même d’une succession incessante d’attaques personnelles, de complots, de désordres et d’insurrections, il repoussa l’idée de recourir à une loi spéciale avant d’avoir épuisé toutes les ressources qu’il pouvait trouver dans son action personnelle. et dans les lois existantes. Résolu à faire le petit nombre d’exemples que des situations exceptionnelles pouvaient rendre indispensables, il repoussa tout système de révocation générale avec la même fermeté qu’il avait mise naguère, comme simple ministre, à défendre la masse des fonctionnaires de la restauration contre le système d’épurations recommandé par M. Mauguin, dans une proposition d’enquête faite par lui le 29 septembre 1830 à la chambre des députés. Sa réponse d’alors, dans son dédain historiquement instructif, donne la mesure de sa profonde répugnance pour de tels actes, entachés à la fois d’inquisition et d’arbitraire. « Rappelons-nous, disait-il le 30 septembre 1830, rappelons-nous qu’un parti arrivé en masse, il y a quinze ans, au pouvoir, procéda aussi d’année en année par épuration. Les derniers venus prétendaient toujours mieux entendre les intérêts de la monarchie que ceux qui les avaient précédés. C’est ainsi qu’à force de s’épurer on s’est isolé, et le dernier jour de la royauté, il n’y avait plus personne dans le parti royaliste. » Avec les visées de l’association nationale l’abstention et le dédain n’étaient pas permis ; il fallait prendre résolument un parti et agir ; or, pour Casimir Perier, toute action gouvernementale provoquée par des difficultés graves devait être précédée ou accompagnée par des explications de tribune assez nettes et assez claires pour qu’il fût permis d’espérer, non pas qu’elles feraient disparaître ces difficultés, mais qu’elles les simplifieraient, que dans tous les cas elles dispenseraient le gouvernement de recourir à des mesures extraordinaires. Le président du conseil resta fidèle à ce système.

Le ministère se présenta donc à la chambre des députés sans avoir pris d’autre mesure préalable contre l’association dite nationale que la publication d’une circulaire donnant directement au pays et aux fonctionnaires de l’état des avertissemens qui devaient, deux jours plus tard, faire l’objet des explications parlementaires du président du conseil. Casimir Perier commença par préciser le sentiment qu’y apportait le gouvernement. « Le pouvoir, dit-il, ne s’est pas effrayé de ces associations, comme on l’a dit, car il n’a fait qu’avertir le pays que l’objet en était rempli d’avance par son gouvernement, et il n’a demandé à la législature aucune mesure contre des entreprises dont il a pu s’offenser, mais dont il ne s’alarme pas[16]. » Pendant deux séances consécutives, le président du conseil donna lecture à la chambre des pièces du grand procès qui se plaidait devant elle, et les fit suivre d’explications complètes qui lui permirent de faire éclater à tous les yeux l’évidence des conclusions qu’il formula ainsi avec une énergie concise. a Ces associations, qui prétendent suppléer à ce qu’elles trouveraient d’incomplet dans les mesures du gouvernement, ne sont-elles pas l’établissement d’un gouvernement dans le gouvernement ou plutôt d’un gouvernement contre le gouvernement[17] ? » Quant aux fonctionnaires signalés par l’opposition comme insultés et menacés de persécutions par la circulaire, voici comment Casimir Perier les releva de toute la hauteur de leur conscience et de la sienne. « En présence des faits que nous avons rappelés, le gouvernement pouvait-il rester muet ? Et cependant je le demande à la conscience, je ne dirai pas de ceux qui partagent nos sentimens, mais à la conscience de nos adversaires, quel langage avons-nous tenu ? Est-il vrai que nous ayons traité de conspirateurs les fonctionnaires qui ont signé les associations ? Est-il vrai que nous ayons sévi contre aucun d’eux ? Non, messieurs, nous avons traité plus honorablement les hommes que le gouvernement, à quelque époque que ce fût des huit derniers mois, avait jugés dignes de sa confiance. En expliquant nos vues, notre système, nous ayons fait un appel à l’appui ou à la conscience de tous les agens de l’autorité ; c’est témoigner à tous une estime que semblent leur refuser ceux qui nous reprochent d’avoir déclaré une incompatibilité que nous aurions seulement le regret de reconnaître après eux, car nous acceptons, nous, leur appui, sur la foi de leur parole, et nous ne demandons qu’à eux-mêmes de décider de leur position[18]. »

Quelques orateurs répondirent encore au président du conseil ; mais la question était jugée par la grande majorité de la chambre, et, grâce à l’initiative résolue autant qu’à la fermeté de Casimir Perier, la question capitale de l’unité, à tous les degrés, dans le gouvernement avait fait un pas immense et décisif ; cependant le roi, sur l’avis de son conseil, dut se résigner à un très petit nombre de sévérités jugées indispensables pour compléter le succès parlementaire de son gouvernement et lui donner toute sa signification. Le Moniteur du 2 avril ouvrit et ferma le même jour le cercle très restreint de ces sévérités, dont la première et la plus remarquée de toutes fut insérée en ces termes dans le journal officiel : « M. Alexandre de Laborde a cessé ses fonctions d’aide-de-camp du roi, d’après les ordres de sa majesté. »

Le consentement donné par le roi à l’éloignement de son aide-de-camp lui fut très pénible ; mais l’exemple devait être d’autant plus efficace qu’il était donné de plus haut et qu’il portait sur un personnage aimé et estimé par ceux-là même qui le frappaient : ce furent les propres paroles de Casimir Perier quand il dut insister avec force pour obtenir la signature du roi. D’ailleurs M. de Laborde reprit quatre mois plus tard son titre et ses fonctions sur la proposition du président du conseil. En attendant, Casimir Perier avait trouvé dans le sacrifice qu’il avait obtenu de la haute raison du roi un témoignage de plus de l’accord qui existait au sommet du gouvernement le jour même où il pouvait se flatter de l’avoir fait pénétrer jusque dans les derniers rouages de l’administration.

IV

L’heureuse campagne parlementaire qui avait réussi à fonder l’unité de toutes les forces destinées à lutter contre l’esprit de faction et de désordre s’était accomplie sous l’influence d’une politique ennemie de toute équivoque, sincèrement libérale et confiante dans la raison publique. Cette empreinte se retrouve tout entière dans les grandes lois que Casimir Perier a eu à défendre à la tribune et dans l’histoire plus secrète des demandes de lois contre lesquelles il a eu à se défendre, — lois de circonstance et d’exception que des amis imprudens et même quelques membres éminens de l’opposition, comme M. Odilon Barrot et le général Lamarque, s’efforçaient de faire prévaloir, au nom du salut public, dans la pensée du président du conseil. On n’a connu que plus tard le détail de ces démarches et des luttes intimes dont elles ont pu être l’occasion par les protestations énergiques et répétées de Casimir Perier : de telles suggestions répugnaient à ses principes libéraux, autant qu’au système hardi, mais national, qu’il croyait le plus propre à triompher des difficultés amoncelées devant lui. Voyez en quels termes s’exprimait à cet égard la noble susceptibilité de sa conscience et de sa raison en août 1831 : « Résistant à plus d’un avis sincère, mais imprudent, le gouvernement continue à repousser l’idée de toute mesure d’exception… C’est aux mœurs publiques de venir aussi pour leur part au secours des lois contre la domination des partis. Qui de vous en effet, messieurs, ne sait que leur puissance, leur tyrannie est usurpée, et qu’elle ne s’exerce que par une fausse terreur sur des timidités toutes volontaires ? C’est la peur qui sert les partis, qui les grandit, qui les crée, car c’est elle qui fait croire à leur pouvoir[19]. »

Près d’une année après, en février 1832 : « Je me sens blessé dans mes sentimens les plus intimes, dans mon orgueil français, quand j’entends conseiller au pouvoir des actes qui me paraissent de nature à compromettre devant le pays, devant les peuples étrangers, devant l’avenir, la bonne foi, la dignité, la sagesse, l’honneur de cette révolution. Et qu’est-ce autre chose cependant que de lui conseiller de se faire un gouvernement de parti[20] ? »

Est-il besoin de dire, après avoir rappelé de telles paroles, que les lois politiques, discutées et promulguées sous la présidence de Casimir Perier, ont toutes été fidèles à cette politique si énergiquement calme qui écartait de la législation les expédiens pour n’y introduire que des principes durables ? C’est là en effet le caractère des lois votées en 1831 et 1832, dont le nom seul dit toute l’importance : organisation municipale, — garde nationale, — attroupemens, — élections à la chambre des députés, — institution de la pairie, — armée, — réformes du code pénal et du code d’instruction criminelle. Pendant qu’il présidait à la rédaction de ces lois, les outrages de tous les jours, les désordres de la rue, les conspirations, joints aux terreurs de beaucoup de ses amis, le laissèrent inébranlable dans sa foi aux principes de sa vie entière. Les passions eurent beau faire rage autour de lui, il ne s’en prit jamais à ces principes et aux lois qu’ils avaient inspirées de l’abus que pouvaient en faire les violences individuelles ou les factions. Des désordres éclatent sur plusieurs points : des maires s’y montrent infidèles aux devoirs tracés par la loi municipale qu’il venait de promulguer. Il ne s’en prend pas au mode de nomination des maires choisis obligatoirement dans le sein des conseils municipaux, et, légalement sévère envers les magistrats coupables, il maintient le signe d’alliance entre l’état et la commune qui a disparu tout à coup, quarante ans plus tard, devant une politique trop peu maîtresse d’elle-même. Lyon s’insurge, la garde nationale convoquée manque à ses devoirs, une partie même fait cause commune avec les insurgés ; le gouvernement défend la loi, la maintient, et se contente d’user avec fermeté du droit qu’elle consacre en prononçant la dissolution de la garde nationale de Lyon. Le jour même où cette terrible insurrection éclatait, mettant en péril les bases mêmes de tout ordre social, le gouvernement discutait à la chambre des députés une grande réforme judiciaire dont il avait pris l’initiative, et qui avait entre autres pour objet d’offrir des garanties nouvelles aux accusés et d’adoucir les peines infligées aux condamnés pour attentats contre la sûreté de l’état. Tout à coup la discussion s’arrête, et le garde des sceaux se tait, non pour abandonner la loi, mais pour céder la parole à Casimir Périer, qui, fidèle à son système de franchise absolue, vient spontanément tout dire aux chambres législatives. Les explications ont cessé, la lutte continue à Lyon ; mais le garde des sceaux reprend imperturbablement sa tâche, sans s’arrêter aux efforts et aux complots des factions, qui n’ont rien à faire avec certains principes immuables que les lois ne doivent jamais méconnaître. Le gouvernement arriva ainsi au terme de ces belles et grandes lois de la réforme du code pénal et du code d’instruction criminelle, l’un des monumens les plus vastes et les plus respectés du règne d’un prince libéral et humain jusqu’à la témérité, qui, impuissant à faire abolir la peine de mort, la poursuivait en détail dans les articles les plus rigoureux du code pénal, au moment même où se faisaient entendre les premiers appels au régicide. Une loi des plus graves, la loi sur les élections à la chambre des députés, promulguée le 19 avril 1831, mérite surtout une mention spéciale : ce fut elle, en effet, qui fournit à Casimir Perier la première occasion de manifester avec quelle fermeté il était résolu à ne jamais se faire l’instrument d’un parti, fut-il composé de ses propres amis. Dans la discussion de quatorze jours qui précéda le vote sur l’ensemble de cette loi, une scission s »était opérée entre le centre proprement dit, dont M. Augustin Perier, frère aîné du futur président du conseil, s’était fait le principal organe, et un grand nombre de membres de la gauche modérée. La gauche soutenait le cens de 200 francs en opposition au cens de 240 francs proposé par la commission et soutenu par Augustin Perier ; — la gauche l’emporta et le centre protesta en déposant dans l’urne 62 votes contraires.

C’est dans cette situation que, le 14 mars, Casimir Perier prit possession de la présidence du conseil. Sa décision à l’égard de la loi électorale fut aussi prompte que résolue : — il n’hésita pas à sacrifier les répugnances de ses amis et les siennes propres à la raison d’état, et son premier acte, comme ministre de l’intérieur, fut de proposer, dès le 16 mars, à la chambre des pairs, en insistant sur le cens de 200 francs, l’adoption de la loi électorale votée à une grande majorité par la chambre des députés. Cette démarche, si caractéristique dans sa rapidité, ne coûta rien d’ailleurs à l’intimité de cœur et de raison qui l’unissait à son frère, car l’esprit éminent d’Augustin Perier n’hésita pas un instant à faire la part du député, qui comme lui se bornait à juger un article de loi, et celle du premier ministre, qui avait la mission supérieure de réunir en un faisceau tous les groupes modérés du parlement, seul moyen assuré de réduire à l’impuissance, dans les deux chambres, les passions ou les rêves des partis extrêmes. Casimir Perier, comprenant d’ailleurs la nécessité de ne pas tarder à faire des élections nouvelles, proposa au roi, dès le 31 mai, la dissolution de la chambre des députés.

Jamais élections n’eurent lieu avec plus de ménagement pour les consciences des fonctionnaires, avec plus de liberté pour tous. Aussi, dans une revue rétrospective de son système qu’il eut occasion de faire quelques mois après à la tribune de la chambre des députés, il put prononcer non sans fierté les paroles suivantes : « Comme il faut cependant qu’il y ait quelque chose de convenu dans un pays, car un pays ne vit pas d’expériences sans cesse renouvelées et d’un mouvement indéfini dans ses institutions, on convint de remettre au pays, par des élections générales, le jugement de nos dissentimens à la faveur de la nouvelle loi d’élection. Qu’avions-nous promis de faire en attendant le jugement du pays, qui nous servirait à tous de règle définitive ? De maintenir les lois et les traités, de rétablir l’ordre gravement compromis à l’intérieur, et d’assurer la conservation de la paix extérieure, enfin d’en appeler, comme la majorité et comme l’opposition, franchement, loyalement et consciencieusement au pays, notre juge suprême à tous, et pour cela de faire exécuter avec l’impartialité la plus rigoureuse cette loi d’élection qui nous avait paru à nous-mêmes une transition trop brusque de l’état des choses antérieur à un état de choses nouveau, cette loi dont le sens avait été indiqué par nos adversaires eux-mêmes. Et cependant, messieurs, en acceptant avec empressement cet appel au pays, en restant chargés du soin d’assurer la liberté des élections, nous nous sommes montrés complètement impassibles, même sous le coup des attaques les plus violentes portées contre notre administration, et en présence des efforts les plus inouïs dirigés contre la conscience des électeurs et des candidats[21]. » Constatons en passant que le président du conseil était en droit de se rendre à lui-même cette justice, car elle lui avait été déjà presque unanimement rendue, lors de la vérification des pouvoirs des députés, par la chambre nouvellement élue, qui ne pouvait être suspectée de partialité envers lui, puisque quelques jours après elle ne donnait qu’une seule voix de majorité au candidat à la présidence de la chambre soutenu par le ministère. Constatons surtout, dans le grand acte de la dissolution de la chambre des députés, la ferme volonté de Casimir Perier de rester en communion avec la France et de se retremper dans ses sentimens comme dans la source vivifiante de son pouvoir. Casimir Perier avait conquis dès les premiers momens, dans la chambre des députés, une grande majorité qui, dans les votes de confiance, ne lui avait pas donné moins des quatre cinquièmes des voix, et quelquefois plus. Il ne songea pas un seul instant à en profiter pour retarder la mise en œuvre d’une loi dont il avait trouvé lui-même les bases trop étendues. C’était avec cet esprit libéral que Casimir Perier entendait que les lois fussent appliquées ; mais aussi, dans sa noble ambition de voir le droit commun suffire à la mission qu’il avait reçue du roi et de sa conscience, il ne voulait pas avec moins de fermeté que toutes fussent strictement et pleinement exécutées. En usant ainsi de tous les droits du pouvoir, il acquérait d’autant plus de force pour combattre et dominer les passions réactionnaires. C’est à la loi seule par exemple qu’il eut recours pour résoudre une des questions les plus graves et les plus délicates qui eussent été léguées à la royauté de juillet par les fautes de la restauration. En mêlant sans cesse la religion à la politique, le gouvernement de la restauration avait contribué à une confusion fatale qui, en jetant le clergé hors de ses voies naturelles, avait amené plus tard de douloureuses et coupables réactions. Dans l’enceinte seule de l’église, le clergé devenait inattaquable, et Casimir Perier n’hésita pas à l’y faire rentrer. Il le fit tout en étendant la protection la plus efficace sur les grands établissemens religieux reconnus, par la loi et sur les affaires religieuses en général. La commission du budget avait demandé la suppression du chapitre de Saint-Denis ; une opposition nombreuse réclamait la suppression d’une trentaine de sièges épiscopaux pour rentrer dans le chiffre du concordat de 1801, modifié en 1817. Le ministère combattit énergiquement et fit rejeter ces mesures, qui pouvaient être considérées comme dirigées, non contre les abus qui avaient compromis la religion, mais contre la religion elle-même. A l’extérieur, la politique de la France dans les affaires religieuses était comme un reflet de sa politique intérieure, et se résumait en ces termes : protection pour le saint-siège, garanties contre la prépondérance de l’Autriche, stipulation de libertés en faveur des populations.

Au reste, c’est Casimir Perier qui s’est chargé de définir lui-même dans le Moniteur le caractère de sa politique à l’égard du clergé ; voici en quels termes il s’expliqua dans le journal officiel à l’occasion de certaines allusions à une persécution religieuse contenues dans une circulaire de l’archevêque de Paris aux curés de son diocèse. « Nous nous affligeons sincèrement de cette injustice, ajoutons, car il faut appeler les choses par leur nom, de cette ingratitude. Les hommes religieux savent si le gouvernement n’a pas employé tous les moyens qui sont en sa puissance pour protéger les intérêts sacrés qu’il honore, pour calmer des préventions qu’on ne l’aide guère à dissiper, pour rétablir entre les ministres de la religion et les citoyens ces relations pacifiques qui peuvent seules assurer la dignité de l’église et lui ménager une influence utile sur la morale publique… En même temps que l’autorité ramenait les relations du gouvernement et du clergé, sous le rapport temporel, aux conditions qui les régissaient sous l’empire, elle s’appliquait à restituer au spirituel de l’église plus de respect, plus d’indépendance que jamais… Aujourd’hui, si l’état ne permet pas à l’église d’envahir ses droits, il ne permet pas non plus d’usurper les libertés de l’église. Elle est maîtresse de ses sacremens et de ses cérémonies jusqu’à la porte du sanctuaire… Au dehors, la loi civile agit et commande seule[22]. »

Telle a été, dans la question si grave des affaires religieuses, le caractère de la politique conservatrice de Casimir Perier : la loi, toute la loi, rien que la loi, — protection efficace, respect profond pour la religion catholique, — liberté de conscience pour tous, — complète indépendance de la société civile.


Certes nous aimerions à compléter ces souvenirs de notre jeunesse, de plus en plus éclairés par l’expérience et par l’étude de tous les documens contemporains, en suivant Casimir Perier à la tribune des deux chambres, dans chacune de ces discussions éloquentes et dramatiques où il dépensait au service de la France le peu de jours qui lui restaient à vivre, en rappelant aussi la noble mission accomplie par le drapeau national en Belgique, à Ancône, à Lisbonne, et l’offre de la médiation de la France en faveur de la malheureuse Pologne. Nous aimerions, en un mot, à écrire l’histoire complète du ministère de Casimir Perier ; mais ce serait sortir du cadre plus modeste que nous nous sommes tracé en nous proposant seulement de mettre en relief les principaux traits de sa politique conservatrice. Toutefois notre tâche serait loin d’être complète, si, avant de finir, nous ne mettions en lumière par un grand exemple à quel point Casimir Perier regardait comme un devoir sacré, non pas seulement de demeurer uni à la majorité dans les chambres, mais aussi de donner à l’opinion publique toutes les satisfactions légitimes, et même de soumettre à la volonté du pays, — signe de force et non de faiblesse, — les propres tendances de son esprit et ses premières impressions. Il était profondément convaincu qu’il était à la fois de l’intérêt et du devoir du gouvernement, dans les graves questions à résoudre, de s’identifier autant que possible avec les intérêts de la France, et dans tous les cas de tenir le plus grand compte du mouvement régulier de l’opinion publique. Si ce mouvement devait dépasser les droits de la justice et de la raison, Casimir Perier était prêt à briser lui-même sa carrière ; mais sous cette réserve il n’était pas moins prêt à le seconder de toute son autorité, et même à l’imposer aux pouvoirs publics comme à lui-même. C’est ce qu’il fit résolument à l’occasion de la question légale la plus importante qu’il ait eu à discuter et à résoudre pendant sa présidence : nous voulons parler de l’hérédité de la pairie, au sujet de laquelle la charte de 1830 avait ajourné toute solution jusqu’après l’élection d’une nouvelle chambre des députés.

La liberté absolue de la royauté dans le choix des pairs, sous la garantie de la responsabilité ministérielle, était, pour Casimir Perier, la base même de cette loi complémentaire de la constitution, qui devait être monarchique comme la constitution elle-même. Rien de plus précis et de plus vigoureux que sa démonstration des conditions, — prérogative royale ou élections, — qui font d’une chambre modératrice une institution monarchique ou une institution républicaine. Le président du conseil avait trouvé le pays et les chambres tout disposés à accueillir à cet égard ses opinions ; mais il n’en fut pas de même pour l’hérédité de la pairie : le sentiment national qui se prononça contre elle fut si général et si vif qu’après avoir tenté de faire triompher son opinion, favorable à l’hérédité, sinon dans le présent, du moins en lui réservant un retour possible dans l’avenir, Casimir Perier dut céder à la pression du pays, et se faire énergiquement l’écho de la voix de la France s’élevant de toutes parts en dehors même de la chambre des députés. C’est à Casimir Perier que nous demanderons encore de révéler lui-même le caractère de sa politique dans cette grande lutte où, pour le salut du pays, il sut dominer ses préférences personnelles : patriotique et grave enseignement qu’il faut recueillir de la bouche même du grand ministre conservateur pour ne pas risquer de l’affaiblir ou de l’exagérer. Interrogeons dans ses discours les manifestations les plus caractéristiques de sa pensée :


« Vous êtes, messieurs, dans une de ces situations difficiles et décisives où les pouvoirs sont appelés à déployer tout ce qu’ils ont d’habileté et de sagesse. Toutes les fois que de grands sacrifices sont demandés à un pouvoir quelconque, il ne manquera pas de gens qui s’appliquent à l’effrayer du mot de concessions, et à lui persuader que son honneur comme sa sûreté lui commandent un refus ; mais il ne manque pas non plus d’exemples qui avertissent du danger de ces conseils et de cette résistance. La puissance échappe, on le voit, par les refus comme par les concessions, et par les concessions comme par les refus. C’est à la sagacité de ses dépositaires à discerner quelles sont les concessions qui perdent et celles qui sauvent, et le moment actuel, n’en doutez pas, est un de ceux dans lesquels les garanties données à propos sont des gages certains de salut. Nous sommes en effet au lendemain d’une révolution qui, de tant de sentimens nationaux qu’elle a ranimés, a surtout réveillé un amour d’égalité sociale qui fut dès longtemps la passion de la France, passion dont il faut sans doute combattre l’entraînement, mais qu’on ne peut utilement diriger qu’en sachant lui céder quelque chose. C’est en satisfaisant les révolutions dans ce qu’elles ont de raisonnable qu’on acquiert plus de force pour leur résister dans ce qu’elles ont d’injuste……..

« C’est surtout à l’époque où des institutions naissantes à peine ont besoin de cette faveur d’opinion à laquelle ne supplée pas encore l’autorité de leur durée, c’est alors qu’on doit sentir que, quelque excellente que soit une institution, le pouvoir ne saurait l’imposer au pays de vive force et contre son gré.

« Un gouvernement ne marche pas à travers le pays comme une abstraction aveugle qui ne considère rien sur son passage. Ainsi procède l’absolutisme des révolutions sans justice et des despotes sans lumières. Un gouvernement sage observe les faits qu’il rencontre, il les consulte, il les constate, et au lieu d’immoler les réalités aux principes, ou les principes aux réalités, il s’efforce de les modifier ou de les confondre en les rapprochant…………

« Ce qui perdrait aujourd’hui la France, ce serait cette incrédulité qu’on chercherait à lui inspirer par de sinistres pensées d’avenir qui jetteraient le découragement dans les esprits, la défiance dans les intérêts, la lâcheté dans les cœurs

« Non, messieurs, vous démentirez ces présages, car c’est à vous, en grande partie, qu’il est donné aujourd’hui d’en faire justice en complétant l’organisation des pouvoirs constitutionnels. C’est à vous de consommer cette œuvre salutaire et décisive, et de communiquer par votre exemple à tous les citoyens ce courage civil, plus nécessaire peut-être pour terminer les révolutions intérieures des états que le courage militaire pour assurer l’indépendance de la patrie…………

« Messieurs, le vote qui va sortir de vos consciences est un grand événement, car il renferme le secret de tous les événemens qui vont suivre. C’est l’achèvement de nos destinées constitutionnelles ou le commencement d’une situation indéfinissable, et quand je m’exprime ainsi, loin de vous, loin de moi la pensée d’une menace ! j’expose une situation, et pour des esprits aussi éclairés que les vôtres, pour des consciences si patriotiques, c’est résoudre une question que de la poser ainsi[23]. »


Dans le cours de la discussion, le président du conseil avait eu à subir de la part de plusieurs pairs les reproches les plus amers pour avoir abandonné, disaient-ils, ses convictions. Se relevant alors de toute la hauteur de sa conscience et de son patriotisme : « Abandonner nos convictions, s’écrie-t-il, messieurs, c’est le pays que nous n’avons pas voulu abandonner ; c’est à l’intérêt du pays que nous avons subordonné nos opinions personnelles, parce que c’est le pays qui seul est toujours en droit d’imposer silence à toutes les opinions quand il a fait connaître la sienne ! Cette opinion devient impérieuse dès qu’elle est dominante : son universalité fait sa force. Alors même elle change de nom et devient nécessité[24]. »

Dans toutes ces paroles empreintes d’un sentiment si vif de la réalité, d’un bon sens si vigoureux, d’un respect si profond pour l’opinion de la France, éclate un des traits les plus saillans de la politique de Casimir Perier. Il pénétrait ainsi de plus en plus dans la confiance du pays, réprimant tous les désordres avec une indomptable énergie, mais en même temps pacifiant et rapprochant les esprits par une politique confiante, sincèrement libérale, amie du droit commun, et invinciblement opposée à toute loi de circonstance et d’exception. — Et cependant que de difficultés accumulées sur ses pas ! que de difficultés plus gravés encore que celles qui avaient précédé et rendu nécessaire la mission dont l’investit la confiance du roi ! Ce ne sont plus seulement des agitations incessantes dans les rues et sur les places publiques, dues à une effervescence générale, conséquence inévitable d’une révolution récente, effervescence désordonnée et sans direction. Maintenant ce sont des sociétés secrètes, fortement et systématiquement organisées, qui préparent la guerre civile, et où se font entendre les premiers et sinistres appels au régicide ; ce sont des collisions à main armée et de véritables insurrections. Le ministère de Casimir Perier eut à subir plus de quatre-vingts procès de presse imposés par des appels incessans à la révolte contre les lois, plus de quarante journées de désordres publics et d’émeutes, les tentatives de six complots des factions légitimiste, républicaine, bonapartiste, séparées ou réunies, et trois insurrections, dont l’une, celle de Lyon, laissa plusieurs jours cette grande cité au pouvoir des insurgés ; mais tous ces efforts vinrent se briser contre la résistance toute légale de Casimir Perier, qui tout en luttant énergiquement chaque jour par la force contre le désordre matériel, avec les armes du droit contre le désordre moral, restait invariablement fidèle aux inspirations de la politique du roi Louis-Philippe et à son programme si hardiment libéral du 13 mars 1831. C’est à l’emploi simultané d’une force toujours prête à la lutte sans jamais la provoquer et des principes de ce programme loyalement suivi que Casimir Perier a dû le succès de sa politique et la gloire si pure qui s’est attachée à son nom.

Pour rendre à la mémoire de Casimir Perier un dernier hommage vraiment digne de lui, recueillons dans l’histoire des temps si troublés des trois premières années de la monarchie de 1830 quelques-unes des maximes qu’il y a déposées, comme les traces lumineuses de la politique conservatrice qu’il a si noblement et si hardiment pratiquée. A quels signes la reconnaît-on tout d’abord ? Au culte de la loi, à l’appel incessant qu’il adressait à la force morale qui en résulte, comme aux mœurs publiques qui peuvent la doubler. De quel accent ferme et convaincu Casimir Perier ne dit-il pas en effet à la France : « Il faut apprendre aux peuples qui prétendent à l’honneur d’être libres que la liberté, c’est le despotisme de la loi ! » — « Il faut respecter les lois, puiser dans l’ordre légal et dans la force morale qui en découle tous les moyens d’action et d’influence. » — « C’est aux mœurs publiques de venir aussi pour leur part au secours des lois contre la domination des partis. » Puis, s’adressant aux passions réactionnaires, auxquelles se mêlaient celles d’un grand nombre de ses propres amis, il ajoute : « Jaloux d’accueillir toujours d’utiles avertissemens, le gouvernement ne l’est pas moins de repousser les obsessions passionnées de ceux qui chercheraient à l’entraîner hors de la ligne de l’ordre légal. » — Il n’y a que les gouvernemens faibles qui recourent aux moyens exceptionnels. » — « Toutes les fois que vous nous confierez l’arbitraire, nous ne voudrons pas en profiter. » Il avait surtout pour adversaire, dans cette lutte soutenue en faveur du droit commun, la terreur qui agitait les esprits, faisait prédire un cataclysme à beaucoup d’imaginations affolées, et appelait l’arbitraire à son aide ; mais il insiste sur son éloignement pour toute loi d’exception et pour ces dangereuses suggestions de la terreur panique avec d’autant plus de force « qu’il était plus résolu à ne jamais devenir un gouvernement de parti. » Il le proclama dès les premiers temps de sa présidence, et telle était l’ardeur de sa conviction, qu’un jour, succédant à M. Mauguin, qui venait d’achever un de ses plus violens discours, il s’écriait, en se tournant vers l’opposition : « Nous ne sommes en guerre ni avec la France ni avec vous ! » Une année après, il répétait : « Le gouvernement se fait un devoir d’être impartial envers tout le monde et de n’épouser les passions d’aucun parti… La nation n’est pas un parti, et nous sommes ici les représentans de la nation. »

Aussi, en songeant aux calomnies, aux violences, aux désordres qui s’accumulaient sur les pas de Casimir Perier, avec quelle admiration ne faut-il pas recueillir les paroles qui vont suivre, paroles d’une modération si impassible, d’une morale si élevée, on peut même ajouter d’une habileté si efficace dans leur grandeur ! « Sachons nous honorer même en nous divisant, et résistons à ce besoin de haïr et de soupçonner qui envenime tout et qui dégrade calomnieusement jusqu’aux plus nobles caractères, jusqu’aux plus pures renommées. » — « Ne cédons jamais au plaisir d’écraser les vaincus, car c’est ainsi qu’on déshonore la victoire. » C’est de cette hauteur des principes qu’il domine la situation quand il protège les fonctionnaires publics contre des demandes d’épuration en répondant à la tribune : « A force de s’épurer, on s’isole ; » quand en juillet 1831, au moment des élections si loyalement accomplies, il fait ces deux déclarations : « la liberté des élections ne consiste pas seulement dans la protection des droits, elle réside aussi dans le respect des consciences ; je vous le recommandais dans une précédente circulaire à l’égard des fonctionnaires publics, qui ne sauraient être responsables de leur vote devant l’autorité. » — « Dans les élections, ajoutait-il, l’administration ne doit prendre contre personne l’initiative de l’hostilité. » C’est le même esprit qui l’anime quand, tout en accordant à la religion catholique et à la liberté de conscience la protection la plus respectueuse et la plus efficace, il professe qu’au dehors des sanctuaires la loi civile agit et commande seule ; lorsqu’enfin, faisant un énergique appel à la franchise la plus absolue, il s’écrie : « Un gouvernement qui a la conscience de son bon droit, comme de sa loyauté, n’a rien à cacher. Une grande nation ne fait pas d’équivoque dans ses volontés, ni dans ses sentimens. Point de demi-parti, point d’expédiens, point d’évasions : en toutes choses, simplicité et vérité ! »

N’est-il pas permis de dire que l’ensemble de ces pensées et de ces maximes, auxquelles nous aurions pu en ajouter tant d’autres également remarquables, résume, comme dans un grand enseignement, la philosophie la plus élevée de toute politique conservatrice ? Que de salutaires leçons et que de vœux en France pour qu’elles inspirent les discussions et les actes solennels qui se préparent ! Certes nous ne nous dissimulons pas que des circonstances diverses, quoique ne manquant pas d’analogie, peuvent imposer aussi des diversités dans la conduite des affaires publiques ; mais, si l’application des principes est susceptible de varier dans une certaine mesure, nous osons affirmer que le fond même doit rester invariable, et qu’un gouvernement dont la politique n’en porterait pas l’empreinte incontestée ne saurait justement prétendre au noble titre de conservateur des grands intérêts sociaux et de restaurateur de l’ordre moral.


Cte DE MONTALIVET.

  1. M. Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. II, chap. XII.
  2. Voici en quels termes s’exprimait M. le duc de Fitz-James devant la chambre des pairs, tout émue de ces nobles paroles : « En ce moment, je ne suis que Français, et je me dois tout à mon pays ; c’est à la grande considération de son salut que je sacrifie tous les sentimens qui depuis cinquante ans m’attachaient à la vie. C’est elle qui, agissant en moi avec une violence irrésistible, m’ouvre la bouche pour prononcer le serment que l’on exige de moi. » (Séance du 10 août 1830.)
  3. Le cardinal duc de Latil, ministre d’état et pair de France ; il se réfugia en Angleterre.
  4. Le comte de Forbin-Janson, primat de Lorraine ; il se réfugia en Amérique.
  5. H. Barthe et le comte de Montalivet.
  6. M. le duc de Broglie, dans la discussion de la loi sur les maires à l’assemblée nationale, a prononcé ces paroles : « quand l’honorable préopinant fera valoir les mérites de la loi de 1831, je pense qu’il rappellera dans quelles circonstances, au sein de quelles institutions, dans quel temps d’ordre et de régularité… la loi de 1831 a pu porter les fruits vraiment heureux que le gouvernement d’alors en a recueillis. » (Séance du 17 janvier 1874.) M. le duc de Broglie aurait dû rappeler, non pas les temps calmes et réguliers qui ont suivi 1831 et 1832, surtout à partir de l’année 1835, mais les temps si terriblement troublés pendant lesquels la loi qui rend obligatoire le choix des maires dans les conseils municipaux a pris naissance et a été appliquée pour la première fois sous la. main aussi hardiment libérale que fermement conservatrice de Casimir Perier.
  7. MM. de Montalivet et Odilon Barrot dans la séance du 18 février 1831.
  8. Ce fait n’est pas mentionné dans l’ouvrage de M. Duvergier de Hauranne, si riche en anecdotes instructives ; mais l’auteur y a révélé, à propos de la crise qui précéda le ministère Martignac, certains faits où le nom de Casimir Perier se trouve mêlé, et qui font mieux comprendre la combinaison rêvée en 1829 par M. de Villèle. C’est de M. Berryer que je tiens le récit du projet avorté de 1829. J’en ai écrit les détails presque sous sa dictée, le soir même d’une de ces précieuses visites que me valaient, dans ma retraite des bords de la Loire, les vacances que Berryer venait passer chaque année chez un ancien et fidèle ami de mon voisinage. Je relève dans mes notes un curieux détail qui complète ce récit. Ce n’est pas à la personne bourgeoise et un peu rude de Casimir Perier que Charles X fit objection ; non, ce fut tout d’abord à la personne du général Sébastiani, qui, malgré ses airs et ses goûts assurément très aristocratiques, avait le don de lui déplaire souverainement. Il lui trouvait, disait-il, des airs, mais pas de manières. D’ailleurs il lui reprochait avec une amertume singulière le rôle important qu’il avait joué dans l’échec de la loi municipale, la seule des deux lois présentées par Martignac à laquelle le roi portait un intérêt personnel. Dans sa pensée en effet, cette loi, admise sans amendement, pouvait fournir la base sur laquelle il entendait fonder plus tard, avec l’aide d’un ministère de droite toujours rêvé, la réorganisation de la France, égarée dans les faux principes de 1789. Il ne pardonnait pas à Sébastiani d’avoir contribué à l’échec d’une de ces convictions immuables qui lui ont fait dire un jour au duc d’Orléans : « En France, mon cher cousin, il n’y a que deux hommes qui n’ont pas changé, M. de Lafayette et moi. » La renonciation de Casimir Perier à l’entrée de Sébastiani dans le cabinet était pour Charles X une question préjudicielle qui, si elle n’était pas admise, devait couper court à toute négociation ; c’est ce qui arriva. On ne put obtenir de Casimir Perier une séparation qu’il considérait comme une déviation apparente de ses principes libéraux. M. de Villèle fut éconduit avec son projet, qui présentait d’ailleurs tant d’autres impossibilités, et tout fut rompu.
  9. Séance du 8 mars 1832.
  10. Séance du 18 mars 1831.
  11. Séance du 18 mars 1831.
  12. Séance du 30 septembre 1830.
  13. Séance du 18 mars 1831.
  14. Séance du 30 mars 1831.
  15. Séance du 30 septembre 1831.
  16. Séance du 30 mars 1831.
  17. 31 mars 1831.
  18. 30 mars 1831.
  19. Séance du 9 août 1831.
  20. Séance du 6 février 1832.
  21. Séance du 20 janvier 1832.
  22. Moniteur universel du 13 septembre 1831.
  23. Séances des 27 août, 22 octobre et 26 décembre 1831.
  24. Séance de la chambre des pairs du 26 décembre 1831.