La Politique religieuse du parti républicain - La Séparation de l’église et de l’état

La bibliothèque libre.
La Politique religieuse du parti républicain - La Séparation de l’église et de l’état
Revue des Deux Mondes3e période, tome 79 (p. 293-328).
LA
POLITIQUE RELIGIEUSE
DU
PARTI RÉPUBLICAIN

LA SÉPARATION DE L’ÉGLISE ET DE l’ÉTAT.

Tous les gouvernemens ont des devoirs semblables, portion commune de leur charge. Chacun d’eux reçoit en outre, des circonstances, de ses origines, ou de sa volonté, une mission qui le distingue des autres, attire le regard des contemporains et fixe le jugement de l’histoire. Celle-ci place au premier rang les pouvoirs qui, nés dans des conjonctures difficiles, acceptent d’elles leur vocation et, héritiers de grandes fautes, se consacrent à les réparer ; elle tient plus de rigueur aux pouvoirs qui choisissent leur tâche, si pour l’accomplir ils négligent des œuvres préparées à leur zèle par les événemens ; elle est impitoyable pour les pouvoirs qui, dans ce choix, se trompent et sacrifient à un but chimérique ou mauvais les devoirs ordinaires et permanens de leur fonction.

La troisième république, née après un désastre militaire, tenait des malheurs publics la mission de rendre à la France la force. Consacrée par le suffrage populaire, elle tenait de ses origines la mission d’organiser le gouvernement de la multitude. Tandis que le sort lui imposait ce double devoir, elle s’est senti entraîner vers un autre par une vocation imprévue et toute-puissante. Elle a mis son patriotisme et sa démocratie à changer les rapports de l’église et de l’état.

Ces rapports étaient, depuis le commencement du siècle, fixés par le concordat, et le concordat était fait de deux idées. L’état avait considéré que l’église est, par son but, utile à la société, et que l’église peut, par son action, devenir incommode aux gouvernemens. D’une part, il lui assurait des avantages, l’existence publique du culte, un clergé et un budget ; d’autre part, il prenait contre elle des garanties, lui refusait le droit de posséder, de nommer aux dignités ecclésiastiques et, sous prétexte de police, s’était réservé le moyen d’exercer sur elle une surveillance arbitraire. Sous les régimes les plus divers, ce contrat avait été maintenu et avait maintenu la paix. A l’avènement des républicains, la paix est devenue suspecte. Au concordat a été opposée la séparation entre l’église et l’état. Cette réforme, d’abord demandée par quelques-uns, a vu croître sans cesse le nombre de ses adhérens ; elle a aujourd’hui la majorité dans les commissions parlementaires, elle peut avoir demain la majorité dans la chambre et quand la chambre veut, l’indépendance du sénat n’est plus, on le sait, que de la lenteur à obéir. Il est donc temps de savoir quel but la réforme poursuit et quels résultats la suivront.


I.

Il y a une théorie classique de la séparation : elle règne dans les livres et dans les discours. A les croire, tout régime a des institutions nécessaires. Sous l’ancien régime, l’autorité religieuse sacrait le pouvoir politique, et le pouvoir politique maintenait l’unité des croyances religieuses : de cette alliance entre la royauté et l’église était née la religion d’état. Mais la conquête la plus précieuse du monde moderne est d’avoir enlevé à l’état et restitué à la raison de chacun le droit de fixer ce que l’homme doit penser ou croire. Dans cette société nouvelle, toute mesure prise par l’autorité publique, soit pour favoriser, soit pour restreindre l’empire que l’église doit obtenir par la libre adhésion des fidèles est un excès de pouvoir. Le concordat assure la vie de l’église et limite sa puissance : mélange de privilège et de servitude, il est une double usurpation. De toute usurpation naît un avenir de guerre, et, comme l’un et l’autre contractant estime peu ce qu’il obtient, beaucoup ce qu’il concède et se croit dupe, le traité fait pour cimenter l’union se rompt dans la haine. L’ordre violé par cet échange de sacrifices où l’état et l’église se donnent chacun ce qui ne leur appartient pas. sera rétabli le jour où la séparation laissera à chacun ses droits. Supprimer les points de contact, c’est supprimer les causes de querelle; le terrible embarras de s’aimer ou de se haïr est épargné à ceux qui s’ignorent. L’état se borne à statuer sur les intérêts nationaux que la majorité a droit de régler au nom de tous, et devient étranger aux affaires religieuses, que tout homme doit décider seul et pour soi seul. L’église devient ce que la font ses fidèles, forte ou faible, sans que nul artifice l’empêche de parvenir par la force à la domination ou par la faiblesse à la mort.

Rien de plus logique, de plus équitable, de plus facile en apparence. Mais cette réforme semble simple parce qu’elle suppose résolues deux questions les moins simples du monde : la loi doit-elle et la loi peut-elle être neutre? Le prétendre, c’est décréter une révolution dans les principes même, de gouvernement. Le premier devoir des hommes publics est de favoriser ce qui est utile et de combattre ce qui est nuisible à la société : en matière religieuse, mettront-ils leur conscience à ne pas seconder ce qu’ils jugent bon, à ne pas affaiblir ce qu’ils jugent mauvais ? Ailleurs le dernier mot de la sagesse politique est de prévoir : serait-il ici d’ignorer ? Si les chefs ont la passion du bien public, choisiront-ils pour l’abandonner à elle-même la force la plus capable de troubler et de transformer les peuples? Si, pour mieux laisser les événemens au hasard, ils se sont livrés eux-mêmes au doute et se sont rendus incapables de savoir ce qu’il faut souhaiter ou craindre, quel titre, après être devenus moins hommes, gardent-ils à gouverner les hommes? Car l’homme n’habite pas les sommets glacés de l’indifférence, il vit sur les versans qui penchent vers l’amour ou la haine. Il est fait de passion plus que de pensée, et rien n’offre moins de prise à sa raison et n’émeut davantage son cœur que la foi. Qui donc emploie son esprit à étouffer en soi tout sentiment pour ou contre la religion, et qui, sans disserter, ne conclut pas d’instinct au triomphe ou à la ruine de l’église ? Une loi neutre serait donc une violence à la croyance de la majorité et aux convictions de tous. Un régime contraire au sentiment de ceux pour qui il est fait et de ceux qui le font est-il logique ? Un régime qui vit de sacrifices imposés à tout le monde est-il durable?

Voilà quels problèmes se soulèveront le jour où des hommes d’état voudraient réaliser le rêve fait par quelques philosophes et raconté par quelques rhéteurs. Mais cette tentative est encore à naître. La séparation de l’église et de l’état existe chez plus d’un peuple, l’indifférence de l’état pour l’église n’existe nulle part.

Les premiers qui aient voulu la séparation furent les colons américains. Là elle s’établit comme une conséquence de leur culte et de leur caractère. Avec eux s’était répandue sur le sol l’inépuisable fécondité des sectes : où le protestantisme l’emporte, il n’y a pas une religion qui triomphe, mais une religion qui se divise. Unis dans cette discorde par la croyance commune que chaque homme est l’interprète souverain de l’Écriture, ils n’auraient pu, sans offenser la foi de tous, adopter au nom de l’état une de ces confessions rivales. Favoriser celle-là était offenser les autres, condamner d’avance les sectes inconnues dont l’avenir tient en réserve les droits également légitimes, doter de privilèges au nom de la majorité la religion d’une minorité. Les soutenir toutes sans examen était compromettre l’autorité publique dans une complicité avec des cultes très contradictoires, quelques-uns peut-être ridicules ou dangereux. Enfin les fondateurs des États-Unis avaient souffert des maux que peut causer la confusion de l’église et de l’état ; venus pour acheter au prix de l’exil la liberté religieuse et la liberté politique, ils avaient conçu une société où l’initiative des individus devint la grande force ; ils ne demandaient à la puissance publique, restreinte en ses attributions, que de n’être pas un obstacle : pour maintenir leur culte, comme pour créer leur richesse, ils ne comptaient que sur eux-mêmes. Voilà pourquoi l’état en Amérique n’a pas le droit de rien faire « pour établir une religion ou pour en prohiber une[1]. » Mais ainsi séparé des églises, il ne se désintéresse pas de leur avenir. Sa législation non-seulement assure leur indépendance, mais favorise leurs progrès ; il respecte leurs ministres, il considère leur influence comme utile, nécessaire, et le proclame. Il demeure étranger seulement aux divergences qui séparent les cultes ; il fait adhésion publique aux croyances communes à tous. Le repos légal du dimanche, les jeûnes fédéraux, la prière mêlée à tous les actes de la vie publique attestent la foi du peuple à un Dieu, à une vie future, à la nécessité d’expier le mal. L’église peut être séparée de l’état, le christianisme demeure inséparable de la société.

Ce régime n’est pas particulier au nouveau monde et aux sociétés nouvelles. Celle qui met son orgueil à se dire la vieille Angleterre a accompli ou prépare la séparation de ses églises et de l’état. L’état pourtant y avait créé un culte auquel il donna le nom même de la patrie, pour mieux attester l’union du pouvoir politique et du pouvoir religieux. À cette époque, toute église était dominante ou proscrite, l’anglicanisme défendit longtemps contre toute dissidence sa cruelle orthodoxie. Mais peu à peu la certitude se fit que ces rigueurs ne ramenaient pas les esprits à l’unité, et qu’à interdire les cultes rebelles l’état servait seulement la cause de l’indifférence. L’Angleterre pensait que le plus grand malheur d’un peuple n’est pas que les croyances soient divisées, mais qu’elles soient absentes, elle mit l’intérêt de la religion avant l’intérêt de l’anglicanisme. Celui-ci garda les honneurs, les richesses et la dépendance qu’un peuple peut préparer à une foi nationale. Mais les autres communions chrétiennes ont reçu, en ce siècle, le droit de célébrer leur culte, de l’étendre par leur propagande, de le perpétuer par leurs fondations. C’est un sentiment religieux qui a substitué en leur faveur à un régime de tyrannie le régime de la séparation.

Appliquée d’abord aux sectes dissidentes, la séparation s’est étendue à l’église anglicane elle-même. Au moment où l’Angleterre rompit avec Rome, l’Irlande, fidèle à son passé, avait fait un suprême effort pour sauvegarder à la fois son indépendance nationale et son indépendance religieuse. Vaincue, elle devint un territoire du royaume-uni, et par ce changement les catholiques, seule population de l’île, ne furent plus qu’une minorité dans un peuple protestant. Sous ce prétexte, l’église anglicane, apportée dans les fourgons des vainqueurs, devint sur ce sol comme sur tout sol anglais l’église établie, seule légitime, et reçut les dépouilles du culte condamné. Mais quand, après plus de deux siècles, le culte condamné obtint la licence de vivre, le sophisme que les catholiques étaient une minorité tomba devant l’évidence. Dans l’Irlande, aussi divisée du reste du monde par la race que par la nature, et malgré les efforts de l’état pour y attirer les Anglais par des places et des terres, les fidèles de l’église anglicane ne formaient pas le huitième de la population : là, c’est l’anglicanisme qui était une minorité. Il usurpait donc en Irlande les prérogatives de l’église nationale. La loyauté du peuple anglais a accepté la conséquence ; il y a seize ans, le disestablishment s’est accompli. La propriété ecclésiastique a été sécularisée, les dîmes supprimées, tous les anciens liens entre l’état et cette église rompus. Mais, en cessant de la traiter comme sienne, l’état n’a pas cessé de la tenir pour utile. Il ne s’est pas cru le droit de se détacher d’elle sans lui reconnaître les libertés les plus étendues, il ne s’est pas même cru le droit de la livrer sans aide aux premières difficultés de vivre. Tous les ecclésiastiques pourvus d’emplois au moment de la réforme ont eu leur traitement assuré pour la vie, l’église séparée a gardé ses temples, ses écoles, ses cimetières, et reçu une dotation de 125 millions[2].

Établie en Irlande, la séparation devait tôt ou tard s’étendre à tout l’empire et par la logique des mêmes causes. Là non-seulement le catholicisme, mais l’innombrable variété des religions protestantes et les conquêtes toutes nouvelles de la libre pensée réduisent sans cesse le troupeau fidèle à l’église anglicane. Elle a déjà perdu la majorité dans l’Ecosse, le pays de Galles, et c’est une question de savoir si elle la possède encore dans le reste de l’Angleterre. Question si souvent agitée devant le peuple qu’elle agite le peuple à son tour, et que le disestablishment de l’église anglicane est devenu la plate-forme des élections générales en 1885. Ni les candidats ni les sociétés puissantes qui soutenaient la réforme ne l’ont réclamée en déniant à l’état le droit de favoriser un culte ; ils ont dénié à un culte suspect de n’avoir plus d’autorité sur la moitié des citoyens le droit de garder le caractère d’une institution d’état. Ils songeaient si peu à décréter l’indifférence religieuse que ces séparatistes promettaient de maintenir la lecture de la Bible dans les écoles, le serment religieux dans les cours de justice, les prières publiques dans les usages, l’obligation du repos dominical dans les lois. Ils avaient si peu de tiédeur pour l’église même dont ils détruisaient le privilège qu’ils proposaient de lui abandonner tous les édifices du culte et de lui constituer en dotation un minimum de quinze cents millions. Enfin si le vote du pays fut défavorable à ces mesures, c’est par crainte de ne pas donner des sûretés suffisantes à cette église. Le jour où cette crainte aura disparu, la séparation sera faite.

Ce ne sont pas seulement les nations protestantes qui vivent sous ce régime. Dans un pays catholique il existe, fondé par le parti catholique. La plus factice des créations improvisées par les traités de 1815 fut le royaume des Pays-Bas. Sous ce nom, l’Europe avait confondu deux peuples inégaux par le nombre, séparés par la race, la langue, l’histoire et la religion. L’égalité de droits leur était promise, mais les Belges pénétraient en nouveau-venus dans une nation ancienne; la famille royale, qui entre les deux peuples aurait dû servir d’arbitre, appartenait par le sang et la gloire à la Hollande ; il était inévitable que la Hollande dominât la Belgique. Du premier jour, les partis se trouvèrent formés par les races. Pour garder la prééminence, les Hollandais, maîtres du pouvoir, employèrent la force de l’état à soutenir leur langue et leur religion, c’est-à-dire les principaux élémens de leur nationalité, contre la religion et la langue de la nationalité rivale. Durant quinze années, les Belges, à leur tour, s’accoutumèrent à ne voir dans l’état qu’un ennemi et à ne compter pour la défense de leur droit que sur eux-mêmes. Quand la révolution de 1830 leur donna un gouvernement national, les catholiques, adversaires les plus constans de la Hollande, devenaient les chefs des vainqueurs. Leur âme ne changea pas avec la fortune. Cette fortune même attestait quelle puissance la religion, sans l’aide et malgré l’effort de l’autorité publique, peut atteindre quand ses fidèles savent vouloir. Maîtres d’assurer le sort de l’église par un accord avec l’état, ils redoutaient et les inconstances de ce pouvoir et la mollesse des fidèles qui, se fiant sur lui de veiller sur leur foi, deviendraient peut-être incapables de la défendre. Ce n’est pas à l’état, c’est à chaque citoyen qu’ils résolurent de confier leurs intérêts les plus chers. Les libertés de réunion, d’association, d’enseignement, proclamées comme le droit commun du nouveau royaume, donnèrent à l’église le moyen de constituer sa hiérarchie, de répandre ses doctrines, d’assurer ses ressources. Elle n’avait pas besoin d’acheter par un traité avec le gouvernement des avantages que lui offrait sans conditions la générosité des lois. Ainsi l’église se trouva séparée de l’état On ne voulut pas que l’une des puissances dépendît de l’autre, mais le souci était moindre d’empêcher l’invasion de l’église dans l’état que celle de l’état dans l’église. Et ce régime était si peu de la part du pouvoir politique un système d’indifférence et d’abandon que nulle part les destinées nationales n’ont semblé plus unies aux destinées religieuses. L’état, représentant du peuple, s’est cru le droit et le devoir de professer pour l’église les mêmes sentimens que le peuple ; l’état, responsable de la paix et intéressé à la grandeur du pays, ne s’est pas interdit de penser que le développement des croyances est utile et leur déclin funeste à l’ordre. Peu importe que l’église soit une société particulière ; une société particulière peut être d’utilité générale, et l’état en doute si peu, qu’il favorise le recrutement du sacerdoce par la dispense du service militaire et assure la vie du clergé par des allocations puisées dans le trésor.

En résumé, où elle s’est établie, la séparation a eu pour causes soit la multitude des sectes entre lesquelles l’état ne pouvait choisir, et dont aucune n’était le culte de la majorité, soit un développement tel des libertés que l’initiative des fidèles suffisait à assurer ce culte et ne laissait plus rien à faire à la puissance publique. La séparation a eu pour but d’assurer avec l’indépendance la vie des églises. La séparation a eu pour auteurs des hommes faits à l’image du peuple, c’est-à-dire, comme lui, pénétrés du sentiment religieux.


II.

La France est un pays d’unité. L’unité religieuse, gardée jusqu’à la révolution par les lois, s’est en tout temps maintenue par les mœurs : le catholicisme y domine à ce point que les autres cultes sont tous ensemble comme perdus dans la puissance de celui-là. L’unité politique s’est faite par la ruine des anciennes franchises et la constance de despotismes qui ont détruit les lois, les mœurs, l’intelligence de la liberté. La France est à la fois le pays où l’état a le moins de prétextes pour retirer au catholicisme son appui, et les catholiques le moins de ressources pour se passer de l’état. Les causes qui justifient, ailleurs, la séparation, n’existent pas ici.

Que veulent donc en France les partisans de cette mesure? Sont-ils des politiques résolus à poursuivre, dans les rapports entre l’église et l’état, l’application d’une réforme générale qui dépouille le pouvoir de ses attributs excessifs, accroisse les prérogatives des citoyens, contraigne les Français à défendre leurs intérêts, à exercer leurs droits, à vivre, enfin ? Toute leur activité s’emploie, au contraire, à accroître les droits de l’état. Ils le substituent à toutes les autorités, aux communes, aux familles, aux individus ; ils lui livrent, non-seulement les intérêts généraux, mais les particuliers; ils entendent qu’il intervienne dans les conflits entre les ouvriers et les patrons, qu’il fixe le temps du travail, le taux des salaires, ils le proclament maître, non-seulement des intérêts matériels, mais de la morale, de la philosophie ; ils préparent le jour où il envahira la conscience elle-même par le monopole de l’enseignement. Ils ont recueilli l’ancienne dictature comme un héritage qu’ils augmentent, et la dictature, au service de la démocratie, a pour terme fatal le socialisme, c’est-à-dire un régime où chaque homme devient l’esclave de tous. De tels politiques sont les derniers que troublerait un scrupule sur les usurpations du pouvoir, et il y aurait une étrange contradiction, de leur part, à proclamer, en matière religieuse, l’incompétence de l’état.

Sont-ils des philosophes indifférens envers tous les cultes, et résolus à faire passer cette indifférence dans la loi? Les connaître si mal serait les offenser. Ils tiennent la religion funeste à la république, dégradante pour l’espèce humaine. Ils haïssent l’église. Cette haine est leur foi, leur vertu, leur plaisir, leur gloire, leur profession, le titre unique de la plupart au mandat qu’ils ont reçu.

La haine n’étouffe pas toujours la justice. Cette justice vit-elle dans leurs desseins, imposent-ils silence à leurs passions pour se souvenir qu’au pouvoir ils ne représentent pas eux seuls, et, s’il leur répugne de demeurer protecteurs d’un culte condamné par leur raison, préparent-ils un régime loyal où l’église n’ait pas plus à craindre qu’à espérer du gouvernement? La grande vertu de la réforme à leurs yeux est de tourner contre la religion la force du pouvoir. Dans un pays où tous les intérêts publics sont confiés à l’état, la suppression de tout rapport entre l’état et les églises doit attester à tous que le maintien de la religion n’est pas un intérêt public. Les catholiques demeureront accablés par le poids tout à coup tombé sur leurs épaules, et leur zèle inexpérimenté succombera à la tâche de soutenir, sur toute la surface de la France, l’édifice élevé par la lenteur du temps.

Ce passé était, il est vrai, si solide que ses ruines suffiraient à abriter le présent. La séparation ne détruira pas les immenses richesses consacrées par la piété des siècles à la foi catholique. De quelque nom qu’on veuille appeler les droits de l’église sur ces biens, c’est à elle qu’ils étaient destinés. La révolution ne les lui a pris qu’en lui promettant une indemnité. Cette indemnité est le budget des cultes. A défaut de budget, l’église doit recouvrer ses droits primitifs ou recevoir un autre dédommagement. Les amis de la réforme ont-ils la probité de ne pas nier la dette? La reconnaître serait laisser à l’église les moyens de se soutenir et, si l’église reste assurée de vivre, la séparation perd son objet. Pour acquérir à la nation les biens de l’église, les hommes de 1789 avaient promis une indemnité; pour ne pas payer l’indemnité, les hommes d’aujourd’hui proclament que ces biens ont toujours appartenu à la nation. Sous ce prétexte, ils suppriment le budget des cultes, et se réjouissent d’enrichir le peuple par une mesure qui est à la fois une faillite et une confiscation. Encore tout ce qui semble bon à prendre n’est-il pas utile à garder ; laisseront-ils du moins aux fidèles les édifices créés pour le culte, impropres à tout autre usage et qui, nécessaires à l’église, sont sans valeur pour l’état? Il les gardera comme les autres, ces biens auront enfin trouvé leur destination si, stériles aux mains des libres penseurs, ils demeurent soustraits aux catholiques par qui et pour qui ils ont été faits.

Spoliés de leurs droits anciens, ces catholiques recueilleront-ils dans la réforme des droits nouveaux et l’espoir même incertain de rétablir leur culte? Il faut à une religion des prêtres. Nul ne sera empêché par la loi d’embrasser le sacerdoce. Mais il faut à la patrie des soldats, et le jour où le culte cessera d’être un service public, la loi appellera dans l’armée ceux que leur vocation attirait au sacerdoce. Si l’un des recrutemens supprime l’autre, ce sera par la force irresponsable des choses ; si le clergé devient peu nombreux, il sera plus parfait; si l’on n’y pénètre que dégagé du service militaire, et déjà sur le déclin de la vie, on reviendra aux mœurs de la primitive église: prêtre, ne signifie-t-il pas vieillard? Il faut à une religion des ressources. Sera-t-il permis aux catholiques de fonder, par leurs libéralités, un patrimoine à l’église? Si elle obtient le droit d’acquérir, le flot continu des libéralités pieuses enflera sans cesse sa fortune et, comme elle garde ce qu’elle reçoit, une masse sans cesse croissante de richesse sera soustraite à la circulation : sous peine de rétablir la mainmorte, il faut restreindre la quantité de biens que l’église pourra recevoir. Si cette église, avide encore du sol qu’elle a possédé si longtemps, consacrait ses ressources à acquérir des immeubles, la nation, avec le temps, se trouverait expropriée de son propre territoire : il faut limiter la nature des biens que l’église possédera[3]. Si cette église assemble en une seule société tous les catholiques de France, en un seul trésor toutes leurs ressources, en une seule action tous leurs efforts, un état est constitué dans l’état avec tous les moyens de mettre en échec la puissance publique : il faut briser cette unité dangereuse. Elle n’est pas indispensable aux fidèles, la nation n’est pas un centre d’autorité religieuse. L’unité de la foi confond en un seul tous les peuples catholiques, l’exercice du culte divise chacun d’eux en un grand nombre de familles : c’est en ces familles spirituelles, groupées par le même pasteur autour du même autel, qu’habite la vie religieuse, et il suffit que chaque fidèle, uni à ses frères les plus proches, ait le droit d’entretenir le foyer où ils exercent ensemble leur culte. La paroisse, tout au plus le diocèse, peuvent prétendre à une existence légale[4]. Ces paroisses, il est vrai, ont des populations et des ressources fort inégales; tantôt le zèle tarit, tantôt il déborde ; dans les villes, le culte sera doté du superflu ; dans les campagnes, il manquera du nécessaire; le seul moyen d’assurer partout l’ordre est de recueillir en un fonds commun les dévouemens que la foi inspire et de les distribuer partout selon les services. Encore ce régime, que les catholiques dénoncent comme une iniquité, est-il accusé de privilège par les partisans de la séparation. Juristes, ils ont des scrupules. Les droits d’acquérir, de s’obliger, de gérer un patrimoine sont des attributs naturels de la personne humaine : où l’individu existe, la loi n’a qu’à les reconnaître; mais pour qu’une association possède les mêmes droits, il faut qu’elle aussi devienne une personne distincte des individus qui la composent ; cette personnalité, que la nature n’a pas faite, doit être constituée par la loi, et ici la loi ne la reconnaît pas, elle la crée. La grande société, qui est la nation, ne donne pas au hasard la vie aux associations particulières, elle réserve cette faveur à qui la mérite. Y ont droit les entreprises de commerce, parce que le développement de la richesse est un intérêt général, et, parmi les autres, celles qui après examen paraissent à l’état rendre un service public. La religion de celui qui chassa les marchands du temple ne saurait être une société de lucre, et elle ne peut être déclarée utile par un état où gouvernent les adversaires de toute religion : ni paroisses, ni diocèses n’auront d’existence légale. Quel serait leur objet principal? Recueillir et transmettre les libéralités de ceux qui donnent à ceux qui doivent recevoir. C’est affaire de particuliers ; qu’ils se cherchent et se trouvent eux-mêmes, leurs droits d’individus suffisent pour assurer l’exécution de leurs volontés. Chacun peut donner aux prêtres, aux séminaristes, aux pauvres de son choix, bâtir une église pour le culte et la transmettre à un chrétien pieux comme lui. Tout est licite, pourvu que la propriété trouve toujours une tête où se fixer[5]. Rien, par suite, ne sera fondé à perpétuelle demeure, il faudra, pour assurer la permanence des services religieux, que la générosité des fidèles se transmette sans déshérence de génération en génération: aucune d’elle, ne travaillera que pour elle-même, et l’église ne vivra jamais que de ressources fragiles comme le zèle et fugitives comme la vie. Mais c’est le mérite souverain de la séparation qu’elle tienne sans cesse l’église à la merci de fidèles, et la piété des morts n’a pas à perpétuer un culte que ne soutiendrait pas la piété des vivans.

Les catholiques du moins exerceront-ils sans obstacle ces droits individuels qu’on déclare sacrés[6] ? Leur sera-t-il permis de se réunir dans le secret de leurs demeures autour de leurs prêtres et de rassembler chaque jour l’aumône à laquelle sera réduit un culte mendiant? A l’heure présente, célébrer les cérémonies religieuses dans une chapelle même privée est défendu par une loi[7], se réunir à des intervalles réguliers ou non pour s’occuper d’objets religieux, même dans une maison particulière, même entre amis, toujours les mêmes, est défendu par une loi[8]. Le concordat abrogé, vingt et un catholiques ne pourraient sans délit prier en commun. Ces lois sont-elles de ces textes morts que le passé a légués au présent, mais que la loyauté du pouvoir se refuserait à invoquer? Hier des gendarmes escortés par la police et conduits par un sous-préfet enfonçaient les portes d’une demeure close, faisaient feu sur les habitans, blessaient ou tuaient plusieurs personnes. Quel était le crime des coupables ? D’entendre la messe dans une chapelle sans l’aveu du gouvernement. Quels ont été, au milieu du scandale public, les approbateurs les plus déterminés de cet acte sauvage? Les partisans de la séparation. Pour la liberté de s’associer, réclamée sous tous les régimes avec une impatience indignée par le parti démocratique, elle a disparu des programmes le jour où ce parti a réclamé la rupture entre l’église et l’état. Il y a six ans, on a chassé de leurs demeures les religieux. De quel délit étaient-ils accusés? De vivre réunis sous une règle religieuse. Qu’ont fait alors les partisans de la séparation? Sommé le gouvernement d’appliquer les lois existantes. On a proclamé que le droit d’association ne luira jamais sur tout le monde : fait pour accroître par leur union la force des individus, il n’est pas destiné à ceux qui abdiquent leur personnalité dans une soumission sans limite et vouent cette obéissance à un chef étranger[9]. Pour préparer la séparation, le plus urgent n’est pas d’accroître les libertés existantes, mais de les restreindre. Avant tout il faut dissoudre les ordres religieux qui vivent sans l’autorisation de l’état[10]. Non-seulement la France ne doit pas donner son or pour payer le culte, elle doit mettre la main sur la richesse accumulée par ces sociétés contraires à l’ordre public ; au budget des cultes succède la confiscation[11]. Cette violence ne frappe nommément que les membres des ordres monastiques. Mais si le législateur s’arroge l’arbitraire de choisir à qui il accordera et à qui il refusera une liberté, quel catholique n’est pas menacé? Les accusations portées contre les moines ne frappent-elles pas le clergé séculier[12] et les laïques? Tous n’ont-ils pas par leur foi abdiqué leur indépendance? Tous n’obéissent-ils pas au pape? C’est l’art des persécuteurs d’employer d’abord contre les personnes odieuses des griefs généraux qui, par la seule force de la logique, atteignent peu à peu tout le monde.

A quoi bon démontrer par de plus longues preuves un dessein dont l’impudeur s’élève à la sincérité? Par la religion d’état, la puissance publique avait été employée à soutenir le culte ; par la séparation, elle sera employée à la détruire. Aucun prétexte n’est interdit, aucune contradiction déshonorante, aucun moyen misérable qui fera l’église misérable, déshonorée, interdite. Ce n’est pas un genre de vie que la réforme prépare à l’église, c’est un genre de mort.

Un projet si public ne peut être ignoré de ceux qu’il menace. Pense-t-on que les catholiques se résignent à une pareille fin? Plus ils seraient ce qu’on les accuse d’être, ambitieux et fanatiques, moins on les trouvera prêts à se laisser exclure du monde qu’ils prétendent conduire. Plus ils seraient doux de cœur et étrangers à l’esprit de domination, plus leur volonté sera inflexible à exiger le seul bien qu’ils attendent du monde : le respect de leur foi. Offensés par les doctrines de l’état, menacés par ses actes, contraints à contribuer par l’impôt à l’impiété publique et obligés de subvenir par des dons aux dépenses de leur culte, traversés dans cet effort même, atteints sans cesse et à la fois dans leur croyance, leur honneur, leur repos, leur fortune, ils vivront enfermés dans les lois comme dans ces cages de fer que Louis XI avait inventées pour ses ennemis. Tout mouvement leur sera une souffrance; mais la perpétuelle nouveauté de ces souffrances empêchera que le sommeil de la résignation les assoupisse, et la douleur qui veille cherche ses causes. Chaque humiliation, chaque sacrifice, fera remonter leur pensée vers la source de leur mal. Ils songeront que, sous tous les gouvernemens, un seul excepté, ils ont joui de la paix, que leurs difficultés sont nées, ont grandi avec une faction et disparaîtraient avec elle. La haine attire la haine : ils en viendront à souhaiter, d’un désir violent comme la situation où ils se trouvent, que la fin du régime amène la délivrance de l’épreuve. Leur zèle pour l’église se transformera en colère contre l’état.

Ainsi, dans l’étrange confusion qui suivra la rupture, tout le monde sera jeté hors de sa place, et la séparation entre l’état et l’église inaugurera une guerre où la puissance politique aura pour but de ruiner la croyance religieuse, où la société religieuse s’efforcera de détruire le pouvoir politique.


III.

Cette guerre sera-t-elle plus funeste à l’église ou à l’état?

Il est trop vite fait de dire que la force ne peut rien contre les idées. Si cette doctrine était exacte, la tyrannie ne compterait pas de victoires. Les faits sont moins consolans. Ils montrent dans la force une légitimité mystérieuse qui parfois dompte les intelligences et les volontés. On a vu dans tout le cours de l’histoire les traditions, l’indépendance, la patrie même peu à peu effacées et leur souvenir même aboli par la contrainte. on a vu, comme une flamme monte ou s’abaisse selon la quantité d’air qui l’alimente, les doctrines les plus diverses s’élever et s’éteindre selon la liberté que leur laissait le pouvoir. Les amis de la séparation supposent qu’il en est ainsi du sentiment religieux. Mais en cela, à leur tour, ils concluent trop tôt. Il y a entre les libertés religieuses et toutes les autres une différence fondamentale : faute de la connaître, on n’a qu’une théorie incomplète sur l’emploi de la force à la destruction des idées. L’homme, à travers l’inconstance apparente de ses désirs, poursuit une volonté unique : être heureux. Les droits qu’il revendique sont des moyens qu’il prend pour atteindre ce but. Tous, à l’exception de la liberté religieuse, sont destinés à assurer le bonheur de la vie terrestre, de l’heure présente. Si la puissance publique prescrit un de ces droits auxquels l’homme a attaché l’espoir de son bonheur dans sa famille, dans la cité, dans l’état, une protestation unanime s’élèvera d’abord. Que le pouvoir la brave sans paraître affaibli, certains s’obstineront, raidis dans l’orgueil de ne pas céder, ou, soutenus par le désintéressement d’une paternité mystique, se sacrifieront au profit des générations futures. Mais ces belles constances sont rares et deviendront plus rares à mesure que se prolongera l’attente. Le temps manque pour ajourner les avantages d’une vie qui toujours s’écoule et déjà va finir : là, tout ce qui est retardé est perdu. Plus l’exercice d’un droit sera difficile, plus sa légitimité semblera douteuse, il suffit qu’il ne triomphe pas dans les faits pour être ébranlé jusque dans les esprits. L’homme a peur d’être dupe. A poursuivre les biens qu’on lui refuse ne court-il pas risque de perdre par surcroît ceux qu’on lui laisse? A défaut d’indépendance l’ordre, à défaut de justice la richesse, à défaut de victoire la paix, sont des biens, et, quand on ne peut ce qu’on voudrait, il reste à vouloir ce qu’on peut. Dans la lutte obscure que chaque être livre aux difficultés de l’existence, il finit par renoncer qu’il désespère d’atteindre ; et la plus grande différence entre la jeunesse et la maturité, c’est que l’une appelle songes ce que l’autre nomme espérances. Il n’en est pas autrement dans les luttes qui mettent en conflit les volontés particulières et la puissance publique. Ces volontés abdiquent le jour où l’état leur a ôté la confiance qu’elles triompheront de lui.

La force nécessaire à l’état pour obtenir ce résultat varie selon le caractère et l’âge du peuple. Si le peuple est dans sa première vigueur, et par nature indocile au joug, il ne renoncera à rester maître de sa vie et à dresser le plan de son bonheur qu’après de longues luttes et de sévères leçons. S’il a au contraire une éducation d’obéissance, si la liberté pour lui n’est qu’une récente révolte contre un long esclavage, son âme comme son corps a gardé la meurtrissure de ses fers, la place reste préparée pour de nouvelles chaînes, la docilité héréditaire dispense le pouvoir des grandes rigueurs. Enfin, si ce peuple a atteint la décadence, si, après avoir réclamé le droit au travail, il n’est plus jaloux que du droit au plaisir, pour le dépouiller des prérogatives les plus essentielles à une nation, il suffit de soumettre leur exercice à quelques complications et à quelque gêne. Un certain degré de lâcheté ou de mollesse rend insupportable la pensée, non-seulement d’un danger, mais d’un effort. La vie peut donc paraître plus heureuse à l’homme par certains abandons que par certaines résistances, et, même en renonçant à ses droits, il choisit sa part de bonheur.

Mais que la foi religieuse s’empare de cet homme, tout se transforme. Du jour où Christophe Colomb eut deviné un nouveau monde, l’ancien monde changea d’aspect et d’importance à ses yeux. Captif dans la patrie qui l’exilait de son rêve, il ne demanda plus à sa terre natale que les moyens de se rendre vers les contrées révélées à sa foi. Les pouvoirs du temps par leurs longs refus n’usèrent pas sa constance et s’ils lui avaient offert les trésors et les honneurs d’Espagne et d’Italie, sous la condition qu’il renonçât à chercher des contrées douteuses à travers l’inconnu des mers, ils l’eussent dépouillé de toute sa richesse, ils lui auraient demandé le seul sacrifice que ce sujet si fidèle ne pût leur consentir. Ainsi tout chrétien porte en son âme la découverte d’un monde nouveau. Par-delà la vie présente et les étroites bornes de ses joies et de sa durée, ce monde étend l’espace infini de son avenir et de ses espoirs. Pour le posséder, il faut le conquérir. La même certitude qui révèle au chrétien une existence future lui impose ici-bas des règles impérieuses de conduite. Elles le condamnent à vivre d’un continuel renoncement à ses désirs, et cette difficile patience, garantie de l’ordre en ce monde, trouve dans l’autre la récompense d’une félicité sans fin. Tel est le miracle de la foi : en échange d’un droit à venir, elle établit des devoirs immédiats, elle grandit et éloigne à la fois la volonté d’être heureux, rend l’homme capable de souffrir au nom de son bonheur même, et dans le plus égoïste des amours a fait germer l’oubli et le sacrifice de soi-même.

Que des hommes animés de cette foi soient atteints dans leur liberté civile ou politique, ils seront plus disposés que d’autres à le souffrir. Mais que le pouvoir touche à leur liberté religieuse, il leur demande de préférer un maître qui passe au maître qui dure, le repos d’un jour à une vocation immortelle. Cette pensée ne leur laisserait même pas goûter la paix achetée si cher, ils n’auraient pas choisi leur bonheur, ils y auraient renoncé. Le même besoin d’être heureux qui, s’il s’agissait d’un avantage humain, les inclinerait à la soumission, les oblige donc à la résistance.

Contre cette résistance quelle force sera efficace ? Il n’y a plus ici à calculer la contrainte d’après le caractère et l’âge du peuple. Le scepticisme des esprits et la corruption des mœurs affaiblissent sans doute la religion, mais ils n’abaissent pas tous les croyans, ils les divisent. Les uns subissent l’influence du siècle et vivent presque détachés de l’église, les autres, confirmés dans le bien par le spectacle du mal, gardent au milieu de la corruption générale la pureté de leur zèle et le courage de leur foi. Il se peut que les premiers cèdent aux moindres violences: encore la crainte n’abolira-t-elle pas leurs remords et ils ne pardonneront pas au pouvoir le mépris d’eux-mêmes où il les aura réduits. Mais que fera ce pouvoir contre les seconds? Rendra-t-il leur vie douloureuse? Ce n’est pas en cette vie qu’est placé leur espoir. Appesantira-t-il l’épreuve ? Ils savent que souffrir est un gain et que souffrir pour sa religion est le moyen le plus parfait de la pratiquer. Par quelles armes investir des assiégés qui reçoivent sans cesse leur secours d’en haut? La menace agit sur la loi comme l’insulte sur l’honneur, mais avec une tout autre puissance : elle émeut dans le chrétien les plus hautes ambitions qu’il puisse concevoir; elle souffle un esprit héroïque et révolté, le plus dangereux qui soit pour la paix des états. Le jour où une partie de la nation tient que son premier devoir est de désobéir aux lois, la puissance publique est contrainte de capituler ou de vaincre par des rigueurs croissantes ; l’on parvient vite aux dernières répressions. Mais de telles mesures ne sauraient être générales : on frappe quelques-uns pour l’exemple. L’exemple est efficace quand un conflit s’élève entre l’état et un rebelle ordinaire; si l’état supprime son adversaire, il supprime le conflit même ; si le vaincu avait des complices, son sort les instruit qu’il faut opter entre l’espoir de modifier le monde et l’espoir d’y vivre. Dans une guerre religieuse, les plus terribles châtimens n’ont pas cet effet d’exemple, ou plutôt l’exemple a une vertu toute contraire. La mort même ne résout rien : entre l’homme qui succombe et l’état, le conflit n’était pas sur l’existence présente mais sur l’existence future. L’état, loin d’enlever à sa victime le sort qu’elle veut, le lui assure et l’envoie au Dieu auquel il a appelé. Le supplice élève ceux qui le contemplent à un état d’âme où le présent semble presque le passé, l’avenir déjà le présent : ne laissant plus entre ce monde et l’autre que l’épaisseur de la hache, il donne à juger la vie à la lumière de la mort. Le persécuteur célèbre, pontife involontaire, un sacrifice religieux où le juste est immolé pour le salut de tous ; le sang qui tombe ainsi n’enseigne jamais la lâcheté et l’on s’agenouille quand il coule sur les échafauds devenus des autels. Ainsi l’état n’a pas de prise sur les croyans. La violence a raison de ceux-là seuls qu’elle frappe ; il faut dans chacun de ces rebelles étouffer la révolte en tuant la pensée. Il n’y a qu’un moyen d’en finir avec un culte, supprimer tous ses adhérens.

Quand la force n’a pas voulu ou pas pu achever cette œuvre, qu’a-t-elle produit? L’histoire, pleine des persécutions religieuses, raconte surtout leur vanité. Le plus ancien des cultes est celui qui a le plus longtemps souffert : aux jours où les juifs formaient un peuple, ce peuple perdant sans cesse, non-seulement l’indépendance, mais la patrie, transmis de maître en maître et de pays en pays, jeté d’Egypte aux fleuves de Babylone, connut toutes les sortes de despotisme, et sa croyance au Dieu unique subit le choc de toutes les idolâtries. Vint l’épreuve suprême : c’est trop peu que cette race émigré de territoire en territoire, elle est dispersée entre toutes les nations. Durant des siècles, le régime appliqué aux juifs est la seule loi commune du monde. Elle leur assigne leur demeure, leur costume, leur métier, et par cela seul, ce costume, ces demeures, ces professions deviennent infâmes. Elle emprisonne les juifs dans la honte, mais elle leur laisse la vie, et c’est assez pour que rien ne meure, ni la religion, ni la race. Peu à peu les barrières des lois tombent ; celles plus indestructibles des préjugés s’abaissent ; aujourd’hui le juif est l’égal, parfois le maître de ceux qui l’ont opprimé. Quand les chrétiens parurent, ils offensèrent la jalousie romaine, et Rome était alors l’univers. Mais bien que leur sang ait coulé trois siècles, tous ne furent pas frappés comme ils devaient vaincre, la conversion de Constantin témoigna que la puissance politique renonçait à dépeupler l’empire. Le sang des protestans fut aussi répandu : après la réforme, la première monarchie du monde, la catholique Espagne, avait une seule province entachée d’hérésie. Philippe II se résolut de rétablir dans les Flandres l’unité et la foi. La force ne fit pas défaut dans cette exécution d’un peuple. Les bourreaux étaient les plus grands capitaines de l’Espagne et les champs de supplice ressemblaient à des champs de bataille, tant les victimes y tombaient nombreuses. Tant de sang répandu n’était pas néanmoins tout le sang des Flandres : elles gardèrent leur foi, et la violence, au lieu de les rattacher à l’église, n’eut d’autre résultat que de les séparer de l’Espagne. La révolution française tourna la même fureur contre le catholicisme, cette fureur ne détruisit pas la foi à l’église, mais la foi à la révolution, et après huit années de luttes, la France acclama l’homme qui lui rendait son culte et lui prenait ses libertés. Durant ce long état de guerre où toutes les religions tour à tour ont été victimes, laquelle a disparu? Une seule, celle des albigeois. Celle-là, elle est détruite, parce que, pour l’écraser, l’Europe entière fournit des hommes, et que le jour où ils se reposèrent, il ne restait plus sur le sol condamné une mère pour transmettre l’hérésie à son enfant, pas un enfant pour l’apprendre de sa mère. Et cette barbarie à son tour fut possible, parce que les adversaires des albigeois obéissaient eux-mêmes à une foi alors dans toute son ardeur. Soldats et chefs s’étaient volontairement levés pour la croisade et se croyaient armés par Dieu même; le fanatisme, ranimant leur bras las de tuer, leur présentait comme la plus haute vertu le triomphe remporté par eux sur les révoltes de leur pitié et les élevait à une cruauté surhumaine ; la force suprême, la force religieuse accomplissait là un double miracle en mettant aux prises des hommes qui ne se lassaient pas, les uns de recevoir la mort et les autres de la donner.

Les adversaires actuels de l’église sont-ils capables de renouveler les exploits accomplis par Simon de Montfort ? Ont-ils hérité l’art des persécutions que possédaient les Césars ? Appesantiraient-ils sur le peuple la lourde main que le duc d’Albe étendit sur ses intimes ? Sont-ils seulement, ces familiers de l’expulsion, capables de chasser du territoire les catholiques comme Louis XIV chassa les réformés ? Les catholiques sont-ils, comme les chrétiens à Rome ou les protestans en France, une minorité en révolte contre les opinions régnantes, comme les juifs, une race partout exilée et suppliante au foyer d’une race victorieuse, comme les albigeois, une secte provinciale enclavée dans l’orthodoxie de la nation ? Les catholiques en France sont le nombre, dans un pays généreux même aux minorités, dans un siècle qui, même dans l’injustice, veut certaine douceur. Si, à d’autres heures, une politique d’extermination a été un crime, elle ne serait plus qu’une folie. Dès lors, que peuvent les persécuteurs incapables de grandes guerres ? Multiplier les petites, incommoder les catholiques, désoler leur patience. Ce sont là des épreuves que l’église a cent fois souffertes ; la puissance de ses adversaires se borne à ce qui ne peut la tuer. Ainsi, dans les procédures criminelles d’autrefois, la hiérarchie des tourmenteurs avait ses degrés. L’exécuteur des hautes œuvres seul maniait l’arme noble du supplice, l’épée. Donner la mort était un privilège et une dignité. Le soin de faire souffrir était remis à d’autres, valets du bourreau : leurs mains viles maniaient les instrumens de basse torture, mais n’avaient pas le droit de toucher à la vie.


IV.

Cette persécution impuissante à détruire l’église offre-t-elle des avantages à l’état ?

Les plus ardens à la lutte admettent que l’église survive ; leur cœur s’en console pourvu qu’elle souffre, et leur courage se persuade que l’entreprise est sans périls. Ils considèrent que tous les régimes ont fait campagne contre le catholicisme ; l’auteur du concordat est devenu le geôlier du pape, la restauration a fini par lutter contre l’influence ecclésiastique, la monarchie de juillet a tenu le clergé en une défaveur de dix-huit ans, le second empire a ruiné le pouvoir temporel de l’église. Quels embarras cette politique a-t-elle suscités ? Quelques protestations ont épuisé l’ardeur des plus zélés sans émouvoir même les autres. Pas un coup n’a été rendu aux gouvernemens qui les portaient. Tout le courage des catholiques est passif et ne leur apprend qu’à tendre l’autre joue.

Ceux qui se fient pour réaliser leurs mauvais desseins sur la résignation désarmée des catholiques oublient une seule chose : que, durant le cours du siècle, cette résignation a eu pour cause l’existence du concordat. Cet acte a été sans cesse invoqué par tous les pouvoirs et leur donnait le droit de se prétendre les amis et les protecteurs de la religion. Ils avaient soin de soutenir, sous Napoléon, que résister à un pape n’était pas attaquer l’église ; sous la royauté parlementaire, que défendre l’état contre l’ambition du clergé n’était pas mettre le clergé en servitude ; sous le second empire, que la souveraineté d’un territoire n’était pas essentielle au catholicisme, et que la religion du Christ, après avoir apporté la liberté aux hommes, se contredisait à maintenir la servitude d’un peuple. Ces conflits, si graves fussent-ils, ne mettaient en effet en question ni le dogme, ni le culte. Tandis qu’on luttait à Paris et à Rome, dans chaque commune de France, l’église et le prêtre, entretenus par le trésor public, demeuraient les témoins du respect gardé aux choses divines, et la preuve de la paix demeurait où le bruit même de la guerre n’avait pas pénétré. C’est sur le concordat que s’émoussait l’effort tenté par les chefs des catholiques, contre des mesures mêmes funestes à la religion. Aux yeux du peuple, les mécontens possédaient les droits essentiels et combattaient pour des avantages superflus, ils lui devenaient facilement suspects d’ambition, et cette ambition lui semblait une ingratitude contre le pouvoir dont ils avaient tant reçu. Voilà pourquoi les querelles s’agitaient sans l’émouvoir : son calme était fait de sa sécurité.

Même quand cette sécurité était excessive, le gardien naturel des intérêts religieux, l’autorité faite pour signaler aux fidèles les périls, le sacerdoce, calmait plus qu’il n’excitait les esprits. Comme le peuple, plus que le peuple, il comparait aux avantages compromis par la politique d’un jour les avantages assurés d’une façon permanente par le concordat. Sa conscience partagée ne prononçait pas de condamnation sans réserves. Son intérêt lui défendait de mettre en question, par une rupture avec l’état, la part faite à l’église dans l’éducation nationale, les privilèges accordés au clergé pour son recrutement, et le budget des cultes, c’est-à-dire le pain quotidien du prêtre.

Enfin, si à certaines heures les conseils de la colère semblaient près de l’emporter, le pape, arbitre suprême, veillait sur les destinées de l’église universelle. Il savait qu’il est toujours important pour elle de garder la paix et parfois nécessaire de faire équilibre par l’amitié de certains états à la malveillance de certains autres ; il n’ignorait pas davantage que son protecteur le plus ancien, le plus intéressé, le plus généreux était la France. Il était le plus disposé à conseiller les concessions, comme il était le plus fort pour vaincre les scrupules qu’elles auraient soulevés.

Or cet édifice pacifique a pour clé de voûte le concordat. Grâce à lui, le sort de l’église est fixé par deux maîtres : celui de la société politique et celui de la société religieuse. Indépendans de tous, ils ont réglé les droits et les devoirs de tous, et chaque autorité établie par leur ordre se trouve dépendante d’eux et indépendante de ceux à qui elle doit commander : l’évêque ne tient des prêtres, le prêtre ne tient des fidèles ni ses pouvoirs spirituels, ni son existence matérielle. La vocation de ceux qui ont reçu cette autorité, les qualités qu’ils acquièrent en l’exerçant, la prudence que donne la responsabilité, le calme des hauteurs où ils vivent, leur respect envers ceux qui embrassent la vérité d’un regard plus étendu et la proclament d’une voix plus certaine encore, tout concourt à remettre les destinées de la religion aux plus sages, aux plus patiens, aux plus pacifiques, et dans cette chaîne de subordination qui maintient l’unité, la sagesse du peuple est une obéissance à la sagesse du clergé, la sagesse du clergé une obéissance à la sagesse du pape, et il suffirait de la raison d’un homme pour imposer la raison à tous.

Que le concordat disparaisse, tout change et surtout les hommes.

Ce ne seront plus les mêmes catholiques. L’apparence qui permettait au gouvernement de nier ses attaques et au peuple de ne pas les voir tombera. La rupture du traité sera une déclaration solennelle de guerre, elle obligera les fidèles à renier leur culte ou à le soutenir seuls. Dans tous les pays où les catholiques ne peuvent compter sur le secours de l’état, le souci des intérêts qui reposent sur eux les éveille : ils se groupent, réunissent leurs ressources, associent leurs efforts et apprennent le secret de puissance caché dans l’union des faibles. Dans un pays où l’état s’emploiera à les combattre, leur puissance se tournera contre l’état. Il ne les trouvera alors que trop guéris de leur torpeur. Les mêmes vertus, en effet, qui leur sont nécessaires pour former leur société religieuse, l’initiative, la persévérance, la générosité, le courage, leur permettent d’exercer une action politique. L’habitude d’affronter les obstacles, qui donne le goût de la lutte, un désir naturel de représailles, une irritation que chaque incident accroîtra, les porteront à disputer le pouvoir partout où ils auront à s’en plaindre, et, comme ils vivent sous un régime où le pouvoir étend partout sa main, ils essaieront de prendre le gouvernement des communes, des départemens, de l’état : premier résultat d’un changement qui les obligera à devenir maîtres pour être libres. Ce ne sera plus le même sacerdoce. Au clergé, qui, indépendant des fidèles et dépendant de l’état, a autorité pour imposer silence aux excès et porte, au milieu des conflits, un désir constant d’accord avec la société civile, aura succédé un clergé sans lien avec l’état et qui attendra des fidèles seuls sa subsistance. Sans doute, il ne laisserait pas corrompre même au prix de la vie la pureté de sa doctrine : mais les devoirs de conduite ne sont pas aussi précis que les formules de dogme, et dans les questions obscures de la politique il est difficile de donner tort à celui dont on reçoit le pain. D’ailleurs, la conscience du prêtre ne sera-t-elle pas complice des colères soulevées dans toute âme chrétienne par les iniquités de la persécution? qui à son égal sentira la misère du sort fait à l’église, à ses œuvres, à ses ministres, et l’impatience d’y échapper? S’élèvera-t-il au-dessus de lui-même pour calmer les emportemens des luttes religieuses? bravera-t-il le danger de glacer le zèle dans des cœurs simples et de devenir lui-même la pierre de scandale, quand le plus tiède dans la défense des droits de l’église sera le ministre de Dieu? Ne songera-t-il pas que, sous le régime de la séparation, l’impopularité du prêtre peut être la ruine du culte? Et si sa fierté supporte avec peine l’obligation où il est réduit de complaire à ceux qu’il devrait conduire, cette humiliation n’est-elle pas un grief de plus contre un pouvoir qui l’atteint non-seulement dans la vie, mais dans l’honneur? La modération aura cessé d’être un titre aux dignités ecclésiastiques : n’étant plus conférées par le choix de l’état, il faudra qu’elles le soient par l’avis du clergé et le vœu des fidèles : pour ceux-ci, la vertu sacerdotale semblera avoir pour mesure l’ardeur déployée contre les ennemis de l’église. Les prêtres les plus inflexibles de caractère, peut-être les plus intempérans d’humeur, se trouveront portés par la violence de la situation aux postes les plus élevés. Loin de calmer les esprits, le clergé consacrera et rendra plus intraitables les passions excitées par la guerre.

Ce ne sera plus enfin la même papauté, et sa sagesse ne saurait suppléer désormais à celle des clercs ni des laïques. Les laïques ont cessé d’être le troupeau dont l’intelligence se borne à connaître le pasteur et à le suivre : le culte ne se soutient que par leur effort volontaire, et les hommes réclament toujours en influence ce qu’ils donnent en dévoûment. Les clercs attachés par leur foi à la chaire de Saint-Pierre appartiennent, par toutes les forces de leur raison humaine et de leur intérêt, aux idées et aux passions dominantes de leur peuple. Si les conseils venus de Rome heurtaient ces sentimens et recommandaient de faire des concessions au pouvoir politique, l’obéissance deviendrait plus douloureuse aux prêtres, et si, après s’être vaincus, ils tentaient de vaincre l’opinion générale, ils auraient surtout chance de la mécontenter. Du mécontentement naît l’inaction, et il suffirait d’une diminution dans les aumônes pour compromettre l’existence du culte. Une autorité soucieuse de son prestige n’ordonne que sûre d’être obéie; une autorité soucieuse de sa responsabilité ne s’expose pas à s’affaiblir par les ordres qu’elle donne. La même prudence qui dispose le saint-siège à céder beaucoup aux gouvernemens dans les pays de concordat, l’oblige à ménager fort les fidèles dans les pays où l’église est séparée de l’état. Il ne pourrait plus, pour mieux servir les intérêts généraux de l’église, imposer des sacrifices à l’opinion des catholiques français : il devrait faire à leur opinion les sacrifices nécessaires pour que ces catholiques continuassent à soutenir, en soutenant le culte en France, un des plus essentiels intérêts de l’église. Pourquoi, d’ailleurs, se mettrait-il en opposition avec le sentiment de ceux qui sont unis à sa cause? Pour épargner un état qui ne veut avoir rien de commun avec la religion? Le pape pousserait-il l’amour de la concorde jusqu’à faire la guerre à ses amis les plus résolus et ne se mettre en paix qu’avec ses adversaires? Le souci de l’avenir lui commande de hâter la ruine d’un gouvernement persécuteur et l’avènement des catholiques seuls capables de rendre à l’église le repos.

La rupture du concordat aura donc pour conséquence de rendre prépondérante l’influence des laïques dans la politique religieuse. Et, parmi les laïques, lesquels, saisissant l’autorité, dirigeront les autres? Ceux qui auront déployé le plus d’ardeur et fait le plus de sacrifices à la cause commune. Or les hommes enflammés par le zèle religieux seront les plus intraitables dans leur haine contre un gouvernement impie. Ainsi la hiérarchie naturelle de l’église sera en quelque maniée renversée. Les pouvoirs modérateurs, expérimentés, réguliers, perdront leur crédit, la direction de l’église, dans ses rapports avec la société civile, tombera aux mains les plus passionnées, les plus irresponsables, les plus incompétentes. Quand ceux qui sont constitués pour commander seront réduits à suivre ceux qu’ils devraient conduire, les passions humaines se mêleront aux vertus chrétiennes, un souffle de colère emportera tout le monde, et la force religieuse, tournée en esprit de parti, s’élancera d’un assaut furieux contre l’état qui l’aura bravée.


V.

Dans cette guerre, les catholiques ont le choix entre deux conduites.

Ils vivent dans un pays où, depuis un siècle, on proclame que le but suprême du gouvernement est de respecter et d’accroître la liberté humaine, ils vivent sous une république établie comme le régime le plus propre à assurer cette liberté. Ils peuvent accepter les principes proclamés par ce régime et en réclamer le bénéfice. La preuve sera trop facile à fournir que les promesses sont violées par les actes. Empêchés de se réunir, de s’associer, de posséder, d’exercer leur culte, ils prendront le pouvoir en flagrant délit de contradiction avec lui-même. L’état, pour priver de ces droits l’église, les refusera-t-il à tous les citoyens ? les catholiques deviendront les défenseurs de tout le monde et leur intérêt se confondra avec l’intérêt public. L’état excluera-t-il de ces droits les seuls catholiques? il lui faudra justifier l’exception. Tant que le concordat existe, l’équivoque est facile : on excite la jalousie populaire contre les privilèges accordés à l’église et, sous ce prétexte, on refuse à l’église part aux libertés communes; quoi qu’on entreprenne contre elle, on semble rétablir l’égalité. Mais, quand toute faveur aura été refusée aux catholiques, leur interdire par surcroît les libertés établies pour tous les citoyens deviendra une violation manifeste de la légalité. Sous quel prétexte? Il faudra soutenir à la face du pays que l’état, au nom de l’intérêt public, est maître de rendre les citoyens inégaux en droits, il faudra déclarer les catholiques suspects, ou parce que leur triomphe menace la république, ou parce que leur doctrine offense la vérité, c’est-à-dire proclamer que la liberté n’est pas due à l’erreur, pas même à la contradiction. Pour enlever à de certaines prétentions leur force, il suffit de leur enlever leur masque. Com- bien il sera facile aux catholiques de l’arracher ! Ils invoqueront à leur tour l’œuvre de 1789 contre les indignes héritiers qui la déshonorent. Il faudra leur répondre si la liberté proclamée par nos pères devait être un privilège accordé seulement à ceux qui auraient fait un pacte avec elle ou une loi commune destinée à gouverner tout le monde, même ses ennemis. Il faudra leur répondre si un gouvernement a le droit de tenir pour ennemis des hommes qu’il n’accuse ni de complot, ni de violence contre les puissances de ce monde, mais seulement d’erreur sur l’existence du monde futur. Il faudra leur répondre enfin au nom de quelle infaillibilité ce gouvernement accuse d’imposture des croyances religieuses. Ils établiront que la réforme fondamentale de la révolution est d’avoir soustrait à la compétence de l’état le jugement de la pensée, que la noblesse du régime nouveau est d’avoir ouvert à toutes les doctrines accès au tribunal de la raison humaine, et de s’être fié, pour assurer le triomphe des unes et la défaite des autres, à la supériorité de la vérité sur l’erreur; que tourner la puissance de l’état contre une opinion, c’est renier toute foi en l’ascendant naturel de la vérité; que persécuter une opinion religieuse, c’est appliquer la contrainte où elle est le plus illégitime ; que le gouvernement agit contre les croyans comme avant la révolution il agissait contre les incrédules, et que sa prétention rétablit l’ancien régime. Ils prouveront surtout qu’ils ne sont pas seuls menacés, que la révolution française, dont le pouvoir actuel se réclame, après avoir proclamé ses principes, se laissa persuader de les suspendre contre l’église catholique, mais que le jour où il n’y eut plus de droits pour l’église, il n’y en eut pour personne, que la violence introduite dans l’état en devint bientôt l’unique moteur. Ils diront la leçon de ce mal : qu’il fut l’œuvre d’un petit nombre; qu’il se trouve, à toutes les époques et dans tous les peuples, des hommes tourmentés par le soupçon, la jalousie, la haine; que le danger permanent de toute société est de leur abandonner le pouvoir; que tout essai de violence excite leur esprit et leurs forces comme la fureur endormie des fauves se réveille à lécher le sang ; qu’ainsi il y a un siècle, la France modérée, sage, avide seulement de réformes, fut surprise, déchirée par le parti jacobin, que ce parti n’est pas mort, qu’il survit dans les républicains aujourd’hui maîtres du pouvoir; que, s’ils semblent aujourd’hui moins néfastes, il ne faut pas confondre une conversion avec une décadence et prendre pour un retour au bien leur vigueur amoindrie dans le mal. La nature, le but sont les mêmes, et l’on revoit dans ses traits distinctifs le parti qui emploie toujours la loi à mettre hors la loi ses adversaires, et écrit toute l’histoire sur des tables de proscription.

Ce n’est pas assez qu’ils convainquent leurs adversaires d’être les ennemis de la liberté, ils prouveront qu’eux-mêmes, présentés comme les ennemis de la liberté, en sont les plus loyaux, les plus anciens défenseurs. Ils rétabliront la vérité altérée par une tradition de mensonges. Ils rappelleront qu’ils ont dès l’origine pris parti pour les réformes nécessaires, que le clergé, par son alliance avec le tiers, a donné à la révolution la légalité ; par le sacrifice de ses biens, a donné à la révolution ses ressources; que même aux jours où les catholiques luttaient contre la erreur et périssaient sous ses coups, ils servaient encore la révolution, puisqu’ils défendaient la plus précieuse de ses conquêtes, la liberté de conscience. Ils rappelleront que cet esprit a survécu sous les divers régimes, qu’à certaines heures ils ont été les seuls gardiens de la dignité humaine; que, sous Napoléon, quand les anciens conventionnels continuaient à adorer sous une autre forme le despotisme, l’obéissance des catholiques seuls a eu des bornes; que, maîtres du pouvoir sous la restauration, ils ont instauré non-seulement en paroles, mais en actes, la liberté politique dans notre pays ; que les assemblées où ils dominaient en 1848, en 1871 ont été, à leur origine, hardies dans l’entreprise de rendre au peuple le gouvernement de lui-même, et que si, à certaines heures de trouble, ils ont, eux aussi, abaissé leur espoir jusqu’à souhaiter l’arbitraire ou subir la dictature, leur faute a été celle de la nation elle-même, sans préméditation, sans hypocrisie, et qu’ils n’ont jamais montré dans le despotisme la science, la ruse, la ténacité, le mensonge familier aux jacobins.

Pour peu que la France ail encore la volonté de demeurer maîtresse d’elle-même, de telles vérités ne seront pas stériles. Le jour où le peuple aura compris que la guerre faite à la religion est faite à la liberté, il condamnera la guerre. Le jour où, pour l’apaiser, il voudra détruire une politique oppressive des consciences, il enlèvera le pouvoir à ceux qui auront créé cette tyrannie, pour le remettre à ceux qui l’auront dénoncée. On a vu cela il y a une année en Belgique ; pourquoi les mêmes causes ne produiraient-elles pas en France les mêmes effets? La lutte aura alors donné aux catholiques une double victoire : la liberté religieuse et la suprématie politique.

Il se peut que le résultat soit plus considérable encore. L’œuvre de la révolution française a été longtemps placée par la piété publique au-dessus de toute controverse : la légende s’établit toujours avant l’histoire, parce que l’enthousiasme ou la haine n’attendent pas la justice. Mais, à mesure que le temps, juge des systèmes, s’écoule, la foi s’ébranle et le doute grandit. Les historiens qui racontent les actes de la révolution, les philosophes qui étudient ses doctrines, les politiques témoins de ses conséquences travaillent à une même œuvre de désenchantement. L’ancien régime n’avait établi une société forte qu’en sacrifiant les droits de l’individu ; le régime nouveau, pour assurer les droits de l’individu, a brisé les forces sociales. Beaucoup pensent que de ces deux erreurs la plus funeste est la dernière : que mettre l’individu au-dessus de la société, c’est préférer l’homme aux hommes, subordonner le principal à l’accessoire, et que ce principal n’est pas l’indépendance de l’individu, mais la vie de la nation. Un assemblage d’êtres où chacun veut rester son maître ne produit que l’anarchie. Il faut que des idées et des aspirations communes les unissent, et s’unir c’est se soumettre. La puissance publique a pour tâche de discerner les intérêts collectifs et permanens de la société, de leur assurer protection et d’empêcher que des esprits aveugles ou éclairés de fausses lueurs ne troublent cet ordre établi dans l’intérêt de tous. C’est cette tutelle nécessaire que détruit l’émancipation des volontés individuelles. La société moderne vacille et menace ruine parce qu’elle est vide d’autorité ; beaucoup le disent, plus encore le pensent et cherchent l’homme ou le parti qui la saura restaurer.

La persécution fournit aux catholiques le moyen d’être ce parti. Traités sans pitié, sans loyauté par ceux qui se disent les représentans de la révolution française, accusés d’être ses irréconciliables ennemis, ils auront peut-être, au lieu de nier, l’audace de demander ce que la révolution a fait de la France, si la nation est plus calme au dedans, si elle est plus grande au dehors ; ils oseront peut-être dire que des abus ont disparu, mais qu’ils ont été remplacés par d’autres et non moins visibles ; que le peuple autrefois le plus uni de l’Europe, le plus capable de suite dans ses desseins, est devenu le plus divisé d’idées, le plus inconstant, le plus inquiet; que son gouvernement représente ces contradictions et ces impuissances ; que la valeur des hommes va se proportionnant à la tâche où il est réduit ; que, par une sélection régulière et comme fatale, l’intelligence, le caractère, sont éliminés des fonctions publiques, et ces fonctions de plus en plus abaissées par l’indignité des occupans; que si la faveur des mauvais est précaire, l’impopularité des bons est durable, et, qu’à changer, le peuple ajoute seulement à ses autres maux celui de l’instabilité. Ils oseront conclure que des principes justes ne sauraient produire des résultats funestes ; que si la liberté, avant 1789, manquait aux individus, elle fait défaut aujourd’hui au pouvoir, qu’à son tour il est devenu serf, qu’il faut lui rendre l’indépendance, la dignité, la responsabilité, lui restituer un patrimoine dont chacun détient aujourd’hui un lambeau ; et qu’il est temps de faire, au nom de l’autorité, une contre-révolution.

Quelle force ne donnera pas à cette politique la conduite des républicains ! Dans la palinodie commune à ces fils de la révolution si insatiables de liberté pour devenir populaires, si pressés quand ils deviennent nos maîtres d’imposer d’autorité leurs opinions, leur morale, leur philosophie, le parti catholique signalera une nécessité plus forte que les convictions anciennes et les engagemens de partis. Il ne reprochera plus à ses adversaires de ne pas tenir ce qu’ils avaient promis, mais bien d’avoir promis ce qu’ils ne pouvaient tenir. Il montrera comment, si peu préparés soient-ils au pouvoir, les démagogues eux-mêmes, quand ils y parviennent, sentent le péril de leur doctrine, voient la nation se dissoudre faute des liens que crée la communauté des croyances, et si légers soient-ils à porter les responsabilités, sont entraînés par le bon sens et le patriotisme à rétablir dans la nation une discipline, dans l’état une tutelle; comment même, sous un gouvernement détestable, la société garde l’instinct de la conservation et tend à substituer à l’anarchie, où elle périrait, des principes dirigeans.

Mais après avoir recueilli cette contradiction des jacobins comme l’aveu, décisif dans leur bouche, que le premier besoin de la société est un pouvoir fort, le parti catholique établira que cette contradiction empêche à jamais les jacobins de créer un tel pouvoir. L’autorité n’appartient pas à quiconque rêve de l’exercer, on ne s’en saisit pas comme d’une conquête, elle est une vertu morale ; et la première condition pour atteindre à la force est d’inspirer le respect. Ne se jugent-ils pas eux-mêmes, les hommes qui, après avoir systématiquement combattu et détruit dans la nation les traditions, les croyances, le trésor de son unité morale, avouent l’urgence de tout rétablir? Par quoi prétendent-ils le remplacer et sur quelles idées sont-ils d’accord eux-mêmes? Quiconque aspire à gouverner les hommes doit connaître et leur dire le but de la vie : c’est de leur destinée que découlent leurs devoirs. Les fils de la révolution, après avoir rejeté les hypothèses religieuses et borné leur regard à ce monde, ont-ils trouvé le moyen de justifier la société, ses inégalités et ses misères? Ont-ils trouvé le moyen de la changer? Rien égale-t-il la contradiction de leurs systèmes et de leurs remèdes, sinon leur commune impuissance ? Est-il enfin un ridicule comparable à celui de politiciens qui, après avoir organisé l’instabilité de tous les pouvoirs et leur soumission aux caprices populaires, s’imaginent de régler en maîtres le présent et s’inquiètent de l’avenir, sortis par un hasard de la foule dans laquelle ils seront replongés demain, veulent former les générations successives sur un plan conçu par eux, négateurs de l’âme se croient charge d’âmes, et s’arrogent une sorte de droit divin pour supprimer Dieu ?

À cette tentative misérable les catholiques opposeront la puissance de leur organisation. Unis dans une foi commune, soumis à une forte hiérarchie, eux du moins échappent à l’anarchie des idées. Leur croyance en un monde futur explique le monde présent, rend ses iniquités supportables, puisqu’elles ne semblent plus un défi, mais un retard de la justice, donne aux favorisés la pensée qu’ils détiennent une part du bonheur des autres, aux malheureux l’espoir qu’ils épuisent leur part de douleurs, et par suite légitime l’ordre social, que nul jamais n’a pu changer.

Oserait-on affirmer que le jour ne viendra jamais où la France, lassée d’aimer la liberté sans l’avoir obtenue jamais, livrée par l’impuissance du pouvoir aux expériences de la démagogie, aspirera à retrouver des traditions, des croyances, une autorité puissante, et, comme Israël, cherchera des chefs pour fuir le désert de ses libertés et trouver, sous leur conduite, la terre promise? Ce jour-là, elle ne choisira pas ceux qui l’auront instruite dans l’erreur, trompée sans cesse, dont elle aura éprouvé l’indifférence pour ses maux, la lâcheté devant tous les périls, l’ineptie dans le conseil. Elle portera sa confiance à ceux qui n’auront pas été complices de ses longues fautes, auront gardé les principes les plus sûrs, la hiérarchie la plus solide, le sentiment le plus profond de l’autorité, et seront les plus capables d’inspirer au pouvoir le respect du peuple et au peuple le respect du pouvoir.

La rupture entre l’église et l’état prépare une réaction catholique. Libérale, cette réaction menace le pouvoir du parti républicain, conservatrice, l’œuvre de la révolution. Sont-ce là des hasards que des amis de la révolution et de la république aient le droit de provoquer? Et quand l’indifférence générale, ou même les progrès de la haine contre l’église tiendraient attachés à un régime persécuteur la majorité des Français, on ne niera pas que les catholiques, trop peu nombreux pour dominer l’état, ne soient assez nombreux pour le troubler. Est-ce un avantage pour un gouvernement d’avoir l’hostilité irréconciliable d’un grand parti ? Est-ce un faible danger pour un pouvoir fragile comme l’opinion publique, et toujours à la merci d’un incident, d’engager la lutte contre une association disciplinée, ardente et sûre de durer? Est-ce un progrès vers l’accord des esprits et le rétablissement de l’unité nationale, que d’exclure à jamais de l’entente une partie de la nation ?


VI.

Toute politique de nature à affaiblir la France au dedans la compromet au dehors. Plus que toutes les autres, les fautes commises dans les affaires religieuses s’étendent par-delà ses frontières.

Le pouvoir a trois origines : il se conquiert par la force, par les intérêts, ou par les idées. Ces trois sources unies ont longtemps alimenté la fortune de la France : elle a eu à la fois la prépondérance des armes, la grandeur du commerce, la dictature des idées. Depuis, deux de ces sources semblent tarir pour nous et coulent pour d’autres. Un peuple s’est élevé au milieu de l’Europe comme la statue colossale de la guerre. Un autre peuple, maître de la mer et uni par elle à des colonies étendues comme des empires, a accaparé les échanges et ne laisse à toutes les autres nations que le superflu de sa richesse. Pas une de ces nations n’a été victime de ces changemens à l’égal de la France. C’est à elle que l’Allemagne a enlevé la primauté des armes, à elle que l’Angleterre a enlevé la primauté du commerce; les dépouilles d’un peuple ont fondé la grandeur de deux autres. Une seule puissance nous reste. Tandis que les uns conquièrent par le soldat et les autres par le marchand, la France conquiert encore par l’apôtre.

Que l’on ne considère pas comme méprisable cette dernière supériorité que nous ait laissée la fortune. La plus haute ambition qui puisse tenter un pouvoir n’est pas de retenir les hommes ou les peuples par l’intérêt ou par la force. La force laisse les esprits rebelles, l’intérêt les laisse calculateurs; une puissance fondée sur la crainte ou l’égoïsme est à la merci du premier revers. Il n’y a de durables, de vraiment supérieures aux hasards, que les autorités conquérantes des âmes; celles-là seules sont maîtresses des volontés, obéies par devoir, respectées dans l’infortune et peuvent détenir des sacrifices. Tel est le caractère de la puissance religieuse, la plus absolue de toutes ; c’est à elle que les peuples les plus belliqueux ou les plus riches aspirent quand ils ont l’intelligence véritable de l’ambition. L’Angleterre s’est faite, dans l’univers entier, le champion du protestantisme ; la Russie appelle autour d’elle les multitudes slaves au nom de la foi orthodoxe ; le protectorat qu’elles revendiquent sur leur culte, la France le possède sur les catholiques depuis plus de temps, avec plus d’autorité, avec plus de droits.

La France, en effet, n’a pas été seulement une nation catholique, mais la nation catholique dans le monde. Chaque race a ses vertus, la nôtre a le don de l’apostolat. Son histoire est une propagande ; elle semble faire, moins pour elle que pour les autres, ses révolutions et ses idées. Les idées furent longtemps des croyances. La France se forma parce qu’une peuplade conquit au nom de la foi catholique ses voisines hérétiques ou païennes. A peine constituée, elle poursuivit sa mission par les croisades. Elle était si visiblement l’inspiratrice de ce mouvement où elle entraîna l’Europe qu’elle sembla seule : pour les Orientaux, les guerriers eurent un seul nom, les Francs, et la vaillance de toute l’Europe n’accrut que notre renommée. Peu à peu la preuve a été faite que la violence n’ouvre pas le chemin à la foi; la France, la première, comprit alors la parole de l’évangile, qui promet aux doux la victoire, et elle lança sur le monde de nouveaux soldats de la croix. Ceux-ci n’ont pas le droit de répandre le sang, sinon le leur; avec ce sang, ce n’est pas une ville qu’ils prétendent racheter, c’est le monde infidèle ; le tombeau qu’ils veulent conquérir est chaque âme dans laquelle le Christ n’est pas encore ressuscité. Étendues, purifiées, les croisades sont devenues les missions. Comme elle avait commencé les unes, la France a commencé les autres, plusieurs nations ont suivi son exemple, mais aucune n’a recruté ni ne renouvelle une armée aussi nombreuse, aussi héroïque, aussi conquérante.

Or on peut discuter si les missionnaires sont les messagers d’une vérité divine, on ne saurait nier qu’ils soient les ambassadeurs de la civilisation humaine. Ils dressent leurs autels sur les ruines des cultes cruels ou barbares, ils apportent avec eux des arts, des sciences, révèlent à chaque contrée ses richesses et la font connaître au monde, surtout ils apprennent à la barbarie la loi de la fraternité, dans des sociétés où les races, les castes, les individus s’oppriment et se méprisent, ils introduisent la réforme mère de toutes les autres, l’amour et le respect de la personne humaine. Heureux les peuples que de tels imposteurs découvrent et transforment ! Heureux aussi le peuple qui produit de tels imposteurs ! Leurs bienfaits fondent leur influence, ils rendent populaire non-seulement la foi qu’ils professent, mais la langue dans laquelle ils l’enseignent et la patrie d’où ils viennent. Cette patrie, grâce à eux, possède sans un effort une influence morale que la conquête ne lui aurait pas donnée, et si elle veut obtenir des avantages plus tangibles, la route est ouverte à son commerce et à la diplomatie.

Voilà ce que de tout temps la France a compris. La religion d’état avait établi entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux communauté de croyances ; l’état sous ce régime devait son appui aux missions comme à la propagande de la vérité. Le concordat avait laissé entre les deux pouvoirs une alliance d’intérêts ; sous ce régime, l’état avait à cœur de soutenir l’œuvre comme utile. Qu’il servit la foi ou se servît d’elle, il tenait pour son office de la développer. Ses faveurs entouraient les missionnaires et rendaient leur vocation plus facile, la vigilance les suivait partout où ils exerçaient leur ministère, son intervention diplomatique et parfois sa force militaire contraignaient les nations infidèles à respecter la vie et l’œuvre des missionnaires, à réparer les offenses, à expier les attentats commis contre eux. Il a toujours traité ces hommes comme s’ils remplissaient une fonction publique, il a voulu qu’ils fussent accueillis comme les envoyés de la nation. Il tenait si bien toute conquête religieuse pour une victoire nationale qu’il a protégé les missionnaires étrangers comme les siens, et qu’il a osé réclamer et obtenir des souverains infidèles le droit de protéger contre eux-mêmes leurs sujets devenus chrétiens. Il savait que la religion, victorieuse de la race, faisait serviteurs et amis de la France tous ceux qui prêchaient ou recevaient l’évangile. C’est cette puissance légitimement usurpée par le dévoûment de la France et consacrée par la souveraineté spirituelle, que les divers peuples de l’Europe ont été contraints de reconnaître. Au milieu de nos humiliations, l’éclat de notre apostolat demeurait intact, et, dans son dernier congrès, l’Europe reconnaissait nos droits.

La séparation accomplie entre l’état et l’église, que reste-t-il de cette primauté ? Sans doute la fertilité de la France chrétienne ne s’épuisera pas parce que le gouvernement dédaignera de recueillir la moisson. Ce n’est pas la faveur des ministres qui suscite les apôtres. Mais la puissance publique peut accroître ou diminuer les obstacles que de telles vocations trouvent toujours dans les faits. Le jour où l’état aura rompu toute communauté entre lui et l’église, ses lois deviendront le premier, peut-être le plus grand obstacle à notre propagande. Ceux qui se seront formés sans son concours devront travailler sans son appui ; les diplomates ni les soldats ne sont au service des aventuriers qu’attire au dehors le soin d’intérêts étrangers à leur nation et suspects chez elle. Par cela seul que la puissance publique de leur pays cessera de les protéger, la puissance publique des contrées où ils pénètrent, et qui révère seulement les messagers de la force, fera tomber sur ces violateurs du culte, des usages, des vices nationaux le poids d’une haine sans péril. Aux martyres qui terminent tant d’apostolats, aux destructions sauvages qui ruinent tant de chrétientés, malgré la protection de nos armes et la certitude du châtiment, on peut mesurer ce qui restera des prêtres et de la propagande catholique le jour où le fanatisme des gouvernemens infidèles n’aura plus rien à redouter.

S’il se trouve des politiques disposés à croire que, pour maintenir l’ancien ordre des choses, il suffira d’une contradiction et que le même état pourra être au dedans le destructeur et au dehors le patron du catholicisme, ils se trompent. Non-seulement il se sera enlevé les moyens de maintenir son protectorat, il sera déchu de son droit à l’exercer. Ce droit est une délégation de l’autorité religieuse. La papauté a pu se reposer d’intérêts religieux dont elle a charge sur la France quand la France tenait à honneur son nom de puissance catholique, maintenant avec Rome une alliance séculaire, des rapports continus. Mais, du jour où la France aura répudié ce passé, où l’irréligion des lois, la dénonciation du concordat, la rupture des rapports diplomatiques, auront entre les deux puissances supprimé l’unité de vues, les engagemens et jusqu’à la parole, sous quel prétexte la papauté laisserait-elle le droit de représenter le catholicisme au pouvoir qui veut être étranger au catholicisme? A-t-elle, en conscience, le droit de se fier pour la protection des chrétiens à qui médite ouvertement la ruine du christianisme? Ne serait-ce pas une faiblesse coupable de maintenir ses dignités à cette fille aînée de l’église qui renie sa mère? Et les autres filles, toujours jalouses et demeurées fidèles, les autres puissances de l’Europe supporteront-elles plus longtemps un patronage qui, même justifié, coûtait à leurs intérêts, à leur orgueil ? S’imagine-t-on qu’elles consentent à laisser le soin de gouverner leurs communautés chrétiennes, dans les pays infidèles, à une nation qui aura abandonné au hasard sur son propre sol, comme chose vile, les destinées de l’église? La séparation leur fournira le prétexte qu’elles cherchent. Elles revendiqueront le droit de protéger leurs nationaux. Comment le saint-siège leur refuserait-il une faculté naturelle, et qu’elles sont prêtes à exercer dans l’intérêt de l’église, pour nous maintenir un privilège que justifiait seule la supériorité de notre zèle désormais tari? Et quand Rome aura cessé de nous reconnaître le rang que sa patience nous garde encore, comment nous maintiendrons-nous et ferons-nous la guerre aux puissances catholiques de l’Europe pour protéger leurs nationaux malgré elles? Heureux si nos propres missionnaires, condamnés par notre politique à un abandon qui est la ruine de leur œuvre, ne sont pas réduits à accepter eux-mêmes, pour eux et pour leurs fidèles, la tutelle d’un de ces états catholiques, aujourd’hui encore nos cliens, et si les conquêtes de vertus françaises et d’un sang français ne viennent pas accroître l’influence de nos rivaux!


VII.

Une seule raison légitimerait l’abandon par la France de son rôle traditionnel. Les religions, parfois, déclinent et disparaissent. Si le catholicisme est une religion morte ou mourante, les politiques ont le droit de se séparer d’elle. Mais qu’ils jettent un regard sur le monde et qu’ils disent quelle religion occupe une plus grande place dans la politique des états.

Le rang que la France va abandonner, peut-être, est disputé déjà par l’Autriche et par l’Italie. La première, où qu’elle porte ses regards, constate l’importance de son union avec le catholicisme. Si l’espoir secret de reprendre sa place en Allemagne la tentait jamais, elle se souviendrait que les divergences confessionnelles demeurent comme une cause latente de conflits, entre la Prusse et les états catholiques de l’Allemagne nouvelle. Si l’Autriche laisse détourner vers l’Orient le cours définitif de ses destinées, les peuples slaves se présentent à sa tutelle, mais disputés par d’autres protecteurs. La péninsule des Balkans a tour à tour appartenu à tant de maîtres, les races diverses y sont à ce point mêlées, que les nationalités ne s’y distinguent plus par le sang, mais par la foi. A l’influence orthodoxe l’Autriche oppose l’influence catholique. Les Slaves de cette religion l’ont, pour la plupart, partie de son empire, elle agit par eux sur ceux qui sont hors de ses frontières, et, pour assurer une base solide à sa propagande et des gages à ses futurs desseins, a assis son protectorat sur les communautés catholiques répandues comme des îles dans la vaste mer du monde orthodoxe. Elle se tient prête à étendre la main sur les communautés, autrement florissantes, dont la piété française a semé l’Asie-Mineure ; elle sait quelle puissance elle aurait acquise le jour où, en face de la Russie, elle s’établirait à Constantinople comme la mandataire de la religion catholique.

Plus catholique encore dans le passé, l’Italie a, pour devenir une, emprunté à la révolution ses soldats et sa méthode. Sans capitale, sans ressources, elle a pris à la papauté ses biens et Rome. La papauté n’a pas cessé depuis ce jour d’élever la voix : la spoliation, l’unité accomplie grâce à elle, la famille royale qui recueillait le fruit de l’iniquité, ont été ensemble condamnées par l’église. Quels prétextes pour en finir avec une religion qui, là, se déclare l’ennemie de l’état et se dresse comme irréconciliable avec le sentiment national ! Mais le génie italien est trop pénétrant pour ne pas comprendre que de pareilles luttes sont sans victoires. Autant il a été résolu dans les destructions nécessaires à son dessein, autant il a été attentif à n’aggraver par aucune blessure inutile les ruptures commencées. Il a couvert la spoliation du nom de la patrie, mais, la patrie faite, s’est souvenu qu’elle a une population catholique à satisfaire au dedans et aussi une clientèle catholique à assurer au dehors. Libre de chasser le pape, et forcée de le faire si elle voulait paraître vraiment maîtresse de Rome, l’Italie a reconnu à son irréconciliable adversaire le caractère souverain, elle a voulu garder sur son sol, et peupler d’Italiens, toujours attachés à leur race, ce gouvernement religieux qui étend dans le monde entier son action ; elle dispense du service militaire pour les donner à l’armée des missions les jeunes hommes que tente ce ministère, elle les envoie nombreux sur les rives de la Méditerranée, dans les pays même où nous exerçons notre protectorat, à Tunis, en Syrie, en Palestine ; elle rêve, car elle a toutes les audaces dans toutes les souplesses, de faire reconnaître son zèle par la papauté même, de recevoir des privilèges de la main qu’elle a dépouillée. Si le souvenir de ses attentats ne nous protégeait pas, elle nous aurait supplantés, mais elle est patiente, elle compte que la grandeur de nos fautes fera oublier les siennes, et elle ne tiendra son unité pour achevée que le jour où elle héritera de nous.

Même les nations étrangères au catholicisme, même celles qui, passionnées pour une autre religion, auraient le droit de le haïr et ont tenté de le détruire, reconnaissent sa puissance et se résolvent à vivre en accord avec lui. Nulle part peut-être « l’idolâtrie papiste» n’a excité plus de haines qu’en Angleterre, nulle part des mesures plus rigoureuses n’ont été prises contre les catholiques. Sur aucun point du territoire ils n’étaient traités en citoyens ; en Irlande, ils n’étaient même pas traités en hommes. La persécution qui devait assurer son repos l’a seulement troublé : elle a fini par reconnaître que la justice était la forme nécessaire de l’ordre. Elle a appris à respecter dans le catholicisme un élément de cet ordre, elle ne croit plus qu’il la menace, mais qu’il l’aide, elle tolère ses évêques, elle a noué des rapports avec le saint-siège; dans les jours sanglans qui la menacent, elle sera peut-être heureuse de le trouver pour médiateur, car si une puissance au monde est capable d’incliner à la patience l’âme de l’Irlande exaspérée par une iniquité de trois siècles, c’est la voix respectée de ses prêtres.

Ce qu’est l’Irlande pour l’Angleterre, la Pologne l’est pour la Russie. En vain la Russie a tenté d’en finir avec ce peuple partagé dont les lambeaux s’obstinaient à vivre. Elle avait discerné que la foi catholique perpétue en lui la patrie : elle avait entrepris contre la religion une guerre comme la savent conduire ceux qui, en supprimant un danger, espèrent tuer un remords. Mais même où elle a fait la solitude elle n’a pas trouvé la paix, et pour obtenir cette paix sur le sol gardé par ses armes, elle a dû la demander au chef du culte proscrit. Des négociations sans cesse rompues et toujours reprises entre elle et le saint-siège témoignent qu’elle n’a plus foi dans la violence, et sa fierté qui se révolte encore contre les conditions nécessaires d’un accord durable imitera tôt ou tard l’exemple donné par le grand peuple son voisin.

Ce peuple, le plus orgueilleux de sa force matérielle, l’Allemagne, après avoir rétabli l’empire, a songé à rouvrir la vieille querelle de l’empire et du sacerdoce. Cette fois, les catholiques sont dans le corps germanique une minorité, le protestantisme a ceint la couronne et tient l’épée, l’homme qui a fait l’empire espère achever contre l’église le cours non interrompu de ses victoires. La Pologne encore, l’Alsace, la Bavière sont les pierres branlantes dans l’édifice élevé par son génie. Partout où sont ses adversaires ou ses amis moins sûrs, les catholiques dominent. Le chancelier se propose de plier l’indépendance trop fière que leur religion leur enseigne, et les veut moins bons catholiques pour qu’ils soient meilleurs Allemands. Leurs prêtres leur soufflent la révolte qu’ils apprennent eux-mêmes de Rome. Il suffira que le gouvernement ferme les séminaires, instruise le clergé dans ses propres écoles, lui enseigne la mission providentielle de la force et l’infaillibilité de l’état, et choisisse pour gouverner les paroisses et les diocèses les hommes dont il aura éprouvé la souplesse ou le dévoûment. A la vérité, ces séminaires, ces paroisses et ces diocèses ont des titulaires dont on ne saurait espérer la retraite volontaire, ni attendre la mort. Mais un pouvoir qui a détrôné des rois saura chasser des évêques ; des soldats qui ont abattu d’un coup l’Autriche et six mois tenu la France sous leurs talons n’ont devant eux qu’une armée d’écoliers et de vieillards. La lutte s’engage, elle dure huit années, et à mesure qu’elle se prolonge l’agitation des consciences s’accroît, le mécontentement public s’affirme, un parti se forme pour combattre la persécution religieuse, et devient assez puissant pour faire échec au chancelier. Faible obstacle, il est vrai, que l’opinion pour un tel homme; il sait la faire, non la subir, et aucun parlement ne l’empêcherait d’accomplir une tâche qu’il jugerait utile à l’empire; mais il a contre lui sa propre conscience. Il voit clairement qu’à persécuter l’église il n’a fortifié ni le protestantisme, ni la couronne, ni lui-même, qu’il use sans profit ses forces et compromet le repos du pays. Et dès qu’il est éclairé il est résolu. L’homme qui excelle aux œuvres de fer et de sang, que ni scrupules, ni respects n’arrêtent, montre son génie sous une face nouvelle : il ose se déclarer vaincu. Ni la colère d’un échec, le premier qu’il ait essuyé, ni la mauvaise honte de reconnaître son erreur, ne suspendent sa marche. Il va à Canossa malgré sa parole, plus grand peut-être le jour où il assure, en sachant se contredire, la paix religieuse à son pays, que le jour où, poursuivant ses guerres heureuses, il plaçait sur la tête de son maître la première couronne de l’univers.

Au moment où la sagesse de tous les peuples donne les mêmes leçons, met fin aux luttes confessionnelles et partout recherche l’alliance du catholicisme, sur un seul point du monde, des hommes qui se croient politiques et se disent patriotes préparent une guerre entre l’église et la société. Le pays choisi par eux pour cette expérience est celui où les catholiques forment une population plus nombreuse et moins divisée, où le catholicisme, aussi ancien que la nation, a pénétré dès les origines, dominé l’histoire, formé les mœurs, inspiré le génie. Ils veulent cette lutte après une révolution qui a réformé les abus anciens de l’église, dépouillé le sacerdoce de ses richesses, de son autorité politique, près de cent ans après un traité qui a mis le clergé dans la dépendance du pouvoir civil, donné les charges ecclésiastiques à des hommes nés du peuple, formé des prêtres réguliers de mœurs, charitables, dévoués à leur patrie. Ils ont commencé les hostilités le jour où dans la nation mutilée par la guerre étrangère toute discorde devenait sacrilège, où dans les provinces perdues le clergé catholique demeurait l’âme de la protestation contre la conquête et de la fidélité à la patrie. Ils vont consommer la rupture le jour où la France, isolée par la forme de son gouvernement, suspecte par les fautes de ses chefs, a dans la papauté son dernier ami, et dans le protectorat catholique sa plus puissante influence au dehors. Ils continuent par leurs lois le mal que l’envahisseur avait commencé par ses armes. Leur crime est d’enlever durant la paix à leur patrie les forces que la guerre même avait respectées. Ces hommes, consciens ou non, sont les ennemis de la France.


ETIENNE LAMY.

  1. Constitution des États-Unis, premier amendement.
  2. Act to put an end to the establishment of the church of Ireland (32 and 33 vict., c. 42).
  3. Proposition de M. Boyseet et d’un grand nombre de ses collègues sur l’abrogation du concordat, prise en considération par la chambre le 13 mai 1882.— Proposition de MM. Yves Guyot et cinquante-huit de ses collègues sur la séparation facultative des cultes et de l’état, présentée le 27 mai 1886.— Proposition de MM. Planteau et Michelin sur l’abrogation de la loi du 6 germinal an X. — Proposition de M. Jules Roche et quarante de ses collègues sur la séparation de l’église et de l’état, prise en considération par la chambre, le 15 mai 1882, article 2 : « La république française ne salarie ni ne subventionne aucun culte; elle ne fournit aucun local pour l’exercice des cultes, ni pour le logement de leurs ministres; » article 3 : « A partir de la promulgation de la présente loi, l’état, les départemens, les communes rentreront immédiatement en pleine possession et jouissance de leurs immeubles actuellement affectés au service des cultes ou aux logemens de leurs ministres ou des congrégations religieuses.
  4. Rapport de M. Paul Bert sur le concordat et la séparation des églises et de l’état, 31 mai 1883, p. 32 : « Ici les embarras sont grands et bien variées les solutions d’un aussi difficile problème. Les uns s’efforcent de trouver les mesures protectrices dans l’ordre matériel et de limiter la possibilité d’acquérir même pour les biens meubles... Enfin, des hommes politiques importans déclarent qu’il faut, pour ramener définitivement la paix dans les esprits, faire que la liberté de l’église ne soit pas un vain mot : « Il faut, dit M. Bonghi, que les lois civiles permettent aux cultes d’exister, non d’une manière précaire et au jour le jour ; il faut que chacun d’eux puisse se déployer dans les formes diverses propres à sa nature... A l’association religieuse on ne peut refuser la faculté de se constituer, selon son caractère propre et d’une manière durable.» On ne peut donc supprimer les corporations monastiques, ni les fondations pieuses perpétuelles. Mais l’église catholique étant une association qui s’étend au-delà de la juridiction territoriale de l’état, celui-ci ne peut, tout en la reconnaissant comme association, lui donner la personnalité civile et le droit d’acquérir. Ce droit ne doit être accordé qu’aux associations partielles, comme les paroisses, les diocèses, les fondations. » — Proposition de M. Jules Roche précitée, article 16 : « Dans le cas d’association légalement reconnue, aucune de ces associations faites dans un but religieux ne pourra acquérir, recevoir, ni posséder, ni directement, ni par personne interposée, aucun autre immeuble que ceux strictement nécessaires à l’exercice du culte et dont la contenance est déterminée au maximum à un hectare. Lesdites associations ne pourront en aucun cas, ni sous aucune forme,.. se syndiquer entre elles sous peine de dissolution immédiate.
  5. Proposition Jules Roche, article 15 : « Les Français peuvent s’associer librement dans un but religieux... Dans le cas d’association de fait, les associés ne peuvent procéder que conformément aux règles des articles 815 et suivans du code civil sans qu’il puisse en aucune manière être fait application des dispositions du même code sur le contrat de société. » L’article 815 est ainsi conçu : « Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision, et le partage peut toujours être provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires. On peut cependant convenir de suspendre le partage pendant un temps limité : cette convention ne peut être obligatoire au-delà de cinq ans, mais elle peut être renouvelée.
  6. Rapport de M. Paul Bert, p. 48 : « Les fidèles de l’église catholique auront-ils le droit de se réunir comme bon leur semblera, leurs ministres celui d’enseigner et de prêcher sans autres restrictions que celles qui sont imposées à tous les citoyens?.. Aucun membre de la commission ne s’est fait l’interprète de cette thèse logique. »
  7. Art. 44 de la loi du 26 messidor an IX.
  8. Art. 261 du code pénal.
  9. M. Madier de Montjau, discours du 7 juillet 1879 : « Au lieu d’être le développement de l’homme par l’union libre, la congrégation est l’anéantissement de l’homme par l’asservissement de tous à un ou à quelques-unes, l’exploitation de la masse par une autocratie ou une aristocratie concentrée... Vœu de chasteté, vœu négatif de la sociabilité même ; vœu de pauvreté et vœu d’obéissance, atteintes flagrantes au bonheur, à la liberté, à la dignité de l’homme, tous vous êtes autant de coups portés à sa vie, à ses droits... »
  10. Proposition de M. Gatineau pour l’abrogation des lois sur le rétablissement des congrégations et de mainmorte. (Session de 1881.)
  11. M. Henri Brisson, discours du 9 décembre 1880 : « Comme la société non autorisée ne peut acquérir, comme elle n’a pu prescrire, comme les biens en question sont devenus des biens sans maître, ils appartiennent à l’état. — Proposition Jules Roche, article 9 : La loi ne reconnaît ni vœux, ni aucun engagement contraire aux droits naturels de l’homme. Elle ne permet aucune association ayant pour objet d’aliéner la personne humaine. » Article 10 : « En conséquence, les autorisations accordées à des congrégations religieuses sont révoquées et toutes les congrégations religieuses sont éteintes et supprimées. » Article 11 : « Les biens détenus par les congrégations et communautés non autorisées appartiennent à l’état, qui en prendra possession immédiate.
  12. M. Madier de Montjau, discours cité : « j’applique sans plus d’hésitation au clergé séculier le même droit applicable déjà aux congrégations non autorisées... Ce que je vous conseille, faites-le vite si vous voulez que nous soyons ce que nous devons être, la république vraie, la république française du XIXe siècle. »