La Pornocratie, ou les Femmes dans les temps modernes/2

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II

Parallèle de l’homme et de la femme.

Il n’y a pas de puissance sans beauté, et, réciproquement, pas de beauté sans puissance, pas plus qu’il n’existe de matière sans forme, ou de forme sans matière ; c’est pour cela qu’on dit une beauté mâle et une femme forte; c’est pourquoi la femme a sa part dans la production domestique, de même que l’homme a la sienne dans l’art de bien vivre, qui n’est autre que le ménage même.

Mais la puissance et la beauté, bien qu’aussi intimement unies par la matière et la forme, ne sont point une seule et même chose ; leur nature n’est point identique, leur action encore moins. Aucun effort de la pensée ne saurait les réduire à une commune expression. C’est ce qui fait qu’en dehors de la sexualité organique, il existe une différence que tout le monde sent et que la raison proclame irréductible entre l’homme et la femme. Mais cette différence ne serait-elle point illusoire ? Faut-il n’y voir, comme vous le prétendez, mesdames, qu’un effet de l’éducation et de l’habitude, à tel point qu’on puisse espérer, par un changement de régime, de la faire disparaître et de ne laisser subsister entre les sexes d’autre différence que celle de l’appareil générateur ? En d’autres termes, le système des rapports entre l’homme et la femme, que j’ai cherché à établir sur l’équivalence de leurs attributs, doit-il être fondé au contraire sur l’ÉGALITÉ et l’IDENTITÉ de ces mêmes attributs ? Toute la dispute est là.

Notons que de la loi des sexes dépendra celle de la famille, par suite, l’ordre de la société, la constitution de l’humanité tout entière.

J’ai dit que les faits confirmaient ce que révèle à tout individu de bonne foi le premier aperçu, savoir : Que l’homme est plus fort, mais moins beau ; la femme plus belle, mais moins vigoureuse. Là-dessus vous faites de grandes ricaneries. Vous niez les faits, parce que, contrairement à ma propre thèse, vous vous imaginez que je les cite à mauvaise intention. Vous allez jusqu’à dire que je n’ai point produit de faits ; bien plus, que les faits sont pour vous. La femme surprise en adultère nie toujours; à l’en croire, son mari lui aurait encore de l’obligation. Rappelons donc, au moins sommairement, les faits, et de manière à ce qu’on ne les passe plus sous silence.

Facultés physiques. — Prenez au hasard, dans les différentes classes et conditions de la société, deux jeunes gens, un paysan et une paysanne, un ouvrier et une ouvrière, un damoiseau et une demoiselle ; prenez, à d’autres degrés de l’échelle, un homme fait et une femme, un vieillard et une vieille, ou bien un adolescent et une adolescente, un petit garçon et une petite fille, et faites-les lutter. C’est une expérience que chacun peut faire par soi-même, que j’ai faite cent fois au temps où j’étais berger. Il pourra se faire quelquefois que le sort désigne pour la lutte un garçon faible et une fille très-forte, qui alors remportera la victoire. Mais quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, vous trouverez que le mâle sera le maître. Voilà un fait. En revanche, vous trouverez un pareil nombre de fois la femme plus belle que l’homme. Ce second fait est la contre-partie de l’autre.

Est-ce la nature qui a établi entre eux cette différence ? Il est facile d’en juger : il suffit des yeux. Comparez l’Hercule Farnèse, le gladiateur, le Thésée ou l’Achille à la Vénus de Milo, à la Vénus de Médicis, à la Diane Chasseresse : est-ce que les uns ne sont pas organisés pour la force, les autres pour la beauté ? Faites comparaître, comme à Sparte, dans l’arène, toute la jeunesse, toute la population : l’effet produit sera le même. Tel est le fait, fait qui se répétera autant de fois, ou peu s’en faut, que vous aurez formé de couples.

C’est peut-être le régime qui en est la cause, direz-vous. Nous allons voir. Jusqu’à l’époque de la puberté, la différence entre garçons et filles est peu de chose : Fourier les appelait le sexe neutre. Leur régime est aussi, à peu près, le même : s’il y a quelque différence, c’est en prévision de ce que la jeune fille doit inévitablement devenir. Aussi, en même temps que les adolescents, de même que les petits enfants des deux sexes se rapprochent davantage pour la force, ils s’éloignent moins pour la beauté ; de là, en partie, cet amour grec, sur lequel je n’ai pas besoin, mesdames, de m’expliquer avec vous. Tout à coup, chez l’un et chez l’autre sujet, la physionomie change : les formes deviennent plus anguleuses chez l’un, plus arrondies chez l’autre ; le développement des hanches et du sein, en donnant le dernier trait à la beauté de la femme, lui ôte en même temps l’agilité. Les anciens poètes ont fait d’Atalante, de Camille, des femmes légères à la course : pure fiction ! La rapidité de la femme est chose impossible ; elle porte proportionnellement plus de poids mort que l’homme. Relisez, dans l’Émile, la description de la joute entre Émile et Sophie ; vous verrez quelle drôle de figure fait une femme disputant à un homme le prix de la course. Relisez, dans le poème de Quintus de Smyrne, le combat d’Achille et de Penthésilée, la reine des Amazones, et vous verrez l’énorme différence qu’il y a, même au point de vue du merveilleux épique, entre un héros et une héroïne. Si Camille, Atalante, Diane elle-même, avaient le pied aussi léger que l’ont dit les poètes, c’est qu’elles n’étaient pas jolies femmes : le centre de gravité devait être placé chez elles, comme chez l’homme, dans la poitrine ; elles avaient la jambe maigre, la hanche évidée, et pas de gorge.

En voulez-vous davantage ? En Amérique, on n’emploie pas les femmes aux travaux des champs, et, d’après le récit de tous les voyageurs, elles n’en sont que mieux portantes et plus belles. En Franche-Comté, en Bourgogne, où les paysannes travaillent comme des bêtes de somme, elles sont vieilles à trente ans et affreuses ; tandis que les hommes, qui pourtant se réservent le plus rude de la besogne, sont encore, à cinquante ans, superbes. Sur tout cela, consultez les physiologistes, vous les trouverez d’accord avec les peintres et les statuaires.

Avez-vous vu défiler un régiment, un jour de parade, les vivandières en tête, portant l’uniforme ? Rien de plus beau, en général, qu’une troupe d’hommes rangés en bataille ; mais il y a une chose qui fait tache, c’est la vivandière. Cette femme en pantalon, marchant au pas de troupe, qui attire votre regard au premier moment, parce qu’elle est femme et qu’elle porte un costume, est, en fin de compte, disgracieuse. La femme qui court mal est aussi mauvais piéton. Ce qui lui convient, c’est la danse, la valse, où elle est entraînée par son valseur, ou bien encore le pas lent et solennel des processions. Ce sont là des faits, je pense, que je pourrais multiplier et varier à l’infini. Les ai-je inventés, ou trouvez-vous qu’ils manquent de signification ? Au reste, vous ne niez pas, d’une manière positive, la supériorité de la force physique chez le sexe mâle, bien qu’il vous répugne de la reconnaître. Vous la passez sous silence, comme si elle n’était rien. La force, pensez-vous, qu’est-ce que cela prouve ?…

Ce que cela prouve, mesdames ? C’est qu’en vertu des constitutions de la nature, il y a une différence radicale entre les fonctions et les destinées, tant sociales que domestiques, de l’homme et de la femme : chez l’un, plus de mouvement, d’énergie, d’activité ; chez l’autre, un exercice plus doux, une vie plus sédentaire, où les charmes de la personne se déploient à l’aise et produisent tout leur effet. L’opinion du genre humain est conforme à cette loi de nature ; l’épithète de virago, par laquelle on désigne les créatures ambiguës, à formes viriles, tempérament soldatesque, ne se prend point en bonne part : on les soupçonne de vilains goûts. Les qualifications de coureuse et d’émancipée, en vertu de cette même analogie du physique et du moral, sont encore pires. Et les femmes en masse adhèrent à ce jugement, à l’exception d’un petit groupe, dont M. Enfantin n’a pas encore trouvé d’échantillon présentable. Dès l’origine des choses, et sans sortir de l’ordre physique, la nature et la conscience universelle ont condamné votre Église ; elles vous ont notées d’infamie. Est-ce un fait ? Facultés intellectuelles. — J’ai dit que si l’homme avait plus de puissance nerveuse et musculaire que la femme, en vertu de l’unité de l’être, de la solidarité et de l’harmonie des facultés, il devait avoir aussi plus de puissance intellectuelle. Mais, par la même raison, je devais ajouter et j’ai ajouté que l’intelligence chez la femme devait se distinguer, comme le corps, par des qualités spéciales, formant complément et contre-poids à celles de l’homme. Rien de plus logique, de plus équitable en même temps, rien de moins menaçant pour le droit des femmes que cette induction du physique à l’intellectuel, que cependant il convenait d’appuyer de faits.

Des faits, je vous en ai cité de toute sorte ; mais comme il vous a plu de n’y voir que des sarcasmes à votre adresse personnelle, vous les avez déclarés non avenus. Il faut pourtant, mesdames, que nous partions d’un principe, si nous voulons que le public qui nous lit nous entende. Est-ce de vous qu’il s’agit, ou de votre sexe ? Évidemment c’est de votre sexe, au nom duquel vous protestez, et que vous dites tyrannisé, dégradé par le mien. Laissons donc de côté ce qui peut vous être particulièrement désagréable dans l’enquête : ou vous serez sauvées avec toutes les femmes, ce qui veut dire que vous abjurerez vos maximes ; ou vous serez blâmées toutes seules. Soyez tranquilles, il n’y aura pas de confusion, pas d’injustice.

Des faits ! je vous en ai cité d’un seul coup les soixante mille brevets d’invention et perfectionnement pris par des hommes, en France, depuis l’année 1791, contre une demi-douzaine pris par des femmes pour articles de mode !

Des faits ! je vous citerai encore la Biographie universelle ; faites le compte des sujets des deux sexes qui se sont distingués dans la philosophie, le droit, les sciences, la poésie, l’art, en un mot dans tous les exercices de l’esprit ; je m’en fie à vous pour le résultat. Après les faits bruts, voulez-vous des témoignages, qui sont aussi des faits ? Je vous ai cité les sages de l’antiquité et des temps modernes, les poètes, les théologiens, les conciles, abstraction faite, bien entendu, des termes injurieux dans lesquels trop souvent, à propos de la femme, la raison masculine s’exprime. Tout ce qui a été dit à ce sujet se réduit à ces paroles de Lamennais :

« Je n’ai jamais rencontré de femme qui fût en état de suivre un raisonnement pendant un demi-quart d’heure. Elles ont des qualités qui nous manquent, des qualités d’un charme particulier, inexprimable; mais, en fait de raison, de logique, de puissance de lier les idées, d’enchaîner les principes et les conséquences et d’en apercevoir les rapports, la femme, même la plus supérieure, atteint rarement à la hauteur d’un homme de médiocre capacité. L’éducation peut être en cela pour quelque chose, mais le fond de la différence est dans celle des natures. » Il conclut : « La femme est un papillon léger, gracieux, brillant, à qui des escargots philosophes ont proposé de se faire chenille. » Voulez-vous des aveux, qui sont toujours des faits ? Je vous ai cité les paroles de Mmes Sand, D. Stern, Necker de Saussure, Guizot, les plus célèbres de notre temps, les plus favorables à la théorie de l’égalité. Toutes, avec un dépit plus ou moins marqué, mais très-mal placé, parlent comme Hégel et Lamennois. C’est le sexe tout entier, se confessant par la bouche de ses représentants les plus capables en même temps que les plus dévoués, et reconnaissant sa faiblesse. Quel fait plus écrasant que celui-là ?

Voulez-vous des expériences ? L’expérience, en philosophie, n’est autre chose que l’art de surprendre la nature sur le fait, J’ai comparé les productions littéraires des femmes à celles des hommes ; et quiconque a étudié les procédés de l’art oratoire, et la manière dont se fabriquent aujourd’hui la plupart des livres et des romans, peut recommencer, à satiété, la même comparaison. Est-ce qu’il n’en résulte pas que, chez la femme-auteur, les écrits procèdent beaucoup plus de la faculté expressive ou parlière, que de la faculté pensante ? Est-ce que nous ne les avons pas trouvées toutes plus ou moins atteintes d’une sorte de nymphomanie intellectuelle, qui, à travers un déluge de paroles, leur fait affecter les formules viriles, et les ramène sans cesse à une idée fixe : l’amour ; c’est-à-dire à la chose que vous nommez votre émancipation?

Voulez-vous à présent remonter plus haut que les faits, et aller aux causes ? Interrogez la phrénologie. Elle vous dit que le cerveau de la femme n’est pas constitué de la même manière que celui de l’homme. En effet, les divisions cérébrales qui correspondent, autant que l’on a pu s’en assurer par des milliers d’observations, aux facultés puissantes de l’esprit, la causalité, la comparaison, la généralisation, l’idéalisation, perfectionnement ou progrès, sont, de même que les instincts polémiques et guerriers, de commandement, de fermeté et de personnalité, en plus grand développement chez l’homme, en moindre développement chez la femme. En revanche, et comme si la nature, non contente de cette supériorité de puissance accordée au sexe mâle, avait voulu prévenir toute insurrection de la part du sexe faible, elle a donné à celui-ci, en prédominance, la vénération, la subordination, l’attachement, la résidence, la circonspection, le besoin d’approbation et de louange, toutes facultés qui révèlent la défiance que la femme a de ses moyens, enfin une sorte d’esprit intuitif et divinatoire qui tient lieu à la femme de raisonnement et de conviction. Et comme si cela ne suffisait point encore pour la paix domestique, l’ordre des sociétés et la destinée finale du genre humain, la masse totale du cerveau est plus petite chez la femme, dans la proportion moyenne de 3 livres 4 onces contre 3 livres 8 onces. Or, comme le dit Broussais, toutes choses d’ailleurs égales, il y a plus de puissance là où il y a plus de quantité ; et l’objection qu’on voudrait tirer contre la phrénologie du cerveau de l’éléphant ou de celui de la baleine tombe, parce que le cerveau des animaux n’est pas organisé comme celui de l’homme, qu’il ne répond pas aux mêmes besoins, à des facultés aussi nombreuses, en un mot parce qu’entre eux et lui toutes choses ne sont pas égales et homologues. Vous inscrivez-vous indistinctement en faux contre toutes les propositions de la phrénologie ?

Ces faits, à l’exception de ceux de la cinquième catégorie, relative à la comparaison des œuvres littéraires, je me suis borné à les indiquer en masse, ne me croyant pas obligé de rapporter autrement des vérités tombées dans le domaine public. Cela vous a donné prétexte de dire que je n’avais cité aucun fait. C’est ainsi que raisonne la femme lorsque la passion la domine, la femme affranchie de toute foi comme de toute bonne foi. Elle ne voit, ni entend ; comme la fameuse Scylla de la mythologie, elle jappe. Détruisez donc la statistique du commerce, détruisez la biographie universelle, détruisez le témoignage des théologiens, des philosophes, des poètes, des moralistes ; détruisez l’aveu de vos chefs de file, détruisez cette critique littéraire, qui vous met à votre place ; détruisez la phrénologie, et quand vous aurez détruit toutes ces choses, vous pourrez dire que je n’ai pas produit de faits. Quant à moi, qui, poursuivant d’un trait implacable cette pourriture saint-simonienne, n’avais garde de refaire la satire de Boileau sur les femmes, j’ai conclu, sur l’exposé de ces faits, comme je l’avais fait précédemment à propos de l’inégalité des forces, que la puissance intellectuelle de l’homme devait avoir pour corrélative chez la femme une qualité d’un autre genre, qualité d’application, de simplification, de vulgarisation, qualité qui par conséquent devait donner à l’esprit féminin, en agrément, ce que celui de l’homme a en profondeur. J’ai raisonné de la nourriture spirituelle comme de la nourriture corporelle. Ce n’est pas tout qu’un cerveau qui la produise, il en faut un autre qui la prépare. Nous en savons un bel exemple dans mistress Mary Somerville, qui, en 1831, à la prière de lord Brougham, traduisit, pour la société de la diffusion des connaissances utiles, la Mécanique céleste, de Laplace, « l’algèbre en langage ordinaire, » une œuvre faite pour la postérité, disait de cette traduction John Herschell. Certes, mistress Somerville pouvait passer, en son genre, pour un phénomène ; cela ne l’empêcha point d’être la meilleure ménagère du monde ; elle traduisait de Laplace « l’algèbre en langue vulgaire » dans ses moments perdus, comme une autre eût fait de la tapisserie ; elle sentait d’ailleurs que, si peu d’hommes eussent été capables de pareille besogne, aucune femme, en revanche, n’eut suppléé Laplace ou Newton.

C’est beaucoup d’avoir su vaincre, disait Napoléon ; le grand point est de savoir user de la victoire. Eh bien, c’est la femme qui use de la victoire de l’homme, et qui tire parti de ses conquêtes. À lui le travail de la production économique et philosophique ; à elle l’art de la jouissance. Seul il ne sait pas user ; ce qu’il acquiert par la force s’en va, sans la femme, en dissipation. En quoi l’une de ces attributions est-elle moins digne que l’autre ?

Que l’homme exerce son corps et son esprit tant qu’il voudra, qu’il entasse découverte sur découverte, création sur création, chef-d’oeuvre sur chef-d’oeuvre, il ne parviendra pas, quel que soit son développement, à changer sa nature ni à travestir son caractère. La force restera son attribut essentiel ; il ne deviendra pas un joli minois pour le corps, ni un sylphe pour l’intelligence. Il le deviendra d’autant moins qu’il se sera donné plus de peine dans son corps et dans sa pensée. De même, que la femme aiguise tant qu’elle voudra son entendement aux idées de l’homme, qu’elle multiplie avec lui ses connaissances, qu’elle pénètre parfois jusqu’au fond de ses spéculations ; elle ne deviendra jamais un esprit fort, je rétablis le terme dans son acception purement virile et philosophique ; elle ne fera toujours que croître en agréments, et cela d’autant plus qu’elle aura appris davantage. La nature, comme je l’ai dit, l’a enchaînée, dans son développement même, à la beauté ; c’est sa destination, c’est, pour ainsi dire, son état.

Toute déviation de l’être engendre maladie ou difformité. Le mignon qui affecte les grâces féminines est aussi dégoûtant que le nègre à face de gorille ; la femme qui porte favoris et moustaches est peut-être encore plus hideuse. C’est pour cela que la soi-disant savante qui dogmatise, qui pérore, qui écrivaille, la femme qui répète à tout propos, comme vous, madame Jenny d’H***, je professe, j’affirme, j’enseigne, j’expose, j’admets, je nie, j’ai écrit, je déclare; celle qui s’affuble d’une barbe philosophique, qui traduit la métaphysique en baragouin, et se mêle de réfuter des théories qu’elle ne comprend pas et que cependant elle pille, comme vous, madame J*** L***, cette femme-là déchoit et devient laide. Car il y a une laideur dans l’esprit cent fois pire que celle du corps : c’est celle qu’a représentée Molière, aux applaudissements de tous les siècles, dans son immortelle comédie des Femmes savantes. Relisez-là, mesdames : celle-là peut se vanter d’avoir fait un grand pas dans la sagesse qui s’est pénétrée de la philosophie des Femmes savantes.

Facultés morales. — J’ai raisonné des facultés morales exactement comme l’avais raisonné des intellectuelles : s’il y a dans l’homme plus de force de tempérament et d’intelligence, en vertu de l’unité constitutive de l’être, des lois d’harmonie et de proportion, il doit y avoir aussi plus de force de conscience. Pour la même raison, le même phénomène que nous avons déjà observé deux fois doit encore ici se reproduire : s’il est permis, dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique et intellectuel, d’établir une différence entre l’énergie et la beauté, la femme doit se distinguer de l’homme par quelque chose de spécial, qui rétablisse entre elle et lui l’équilibre de dignité. En sorte que l’homme, après avoir servi d’initiateur à la femme, aussi bien pour le droit que pour l’idée, en reçoit une impression qui redouble son zèle pour la vérité et la justice. J’ai dit toutes ces choses ; vous les avez lues : jamais bilan ne fut dressé avec un soin plus scrupuleux. Que me reprochez-vous donc ? J’ai établi de mon mieux la vérité de cette proposition : Si l’homme, expression de la puissance, est à la femme comme 27 à 8 ; la femme, expression de l’idéal, est à l’homme aussi comme 27 à 8. Vous qui affirmez, qui proposez, qui enseignez tant de choses, admettez-vous, mesdames, ou niez-vous l’équivalence des sexes ? Car, en vérité, plus on vous lit, moins on comprend ce que vous voulez.

Il est vrai qu’ici comme ailleurs la question est de savoir si la beauté n’est pas chose vaine et chimérique, de pure apparence, mais chose positive, qui a son rôle, son influence très-grande et son inestimable prix ? Et comme vous ne croyez point à ce que j’appellerai l’existence de la beauté, professant en cela, et pour cause sans doute, une doctrine contraire à celle des plus grands philosophes, des plus grands poètes, des plus grands théologiens ; comme vous êtes, en fait d’idéal, de vrais athées, vous vous dites que si la femme n’a pour balancer son époux que sa beauté, la beauté de son corps, de son âme et de son esprit, c’est fait d’elle :

La Femme est un esclave, et ne doit qu’obéir.


C’est ainsi que vous avez pris le parti de nier — si cela s’appelle nier ! — tous les faits physiologiques, psychologiques, économiques et sociaux que j’avais présentés à l’appui de ma théorie du mariage, comme ces femmes qui, piquées au jeu et, voyant qu’elles ont perdu, prennent le parti de brouiller les cartes.

Toute vertu est une irradiation de la justice.

La justice a son point de départ dans le sentiment de la dignité, lequel est naturellement d’autant plus énergique que le sujet se sent plus de valeur en intelligence, talent et force. C’est ainsi que le lion est le plus fier et le plus courageux des animaux ; et parce qu’il est le plus fort et parce qu’il a au plus haut degré la conscience de sa force.

Appliquons à l’humanité ce principe, commun à tous les êtres vivants, et qui constitue déjà un premier fait.

Dans l’homme, la personnalité est plus énergique : il y a plus d’orgueil, plus de bravoure, d’indépendance ; le point d’honneur est plus susceptible ; l’ambition, l’esprit de domination, l’instinct du commandement sont plus forts : c’est un des reproches que vous nous faites. — La femme, au contraire, est plus timide, et, ce qu’il y a de remarquable, cette timidité ne lui messied pas, elle n’en a point de honte ; elle est dans sa nature quand elle se montre craintive et timide. Elle a, comme on dit, le don des larmes, qui la rend touchante comme la biche, mais que vous ne trouverez pas chez le lion ou le taureau, et rarement chez l’homme. Elle est plus docile, plus disposée à l’obéissance et à la résignation ; elle affecte beaucoup moins l’empire, contente de régner, comme une fée, par le charme de sa figure et la vertu de sa petite baguette. Ce fait, vous ne le niez pas plus que l’autre, puisque c’est surtout à raison de ce fait que vous vous indignez contre les femmes, vos sœurs, que vous traitez de bêtes et de lâches.

C’est l’énergie morale de l’homme qui a établi la coutume du duel, inconnu à l’autre sexe ; que dites-vous encore de ce fait-là ?

C’est par un effet de ce même principe que la guerre a été organisée entre les nations, et considérée comme une des formes de la justice; forme terrible, qui, c’est ma conviction et mon espérance, doit tomber peu à peu en désuétude, mais qui n’en est pas moins essentielle à la constitution de l’humanité et à la manifestation du droit. Mais ce sont choses qui dépassent votre nature de femme, et que vous ne sauriez comprendre.

Vous réclamez pour la femme, comme pour l’homme, les fonctions de judicature. Apprenez donc, une bonne fois, que toute judicature est un démembrement de l’autorité militaire ; de même que toute législation est une déduction du droit de la force. Réclamez donc aussi pour les jeunes filles, comme pour les jeunes hommes, le privilège de la conscription. Vous n’êtes pas seulement en état de monter une garde.

Mais précisément parce que la femme a moins d’énergie morale que l’homme, elle apporte à sa justice un tempérament indispensable, sans lequel notre état juridique ne se distinguerait en rien de l’état de guerre ; ce tempérament, ce sont les idées de clémence, de tolérance, de pardon, de grâce, de réconciliation et de miséricorde, qui partout se mêlent à cette idée de justice. L’homme incline davantage à faire prévaloir le droit pur, rigoureux, impitoyable ; la femme tend à régner par la charité et l’amour. Telle est la pensée du christianisme, dans l’établissement duquel les femmes ont une si grande part. C’est l’influence féminine qui apprend à l’homme à se dessaisir volontairement d’une partie de son droit, plus heureux de ce sacrifice qui met le sceau à sa générosité qu’il ne l’eût été d’une pleine et entière revendication. Ce dernier fait, vous ne le niez point, puisque vous êtes les premières à vous prévaloir de ces trésors d’amour, de charité, de miséricorde et de grâce que Dieu a versés dans le cœur des femmes. Et vous ne voyez seulement pas que ces qualités morales de votre sexe, qui mettent le comble à ses perfections, témoignent précisément, au point de vue de la pure justice, de son infériorité.

J’ai osé dire, contrairement à l’opinion mise à la mode par les chevalières du libre amour, que, même en ce qui concerne la pudeur, la femme avait reçu son initiation de l’homme. Là-dessus grande rumeur parmi les affranchies, comme si elles se souciaient le moins du monde de la pudeur. L’idée était pourtant bien simple ; elle n’a rien de paradoxal.

L’être intelligent et libre répugne à tout ce qui lui rappelle l’animalité, et qui le fait aller de pair avec les brutes. C’est pour cela que, dès que sa conscience s’éveille, l’homme couvre sa nudité, fait cuire ses aliments, évite, seul ou en compagnie, tout ce qui lui semble déshonnête. Il existe, à ce sujet, dans le Pentateuque, plus d’une ordonnance d’une simplicité primitive, et qu’il serait bon de rappeler à certaines nations civilisées. Et plus la société avance dans la justice, plus elle se distingue dans l’art de manger, de se vêtir ; plus elle recherche la propreté et l’urbanité ; plus les individus apportent de réserve dans leur langage et dans leurs gestes. Tout ce qui a rapport à l’amour rentre dans cette catégorie.

Naturellement, l’individu fera d’autant mieux cette distinction des choses honnêtes et des choses honteuses ; il sera, par conséquent, d’autant plus sensible à la grossièreté de son prochain, à ce qu’il regarde comme un manque de respect envers lui, qu’il aura un sentiment plus énergique de son honorabilité. Les faits sont ici d’accord avec les inductions de la théorie.

Pour ne parler que des rapports sensuels, c’est une loi de la nature chez tous les animaux, que la femelle, sollicitée par l’instinct de progéniture, et tout en faisant beaucoup de façons, cherche le mâle. La femme n’échappe point à cette loi. Elle a naturellement plus de penchant à la lasciveté que l’homme ; d’abord parce que son moi est plus faible, que la liberté et l’intelligence luttent chez elle avec moins de force contre les inclinations de l’animalité ; puis parce que l’amour est la grande, sinon l’unique occupation de sa vie, et qu’en amour, l’idéal implique toujours le physique. Comme preuves, j’ai cité, entre autres : 1o la coquetterie précoce des petites filles, en contraste avec l’antipathie que témoignent pour elle les petits garçons, et l’excessive timidité des jeunes hommes ; 2o la prostitution, tant sacrée que profane, et le proxénétisme, incomparablement plus fréquent chez les femmes que chez les hommes ; 3o les cas si rares de polyandrie, qui démontrent que si l’homme, à un certain moment de la civilisation, n’hésite pas à s’approprier, en tout bien tout honneur, plusieurs épouses toutes très-consentantes, lui, de son côté, ne consent pas à devenir, en compagnie de plusieurs autres, la propriété d’une même épouse ; 4o enfin, la tendance des femmes à rabaisser le mariage au niveau du concubinat, par la prédominance de l’amour sur le droit, ainsi qu’il résulte, mesdames, de vos propres théories.

En tout cela, la femme est d’accord avec sa nature et sa destinée, et ce que j’en ai dit ne l’humilie pas. Elle est toute beauté et amour : comment n’aurait-elle pas l’initiative des choses amoureuses ? Le même sentiment qui lui fait tempérer la justice sévère de l’homme, embellir sa demeure, poétiser ses conceptions, lui apprend à le distraire de ses pensées, de ses entreprises, de ses combats, pour vaquer avec elle à d’autres œuvres. Il faut qu’il en soit ainsi pour l’ordre de la société et leur félicité à tous deux. Heureux sentiment, quand l’idolâtrie d’amour ne leur fait pas oublier ce qu’ils doivent à la dignité sociale ainsi qu’à leur propre gloire.

Mais ici encore remarquez la différence entre les deux sexes : si l’homme, plus que la femme, a l’initiative de la pudeur, elle ne semble pas faite pour lui ; c’est sa compagne qui sera chargée de conserver ce trésor. Chez l’un, la pudeur a disparu dans la victoire ; chez l’autre, elle grandit après la défaite. La sainteté du foyer domestique sera l’œuvre de la femme ; de cette sainteté de la famille sortira la vertu républicaine. Voilà pourquoi chez les anciens peuples, la mère était honorée au-dessus de la Vierge, et paraissait même plus belle : Gratia super gratiam, mulier sancta et pudorata, dit la Bible. Le christianisme a renversé cet ordre : il a déclaré la femme mariée impure ; il ne fait cas que de la pucelle ; ce qui est le renversement de la nature, une atteinte à l’honneur de la famille et à la dignité de l’homme même.

Pourquoi faut-il, mesdames, que ce soit moi qui vous apprenne ces choses ? Ah ! c’est que l’impudence chez la prétendue savante aboutit à l’impudeur chez la femme. Vous jetez les hauts cris, parce que, sans vous nommer, attendu que je ne vous connaissais pas, j’ai traité d’impures les affranchies dont vous plaidez la cause, et vous prouvez, par toutes vos paroles, que si, par la force de la nature, vous êtes encore capables de rougir, vous avez perdu la juste notion de la pudeur. Ne dites-vous pas que la paillardise, l’adultère, la prostitution, ne sont pas plus une faute pour la femme que pour l’homme, et que, si le péché de l’un jouit d’une si grande tolérance, celui de l’autre ne doit pas paraître moins excusable ? Cette inégalité, que l’opinion de tous les peuples a mise entre l’incontinence de l’homme et l’impudicité de la femme, n’est-elle pas un des principaux griefs dont vous chargez la tyrannie maritale ? Folles, et trois fois folles, qui ne comprenez pas qu’en revendiquant pour la femme une pareille immunité, vous lui élevez un piédestal… dans la boue. Et à qui donc votre dessein est-il de plaire quand vous aurez conquis pour votre sexe semblables droits ? Est-ce à des hommes ou à des singes ?

Je résume toute cette analyse en deux mots :

L’homme est principalement une puissance d’action ; la femme, une puissance de fascination. De la diversité de leurs natures dérive la diversité de leurs qualités, de leurs fonctions, de leurs destinées. Comment ces qualités, ces fonctions, ces destinées s’engrènent-elles pour former le couple ? En autres termes, quelle est la loi, quel est le but du mariage ? C’est ce que nous allons examiner maintenant.