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La Porteuse de pain/III/XVI

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Le Livre de poche (p. 496-498).
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XVI

Paul Harmant avait regagné son logis à une heure du matin, très étonné, très inquiet de l’inexactitude de Soliveau.

Le lendemain matin, vers neuf heures, il sortit, passa chez son banquier, et donna l’ordre de le conduire à l’usine. Aucune lettre, rien, aucune dépêche ne l’y avaient précédé. Le misérable, affolé d’angoisse, revint à Paris.

Mary se trouvait encore plus souffrante que de coutume… La veille, elle avait craché le sang. Une fièvre brûlait ses veines. Son père, en rentrant à l’hôtel, fut douloureusement frappé de ce changement subit. Il éprouva au cœur une souffrance aiguë, et cette pensée noire envahit son âme : les médecins l’avaient-ils trompé ? Mary pouvait-elle mourir si jeune ?

Au déjeuner, Mary ne faisait preuve d’aucun appétit.

« Chère mignonne, lui demanda le millionnaire, tu souffres ?

– Un peu, père. J’ai mal dormi, cette nuit.

– Tu avais la fièvre ?

– Je crois. Des rêves effrayants ont troublé mon sommeil.

– Comme les miens », pensa le millionnaire.

Paul Harmant embrassa longuement la jeune fille.

« Tu sors ? lui demanda-t-elle.

– Non, je vais dans mon cabinet de travail.

– Oh ! tant mieux, père. Tu ne peux te figurer combien j’aurais peur, aujourd’hui, si je restais seule à l’hôtel… »

Paul Harmant, après avoir refermé sur lui la porte du cabinet de travail, se laissa tomber sur un fauteuil. Il sentait que la mort planait sur sa fille et de sombres pressentiments l’agitaient.

* * *

En quittant le Rendez-vous des boulangers, Jeanne avait couru droit devant elle, au hasard. Elle gagna les quais et les suivit dans la direction de Passy. En arrivant à l’esplanade des Invalides, la porteuse de pain se laissa tomber sur un banc.

« Tout est fini pour moi ! se dit-elle. On sait que je suis à Paris… On connaîtra bien vite ma demeure. »

Jeanne releva brusquement la tête en murmurant :

« Mais Jacques Garaud se dissimule sous le nom de Paul Harmant. Cet homme ne mentait pas. À cette heure il est certainement arrêté. Il parlera… il nommera son complice. Alors on saura que j’ai été condamnée injustement… Oui, mais si Jacques Garaud trouvait moyen d’échapper à la justice par la fuite ! Si le misérable qui a voulu me tuer rétractait ce qu’il a dit, où trouverai-je des preuves, moi. Et ce n’est pas moi, l’évadée de Clermont, qu’on croirait ! C’est lui, l’homme important, lui, le millionnaire… »

Le pont des Invalides était devant elle. Elle le prit, et se trouva dans les Champs-Élysées qu’elle remonta jusqu’à l’Arc de Triomphe, suivit machinalement l’avenue du Bois-de-Boulogne et s’engagea dans le bois. La nuit venait. La porteuse de pain se laissa tomber sur le gazon, sous les arbres, et donna libre cours à ses pleurs.

Prise de vertige, alors, Jeanne s’évanouit.

Lorsqu’elle se ranima, l’aube se levait.

Elle marcha longtemps au hasard. Enfin elle côtoya la Seine dans la direction de Paris. Ses forces l’abandonnaient : elle ressentait les premières atteintes de la faim. Elle entra chez un marchand de vin, se fit servir un peu de viande froide et du pain, mangea lentement et resta longtemps assise, jetant un regard sombre à l’eau qui coulait devant elle. L’idée de la mort se présentait à elle.

« Mourir… murmura-t-elle tout à coup. N’y a-t-il donc plus que cela pour moi, à cette heure ! Quoi, j’abandonnerais l’enfant retrouvée, déjà ! j’oublierais que j’en ai un autre à retrouver encore ! Non ! non ! ce serait lâche ! Cela ne sera pas ! »

Et Jeanne se leva, ravivée, transfigurée.

Une heure après, elle sonnait à la porte de l’hôtel de Paul Harmant.