La Préhistoire de Bossuet

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Alfred Rebelliau
La Préhistoire de Bossuet
Revue des Deux Mondes7e période, tome 12 (p. 350-380).
LA
PRÉHISTOIRE DE BOSSUET

Pas plus pour Bossuet que pour la plupart des personnages éminents du passé, ni les origines ancestrales, ni le milieu familial et les commencements de la vie ne sont assez connus au gré de la curiosité moderne, qu’intéressent l’éclosion et la formation des hommes supérieurs en ce qu’elles ont d’inexpliqué comme en ce qu’elles ont de logique. A plus forte raison, au gré des chercheurs exigeants qui, avec Sainte-Beuve et Stendhal, Taine et Renan et les psychologues contemporains, rêvent de monographies si précises qu’elles pussent fonder une « histoire naturelle des esprits. »

Pourtant, en ce qui concerne Bossuet, à cette carence ordinaire et inévitable de documents initiaux, on avait, dès avant sa mort, essayé de parer. Le secrétaire qui lui fut donné en 1684 par les Bénédictins dom Germain et dom Mabillon, et qui resta auprès de lui les vingt dernières années de sa vie, l’abbé Le Dieu, eut bien le sentiment qu’il frôlait « un grand homme, » et l’ambition de « recueillir, » avec une exacte piété, « les moindres circonstances » propres, comme il dit, « à orner une si belle vie. »

Il le fit de son mieux, pour autant que le lui permirent et sa situation chez le prélat et l’insouciance du grand homme à parler de lui-même et à soigner sa gloire. Devinant les desiderata de l’avenir sur les « commencements, » Le Dieu parvint à ramasser, rien que pour la période de 1627 à 1668, la matière de cent vingt pages du Mémoire qu’il écrivit à la mort de son maitre. Malheureusement le dévoué secrétaire ne trouva pas d’imitateurs, durant un siècle. Panégyristes ecclésiastiques ou académiciens, amis ou collègues de Bossuet se contentèrent tous de piller le Mémoire sans se soucier d’y rien ajouter. Puis vinrent, au XVIIIe siècle, la recrudescence des querelles ecclésiastiques, le peu de goût du public pour l’histoire, le dédain, proportionnel au progrès de la philosophie, des grands hommes de la « superstition. » Le plus caractéristique et peut-être le plus complet représentant de l’époque de Louis XIV dut attendre jusqu’en 1761 un historien. Et M. de Burigny, — brave homme que les injustices des philosophes pour Bossuet révoltaient, mais qu’effrayait le Roi Voltaire, — n’osa qu’un tout petit livre.

Ce fut cent ans juste après la mort de Bossuet qu’une histoire parut, digne du sujet. Seulement le cardinal de Bausset ne sut pas profiter des documents, depuis disparus, qu’il avait en main. Son admiration même de Bossuet le gênait, et puis aussi son désir de peindre l’image sans ombres d’un génie sans taches et sans lacunes, d’un grand homme qui, comme disait au XVIIIe siècle le P. de Neuville, avait dû naître « tout entier. » Plus de cinquante ans encore se passèrent avant qu’une érudition plus soucieuse des faits s’emparât de l’évêque de Meaux. Un magistrat plutôt gallican, Amable Floquet, y dépensa une infatigable patience, une incomparable ingéniosité fureteuse. Sur les quarante premières années de Bossuet seulement, il meubla trois volumes de détails innombrables, pas tous très sûrs, car lui aussi il était lié par le respect et tendre aux légendes optimistes. Le branle était donné toutefois. Les historiens de l’école de Guizot et de Chéruel, et les critiques littéraires disciples de Villemain, de Cousin, de Nisard et de Sainte-Beuve, et les éditeurs de documents administratifs ou diplomatiques du siècle de Louis XIV, et enfin, et surtout, ceux des Sermons de Bossuet, travaillèrent à compléter Floquet en le corrigeant. J’ai déjà eu l’occasion de citer ici les principaux d’entre ces chercheurs, parmi lesquels Dijonnais et Messins se distinguèrent par de très sérieux et précieux apports à l’histoire de Bossuet en province, à la généalogie de sa famille. C’est de ce regain d’efforts « bossuétistes » du XIXe siècle et du commencement du XXe, s’ajoutant aux données toujours utiles de Le Dieu et les dépassant, que je voudrais aujourd’hui profiter [1] pour voir dans quelle mesure on peut répondre aux questions relatives soit aux hérédités, dont le génie et le caractère de Bossuet ont dû, pour une grande partie, résulter, soit aux influences qui durent s’exercer efficacement sur lui.


I. — CE QUE L’ON SAIT DU MILIEU FAMILIAL DE BOSSUET

De ces divers éléments formateurs, le plus utile à évaluer sans doute serait la famille immédiate : les ascendants directs et les collatéraux du premier degré. Sainte-Beuve croyait que « l’on retrouve à coup sûr l’homme supérieur, du moins en partie, dans ses parents, dans sa mère surtout, dans ses sœurs aussi, dans ses frères [2]. »

La mère de Bossuet nous est pour autant dire inconnue. « Damoiselle Marguerite Mochet, » qui en 1618, à Saint-Jean de Dijon, épouse Me Bénigne Bossuet, « avocat au Parlement de Bourgogne, » mariage dont Jacques Bénigne naquit, septième enfant, le 27 septembre 1627, était fille de « noble Claude Mochet, avocat audit Parlement, et de damoiselle Anne Humbert. » Une de ses sœurs fut dominicaine ; deux se marièrent dans la robe. La date de sa mort est ignorée. En dehors de l’acte de son mariage, de l’acte de naissance de Jacques Bénigne et du contrat par lequel, en 1644, fixée désormais à Metz, elle cède à ses quatre belles-sœurs ses droits sur divers biens situés en Bourgogne, un seul papier la concernant existe : une pièce comptable signée d’elle à Toul, en décembre 1644, et montrant qu’alors elle fut chargée, avec une autre femme de magistrat, de distribuer les aumônes du Parlement. D’où il n’y a point lieu de présumer, comme on l’a fait, qu’elle fût particulièrement charitable, à moins de l’affirmer aussi de sa co-signataire, « Mme l’avocate générale Fremyn. » Il ne convient pas davantage de lui prêter une dévotion insigne parce qu’elle aurait fait, sitôt après ses relevailles en 1627, un pèlerinage au sanctuaire, voisin de Dijon, de Notre-Dame d’Etang pour y consacrer ou parce qu’elle avait déjà consacré Jacques Bénigne à la Vierge [3]. La mère de Bossuet est inexistante en l’histoire.

Inconnues aussi et non moins indevinables, ces « sœurs » chez qui Sainte-Beuve estime que l’on peut « identifier si souvent le même jet et la même sève » que chez le frère éminent « et retrouver son fond à l’état simple. » Anne, l’ainée de tous les enfants, mourut toute jeune. Marie, ainée de Bossuet de cinq ans, Madeleine et Marguerite, ses cadettes de trois et de sept ans, survécurent. Les deux premières faillirent vieillir dans le célibat. Marie, vers 1660, épousa Isaac de Chasot, magistrat, Bourguignon d’origine, mais établi, comme les Bretaigne et les Bossuet, au pays messin. L’autre, Madeleine, filleule de Mgr Zamet, évêque de Langres, devint la femme de Joseph Foucault, secrétaire des Conseils d’Etat. La dernière, Marguerite, après avoir été élevée au couvent des Dominicaines de Toul, y entra comme religieuse.

Encore qu’il n’y eût, à prendre le voile, que l’une des trois sœurs, elles furent toutes les trois dévotes, on le peut croire, mais sans preuves, si ce n’est, en ce qui concerne Marguerite, la dominicaine, un petit geste héroïque : « A quatorze ans, comme ses supérieures hésitaient à la recevoir à profession parce qu’elle relevait à peine d’une grave maladie, elle coupa elle-même ses cheveux » pour affirmer son irrévocable désir. Quant à Mme Foucault, ce n’est qu’à l’époque où elle disparait, âgée de soixante-quatorze ans, que Le Dieu en parle ; et si alors elle meurt, impotente, « n’ayant plus de vivacité que pour les exercices de piété et de charité, se renfermant à méditer deux seuls livres, l’Evangile et les Psaumes, » ce qu’il faudrait savoir, c’est si cette belle vieillesse pieuse subissait l’influence de Bossuet ou si, au contraire, Madeleine plus jeune lui avait montré le chemin.

[4]

Moins obscurs sont les hommes de la famille. D’abord se dresse, très net vraiment, Jacques Bossuet, « l’aïeul » paternel.

Il a, quand Bossuet nait, soixante-dix ans environ ; il est son parrain. Il vivra dix ans encore, presque jusqu’au départ de son fils Bénigne pour la Lorraine. Sa carrière, terminée en 1627, a été l’une de ces belles carrières, que notre histoire nationale mieux comprise devrait enregistrer au même titre que celle des acteurs de la scène parisienne. Lui-même il fut en Bourgogne un de ces grands citoyens à qui la vie provinciale d’alors donnait lieu de manifester tout leur mérite sur les lieux mêmes où ils étaient nés. Il avait étudié à Valence, en 1573, sous Cujas. Devenu, en 1577, conseiller à la Cour et commissaire aux Requêtes du Palais de Dijon, puis conseiller au Parlement, il entre en 1579 par mariage dans la famille des Bretaigne de Saulieu. Famille déjà célèbre. L’un de ses membres, Jacques Bretaigne, avocat au Parlement de Bourgogne, lieutenant au bailliage, puis maire d’Autun, puis député aux États de 1560, y plaida, à la veille des guerres de religion, dans une magnifique harangue, la cause de la tolérance et de la liberté. — Mais dès 1576, en présence de l’organisation politique protestante, d’une part, et de la Ligue de l’autre, c’était, pour les gens honnêtes, patriotes et dévots, la nécessité, combien délicate, de discerner leur vrai devoir. Jacques Bossuet est un de ceux qui tout de suite pensent avec les gens de Chalon, de Beaune et d’Auxonne « qu’il est impossible aux sujets de se liguer sans altérer la supériorité que le Roi a sur eux [5]. » Et lorsqu’en 1588, le Parlement de Bourgogne, la Chambre de Ville et la population de Dijon adhèrent à la coalition catholique, il prend parti pour le Bourbon huguenot ; d’accord, en cela, avec les magistrats dijonnais Frémyot, Vaugrenant, Millotet, Saumaise, Bouhier, Odebert, et avec le futur « allié » de la famille Bossuet, Claude Mochet. Cette petite bande de fidèles à la loi dynastique du royaume sort de Dijon, où dominent les partisans du duc de Mayenne et de « Charles X, roy de France, » où le cardinal Cajetan, en personne, est venu prêcher la Sainte Ligue, — où le premier président Denis Brulart lance l’anathème parlementaire contre ceux qui tiennent pour Henri de Navarre. Ils se retirent dans le Morvan : ils constituent d’abord à Flavigny, puis à Semur, un Parlement et une Chambre des Comptes loyalistes. Et non seulement ils assurent l’administration de « la justice du Roi, » mais ils mettent les armes à la main pour défendre le souverain légitime. Puis, lorsqu’en 1595 Henri IV, vainqueur, entrant à Dijon, veut humilier devant eux leurs collègues qui l’ont abandonné, ces dignes continuateurs de Jean Bodin, de l’Hôpital, de Jacques Bretaigne refusent noblement d’éterniser les souvenirs de haine et de sédition, tendent la main à leurs adversaires de la veille. D’ailleurs, ils gardent leur indépendance vis-à-vis de ce pouvoir royal dont ils ont assuré la victoire. Seize ans plus tard, ils défendent contre lui les libertés municipales de la cité. Ils voudraient maintenir à Dijon ce suffrage restreint des bourgeois éclairés qui leur parait la condition de la paix publique.

A son retour de Paris où il est allé plaider cette cause (1612), Jacques Bossuet est élu maire de Dijon. Et le gouverneur duc de Bellegarde ne peut se dispenser de louer le choix des Dijonnais, mais sans se tromper sur cette protestation de la liberté aristocratique et de l’autonomie communale. Maire, Jacques Bossuet a dans ses actes sa fermeté de citoyen militant. L’ancien ennemi de la Ligue morigène et réglemente les moines de toute robe, Capucins ou Jésuites, Jacobins ou Feuillants. A ce collège des Godrans où étudieront ses petits-fils, il oblige les Jésuites à fonder une nouvelle chaire de grammaire. Et c’est, semble-t-il, dans son Journal de famille, plus encore que dans celui de son fils, que le cardinal de Bausset [6] éprouvait, en le feuilletant d’une main trop légère, l’impression d’un de ces chrétiens pour qui la Bible était le livre des destins comme celui des conseils [7].

C’est aussi avec une suffisante netteté que le père de Bossuet, Bénigne Bossuet, ressort d’un passé mieux fouillé. Né vers 1592, avocat postulant, en 1612-1613, au Grand Conseil à Paris, il revient au pays et plaide au Parlement. Marié à environ vingt-six ans, il en a donc trente-cinq environ à la naissance de Jacques Bénigne. En 1624, il est « avocat général des pays et Etats de Bourgogne et Bresse, » succédant à Claude Mochet, sort beau-père. Aussi en cette année, il est échevin de Dijon, et, à ce titre, chargé en 1626 de deux missions importantes : l’une à Beaune (où siégeait alors la Chambre des Comptes de Bourgogne) pour y solliciter « surséance » à un édit royal contraire « au libre consentement de l’impôt par les Etats » du Duché ; l’autre à la Cour, où il accompagne le fils d’une autre vieille famille bourguignonne bien connue, Febvret, pour soutenir les mêmes réclamations et pour défendre la Ville contre les empiétements du Parlement. Mais il y avait à livrer bataille : il en est ravi. Il écrit que « le courage lui croit à mesure que le conflit approche. » Il échoue cependant, et c’est alors, en 1630, à la suite du refus royal, que « les esprits à Dijon » et dans la campagne environnante « s’échauffent ; » la sédition dite du « Lanturelu » éclate et envahit la cité surprise. Bénigne, alors, harangue les émeutiers sur la place de Saint-Jean, sa paroisse, défend l’ordre, prêche l’obéissance. Cette attitude loyale « le fait désigner pour des fonctions plus hautes. » Il est appelé à s’asseoir au banc des « gens du Roi » dans ce Parlement qu’il a combattu. Il y est nommé, dès février 1631, substitut du procureur général. Mais il garde « avec cette nouvelle charge, celle de « conseil des Etats, » et y ajoute, en 1633, la fonction de « contrôleur particulier des impositions de la ville de Nuits, » qu’il achète pour 14 000 livres.

Seulement il était bien difficile désormais qu’à Dijon, son avancement se poursuivit : les Bossuet, les Mochet, les Humbert, les Bretaigne, et les autres familles « tenant » à eux plus ou moins, avaient trop de représentants dans la magistrature locale. Ils eussent fini par juger en famille. Il doit donc, s’il veut grandir encore, émigrer.

C’est pour les Trois Evêchés qu’il part en 1638. On vient d’y créer, à Metz, cinq ans auparavant, un neuvième parlement, où son oncle, Antoine Bretaigne, l’a précédé et l’appelle. Au reste, d’être autorisé à acheter une charge de conseiller à cette cour nouvelle, c’est une preuve de la confiance royale : il y faut des gens sûrs ; les difficultés ne manquent pas alors au pays lorrain, du fait des survivances féodales, de la guerre avec l’Empire, de l’hostilité intrigante du duc de Lorraine. Bénigne Bossuet, installé en 1638 à Toul, où le Parlement de Metz avait été transféré en 1636, et où il restera vingt années, assume nombre de missions diverses : négociations à Metz en 1638, 1639, 1648 pour tirer de l’Assemblée des Trois Ordres de cette ville une contribution aux gages de ce Parlement qu’elle n’a plus chez elle ; enquête à Nancy sur les menées du duc de Lorraine, Charles IV ; tournée dans toutes les villes du ressort pour arrêter l’exécution de la Ferme du Sel, impopulaire ; démarches, à six ou sept reprises, à Paris, à l’effet d’obtenir de la Cour le retour du Parlement à Metz ; — enquêtes judiciaires et répressives : à Nomény par exemple, contre un lieutenant du gouverneur inculpé d’attentat à main armée ; — missions enfin d’organisation administrative de longue durée, lorsque, en 1658, âgé déjà d’environ soixante-six ans, et goutteux, il accepte d’être attaché à Charles Colbert, président du Conseil souverain établi en 1657 à Einsisheim, frère de Jean-Baptiste le futur ministre et d’un autre Colbert, intendant d’Alsace. Bénigne est un très mobile magistrat, fréquemment à cheval sur les routes, et sur ces routes infestées, accompagné, plus d’une fois, d’escortes militaires.

Là d’ailleurs, où il réside, à Dijon d’abord, puis à Toul, puis en Alsace, puis à Metz, il soigne ses intérêts, et, bien justement, avec sa nombreuse famille et le peu de fortune personnelle que lui et sa femme, ayant eux-mêmes plusieurs frères ou sœurs, ont apportée à la communauté. Des ressources et débouchés qui s’offraient en ce temps-là à un bourgeois fonctionnaire, il est alerte à profiter. A Dijon, il procure, dès 1638, à l’aîné de ses fils, Claude, âgé de dix ans, un canonicat de l’église cathédrale, qu’il lui fera retrouver en 1640, par permutation, à Toul. A Toul, il met sa dernière fille aux Dominicaines et la destine à y rester. En Alsace, s’il s’attache un temps à Charles Colbert, c’est que celui-ci « procure aux employés dont il a besoin beaucoup d’avantages au delà de ceux que le Roi leur donne, » et que ledit Colbert, lui-même, ajoute à sa fonction officielle de haut magistrat le rôle, apparemment plus lucratif, de « gérant, » sur les lieux, des biens que le cardinal Mazarin s’est assurés aux bords du Rhin. A Metz, Bénigne a pris pied avant d’y revenir : d’abord, en acquérant une maison que trouvera toute prête, en 1652, son fils Jacques Bénigne, — ensuite en ménageant à ce fils, alors âgé de quinze ans à peine, une place dans le chapitre de l’église cathédrale. — D’ailleurs, à Metz pas plus qu’à Toul, il ne se dérobe à la besogne. Dans la plupart des dossiers d’archives qui subsistent encore, son nom figure, nous dit-on. Peut-être même s’offre-t-il aux besognes en vue ; il y joue souvent un rôle de premier plan, spécialement, ce semble, de diplomate, d’homme d’entremise. Il rend service au Parlement, dont il fait partie, aux vassaux de Mazarin, aux tenanciers de biens du Roi en Alsace, aux Trois Ordres de Metz, et, aussi, aux officiers du gouvernement en cette ville, à l’Evêché et aux Chapitres, aux Réformés et aux Ordres Religieux, à la Compagnie du Saint-Sacrement, à « Monsieur Vincent, » à la Reine-Mère. Dans les litiges avec les Réformés, il apporte à la fois le zèle qui convient et un esprit de justice qui sans doute alors devient plus rare que l’excès de zèle. Sans doute la politique de ménagement et de conciliation qu’il fait ne réussit pas toujours ; en Alsace, elle n’agrée point à Charles Colbert, « homme violent et entier ; » au bout de quatre mois, non seulement il se sépare de Bénigne, mais il conseille à son frère Jean-Baptiste de se venger de lui, « de le retrancher de sa table, » quand il ira à Paris, de « lui refuser toute grâce. » Malveillance vaine, du reste, et Bénigne, sans se priver de mettre le cardinal Mazarin [8] et Le Tellier dans la confidence de ses ennuis, trouve le moyen de rester bien avec le futur contrôleur général, dont un quatrième frère est intendant des Trois-Evêchés. A Metz, aussi, c’est en termes excellents qu’on nous le montre avec le maréchal de Schomberg, gouverneur dévot et modéré. Il se liera un peu plus tard avec le pasteur Paul Ferry en faveur duquel il s’emploiera. Au reste, cet homme infatigable a « du monde ; » il n’est point renfrogné. A Toul, nous savons qu’il a donné au moins un bal ; on en a retrouvé la preuve. Il est lettré : il avait à Dijon un « cabinet de livres. » Ses sentiments religieux, si l’on en croit Bausset, s’attestent comme ceux de son père en son « livre de raison. » Devenu veuf, il consacre à l’Eglise une partie de son activité qui ne vieillit pas. D’ailleurs, consciencieusement, il fait ce qu’il faut pour y obtenir les charges et bénéfices ; il prend les Ordres jusqu’au diaconat, entre à son tour dans ce Chapitre de l’église cathédrale où jadis il faufila son fils ; et sans cesser de siéger au Parlement comme conseiller-clerc, il succède à ce fils en 1665 comme grand archidiacre. Enfin il consent à se reposer. En février 1667, il se démet volontairement de l’archidiaconat. Six mois après, il mourait.

Or l’on voit en quoi ce curriculum vitae, très plein, très varié, explique des appréciations sévères, découvertes par les érudits récents, de ses confrères ou supérieurs. De Charles Colbert en particulier : « Ce Bossuet, écrit-il, est sans doute, au demeurant, homme d’honneur et de bon sens, » mais « je crois qu’il ne s’est pas fort adonné à sa profession, qu’il aime l’oisiveté, et qu’il se laisse gouverner par le sieur Jean Favier. » Ce Favier, lieutenant-général au bailliage et siège présidial de Toul, et, surtout, maitre des requêtes ordinaires de la Reine, était le gros personnage auquel Bénigne était adjoint en Alsace. Charles Colbert se plaint aussi que Bénigne approuve tout par devant, mais blâme tout par derrière. Des notes anonymes trouvées dans les papiers du grand Colbert disent un peu les mêmes choses : « Néglige les affaires pour recevoir et rendre des visites ; » « fort flatteur et complaisant ; » « fait ce qu’il peut pour gagner les bonnes grâces des personnes puissantes et de crédit. » « Homme assez droit, » avoue une autre fiche, mais « pas grand génie, » « fort courtisan. » En somme, on l’aperçoit, ce père de Bossuet : c’est l’ambitieux de petite volée, minutieux ouvrier de sa modique « fortune ; » collectionneur attentif de relations utiles, ingénieux à se pousser et placer, juste à point, lui et les siens, au bon endroit qui s’ouvre ; et, dans ce souci d’« arriver, » plus confiant en son entregent qu’en son labeur. C’est le parvenu sans supériorité, mais sans scandale : l’honnête homme habile, et assez habile pour qu’on le croie capable de n’avoir pas tout obtenu de son honnêteté. Ajoutons que cet esprit, souple et avisé, qu’il est par nature, il l’est au maximum, probablement, à l’époque où Bossuet vit avec lui au foyer de Dijon encore subsistant. Dans ses quarante-cinq ans d’alors bat son plein cette industrie empressée et subtile : c’est la maturité d’un de ces « poursuivants » de la fortune, dont Bossuet parlera plus tard, si accoutumés à « prétendre, » si convaincus du besoin, du devoir, qu’on a de « prétendre » toujours, qu’on peut croire qu’ils « prétendront » jusqu’à leur dernier soupir.

Quant aux cinq frères de Bossuet, dont deux moururent de très bonne heure, du plus jeune, Gilles François, cadet de Jacques Bénigne, on ne sait rien, sinon qu’il fut receveur général des finances. L’un des deux aînés survivants, Claude, n’émerge guère plus des ténèbres [9]. Né en 1620, on le met, dès 1630, dans l’Eglise ; on lui procure à Dijon, nous l’avons vu, une prébende canoniale qu’il récupéra par échange, grâce à la même prévoyance paternelle, à Toul. Jacques Bénigne n’a guère pu le fréquenter un peu, qu’une fois à Metz, redevenus voisins. Sur l’autre aîné, Antoine, seuls les faits mêmes de sa vie nous renseignent, mais ils suffisent. Venu avec Jacques Bénigne à Paris, en 1642, il y fait son droit. Reçu avocat, il y débute quelque temps, comme avait fait son père, mais, comme lui aussi, il regagne vite sa ville où son oncle Claude vient de devenir maire. De cette grandeur familiale il sait user. D’abord avocat au Conseil privé de la Chambre de Ville, il s’attachera tour à tour aux deux gouverneurs successifs de la Bourgogne, le duc de Vendôme et le duc d’Epernon. Nommé « conseil » des Etats, il a en main, de ce chef, « la direction des affaires de la province. » Il montera encore. A vingt-huit ans à peine, il est déjà en mesure d’acheter, pour 65 729 livres, la plus enviée des grosses charges : celle de « trésorier receveur général des Etats de Bourgogne. » C’est alors le pinacle. Un document du temps l’y peint au vif : « Capable de tous les grands emplois et négociations les plus importantes, la taille très belle, la mine fort noble, l’air et l’entretien infiniment agréables, très propre à toutes les choses galantes [10], » vous l’apercevez, ce Fouquet de province. Mais alors aussi vient la rançon : employés infidèles, scandales, opinion soulevée, procès, disgrâce enfin, dont il se tirera du reste avec vaillance, et à son honneur... De cette existence agitée, qui se retrouve, à plusieurs reprises, en contact avec celle de Bossuet, deux choses seulement sont à retenir au sujet de l’ambiance morale de Bossuet jeune ; premièrement, la cause probable de ces malheurs d’Antoine : l’activité lutteuse qu’il déploie de 1650 à 1653 contre la Fronde des Princes entamant la Bourgogne, les responsabilités périlleuses qu’il continue de prendre ensuite dans la province divisée, les mécontentements qu’il soulève partout jusqu’en cette ville de Seurre d’où sa famille est sortie, mais qui est d’un fort mauvais esprit. Puis, et c’est ici ce qui davantage nous intéresse, notons que de tous les frères de Bossuet, ce n’est pas Claude le chanoine pacifique, ni Gilles François l’inexistant fiscal, avec lesquels Bossuet en formation parait avoir été le plus intime, mais celui précisément dont nous parlons : Antoine l’aventureux.

Les circonstances y contribuèrent. A dater de 1638, le groupe familial dijonnais, dont le conseiller Bénigne était le chef, se dissout. Il part pour Toul, emmenant sa femme, toutes ses filles et deux des garçons, Claude et Gilles. Il laisse Antoine et Jacques Bénigne à Dijon, où-ils ont, sans doute, déjà commencé leurs études comme externes au collège des Jésuites, dit collège des Godrans. Et alors, pendant près de cinq ans, Antoine et Jacques Bénigne sont unis non seulement par les études, mais par la cohabitation chez le parent qui les loge.

Ce parent, cet oncle, qui se substitue au père absent, le supplée, et même, si l’on peut en juger sans témérité, le remplace heureusement, c’est Claude Bossuet, sieur d’Aiserey. Et celui-là aussi, autant que nous sommes instruits de lui, est une « figure. » Non pas, assurément, aussi grande que son père Jacques, aussi éminente, dans l’action comme dans la pensée ; mais il est laborieux et droit, « ferme et judicieux. » L’historien contemporain qui connaît le mieux « les Bossuet, » estime qu’il « synthétise les solides qualités de la race [11]. » Il n’a pas les agissements ambitieux de son frère Bénigne et ses allées et venues. Il se fixe. Il se contente, pendant trente ans, de sa charge de conseiller au Parlement, commissaire aux Requêtes. Il s’en retire, en 1642, avec honneur, salué des regrets solennels de la Cour, qui lui rendit hommage « toutes chambres assemblées : » c’était six mois avant le départ de Jacques Bénigne et d’Antoine, ses neveux, pour Paris. Mais la carrière civique du magistrat alors sexagénaire n’était pas finie. Cinq ans plus tard, poussé à la mairie de Dijon par l’amitié confiante du jeune prince de Condé, nouveau gouverneur de la province, il est, en 1647-1648, élu et réélu « vicomte maieur. » Le voilà aux prises avec les difficultés graves que son père et son frère Bénigne avaient éprouvées. D’abord c’est la Fronde parlementaire à laquelle il s’oppose résolument, d’accord à ce moment avec Condé. Il ne veut pas « que le mal de Paris se puisse glisser à Dijon, » comme il le dit, d’un accent de fierté provinciale. Il stimule les énergies sans doute ébranlées par la défection du premier président Bouchu. Il répond à la Reine-mère et au Cardinal Mazarin de la fidélité de ses administrés. Au Parlement de Paris qui veut le gagner, il renvoie ses lettres sans les lire, et comme les officiers frondeurs tiennent la citadelle de Dijon, il interdit aux habitants de communiquer avec eux « sous peine de mort. » Seulement, l’année suivante, c’est Condé, son protecteur, qui à son tour s’insurge. Claude se sépare de lui, reste aux côtés de Millotet, l’agent si actif de la royauté en Bourgogne, et lorsque le jeune roi vient en personne, accompagné de Mazarin, achever la soumission de la province, à commencer par celle de Seurre, où Tavannes et Boutteville, partisans de Condé, sont toujours-maîtres, Claude, en sa qualité d’originaire de la petite cité turbulente, est pris pour arbitre. Et le vieux juge s’en va « parlementer » parmi ces avant-postes de guerre civile.

Or, c’est chez cet homme, qui, en 1638, n’est encore qu’un magistrat grave, mais qui allait se révéler bientôt homme de courage et d’exécution, c’est chez lui que Jacques Bénigne et Antoine son frère habitent plus de quatre années durant. Hôte qui est un tuteur pour eux, au moins pour Jacques Bénigne, qu’il « prend en affection. » Car ce citoyen est un « homme de lettres, » le mot est de l’abbé Le Dieu, qui donne en son Mémoire, d’après Bossuet sans doute, tous ces détails. Il a lui aussi une bibliothèque, où, avant même, ce semble, que le père n’eût quitté Dijon, il admettait l’enfant, et, voyant ses qualités d’esprit naissantes, « s’efforçait de lui faire aimer les livres. » Il se plaisait à lui « voir apprendre, » à lui entendre « réciter indéfiniment des vers de Virgile. » Et, comme rapporte Le Dieu, « le neveu faisait les délices de l’oncle. » Même, cette tutelle souriante va-t-elle un peu plus loin que les études ? Quand Claude eut appris que le régent de rhétorique du collège des Jésuites jugeait « propre » pour « la Compagnie » le jeune écolier destiné à la cléricature, et le sollicitait d’y entrer, est-ce qu’il contrecarra avec vivacité ces avances ? Et, s’il s’y opposa, comme il semble, fut-ce par une antipathie contre les Jésuites, ou simplement, ainsi que Le Dieu le dit, par le désir confiant qu’un neveu si bien doué cherchât dans l’Eglise séculière une carrière plus digne de ses talents ? En tout cas, l’action de Claude Bossuet d’Aiserey sur Jacques Bénigne est sûre.

C’est même la seule sûre, la seule que les textes nous permettent de constater en des aveux de l’intéressé. On a voulu, en ce qui concerne les autres parents prochains de Bossuet, suppléer à l’absence de témoignages directs d’eux ou de lui-même. On a interrogé ses Sermons qui, assurément, en de certains cas, renseignent sur lui malgré lui-même, et qui, parfois, en effet, sous la forme d’idées générales, sont, en quelque sorte, des expansions dissimulées...

Que dit Bossuet, prédicateur, de la vie de famille ? Qu’elle est bonne et douce et que c’est un des bienfaits du plan divin : ce qu’il ne pouvait pas ne pas en dire.

Que dit-il sur les mères ? Qu’elles aiment leurs enfants plus qu’elles-mêmes, jusqu’à souffrir pour eux ; bien plus, jusqu’à souffrir avec eux de ce qu’en réalité ils souffrent seuls... Et sur cette idée-là sans doute, il insiste et il est touchant. Mais s’il insiste, c’est parce que cette idée s’indique pour nourrir les sermons sur la Compassion de la Vierge, où l’orateur catholique veut apitoyer les fidèles en leur représentant l’étrange peine de la Mater dolorosa. Et s’il est touchant, il l’est avec saint Augustin qu’il cite et qu’il traduit. Prenons garde de louer sainte Monique en voulant conjecturer Mme Bossuet [12].

Et sur les pères et l’amour paternel, comment Bossuet, s’il n’en dit rien partout ailleurs, parle-t-il dans la chaire ? Il dit qu’à « s’appetisser à leurs enfants » ils ont plaisir ; il nous peint, non sans charme, un avocat, rentré chez lui, « déposant cette éloquence qui l’a fait admirer au barreau pour prendre avec son fils, encore tout petit, un langage à sa portée [13]. » Et l’on pourrait croire qu’il doit ce joli tableau d’intimité à ses souvenirs personnels. Or là encore saint Augustin s’interpose et réclame sa part. C’est à lui que ce tableau est pris, et, quelque regret qu’on en puisse avoir, il n’est point permis de transformer un emprunt en une confidence.

Vraiment donc, de tous les parents qui ont environné son enfance et surveillé ses premières années, il n’y a que l’oncle paternel, dernier venu, dont le contact moral, la camaraderie intellectuelle aient laissé en lui des traces conscientes, un souvenir reconnaissant et même une image tendre... Pour tous les autres, père et mère compris, la collaboration qu’ils purent avoir, jusqu’à la quinzième année de Bossuet et à son départ pour Paris, dans la vie quotidienne, à la formation de son être, rien ne nous permet de la déduire de ce qu’ils firent : il nous faut l’induire de ce qu’ils furent, ou, pour parler plus modestement, de ce qu’ils semblent avoir été.


II. — LES ANCÊTRES DE BOSSUET DEPUIS LA FIN DU XIVe SIÈCLE

Plus encore, naturellement, que la famille immédiate et prochaine, flottent, confus dans la pénombre des documents fortuits, les ascendants antérieurs de Bossuet, quoique maintenant, grâce aux exhumations érudites, nous remontions jusqu’au commencement du XVe siècle, dans l’une au moins des deux lignées généalogiques. Commençons par la ligne maternelle, puisque les physiologistes nous enseignent que c’est celle-là qui, en matière d’hérédité, importe le plus.

Du côté de Marguerite Mochet et de ses ancêtres maternels, ce sont les Humbert, dont l’un, Marc, est, à la fin du XVIe siècle, maître ordinaire à la Chambre des Comptes de Dijon, office que ses deux frères recueillent successivement, après qu’il fut mort d’une blessure reçue à un assaut de Seurre, en 1395. Un Nicolas II Humbert est, à la mort de Henri IV, vicomte-maieur de Dijon [14].

Quant aux ancêtres paternels de la mère de Bossuet, on les saisit plus haut, et un peu plus solidement, dans le passé. Les Mochet viennent, à l’origine, de « la Comté » de Bourgogne, de Poligny, sur tes premiers plans du Jura. Famille vaste, une de leurs branches reste dans la Comté, y essaime, s’y distingue ; on y trouve un doyen du chapitre de Besançon, député, en 1431, au grand Concile de Bâle. L’autre branche s’établit en Charolais, pays agricole, que l’élevage enrichit ; pays frontière, qu’endurcit le danger de la faction perpétuelle aux confins de la France, indécis de ce côté. Les Mochet y « apparaissent, » en 1484, au village d’Azu, petit fief noble qu’ils ont d’abord à ferme, mais dont, soixante-dix ans après, ils sont propriétaires. Mochet du Charolais comme ceux de la Comté ont de bonne heure de belles alliances : les uns s’unissent aux Saulx, aux Rigny, aux Damas, aux Perrenot de Granvelle ; les autres, que l’on trouve partout en Bourgogne, à Communy, à Vauzelle, à la Balaze, à Chateau-Rouillaud, s’apparentent à de très vieilles familles déjà connues : les Nettancourt d’Haussonville, les Jouffroy d’Abbans, les Harlay de Beaumont. Ils sont dans les charges administratives ou judiciaires des lieux qu’ils habitent : l’un, juge-enquêteur à Saint-Romain-sous-Gourdon, l’autre lieutenant-colonel du bailliage à Saint-Jean-de-Losne, l’autre procureur du Roi au grenier à sel d’Auxonne. Mais on relève aussi parmi eux nombre de militaires de tous grades : un capitaine de cette petite ville de Seurre où alors les Bossuet habitaient ; un « prévôt général des maréchaussées de France en Bourgogne, Bresse et Bugey ; » trois chevaliers de Saint-Georges ; tous ces soldats au cours seulement du XVIe siècle.

Mais alors la guerre n’est pas seulement le service au dehors : elle est aussi, et partout, en France. Tous, donc, même quand ils ne sont pas, de profession, militaires, échangent, quand il le faut, et il le faut souvent, contre le mousquet et l’épée, leur pourpoint ou leur robe.

Tel Claude Mochet, père de Marguerite, avocat au Parlement de Dijon (1). Il fait partie de cette minorité de magistrats royalistes de Bourgogne qui, comme Jacques, l’autre grand père de Jacques Bénigne, combattent la Ligue, de bon cœur. Envoyé par ses amis en Suisse et en Allemagne, il en ramène 500 reîtres et 200 lansquenets et en rapporte 40 000 écus. Il se bat à Arques. Il est tour à tour juge à la Chambre des Comptes de Semur et commandant du fort de Losne. La paix conclue, il rentre au barreau : « lumière » juridique, grande voix aussi. En 1600, il est « l’un des Trois Conseils des Etats de Bourgogne ; » en 1614, député à ces États-Généraux de France où la nation fit connaître pour la dernière fois à la Monarchie ses volontés et ses besoins. Donc, du côté de Marguerite Mochet, toute une tradition glorieuse, soit dans la robe, soit dans l’armée, mais ici, semble-t-il, avec un excédent, si l’on peut dire, d’esprit militaire.

Du côté du père de Bossuet, c’est en 1428 que nous trouvons le premier ancêtre dont mention soit restée aux pièces d’archives. Et c’est en cette ville de Seurre, ville commerçante dont les bois, vins et blés d’alentour alimentent le trafic batelier sur la Saône, ville fortifiée qui commandait l’entrée de la Bourgogne. A cette date, le premier Bossuet de l’histoire donne un pré aux chapelains de Seurre pour fonder une messe anniversaire. Son surnom, Rouhier ou Rouyer, indique qu’il est ou que l’un de ses ascendants fut charron. Vingt-deux ans plus tard, deux autres Rouyer, des collatéraux probablement, figurent, l’un dans un contrat, l’autre dans une nouvelle fondation de messe. Dix ans après, en 1460, l’un des Bossuet, Jacquot, gravit un échelon social : il se fait recevoir bourgeois. « Il devait jouir d’une certaine fortune, » si l’on en juge par le chiffre de sa patente [15].

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à la fin du XVe siècle, les Bossuet ont à Seurre trois « feux, » trois maisons. En même temps, ces enrichis de la glèbe ou de l’outil sortent de l’ignorance. En 1496, les gens de Seurre firent composer pour eux et représenter chez eux le noble Mystère de monsieur saint Martin, patron de leur église ; avec quelques autres bourgeois et nobles de l’endroit, les « Rouyer-Boussuet » y tiennent des rôles [16] ; et, cela, comme leurs compagnons, de façon si faraude et gaillarde, constate le procès-verbal retrouvé de nos jours, — « qu’oncques lion en sa tanière ne meurtrier en ung bois ne furent jamais plus tiers qu’ils estoient en jouant. » Leur verdeur agreste, enhardie, se campe sans gêne dans « l’intellectualité. »

Au XVIe siècle, la double montée s’affirme. Tandis qu’ils « fondent » toujours, pour leurs défunts, des messes, et qu’ils plaident, signes de fortune, ils parviennent aux honneurs municipaux, signe d’une certaine capacité reconnue. Même, en ces honneurs ils s’enracinent. Après qu’Etienne Ier Bossuet-Rouyer a été, en 1513, maire de Seurre, Etienne II, son fils, le trisaïeul de Bossuet, échevin une première fois en 1533, maire de 1537 à 1541, échevin derechef en 1542, encore maire en 1543, redevient échevin en 1545 ! L’une des maisons des Bossuet-Rouyer présente quatre pignons sur la place de l’Estaple, c’est-à-dire sur le Marché de la ville. Etienne Ier a hérité de la bourgeoisie de son père : il est « honorable homme. » Ils ont pris un blason, des armes parlantes : sur champ d’azur une roue d’or.

Les collatéraux, du même pas, se hissent, de ci de là aux fonctions libérales. En 1523-1524, on y rencontre un notaire ; vers 1530, un médecin, écrivain aussi et poète. Ce François Bossuet publie non seulement un livre latin Sur l’art de guérir, mais un traité caractéristique de ce temps de gourmandise scientifique où l’on aimait les « curiosités des choses naturelles : » un traité de natura aquatilium, en vers ; sans compter des Élégies, des Epigrammes, peut-être le premier chant d’un poème épique sur la Mort de Samson. C’est un contemporain complet de Ronsard comme d’Ambroise Paré et de Pierre Belon [17]. Vers 1543, où « noble maître Antoine Bossuet » est nommé « conseiller auditeur à la Chambre des Comptes, » une Françoise Bossuet épouse Edme de Chantepinot, docteur en droit, conseiller du Roi et son avocat aux bailliage et chancellerie de Dijon : premier pas en la grande ville. Vers 1513, un Jehan Bossuet, docteur en droit, s’y fait inscrire avocat au Parlement, tandis qu’à Seurre « messire Claude Bossuet, » prêtre, se contente d’être « prêtre familier en l’église, » ayant apparemment de quoi vivre sans briguer une cure.

Et alors, ce qui devait arriver arrive : le berceau est trop petit. En 1573 ils vendent, à un bourgeois du pays, les deux étangs, les prés aussi, « sans aucunes choses réserver ni retenir, » c’est-à-dire sans esprit de retour. Et la liquidation s’achève dix ans après : en 1583, Jacques et André, fils d’Antoine, vendent la vieille demeure familiale de la grand place dont ils étaient plusieurs co-propriétaires. Seurre a beau être, non seulement une petite cité fort vivante, qui aime à affirmer son importance et « la tête chaude » de ses habitants, mais aussi, sur sa colline qu’entourent « des prairies grandes et belles, » « un séjour gracieux, » dit le vieux géographe Expilly, où il est facile de « mener une vie également tranquille et délicieuse. » Ni « ses bois pleins de gibier, ses étangs et viviers pleins de poissons, ses jardins féconds en toute sorte de fruits, » ne retiennent ces paysans parvenus ; ni la maison de l’Estaple avec sa large façade de briques rouges et noires, ses hautes murailles, sa chapelle funéraire, ses sculptures naïves, où, entre les colonnettes, soutenues par des escargots, saint Martin se voyait coupant en deux son manteau [18]. La capitale de la province, avec ses profits et son éclat, les attire.

Antoine y a eu de l’avancement à la Chambre des Comptes. Promu auditeur ordinaire, il en achète en 1553 l’office pour 1 500 livres tournois, achetant du même coup définitivement la noblesse, la noblesse héréditaire de robe. Il modifie ses armoiries, meuble le champ d’azur de trois roues d’or au lieu d’une. Il a épousé une fille de Nicolas Richard, « seigneur de Ruffey-lès-Beaune. » Il pousse vivement ses enfants dans la carrière judiciaire et financière où il a si bien réussi, où ils réussiront mieux encore. Car voici l’apogée de la famille en ascension. Tandis que cet Antoine marie une de ses filles au « garde des sceaux du bailliage et chancellerie de Dijon, » plus tard « trésorier provincial de l’Extraordinaire des guerres, » Bénigne Soyron, il fait épouser Marguerite Margaret, fille du « grenetier ancien au grenier à sel d’Auxonne et Mirabeau, » à son fils André, qui acquerra ainsi la charge lucrative de son beau-père.

Et alors se constitue, dans la branche des Bossuet qui provigne à Auxonne, un capital qui va servir de base, entre les mains de l’un des fils d’André, François, entre 1630 et 1658, à des spéculations et à des gains féeriques. Ce cousin de Jacques Bénigne Bossuet, qui a vingt-sept ans de plus que lui, possède déjà en 1627 toutes les bonnes places de son père André en Bourgogne. Mais, en 1630, c’est une des plus hautes charges de l’administration centrale monarchique qu’il ose acheter, au prix d’un million et demi de livres environ : la charge de secrétaire ordinaire au Conseil d’État. Et non content de conserver en sus les offices provinciaux qui rapportent le plus, greffe du Comté d’Auxonne, greffé du Bailliage d’Auxonne, greffe de la Chambre des Comptes de Dijon, présidence de la Cour des Aides de Cahors, il se fait, sous des noms d’emprunt, sous-traitant, associé de traitant, fermier des gabelles du Lyonnais et du Languedoc ; pis encore : prêteur d’argent des nobles dans la gêne, acquéreur, au mieux, de vingt terres seigneuriales tout autour de Paris. Ce François Bossuet est l’un des meilleurs types historiques du maximum d’enrichissement possible aux parvenus de l’ancien Régime [19].

Mais c’est alors aussi que la famille Bossuet touche, sur des cimes plus pures, le faite de la considération où pouvaient atteindre des hommes nouveaux. Lorsque l’heureux Antoine unit en 1579 à « damoiselle Claudine Bretaigne, » son troisième fils Jacques, celui qui sera l’aïeul de Jacques Bénigne, par là il introduit dans le sang des Bossuet un double affluent de sang parlementaire et de noblesse judiciaire. Car Claudine Bretaigne n’était pas seulement la fille de l’éminent magistrat et politique que nous avons rencontré plus haut ; par sa mère aussi, Denise Barjot, sœur de deux membres de la Chambre des Comptes, elle tenait à des lignées de magistrats et d’administrateurs. Par cette alliance, des liens se créaient qui donnèrent à Jacques Bénigne, pour grands-oncles et petits cousins, Jules Bretaigne, seigneur de Blancey, conseiller à la cour de Dijon ; Antoine Bretaigne, baron de Loisy, d’abord, lui aussi, conseiller à cette cour, puis premier président au Parlement de Metz, puis premier président à celui de Bourgogne ; Claude Bretaigne, deuxième du nom, conseiller au Parlement de Dijon, et, ensuite, successeur de son père à Metz et conseiller d’État ; Isaac Fournier, conseiller au Parlement de Bourgogne ; Philibert Lenet, président à la Chambre des Comptes de Dijon. Personnages considérables à peu près tous, surtout à cette époque, où, en province comme à Paris, les Parlements, tout en tâchant de maintenir, devant la Royauté grandissante, leur prestige décadent, ne marchandaient pas au pouvoir leur dévouement. Cet Antoine Bretaigne de Loisy était membre en 1632 de la commission spéciale qui, dix années durant, délibéra, à Rueil, sous les yeux même de Richelieu, sur les malversations et les intrigues du maréchal Louis de Marillac, et qui finit par prononcer contre lui, en mai 1622, à la majorité d’une voix, une condamnation à mort que la vengeance du Cardinal n’avait pas osé espérer. Et quand il reviendra en 1637 finir ses jours en sa province natale, ce sera, je l’ai dit, pour y retrouver au Parlement, alors résidant à Semur, la première Présidence, mais, notons-le, par « commission royale » cette fois. C’est que, là encore, il y a une situation difficile... Antoine Bretaigne fut toute sa vie un de ces missi dominici issus de la volonté de Richelieu et par lui chargés, ici et là avec les Intendants, de promener et planter fermement la police et la paix nouvelles.

Voilà comment s’entr’aperçoivent, au cours des deux siècles qui précèdent la naissance de Bossuet, quelques-uns des membres des diverses branches de sa famille, soit parmi ceux qu’il a pu connaître, soit parmi ceux qui, depuis un temps plus ou moins long, étaient disparus. Or, incontestablement, même en essayant de grouper autour de leurs noms, pour leur donner chair et substance, toutes les miettes de l’histoire, sans en rien perdre, toutes les mentions de leurs fonctions et honneurs, et des faits publics où ils se trouvèrent mêlés, c’est bien peu de chose que nous pouvons « réaliser » d’eux ! C’est comme ces « clous fichés au long d’une grande muraille » de distance en distance, » dont Bossuet par le dans la Méditation sur la Brièveté de la vie : « Amassez-les : il n’y en a pas pour emplir la main. »


III. — CE QUI SE DÉGAGE DE CETTE PRÉHISTOIRE

Et pourtant, cette poussière d’histoire sans précisions et d’êtres sans psychologie, si nous la rassemblons en une poignée, certains traits s’en dégagent.

Le premier, assurément, c’est que cette famille des Bossuet, comme celles qui s’unissent à elle, est nombreuse. A peine l’aisance matérielle y a-t-elle été atteinte, que les naissances s’y multiplient. Qu’il s’agisse des Bossuet, ou des Mochet, ou des Humbert, ou des Bretaigne, jamais ce pluriel symbolique du langage populaire n’a mieux convenu qu’à ces dynasties, dont l’ensemble eût fait dans la primitive société féodale un clan. Nombreux, ils se répandent. Ils ne quittent d’abord que leur lieu d’origine, restent jusqu’en 1633 en leur province. Mais même réduite à la portion du royaume à laquelle ils appartiennent, cette expansion est à considérer. C’était une force. Force morale pour l’individu jeune, débutant, qui, sortant du foyer, se sent, où qu’il aille, accueilli, soutenu ; force aussi pour l’homme mûr, arrivé, dont l’énergie se déploie confiante, pousse sa pointe, s’impose, conquiert l’autorité. C’est dans les races abondantes que se font mieux les âmes de chefs.

Cette famille a la suractivité que confère à l’ambition de ses membres sa confiance de tribu. Son effort intense, le désir de sortir de l’humilité l’explique au commencement. Mais cet effort subsiste, même une fois les premiers résultats atteints. A l’époque où Bossuet vint au monde, les Bossuet atteignent déjà un étage élevé de la hiérarchie d’alors et s’y installent. Mais ils veulent davantage ; l’exemple de l’oncle de l’évêque, de son père, d’un de ses frères aînés le prouve. Les étapes franchies, sous Louis XII, sous François Ier, sous Henri IV, ne suffisent pas à cette race en marche victorieuse. De l’essor du Tiers-État en France, ils ont profité sous Henri IV et sous Richelieu. Ils le voudront encore sous Colbert. Elle a été dure, jadis, l’ascension, pour ces petites gens, ouvriers ou cultivateurs de campagne. Pour gagner la propriété, la « bourgeoisie, » les honneurs municipaux, la « noblesse, » les charges lucratives, il leur a fallu du temps et la lutte. La chaleur en subsiste et ne s’éteint pas ; ce travail pour monter reste chez eux une habitude, un besoin.

En cette race d’origine rurale, les formes supérieures de l’intelligence ont tôt apparu. Bien qu’ils fussent encore probablement très attachés au sol vers 1500, ils ne tardent pas à s’ouvrir à des goûts plus délicats, à s’« assurer » en des attitudes publiques, en des gestes décoratifs. Et au milieu du seizième siècle, ces Bossuet qui bêchaient naguère autour du cep tordu manient la parole, tiennent la plume, mettent même la main à « la lyre. » Pourtant ce n’est pas vers les emplois de pure intellectualité qu’ils s’orientent, vers les recherches spéculatives, vers les sciences ou les lettres. Le médecin zoologiste et poète de 1548 restera, dans la famille, une exception. C’est vers l’administration qu’ils aiguillent leur activité, et vers le barreau ou la magistrature assise ou debout. Dans toutes les fonctions de judicature, plaidoirie, greffe, police, approvisionnement public, finances, ils se « précipitent. » Rien qu’avec les Bossuet, les Mochet, les Humbert, les Bretaigne, on eut fait, vers 1635, un Parlement et une Chambre des Comptes ; et, si l’on y avait joint les Soyrot, les Landrot, les Berbis, les Chantepinot et les Richard, les Rousseau et les Joly, les Simony et les Le Goux, les Barjot et les Drouas, les Beuverand et les Margeret, les Dumay et les Jeannel, on aurait pu fournir à presque toute l’administration d’une province. Or, s’ils pullulent en ces charges, c’est assurément, en premier lieu, que ces formes d’activité flattent le plus l’ambition impérieuse, réalisatrice ou simplement vaniteuse ; — mais c’est aussi, qu’ils y réussissent, qu’ils ont la clarté et le jugement, la modération et l’initiative, et l’esprit d’exactitude et d’ordre que la besogne administrative réclame.

Ceci frappe encore qu’en cette famille, jusqu’à la génération de Jacques Bénigne, il y a relativement assez peu d’hommes d’église, et, en ce petit nombre de « clercs, » presque point de ces moines où se recrutait alors la partie, sinon la plus vivante, au moins la plus remuante et bruyante de l’Eglise et sa batailleuse avant garde. La foi catholique était alors particulièrement vive en Bourgogne ; et il y a tout lieu de penser que les ancêtres de Bossuet participèrent de l’état d’âme commun de leurs compatriotes et contemporains. Toutefois ils ne s’empressent pas au service de l’Église. Au XVIe siècle, leur zèle catholique ne va pas jusqu’à considérer l’adhésion à la « Sainte Union » comme le plus logique de leurs devoirs. Ils ne se sentent pas, comme leur ardent collègue Brulard [20], « provoqués et aiguillonnés à la défense de la religion. » Ils n’estiment pas que ce « maintien » exige d’eux d’empêcher l’accession au trône d’un prince protestant. Ils ne subordonnent nus leur loyalisme dynastique à leur foi.

Puis, quand, à partir de 1630 environ, la volonté de renaissance et d’offensive qui animait déjà quelques illustres chefs de l’Église française passa chez les laïques, et de Paris en provins grâce à des sociétés hardiment propagandistes, véritables « Ligues » spirituelles [21], ― il ne parait pas qu’à ce mouvement, qui dura une cinquantaine d’années, ils se soient associes avant 1650 environ. Avant cette date, le nom des Bossuet où de leurs « alliés » ne se trouve dans aucune de ces œuvres qui, en Bourgogne à peu près autant qu’en d’autres provinces de France, manifestèrent l’efficace réveil. Il ne parait donc pas qu’il y ait eu chez eux, antérieurement à la génération à laquelle Bossuet appartient, l’ardeur mystique au degré supérieur, l’intensité et l’intransigeance de piété qui dépasse l’orthodoxie courante et dont certaines familles de Normandie, de Picardie, du Maine nous montrent, en celle première moitié du XVIIe siècle, la surexcitation expansive.

En revanche, la « vie politique » les rallie presque tous. Ses écueils, ses naufrages (et l’on sait combien sous Richelieu, Mazarin, Colbert, il y en eut, et d’illustres) n’effraient pas la solidité de leur jugement et la prudence de leur sens pratique. Les Bossuet, les Mochet, les Humbert, les Bretaigne acceptent, cherchent les fonctions publiques, qu’elles soient gouvernementales et distribuées par la Cour, ou municipales et électives. Seulement, dans les conflits qui se produisirent alors si fréquents, surtout dans un « pays d’Etats » comme la Bourgogne, entre les restes de féodalité et d’autonomie communale et l’empiétement insinuant ou rude du pouvoir unifiant et absolu, ils optent vite. Plus d’un parmi eux, après avoir commencé par servir « la Ville, » la Province, les États, finit par s’attacher, au contraire, à la Cour, à la Monarchie centralisatrice, à l’Etat. Préférences calculatrices ? Comparaison d’appointements ? Peut-être. Mais de certains de leurs actes et de quelques-uns de leurs propos conservés, il ressort qu’il y avait aussi, de leur part, conviction, et que, comme la majorité de leurs concitoyens en Bourgogne, ils jugent qu’il ne faut plus de ces désordres, ou même de ces indépendances, qui « font ruiner le monde ; » que le devoir présent est de se rallier, au prix même de sacrifices, à la royauté restauratrice et garante de la tranquillité publique. . Cette conviction leur tient assez au cœur pour s’attester, aux heures de lutte, par de méritoires vaillances.

Et telles sont, ce semble, les principales qualités, les manières coutumières de sentir, de penser et d’agir qui, par des exemples assez nombreux pour être probants, s’affirment chez les ancêtres plus ou moins distinctement connus de Bossuet. Telles sont les tendances générales ou les permanentes directions selon lesquelles sa race s’oriente, en des gestes communs et répétés, durant ce progressif cheminement de deux siècles.


IV. — LA POUSSÉE DU PASSÉ ET LES GERMES NOUVEAUX

Et maintenant, de cette préhistoire de Bossuet, quel parti se peut tirer pour le mieux comprendre et le mieux juger ?

Que, de ces manières d’être, plusieurs, la plupart si l’on veut, aient pu, aient dû se fondre en lui par le sang transmis, cela est hors de doute. Et que, même, toutes, elles dussent aboutir à une intensité particulière chez les derniers venus de la lignée déjà longue, on ne peut guère ne pas l’admettre quand on apprécie ces deux faits : d’une part, la pureté, conservée deux cents ans, d’une race qui ne s’entretint que par des mariages « dans le pays, » et où le sang des gens de « la Duché » ne reçut d’autre mélange que des voisins de « la Comté, » analogues et amis ; d’autre part, ce qu’il y avait eu de continûment permanent dans les actes de ces précurseurs. Car si quelque chose saute aux yeux dans cette galerie, où les trous abondent, de portraits troués eux aussi, c’est la ressemblance notable qu’elles ont entre elles, ces ombres successives. Peu ou point d’individus disparates prétendant « vivre » chacun « leur vie » au gré de leur « sens propre, » comme disait plus tard si souvent, en un sens péjoratif, Bossuet théologien : c’est un défilé d’êtres, inégaux mais semblables. Point de fantaisies en ces familles, de la fusion desquelles sa propre famille s’est faite ; point de sautes et d’exceptions épisodiques et surprenantes, comme en certaines lignées normandes, gasconnes, auvergnates, où, au contraire, des « types » extraordinaires surgissent bizarrement, où de petits bourgeois de petites villes, ou des ruraux placides, tout à coup, sous on ne sait quel souffle, quittent le siècle, s’en vont par le monde, missionnaires ou anachorètes imprévus. Eux, ces Bourguignons, dans les voies une fois adoptées, ils s’emboitent le pas de génération à autre. Et de même que leurs buts restent fixes, et que leurs résultats s’accumulent, leur effort aussi, à travers les ouvriers qui se remplacent, dure pareil. Au long de deux siècles, dans leurs emplois, leurs acquêts, leurs qualités mentales, leur énergie, il y a, pour employer encore un mot, qui, celui-là fut bien cher à Bossuet, une « suite. »

Bossuet a derrière lui plus qu’un passé social assez long déjà : il a une poussée. Vraiment, il ne se peut que sur beaucoup de points cette pression pesante des morts, il ne l’ait, bon gré mal gré, profondément subie.

Toutefois, « sur de certains points » seulement. Et en ceci sans aucun doute, il faut revenir aux termes circonspects de Sainte-Beuve, et, contre une exagération déterministe de l’hérédité, maintenir les possibilités du renouvellement et de l’originalité humaine. On sait de reste combien, déjà le « moment » et le « milieu » contrarient et modifient la « race. » Mais c’est avec « la nature, » aussi, qu’il faut compter, et avec « la volonté : » la nature, qui en des êtres nouveaux, par suite de réactions indépendantes de ce qui fut, peut produire, quand il lui plaît, à un moment imprévisible, ce qui n’a pas encore été ; la volonté qui, en des êtres plus clairs de conscience, plus vigoureux, devient d’autant plus capable de contrôler ce qu’elle reçoit, de réagir contre des servitudes qu’elle distingue et qu’elle répudie, et de se donner des puissances inédites. Les esprits éminents sont des résultantes, d’accord, mais des résultantes libérées, transformées et accrues.

Et de ces transformations comme de ces apports nouveaux, je ne sais si chez Bossuet on ne peut pas entrevoir comme un indice dans le peu, dans le très petit peu que nous savons de son enfance.

En Bourgogne, à Dijon, de 1627 à 1637, des faits d’histoire assez notables, nous l’avons vu déjà se produisirent. Sans doute, en 1630 Jacques Bénigne, n’ayant que deux ans et demi, n’a pas pu voir cette émeute, soulèvement, peut-être favorisé par les mécontentements bourgeois, de la plèbe urbaine et des rudes paysans des coteaux voisins de Dijon. Mais de cette descente, sur la capitale de la Bourgogne, des vignerons d’alentour ; de cette armée subitement formée de « tumultuants » menés par un « goujat » d’armée, faisant pendant deux jours la loi à la vieille cité parlementaire ; du sac des hôtels de plusieurs magistrats, dont l’un était un cousin par alliance de Bossuet (le président Le Goux de la Berchère ) ; de cet outrage au Roi de France, dont le portrait fut brûlé aux cris de : « Vive l’Empereur ! » « comme si celui-ci eût été le maître légitime de la province : » de la bataille de la milice paroissiale avec la troupe carnavalesque et brutale dévalée sur la ville ; de tous ces épisodes dramatiques, l’enfant un peu plus avancé en âge a dû, tout de même, entendre le récit, d’autant mieux que son père y avait joué le plus honorable rôle, que la punition en fut sévère, que Dijon même avait été rendue responsable et rudement punie, par la Royauté irritée, de cette sorte de jacquerie anti-française

En 1631, alerte d’un autre genre. Alors, c’est le frère du Roi, révolté, qui veut soulever la Bourgogne ; et, en mars 1631, les Dijonnais voient, comme aux temps du Moyen âge, galoper vers leurs portes avec quelques milliers de chevaux, Gaston d’Orléans, qui les somme de le ravitailler. Le gouverneur, duc de Bellegarde, pactisait avec lui. La tentative échoue, mais en 1632, revenant du Midi, le royal aventurier se venge. Il incendie en passant tout un faubourg de Dijon ; les canons de la ville font feu sur lui. Il est impossible que Bossuet n’ait pas eu, assez tôt après, connaissance de ces incidents émouvants, étant donné que tant de ses parents, proches ou éloignés, occupaient des charges de la province ou de la ville.

Puis, en cette même année 1632, c’est une première menace de la guerre étrangère. Les coureurs d’Ernest de Mansfeld s’approchaient ; le gouverneur de la Duché fait une levée hâtive de cavaliers gentilshommes et de bourgeois fantassins. Quatre ans ne s’étaient pas écoulés qu’en 1636. l’attaque des Impériaux se renouvelle. Avec, dit-on, pas moins de cinquante mille hommes, précédés de mercenaires croates, Gallas, bousculant La Valette, secondé par Lamboy, Grana, Saint-Martin, Mercy et le duc de Lorraine, envahit la Bourgogne dégarnie. Plusieurs petites villes sont mises à feu et à sang : Chausson, Verdun, Pontailler-sur-Saône, Mirebeau. Dans le plat pays, plusieurs centaines de communes sont dévastées. De la Tour du Logis du Roi à Dijon, l’on voyait vingt lieues de pays enflammés, et bientôt les ennemis sous les murs. « Avec pelles et pioches, les habitants se portent aux remparts, » encouragés par la proximité des Suédois de Bernard de Saxe-Weimar et des troupes de La Valette qui se reforment. Alors, c’est sur Saint-Jean de Losne que la ruée dévia. On sait comment, contre toute attente, dans ce gros bourg fortifié, treize cents hommes armés, dont à peine trois cents vrais soldats, repoussèrent l’assaut énorme. Ce furent des scènes antiques, les femmes montées aux créneaux versant l’huile bouillante ; et l’on tint neuf jours, jusqu’à ce qu’une crue de la Saône et du Doubs et l’approche de Rantzau et Turenne sauvassent la petite ville, — « Carthage du siècle, » à qui le Roi accordait, quelques mois après, une faveur unique. : l’exemption de toutes charges. Deux membres au moins de la famille Bossuet faisaient partie de la troupe épique, sans compter tous ceux des cousins, petits-cousins, alliés, amis probables, dont on peut reconnaître les noms dans les listes conservées des héros ou des assiégés [22].

Et certes, de ces derniers événements, il est malaisé de supposer que Jacques Bénigne n’ait pas vu d’abord, étant alors âgé de neuf ans, le côté dijonnais ; ne fût-ce que le transport à Saint-Bénigne de Dijon de la statue miraculeuse de Notre-Dame d’Etang, alors que les Dijonnais se préparaient à la résistance. Mais le récit, au moins, de ces heures tragiques ne lui fut-il pas fait, très tôt, par des voix encore émues, par de braves gens qui avaient connu, après les angoisses de l’anarchie ou de l’invasion, le soulagement de l’ordre rétabli et de la victoire ? Or, ni ses lettres, ni ses sermons n’offrent aucune allusion à ces choses. Il y a plus. Quarante ans plus tard, précepteur du Dauphin, une besogne lui incombe qui lui offrait l’occasion la plus naturelle d’en parler. Il raconte au jeune prince avec beaucoup de détails et de précisions le règne de son aïeul Louis XIII. Qu’il n’insiste pas sur la sédition de 1630, à la rigueur, cela s’explique. Mais sur les faits de guerre, même malheureux pour les armées du Roi, des années 1635-1636, — les notes résumées de son cours tiennent deux ou trois pages [23]. Pas un mot sur la Belle Défense de Saint-Jean Je Losne. Cet illustre épisode de l’histoire de sa province, si quarante ans après il l’oublie, ou s’il le relègue parmi les faits secondaires et négligeables du règne, c’est qu’il ne l’a pas vécu au lendemain et sur les lieux mêmes. N’est-ce donc pas aussi qu’alors son esprit était ailleurs ?

Et qu’est-ce qui, possiblement, occupait en ce temps sa jeune âme ? Vers la fin de l’année précédente, 1633, il a été conduit par ses parents à Langres, siège du diocèse. Là il a reçu des mains de l’évêque, ami de sa famille, Sébastien Zamet, la tonsure. Sébastien Zamet est un évêque réformateur [24], qui, dès 1616, s’est attelé avec courage, qui, en 1622, en 1628, met la main, de nouveau, publiquement, à cette purification morale du clergé que les bons catholiques rêvent depuis si longtemps et qui tarde. Ses instructions ont-elles fait sur le fils de Bénigne Bossuet un effet que vraisemblablement elles ne produisaient pas sur le père ? Cette cérémonie, en laquelle peut-être ses parents ne voient qu’une précaution d’avenir, une « inscription » prise de bonne heure, afin d’être « capable, » le cas échéant, d’obtenir un de ces « bénéfices » tant guignés, l’enfant y a-t-il vu, y a-t-il ressenti autre chose ? A-t-il été convaincu par le pasteur du diocèse que cette cérémonie annonciatrice, cette « préparation aux Ordres » l’engage et l’oblige ? Dans le Manuel des Retraites suivant l’esprit [25] de ce saint Vincent de Paul qui devait exercer plus tard tant d’influence sur Bossuet, un saint prêtre expose à ses confrères que « la tonsure fait de nous comme des Nazaréens du Seigneur, comme des hommes séparés de la foule, » triés de la masse, obligés à penser uniquement aux choses éternelles. Est-ce de cela qu’il est pénétré, et lorsque, maintenant, « les cheveux courts, » symbole de renoncement aux vanités du monde, « la couronne sur la tête » qui indique « non seulement la royauté du sacerdoce, mais l’empire que les ecclésiastiques doivent avoir sur leurs passions, » quand ainsi marqué par le ciel, il sort « en soutane » dans les rues et assiste « en surplis » aux offices de la paroisse, se dit-il que le voilà entré en un chemin que prirent assez rarement ses ancêtres ? Et sa conscience naissante est-elle intimidée et hantée de ce devoir de transfiguration, impliquée et à lui imposée par la volonté de ses parents, et qu’il accepte, qu’il aille « servir Dieu » dans le troupeau élu des lévites [26] ?

Quatre ou cinq ans après, c’est un autre incident de sa première jeunesse, le seul, à vrai dire, avec les ferveurs d’humaniste encouragées par son oncle, qui ait fait sur lui une empreinte assez profonde pour demeurer ineffacée : la lecture de la Bible. On sait ce qui advint à l’un des séjours où son père, « revenant de temps en temps à Dijon, jouissait, » comme l’oncle tuteur, « des fruits des études de son fils. » Sans y être incité, ni, trop évidemment, par ses maitres ecclésiastiques, ni par son oncle, Jacques Bénigne rencontre, d’aventure, dans le « cabinet de livres » paternel, un Ancien Testament. C’est alors la secousse décisive et une sorte de révélation, véritablement [27]. — Secousse si forte qu’il s’en souvint toute sa vie ; révélation si nette qu’il en décrit le double effet en termes significatifs, que l’abbé Le Dieu n’a certes pas inventés. On se rappelle ces termes : il disait en avoir reçu une « profonde impression » de « joie » et de « lumière. » Qu’est-ce à dire ? Il était donc en quelque façon incertain et soucieux, cet adolescent laborieux dont l’avenir était assuré pourtant et tracé déjà par les précautions paternelles, et déjà pouvait se présager brillant par ses succès scolaires ? Les généralités ordinaires d’une éducation chrétienne et humaniste ne lui rendaient donc pas suffisante raison des choses de ce monde, et, dans l’empressement affairé des activités familiales qui autour de lui s’évertuaient, sa réflexion ne discernait donc pas ce « sens de la vie » que réclame plus ou moins confusément la jeunesse en partance ? Par ces tableaux bibliques des mystérieuses interventions de Jéhovah et des coups inexplicables de sa « main, » non seulement il n’est pas déconcerté, mais il est satisfait, éclairé, rendu heureux. En ces spectacles de miracle étrange, c’est la Providence qu’il voit et qu’il touche avec consolation. Est-il donc déjà de ces âmes qui ont besoin que le surnaturel leur explique la nature et les fails ?

Questions sans réponse possible, évidemment, en l’absence de documents plus nombreux touchant ces années puériles qui n’ont pas eu d’historien, mais qui ont eu tout de même une histoire. Si petites que soient les tueurs qu’elles nous entr’ouvrent sur un Bossuet original au milieu des siens, « pas comme les autres » dans la famille, un peu dépaysé, un peu indifférent peut-être au milieu où il vit par cela même qu’il en diffère, je ne crois pas qu’on les puisse négliger... Et cela, parce que, dans la suite, ce Bossuet nouveau entre les Bossuet, vaguement esquissé par ces menues anecdotes, ne fut pas parfois sans se dénoncer lui-même. A qui connaît ces sermons où il arrive qu’un accent spécial, aisé à reconnaître, trahisse la révélation involontaire sur soi, l’émotion personnelle plus forte que l’objectivité voulue, ai-je besoin de rappeler qu’il y a plus d’un passage où le jeune orateur fait pour ainsi dire l’aveu, ou la proclamation, des divergences qu’il sent en lui, résistantes, avec ses contemporains, hommes d’intérêt et hommes d’action et de succès ; plus d’un passage, où il met je ne sais quelle insistance fière à marquer le fossé qu’il y a entre, d’une part, les réputés sages ou forts de ce monde, et, d’autre part, le petit troupeau dispersé de ceux qui, consciemment, préfèrent un moins brillant, mais un plus haut « partage ; » plus d’un passage enfin où il appuie avec une sorte de rancune ironique sur les dédains de l’homme adroit selon le siècle, à l’égard des modestes serviteurs de l’invisible, marchant, non sans faux pas, dans leur rêve inhabile. Il semble bien que ce descendant et membre d’une race positive et combative, enfoncée en la recherche et l’acquêt des « biens de fortune, » ait apporté en naissant ou reçu, de bonne heure, par quelque influence éducatrice inconnue, un germe étranger à son hérédité, un élément idéaliste plus épuré, plus élevé ; une « partie, » comme on disait au XVIIe siècle, de spéculatif et de poète, de métaphysicien ou de mystique, non encore apparue en la chaîne de ses prédécesseurs. Et. qui sait si cette superposition au large fond bourguignon enraciné, ce mélange, et forcément parfois, ce conflit, n’expliqueraient pas dans le génie et dans la vie de Bossuet quelques-unes des choses que l’on admire, ou que l’on regrette ?


ALFRED REBELLIAU.

  1. Particulièrement des ouvrages indispensables et très intéressants, — malgré l’aridité de la recherche généalogique, — de M. le chanoine Thomas, curé-doyen de Notre-Dame de Dijon : Les Bossuet en Bourgogne, Paris, 1903 ; Le Livre de la famille de Bossuet, Dijon, 1921. ouvrages qui seront souvent cités, et pourraient l’être à chacune des pages qui suivent. J’en dis autant de la Revue Bossuet dirigée et documentée de 1900 à 1907 par M. l’abbé Levesque.
  2. Sainte-Beuve, art. de 1862 sur Chateaubriand (Nouveaux lundis), t. III.
  3. C’est une tradition, sans autres preuves, admise pour la première fois, ce semble, en 1842 par l’Année de Marie. Sur cette dévotion à Notre-Dame d’Étang, qui prit le plus grand développement en Bourgogne depuis la fin du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe, voir le P. Dejoux, Histoire de Notre-Dame d’Étang, 1726, et G. Chevallier, Bulletin ecclésiastique du diocèse de Dijon, 1906. — Floquet, I, 407. Thomas, 74-75, 170. — La « dame Bossuet, » — qui, d’après les recherches de l’abbé Prunel (Revue pratique d’apologétique, 15 janvier 1911, et Revue d’histoire de l’Église de France, 25 juillet 1911), l’ut une des dames patronesses du « Monastère du Refuge, » que fonda, en 1653, la succursale de la Compagnie du Saint-Sacrement établie à Dijon deux ans auparavant par M. de Renty, — n’était probablement pas la mère, mais une belle-sœur, ou une cousine, ou une nièce de l’archidiacre de Metz.
  4. Floquet, 1, 544. J. Thomas, p. 75, 76, 79, 103-105, 179, 182-186.
  5. Kleinclausz, Histoire de Bourgogne, 230, 239 et 244.
  6. Floquet, t. I, 48-52 ; Thomas, 58, 69-75, 91. Voir les autres références dans la Revue du 1er août 1919.
  7. Aux naissances d’enfants, on ouvrait la Bible et l’on recueillait un verset-horoscope. On sait celui que Jacques Bossuet nota le 27 septembre 1627, lorsque Jacques Bénigne vint au monde : Deutéronome, ch. XXXII, verset 100 : Dominus circumduxit eum, et docuit, et custodivit quasi pupillam oculi.
  8. En 1658, Mazarin, continuant de thésauriser, se fit nommer abbé commendataire de Saint-Bénigne de Dijon. L’appui moral des Bossuet n’était pas négligeable a un homme d’État et d’affaires qui ne méprisait rien.
  9. A ce silence Floquet (I, p. 515) appliquant à un frère de Bossuet le même regrettable procédé qu’à Bossuet lui-même, supplée ainsi : « Le conseiller Bénigne, privé de la personne de son fils, le grand archidiacre de Metz, avait du moins la douceur, à Toul, de voir dans la cathédrale, assis, au chœur, parmi les chanoines l’aîné de tous ses enfants. Claude Bossuet... sans gloire parmi les hommes, mais bon prêtre, tout donne lieu de le croire. Nés de parents aimant et craignant Dieu, tous les enfants de Bénigne Bossuet et de Marguerite Mochet se pouvaient dire, eux aussi : « Nous sommes la race des Saints. » (Tobie, II, 18.) Cf. Jovy, Études et recherches, p. 176 187.
  10. Texte d’un mémoire de la bibliothèque de Troyes, composé par un magistrat du Parlement de Dijon avant 1673, cité par J. Durandeau, le Génie de Bossuet expliqué par ses ancêtres, Dijon, 1908. Voir, pour les autres détails, l’abbé Thomas.
  11. L’abbé J. Thomas.
  12. Sermon de 1658 ou 1659 (peut-être à Metz) Sur la Compassion de la Vierge (Stabat autem juxta crucem...).
  13. Sermon de 1656 (2 juillet), prêché au collège des Godrans à Dijon (Intravit Maria in domum Zachariæ).
  14. Voyez l’abbé J. Thomas, pp. 170, 173, 35, 36,37, 65,66, etc. « Le nom s’écrit diversement : Mouchet, de Mouchet, puis Mochet et du Mochet, toujours avec armoiries parlantes : de gueules à trois émouchets d’argent. »
  15. L’abbé Thomas, passim, spécialement pp. 12 à 16.
  16. Voir ce texte et quelques détails dans Petit de Julleville, les Mystères, t. II, p. 61-73, 539-541 ; les Comédiens en France au Moyen âge, p. 262-291 ; et dans Ernest Serrigny, la Représentation d’un mystère, à Seurre en 1496 ; voir aussi l’abbé Thomas (pp. 23-29. Jacques remplit, le premier jour, le rôle du prêtre catéchiste qui convertit saint Martin ; le second jour, le rôle de l’Official de Tours qui le déclare élu de Dieu. Etienne Bossuet fit d’abord la mère de saint Martin, enclave païenne, et ensuite le prince Tétradius, idolâtre.
  17. Voir, avec l’abbé Thomas (p. 48), Ch. Muteau et J. Garnier, Galerie bourguignonne, I, p. 120.
  18. Le P. Chérut, Autour de Bossuet, p. 16 ; Guillemot, Histoire de Seurre.
  19. La scandaleuse fortune de François Bossuet s’écroula de 1658 à 1662 ; et « Bossuet le Riche » finit, en 1675, dans la misère et un peu dans la honte.
  20. Discours à l’ouverture des États de Bourgogne en 1390, cité par G. Chevallier, Bulletin catholique de Dijon (1906).
  21. A. Rébelliau, la Compagnie secrète du Saint-Sacrement.
  22. L’abbé Thomas, le Livre d’or de la Belle Défense de Saint-Jean de Losne en 1636. Dijon. 1892 ; la Belle Défense de Saint-Jean de Losne. Dijon, 1886, et Rossignol. Mémoires de l’Académie des Sciences de Dijon, 1845-1846, Dijon, 1898.
  23. Voir Œuvres, de Bossuet, éd. Guillaume, t. VIII, p. 334-335, texte confirmé par les manuscrits (Rédactions d’histoire du Dauphin avec corrections de Bossuet), Bibliothèque Nationale, mss. fr. 12836, f° 1130-1132.)
  24. L’abbé Prunel, Sébastien Zamet, pp. 103-104 ; Bossuet, Second catéchisme de Meaux, 5e partie, leçon II.
  25. Manuel des Retraites suivant l’esprit de saint Vincent de Paul, par un prêtre de la Congrégation de la Mission, d’après le livre de méditations de Busæus, traduit par M. Portal, prêtre de la Mission.
  26. Ses supérieurs du collège des Godrans ont bien pu contribuer aussi à mettre en lui une haute idée de la « vocation. » Le P. Chérot a fait connaître leurs noms. Bossuet eut entre autres pour préfets des études, les PP. Mugnier et Le Grand. Or je note que le P. Mugnier publia en 1647 » la Véritable politique du Prince chrétien à l’usage des sages du monde, » et le P. Etienne Le Grand, en 1651, la première partie (L’Enfance et l’Éducation) d’une assez longue Vie de ce saint Bernard dont Bossuet a si bien compris les mystiques élans juvéniles.
  27. Le caractère fortuit de cette découverte se dégage bien du récit de l’abbé Le Dieu. Le père ne fit que « s’apercevoir » après coup que l’esprit du jeune tonsuré « se portait à une étude fort au-dessus des belles-lettres. » Voir le P. de la Broies (Bossuet et la Bible, pp. XIV-XV).