La Prévoyance.

La bibliothèque libre.


Collectif
Paris chantant : romances, chansons et chansonnettes contemporainesLavigne (p. 40).

LA PRÉVOYANCE

AIR : De la neige (de Debraux).


Assez longtemps, en joyeux sans souci,
J'ai fait sauter ma vaisselle de poche :
Je suis garçon ; mais demain, Dieu merci,
J'épouse Lise, et Lise est sans reproche.
Que parmi vous, messieurs, plus d'un vaurien
Jette sur moi la maligne épigramme ;
Pour s'amuser, qu'il mange tout son bien ;
Moi, maintenant, qui n'ai presque plus rien,
Je le conserve pour ma femme.

Dans nos salons, comme au quartier latin,
Grâce au progrès qui tous nous émancipe,
Le bon ton veut que le sexe lutin
Fume aujourd'hui son cigare ou sa pipe.
O mes amis ! que je serais flatté
Si ma moitié singeait la grande dame !
Aussi quelqu'un, l'autre jour, m'a prêté
Un brûle... bouche assez bien culotté :
Je le conserve pour ma femme.

Ma vieille tante, en mourant, m'a laissé
Un sansonnet pour unique héritage ;
Un savetier m'en offrait l'an passé
Trois francs dix sous, et me laissait la cage.
Vendre un oiseau qu'on apporta du Pecq
Pour le priver du peu d'air qu'il réclame,
Oh ! non, jamais ! j'aurais le cœur trop sec ;
Il dit si bien : « Veux-tu taire ton bec ! »
Je le conserve pour ma femme.

J'avais jadis un caniche à poil ras,
Et vous savez si l'espèce en est rare.
Nous nous aimions ; mais un matin, hélas!
Mon chien se noie au milieu d'une mare.
Les souvenirs parfois savent toucher :
II m'en reste un de mon pauvre Pyrame,
C'est un gourdin que j'ai soin de cacher,
Qui l'empêcha bien souvent de broncher :
Je le conserve pour ma femme.