La Première Neige (Chapman)
La première neige ! Elle tombe
Du firmament couleur de plomb,
Moite et froide comme la tombe,
Blanchissant montagne et vallon
Sous le souffle de l’aquilon.
La première neige ! Elle tombe.
Et sous ses épais tourbillons,
Qui croissent et roulent sans trêve,
Je vois s’effacer les sillons
Du champ, les galets de la grève.
Et, morne et frissonnant, je rêve
Aux misérables en haillons.
Je rêve aux longs jours de souffrance
Qu’apporte le vent boréal ;
Je vois Décembre qui s’avance
Avec son cortège brutal ;
À travers les accords d’un bal
J’entends sangloter l’indigence.
L’aspect du mobile drap blanc
Qui couvre gazon, arbre et pierre
Me fait songer aussi qu’enfant
J’allais, sous les yeux de ma mère,
Glisser sur la neige première
Au flanc du coteau scintillant.
Mainte souvenance lointaine
Se réveille en mon cœur navré,
Pendant que, là-bas, dans la plaine,
Sur le bosquet et sur le pré
Le vaste suaire nacré
Ondoie au vent qui se déchaîne.
Je me rappelle qu’à longs flots
La neige croulait sur la terre
Et blanchissait les noirs tombeaux,
Quand, un matin, au cimetière
On porta le corps de mon père
Au milieu de navrants sanglots.
La première neige ! Elle tombe
Dans mon cœur qui tremble, et j’y sens
L’indicible froid de la tombe,
Je crois voir surgir en tous sens
Des linceuls aux plis frémissants.
La première neige ! Elle tombe.